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Date : 20120605

Dossier : IMM-7980-11

Référence : 2012 CF 688

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2012

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

PORTICA JOHN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               [33]      Le poids que le juge des faits accorde à la preuve présentée dans une instance ne relève pas de la science. Différentes personnes peuvent accorder un poids différent à la preuve, mais l’évaluation du poids de la preuve devrait entrer à l’intérieur de certains paramètres raisonnables. La retenue s’impose lorsque les agents d’ERAR évaluent la valeur probante de la preuve dont ils disposent. Si leur évaluation entre dans les paramètres de la raisonnabilité, elle ne devrait pas être modifiée. Selon moi, le poids accordé à la déclaration de l’avocate dans la présente affaire entre dans ces paramètres.

 

[34]      Je pense aussi qu’il n’y a rien dans la décision contestée qui indique qu’une partie quelconque de cette décision était basée sur la crédibilité de la demanderesse. L’agent ni ne croit ni ne croit pas que la demanderesse est lesbienne – il n’est pas convaincu. Il dit que la preuve objective n’établit pas qu’elle est lesbienne. En bref, il a conclu qu’il y avait un élément de preuve – la déclaration de l’avocate – mais que c’était insuffisant pour établir, selon la prépondérance de la preuve, que Mme Ferguson était lesbienne. Selon moi, cette conclusion ne remet pas en cause la crédibilité de la demanderesse. [Non souligné dans l’original.]

 

(Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067).

 

[2]               La Cour n’est pas convaincue que la crédibilité de la demanderesse était en cause. En fait, la preuve que la demanderesse a présentée à l’agent n’avait tout simplement aucune valeur probante.

 

II. Procédure judiciaire

[3]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision du 9 septembre 2011 rejetant la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] de la demanderesse.

 

III. Contexte

[4]               La demanderesse, Mme Portica John, est citoyenne de Sainte-Lucie.

 

[5]               La demanderesse est arrivée au Canada le 12 décembre 2007 et elle a demandé l’asile le 27 janvier 2009. Elle alléguait avoir été agressée sexuellement par son beau‑père. Après avoir conclu que la version des faits de la demanderesse concernant la violence sexuelle manquait de crédibilité, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté sa demande le 10 septembre 2010.

 

[6]               La demanderesse a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant cette décision de la SPR. La Cour lui a refusé l’autorisation le 5 janvier 2011.

 

[7]               La demanderesse a présenté une demande d’ERAR fondée sur deux motifs. Le premier motif, le même que celui plaidé devant la SPR, se rapporte à la violence familiale et aux mauvais traitements dont elle a été victime de la part de son beau‑père à Sainte‑Lucie. Le nouveau motif est fondé sur son orientation sexuelle. Elle s’est rendue compte depuis l’audience devant la SPR qu’elle est bisexuelle et elle entretient maintenant une relation amoureuse avec une femme.

 

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[8]               L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas fait la preuve de son orientation sexuelle, selon la prépondérance des probabilités, et qu’elle n’avait pas démontré non plus que son beau‑père la menaçait ou qu’elle serait personnellement exposée à un risque si elle retournait à Sainte-Lucie.

 

[9]               Selon l’agent, l’affidavit souscrit par la partenaire de la demanderesse manquait de précisions quant à leur relation. De plus, il a accordé peu de valeur probante aux photos soumises parce qu’elles ne permettaient pas d’établir l’orientation sexuelle de la demanderesse.


 

V. Question en litige

[10]           L’agent chargé de l’ERAR a‑t‑il eu tort de conclure que la demanderesse n’avait ni qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[11]           Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

 

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

[12]           Les dispositions pertinentes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], sont les suivantes :

Facteurs pour la tenue d’une audience

 

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

Hearing — prescribed factors

 

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

VII. Thèses des parties

[13]           La demanderesse soutient que l’affidavit de sa partenaire fournit suffisamment de détails sur la période durant laquelle leur relation a pris naissance, contrairement à ce que l’agent a conclu. La demanderesse affirme ensuite que l’agent a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité sur la question de sa bisexualité. Même si l’agent n’a jamais employé le mot « crédibilité », la demanderesse avance que c’est ce à quoi il pensait. Elle soutient que l’agent aurait dû tenir une audience pour évaluer sa crédibilité. Elle allègue ensuite que l’agent n’a pas bien évalué la preuve documentaire, compte tenu de la conclusion qu’il a tirée quant à sa crédibilité.

 

[14]           En réponse aux arguments de la demanderesse, le défendeur soutient que l’agent n’a pas mis en doute la crédibilité de la demanderesse. Il a plutôt conclu que la preuve de la demanderesse était insuffisante. Par conséquent, la demanderesse ne satisfaisait pas aux critères applicables pour la tenue d’une audience.

 

VIII. Analyse

[15]           La norme de contrôle applicable à la décision de l’agent chargé de l’ERAR relativement à son appréciation de la preuve est celle du caractère raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

[16]           La Cour doit déterminer si la décision de l’agent repose sur la crédibilité de la demanderesse ou si la preuve était insuffisante pour étayer les allégations de la demanderesse (Matute Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1074).

 

[17]           Dans Ferguson, ci-dessus, la Cour a fait la déclaration suivante concernant le poids que l’agent devrait accorder à la preuve :

[26]    Si le juge des faits décide que la preuve est crédible, une évaluation doit ensuite être faite pour déterminer le poids à lui accorder. Il n’y a pas seulement la preuve qui a satisfait au critère de fiabilité dont le poids puisse être évalué. Il est loisible au juge des faits, lorsqu’il examine la preuve, de passer directement à une évaluation du poids ou de la valeur probante de la preuve, sans tenir compte de la question de la crédibilité. Cela arrive nécessairement lorsque le juge des faits estime que la réponse à la première question n’est pas essentielle parce que la preuve ne se verra accorder que peu, voire aucun poids, même si elle était considérée comme étant une preuve fiable. Par exemple, la preuve des tiers qui n’ont pas les moyens de vérifier de façon indépendante les faits au sujet desquels ils témoignent, se verra probablement accorder peu de poids, qu’elle soit crédible ou non.

 

[27]    La preuve présentée par un témoin qui a un intérêt personnel dans la cause peut aussi être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, avant l’examen de sa crédibilité, parce que généralement, ce genre de preuve requiert une corroboration pour avoir une valeur probante. S’il n’y a pas corroboration, alors il pourrait ne pas être nécessaire d’évaluer sa crédibilité puisque son poids pourrait ne pas être suffisant en ce qui concerne la charge de la preuve des faits selon la prépondérance de la preuve. Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, il ne rend pas de décision basée sur la crédibilité de la personne qui fournit la preuve; plutôt, le juge des faits déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle‑même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée. Selon moi, c’est l’analyse qu’a menée l’agent dans la présente affaire. [Non souligné dans l’original.]

 

[18]           Dans la présente affaire, la demanderesse a produit un affidavit souscrit par sa partenaire. Il était raisonnable pour l’agent de conclure que cet affidavit n’était pas suffisamment détaillé. Il a également jugé que la partie de l’affidavit concernant le risque que représente le beau‑père de la demanderesse constituait du ouï‑dire. L’agent a accordé peu de valeur probante aux photos produites par la demanderesse qui semblaient avoir été prises [Traduction] « au cors d’une même journée et soirée » (la décision prise par l’agent chargé de l’ERAR) et n’étaient pas datées. Enfin, l’agent a estimé que l’allégation suivant laquelle la demanderesse avait été informée par ses amis et sa famille que son beau‑père menaçait de la tuer n’était pas suffisamment corroborée par la preuve.

 

[19]           Dans ces conclusions, l’agent a clairement soupesé la preuve et il n’a donc pas mis en doute la crédibilité de la demanderesse. Par conséquent, l’alinéa 167(1)a) du Règlement ne s’applique pas. 

 

 

IX. Conclusion

[20]           Il se peut que la demanderesse souhaite que la Cour apprécie de nouveau la preuve, mais il est important de souligner qu’il n’appartient pas à la Cour de simplement substituer son opinion à celle de l’agent. L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

 

[21]           Pour les motifs exposés précédemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7980-11

 

INTITULÉ :                                      PORTICA JOHN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 31 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 5 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine MacDonald

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christopher Ezrin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Geraldine MacDonald

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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