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Date : 20120605

Dossier : IMM-7911-11

Référence : 2012 CF 684

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2012

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

ALLA RYZAK

 

 

 

demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse est une citoyenne d’Israël qui est née au Bélarus le 11 janvier 1957. Elle est entrée au Canada en avril 1998 munie d’un visa de résident temporaire. Elle est visée par une mesure d’expulsion assortie de conditions depuis novembre 1998. Elle a abandonné sa demande d’asile en mai 1999. Une demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire présentée de l’intérieur du pays a été refusée en mai 2001. Une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée en juillet 2003. Une deuxième demande de dispense a été rejetée en février 2003 et une décision défavorable d’examen des risques avant renvoi a suivi en février 2005. Une troisième demande de dispense a été présentée en juillet 2006 et une quatrième présentée en octobre 2011 est toujours pendante.

 

[2]               La décision du 16 septembre 2011 rejetant la troisième demande de dispense fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est rejetée.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[3]               L’agent a estimé que la preuve démontrant que l’exécution de la mesure d’expulsion se traduirait par des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives pour la demanderesse n’était pas suffisante. Il a tenu compte de l’intérêt de la fille de la demanderesse qui est née au Canada le 19 mai 2000 et qui souffre d’un retard de développement. Sa fille participe à un programme d’éducation spécialisé et elle suit des traitements avec un orthophoniste. La demanderesse prend soin de l’enfant seule. L’agent a également examiné un rapport psychologique portant sur les problèmes auxquels la réinstallation pourrait donner lieu. Il a reconnu que la réinstallation en Israël se traduirait par un certain recul pour l’enfant, mais il a estimé que la preuve démontrant que des services semblables ne seraient pas offerts en Israël était insuffisante.

 

[4]               L’agent a également tenu compte du fait que la langue maternelle de la demanderesse est le russe et que ni elle ni sa fille ne parlent hébreu. Soulignant la présence d’une vaste population parlant le russe en Israël, notamment de nombreux professionnels, l’agent a conclu que la preuve suivant laquelle il ne pourrait être satisfait aux besoins de l’enfant en faisant appel à des fournisseurs de services parlant le russe en Israël n’était pas suffisante.

 

[5]               L’agent a examiné la situation de la fille plus âgée de la demanderesse, qui est devenue résidente permanente en 2002. Il a reconnu l’existence de liens entre la demanderesse, sa plus jeune fille, sa fille plus âgée et les enfants de cette dernière, mais il était d’avis que la demanderesse et sa plus jeune fille pourraient communiquer souvent avec la fille plus âgée et ses enfants en utilisant divers moyens de communication, tels que les services vocaux et visuels offerts sur Internet et les courriels, ainsi que les réseaux sociaux. L’agent a reconnu que la situation ne serait pas facile.

 

[6]               L’agent a fait remarquer que la demanderesse avait un dossier civil sans tâche, mais il a ajouté que c’est ce que l’on attendait de tous les membres de la société, indépendamment du statut d’immigration.

 

[7]               L’agent a tenu compte du fait que la demanderesse avait bénéficié de prestations d’aide sociale en 1998, en 1999 et, de façon continue, de 2000 à octobre 2010, soit jusqu’au moment où elle a été inscrite au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, dont elle continue de retirer des prestations. Il a souligné que la demanderesse avait déclaré qu’elle avait travaillé comme chef cuisinière dans le passé lorsqu’elle avait un permis de travail, mais il a estimé que les détails liés à cet emploi étaient insuffisants. La demande qu’elle a présentée pour l’obtention d’un permis de travail a été refusée en 2006.

 

[8]               L’agent a considéré le fait que la demanderesse avait déclaré qu’elle ne pouvait pas travailler parce qu’elle devait prendre soin de sa fille et qu’elle trouverait un emploi dès que son statut serait en règle. Il a estimé que peu d’éléments de preuve permettaient d’affirmer que des mesures avaient été prises pour assurer les soins à sa fille dans l’éventualité où elle trouverait un emploi. Il a fait remarquer que la demanderesse avait bénéficié de l’aide sociale avant la naissance de sa fille et durant les périodes où elle avait un permis de travail valide. Enfin, l’agent a souligné que la demanderesse avait travaillé pendant plusieurs années en Israël et il a donc estimé que la preuve démontrant qu’elle ne réussirait pas à subvenir à ses propres besoins et aux besoins de sa fille si elle devait se réinstaller en Israël était insuffisante.

 

[9]               L’agent a tenu compte du fait que la demanderesse disait qu’elle n’avait nulle part où habiter si elle retournait en Israël, mais il était d’avis que le désagrément d’avoir à trouver une nouvelle place où vivre ne constituait pas une difficulté excessive. L’agent a également considéré la participation de la demanderesse comme bénévole aux activités d’une institution religieuse non identifiée et le fait qu’elle assistait périodiquement à des cours d’anglais langue seconde, ainsi que le récit des tensions en Israël, mais il était d’avis que ces renseignements ne permettaient pas d’établir l’existence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.


 

QUESTION EN LITIGE

 

[10]           La seule question en litige consiste à déterminer si la décision de l’agent est raisonnable.

 

ANALYSE

 

            Norme de contrôle applicable

 

[11]           Les demandes de dispense de l’obligation d’obtenir un visa sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18. Le caractère raisonnable dans le présent contexte ne veut pas dire ce que la Cour considère comme étant juste. La Cour doit tenir compte de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que de l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59.

 

La décision est‑elle raisonnable?

 

[12]           Comme le juge David Stratas l’a mentionné dans son document intitulé « Quelques réflexions sur la contribution des avocats dans les procédures de contrôle judiciaire », présenté à la conférence du Barreau du Haut‑Canada, « The Six Minute Administrative Lawyer 2011 », qui a eu lieu à Toronto, le 24 février 2011, les tribunaux sont limités par la norme du caractère raisonnable. Il a ensuite ajouté ceci :

Nous ne pouvons pas y toucher simplement parce que nous croyons que le tribunal administratif aurait dû souscrire à l’argument invoqué. Nous ne pouvons pas y toucher simplement parce que nous pensons que le tribunal administratif est arrivé au mauvais résultat. Le fardeau qu’a l’avocat, selon la norme de la raisonnabilité, est plus élevé que cela. L’avocat doit nous montrer que le tribunal administratif est arrivé à un résultat qui n’appartient pas du tout aux issues possibles dont le tribunal administratif disposait. [En italiques dans l’original.]

 

 

[13]           Dans la présente affaire, l’avocat de la demanderesse n’a pu vraiment aider la Cour. Ses observations écrites sont exceptionnellement brèves. La demanderesse soutient que l’agent n’a pas examiné toute la preuve dont il disposait et qu’il [Traduction] « semblait trouver toutes les raisons possibles pour rejeter la demande ». Elle s’appuie sur la décision de la Cour dans Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 956, et sur l’affidavit soumis dans le cadre de sa requête en sursis présentée en novembre 2011 qui a par ailleurs été accueillie.

 

[14]           À l’audience, l’avocat a cité les propos compatissants du juge qui a accordé le sursis concernant le bien‑fondé des prétentions de la demanderesse. Il était inapproprié de la part de l’avocat de rapporter ces propos. Ceux‑ci ont été tenus per incuriam dans le contexte d’une requête où la Cour jouit d’une compétence en équity dont elle ne jouit pas dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Dans une requête en sursis, la Cour est investie d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il a été satisfait aux trois éléments du critère. Dans une demande de contrôle judiciaire, la Cour doit rendre une décision indépendante sur le bien‑fondé de la demande en appliquant les normes de la décision correcte et de la décision raisonnable comme le définit la jurisprudence. La sensibilité à l’égard de la situation d’une personne est en principe un aspect à prendre en considération pour déterminer si les difficultés inhérentes à l’expulsion sont inhabituelles, injustifiées et excessives; la Cour ne peut compter sur cette sensibilité pour conclure à l’existence d’une erreur susceptible de contrôle lorsque la décision appartient aux issues acceptables.

 

[15]           En l’espèce, la demanderesse n’a relevé aucune question ou preuve antérieure à la décision que l’agent n’aurait pas examinée. L’intérêt de l’enfant de la demanderesse a été examiné en détail, y compris le rapport du Dr Pilowsky. Tous les éléments de preuve ont été mentionnés et analysés dans la décision de l’agent et l’argument selon lequel la preuve n’avait pas toute été examinée est sans fondement. Il s’agit d’un argument qui concerne le poids à accorder à la preuve, une décision qui relève de l’agent, et non de la cour chargée du contrôle.

 

[16]           Il était raisonnable de la part de l’agent de s’appuyer sur les lettres de 2010 et de 2011 de l’école de la fille de la demanderesse, plutôt que sur un rapport psychologique de 2005. Rien dans le dossier de la demande ou le dossier de la requête en sursis ne contredit la conclusion de l’agent concernant l’insuffisance de la preuve démontrant que l’enfant n’aurait pas accès au soutien nécessaire en Israël, un pays moderne et développé offrant des services d’enseignement supérieur et d’autres services.

 

[17]           L’affaire Yu, ci-dessus, sur laquelle la demanderesse s’est appuyée, intéressait une demande présentée de l’étranger par une travailleuse n’ayant pu être jugée qualifiée qui avait des parents de faits au Canada prêts à la soutenir. La décision de l’agent de refuser la demande avait été jugée déraisonnable parce qu’il n’avait pas tenu compte du lien étroit qui existait entre la demanderesse et sa sœur jumelle, qui avait le statut de résidente permanente au Canada, ni du fait que la rémission de sa sœur jumelle qui avait souffert d’un cancer était due en grande partie aux soins de la demanderesse. La décision ne faisait aucunement mention des considérations pertinentes d’ordre humanitaire. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[18]           La demanderesse a déclaré dans l’affidavit qu’elle a souscrit dans le cadre de la requête en sursis qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de tenir pour acquis que sa fille parle le russe aussi bien que l’anglais, sauf que l’agent avait tiré ces renseignements des observations fournies. Qui plus est, rien dans la preuve ne permettait de croire que la demanderesse ne pourrait pas obtenir des services en anglais en Israël.

 

[19]           S’agissant de l’établissement, la demanderesse n’a pas expliqué pourquoi elle avait dû recourir à l’aide sociale pendant aussi longtemps. Dans ses observations, elle déclare qu’elle ne peut pas travailler parce qu’elle doit prendre soin de sa fille. Compte tenu du fait que la demanderesse a souvent été bénéficiaire de l’aide sociale dans le passé, même avant la naissance de sa fille, il était raisonnable de la part de l’agent de considérer que cette explication n’était pas suffisante.

 

[20]           Dans une lettre communiquée à la suite de la décision, la demanderesse déclare qu’elle ne peut pas travailler parce qu’elle souffre de douleurs chroniques et d’autres problèmes de santé liés à son poids. Or, ces renseignements n’ont pas été communiqués à l’agent. La preuve concernant les raisons justifiant son inscription actuelle au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées a également été versée au dossier après la décision. Il est bien établi en droit que, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, les seuls éléments de preuve qui devraient être pris en considération sont ceux dont le décideur disposait, sauf certaines exceptions bien précises dont aucune n’est applicable en l’espèce : Société Canadian Tire Ltée c Canadian Bicycle Manufacturers Association, 2006 CAF 56, au paragraphe 13.

 

[21]           Il incombe à ceux qui demandent une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire de fournir une preuve suffisante pour justifier leur demande. Il s’agissait de la troisième demande présentée par la demanderesse et il est raisonnable de supposer qu’elle était au courant de cette obligation. Malgré cela et malgré le fait qu’elle ait été représentée par un avocat du début à la fin de l’instance, la demanderesse n’a pas fourni de preuve suffisante concernant les difficultés excessives ou les autres difficultés auxquelles elle se heurterait en Israël. Eu égard aux circonstances, la décision de l’agent appartenait bien aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[22]           Aucune question sérieuse de portée générale n’a été proposée aux fins de certification et aucune question ne sera certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7911-11

 

INTITULÉ :                                      ALLA RYZAK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 31 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 5 juin 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Marshall Garnick

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Manuel Mendelson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MARSHALL GARNICK

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                   

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