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Date : 20120604

Dossier : IMM-7355-11

Référence : 2012 CF 680

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2012

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

TESLIM OLATUNBOSUN ADEOYE

 

 

 

demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Monsieur Teslim Olatunbosun Adeoye sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi a conclu qu’il ne risquait pas d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements ou d’être tué s’il était renvoyé dans son pays d’origine, le Nigeria.

 

[2]               Monsieur Adeoye a demandé l’asile au Canada en 1999, en se fondant sur sa participation aux activités d’un groupe d’étudiants qui s’opposaient au gouvernement. La demande a été rejetée et il est retourné au Nigeria en 2001. En 2008, sa belle‑mère et son frère ont été impliqués dans deux accidents d’automobile, le deuxième ayant été fatal pour tous les deux. Le demandeur affirme avoir été accusé de sorcellerie et avoir été détenu de façon illégale à la demande de son père. Il s’est enfui avec l’aide de sa mère et il est venu au Canada. Il a été informé qu’il ne lui était pas permis de présenter une deuxième demande d’asile. Il est maintenant marié à une citoyenne canadienne et une demande de parrainage est pendante.

 

[3]               L’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) a accordé peu de poids aux lettres d’un centre médical et d’un inspecteur de police et aux affidavits souscrits par le frère et la mère du demandeur qui ont été produits au soutien de la demande. L’agent a reconnu que la croyance en la sorcellerie est répandue au Nigeria, mais il a estimé que le demandeur n’avait pas produit de preuve suffisante pour démontrer l’insuffisance de la protection offerte par l’État dans son propre pays et qu’il n’avait pas fait suffisamment d’efforts pour obtenir cette protection.

 

[4]               Les questions soulevées dans la présente demande sont les suivantes :

a.       L’agent avait‑il l’obligation de tenir une audience?

b.      La décision était‑elle raisonnable?

 

[5]               L’appréciation de la preuve par un agent chargé de l’ERAR commande l’application de la norme de contrôle de la raisonnabilité : Matute Andrade c (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1074, au paragraphe 23.

 

[6]               La juge Bédard a analysé la question de la norme de contrôle applicable aux questions intéressant l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), dans Matute Andrade, aux paragraphes 19 à 22. Après avoir examiné la jurisprudence, elle a conclu ce qui suit :

[22] En l’espèce, je considère que les questions de savoir si l’agent d’ERAR a tiré des conclusions relatives à la crédibilité de la demanderesse et si, le cas échéant, il devait convoquer une audience en application des critères prévus à l’article 167 du Règlement constituaient des questions mixtes de fait et de droit assujetties à la norme de la raisonnabilité (Borbon Marte c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 930, [2010] A.C.F. no 1128).

 

[7]               Le demandeur en l’espèce n’a pas demandé la tenue d’une audience. S’il l’avait fait, l’agent aurait eu l’obligation de se demander si la tenue d’une audience était justifiée : Montesinos Hidalgo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1334. Le contexte en l’espèce s’apparente à celui de l’affaire Matute Andrade. La Cour doit déterminer si l’agent a tiré une conclusion à propos de la crédibilité du demandeur, de façon implicite ou explicite et, le cas échéant, elle doit également déterminer si la décision repose sur la question de la crédibilité. Comme l’article 167 du Règlement porte sur une question mixte de fait et de droit et sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, je suis d’accord avec la juge Bédard pour dire que la norme de contrôle applicable devrait être celle de la raisonnabilité.

 

[8]               Bien que l’agent n’ait tiré aucune conclusion de manière explicite quant à la crédibilité du demandeur, son scepticisme à l’égard de la demande et des documents à l’appui ressort clairement de la décision. S’il avait cru le demandeur, particulièrement en ce qui a trait à sa détention illégale, l’agent aurait pu en arriver à une conclusion différente concernant la disponibilité de la protection offerte par l’État. À mon avis, l’agent aurait dû examiner la question de savoir si les critères énoncés à l’article 167 s’appliquaient et soit convoquer une audience soit dire clairement pourquoi la tenue d’une audience n’était pas nécessaire.

 

[9]               Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’agent n’avait pas l’obligation de demander que les documents du demandeur soient soumis à une analyse judiciaire pour vérifier leur authenticité. De plus, il était loisible à l’agent de mettre en doute les affidavits car les attestations ne sont pas claires. Il est bien établi en droit que l’agent peut décider du poids à accorder à la preuve. Dans la présente affaire, l’agent a conclu que tous les éléments de preuve présentés par le demandeur avaient une faible valeur probante.

 

[10]           À la lecture du dossier, certaines conclusions qu’a tirées l’agent semblent être erronées. La lettre du centre médical, par exemple, corrobore bien l’exposé circonstancié du demandeur dans la mesure où il allègue avoir fait l’objet de mauvais traitements, contrairement à la conclusion tirée par l’agent. En outre, il est déraisonnable de s’attendre à ce que l’identité de l’agresseur fasse partie des renseignements contenus dans le rapport médical. L’affidavit du frère du demandeur n’est pas vague, comme l’estime l’agent, puisqu’il comporte une déclaration qui, si l’on y ajoute foi, corrobore clairement l’allégation du demandeur.

 

[11]           L’agent était d’avis que la lettre de l’inspecteur de police devait se voir accorder peu de poids parce qu’elle ne représentait pas l’opinion de la force policière nationale. Indépendamment des descriptions inexactes et sans importance du pays et de la force policière concernée, cette conclusion était déraisonnable. La lettre précise que l’inspecteur a eu personnellement connaissance du fait que le demandeur avait été mis en détention illégalement sur les instructions de son père. De plus, l’agent chargé de l’ERAR n’explique pas pourquoi il aurait été nécessaire que la lettre exprime la position officielle de la force policière nationale.

 

[12]           La décision renferme de nombreuses fautes de grammaire et erreurs de syntaxe qui, en elles‑mêmes, ne sont pas importantes mais qui révèlent un manque d’attention de la part de l’agent. Elle donne l’impression d’avoir été rédigée à la hâte.

 

[13]           L’agent avait l’obligation d’apprécier la preuve qui contredisait sa conclusion et d’expliquer pourquoi il ne la modifiait pas : Kovacs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1003, aux paragraphes 57 à 61; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35, aux paragraphes 15 à 17. Son analyse peu claire de la preuve documentaire n’étaye pas ses conclusions quant aux efforts de l’État pour éliminer les cultes secrets et quant à savoir comment cela s’appliquait à la situation du demandeur. À la lecture du dossier, il apparaît que ces efforts visent les institutions de l’État, telles que les universités, et que la police continue d’être inefficace ou de se faire complice lorsqu’elle est aux prises avec des cas de sorcellerie à l’échelle régionale.

 

[14]           En concluant que la présomption de la protection de l’État n’avait pas été réfutée, l’agent a omis de tenir compte de l’allégation du demandeur selon laquelle la police était complice de ses mauvais traitements.

 

[15]           Je suis d’avis que la décision n’est pas fondée sur la preuve et qu’elle ne respecte pas les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47. Elle est donc déraisonnable et doit être annulée.

 

[16]           Aucune question n’est proposée aux fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire de la décision d’examen des risques avant renvoi datée du 20 septembre 2010 est accueillie et que l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7355-11

 

INTITULÉ :                                      TESLIM OLATUNBOSUN ADEOYE

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 4 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sybil Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RICHARD ODELEYE

Babalola, Odeleye

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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