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Date : 20120606

Dossier: IMM-2851-11

Référence : 2012 CF 698

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2012

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

EUGENE MWALUMBA MATA MAZIMA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

     MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], à l’égard d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (le tribunal) rendue le 8 avril 2011. Le tribunal a jugé que le demandeur était exclu de l’application des dispositions en matière de réfugié et de personne à protéger, conformément à l’article 98 de la Loi et au paragraphe a) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention). Pour les motifs qui suivent, il y a lieu de rejeter la présente demande.

 

I. Les faits

[2]               Le demandeur, Eugene Mwalumba Mata Mazima, est né le 1er mars 1977 à Kinshasa, en République Démocratique du Congo (RDC). En 2001, à la fin de ses études universitaires, il a obtenu le poste de responsable du service informatique dans les forces armées congolaises (FAC) par l’entremise de son cousin, l’amiral Baudoin Liwanga Mata Nyamunyobo (amiral Liwanga), Chef d’état-major des FAC. Dans son entrevue avec l’Unité de sécurité et crimes de guerre le 13 novembre 2008, il a déclaré que ses fonctions consistaient plus précisément à créer un réseau informatique local pour relier le cabinet avec les autres départements de l’armée pour qu’ils aient la même base de données, qu’il saisissait des rapports, qu’il gérait les outils informatiques de façon à ce que le matériel fonctionne et qu’il répondait parfois à certains courriels « réguliers » de l’amiral Liwanga. Il n’avait pas accès aux courriels secrets, et n’avait personne à sa charge. Il a également affirmé n’avoir jamais participé directement à des opérations de l’armée. Enfin, il a dit avoir été au courant du fait que l’armée congolaise avait commis des violations des droits humains, mais n’avoir jamais été témoin de telles violations.

 

[3]               En 2004, il a dû quitter ses fonctions au sein des FAC suite au licenciement de l’amiral Liwanga. Après être brièvement retourné aux études, il a obtenu un poste de chargé d’études en nouvelles technologies pour le ministère des Affaires étrangères à Kinshasa. Il avait alors pour mandat de créer un outil informatique pour relier le cabinet et le département de transmission du ministère des Affaires étrangères qui était chargé de la correspondance entre le cabinet et les ambassades congolaises à l’étranger.

 

[4]               Lorsque le gouvernement mis en place pour une période transitoire, suite à l’adoption d’une nouvelle constitution en décembre 2005, a été remplacé dans la foulée des élections législatives et présidentielles qui se sont tenues en 2006, le demandeur a été relocalisé à l’Ambassade de la RDC en Algérie à titre de deuxième secrétaire. Il était chargé de l’administration et des étudiants congolais boursiers en Algérie.

 

[5]               À compter du mois de juillet 2007, la chargée d’Ambassade a commencé à soupçonner que le demandeur faisait partie de l’Alliance des patriotes pour la refondation du Congo, un parti d’opposition, à cause des services qu’il rendait à certains étudiants non boursiers membres de ce parti.  En août 2007, le demandeur a appris l’existence d’une lettre adressée à la chargée d’Ambassade par le gouvernement de la RDC dans laquelle on exigeait son rapatriement au pays pour qu’il soit remis au service de renseignements.

 

[6]               La situation déjà précaire du demandeur auprès de son gouvernement s’est envenimée lorsque son demi-frère, Veron Mwalumba, a agressé physiquement Francis Kalombo, un proche du président Joseph Kabila, lors de la 62e assemblée générale des Nations Unies à New York.

 

[7]               Le demandeur a donc décidé de quitter l’Algérie le 27 novembre 2007, en compagnie de son épouse et de ses deux enfants, à destination de New York. Le 29 novembre 2007, ils se sont rendus à la frontière du Canada par autobus où ils ont alors revendiqué le statut de réfugié.

 

II. La décision contestée

[8]               Il importe tout d’abord de noter que le représentant du ministre n’a pas allégué que le demandeur avait commis personnellement un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité ou qu’il se serait rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, tels que ces infractions sont décrites aux paragraphes a) et c) de la section F de l’article premier de la Convention. Par conséquent, le tribunal a passé en revue la jurisprudence pertinente en matière de complicité et s’est dit d’avis que les cinq facteurs suivants doivent être considérés lorsqu’il s’agit de déterminer si un individu est complice d’un crime contre l’humanité : 1) les méthodes de recrutement; 2) la nature de l’organisation; 3) le rang du demandeur et la durée de son association avec cette organisation; 4) la connaissance des atrocités perpétrées par l’organisation; et 5) la possibilité qu’il avait de quitter l’organisation.

 

[9]               Le tribunal s’est par la suite attardé à chacun de ces facteurs. Il note tout d’abord que le demandeur n’a pas été recruté de force dans l’armée, mais a au contraire décroché son poste par le biais de son cousin, l’amiral Liwanga. Ce dernier était à l’époque l’un des hommes les plus puissants du pays, en tant que Chef d’état major des FAC.

 

[10]           Dans un deuxième temps, le tribunal mentionne que la preuve documentaire fait état d’une violente guerre civile qui a fait rage en RDC entre 2001 et 2005. Cette guerre civile est marquée par une violence sans bornes et des violations des droits humains perpétrées tant par les factions rebelles que les troupes de l’armée. Le tribunal convient qu’il serait inexact de conclure que toute l’armée congolaise se vouait à des fins limitées et brutales, mais il n’en demeure pas moins que certains bataillons se livraient à des violations des droits de la personne. Dans ce contexte, le tribunal estime qu’il y a de sérieuses raisons de penser que l’amiral Liwanga, en tant que Chef d’état major, a donné son aval aux actes commis par ces bataillons ainsi qu’aux alliances conclues par le gouvernement avec des milices troubles et des chefs de guerre qui se sont aussi livrés à de tels crimes.

 

[11]           Quant au demandeur, le tribunal croit qu’il a facilité la communication entre l’amiral Liwanga et les différents bataillons et milices armées commettant des exactions contre la population civile. Il a par conséquent été un « chaînon de la machine » et a participé de façon active à cette guerre civile sauvage.

 

[12]           D’autre part, le tribunal insiste sur le fait que le demandeur était au courant des exactions des FAC. En effet, le demandeur écrit dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP): « Ayant moi-même travaillé pendant plus d’une année avec les plus hautes instances de notre armée, je sais très bien comment procèdent nos services de renseignements tant civils que militaires pour obtenir des aveux de quelqu’un qui est accusé de trahison, ils n’hésitent pas à utiliser la torture ainsi que d’autres traitement dégradant [sic] » (Décision du tribunal, Dossier du demandeur, p. 15).

 

[13]           Malgré cette connaissance, le demandeur a continué à travailler pour le Chef d’état-major. Il n’a pas quitté ce poste au sein de l’armée pour des raisons morales ou politiques, mais uniquement après avoir réussi un concours pour travailler au ministère des Affaires étrangères à titre de chargé d’étude auprès du ministre. Il quittera donc le Chef d’état-major pour aller travailler ailleurs au service de ce même gouvernement qui ferme les yeux sur les excès de son armée.

 

[14]           Le tribunal conclut donc qu’il y a de sérieuses raisons de croire que le demandeur a été complice de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre commis par des factions des FAC et l’a exclu en vertu de l’article 1 F (a) de la Convention.

 

[15]           En revanche, l’épouse du demandeur et ses enfants ont établi une crainte bien fondée de persécution compte tenu du fait que madame est la fille d’un membre important de l’opposition et que son frère, également impliqué dans l’opposition, aurait été victime de la police secrète. La présente demande de contrôle judiciaire ne vise évidemment pas à remettre en question cette portion de la décision.

 

III. Les questions en litige

[16]           Deux questions doivent être tranchées dans l’examen de la demande présentée par le demandeur:

- Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en interprétant de façon erronée la notion de complicité dans le contexte de l’article 1 F (a) de la Convention?

- Le tribunal a-t-il tiré une conclusion de fait erronée en considérant que le demandeur avait été complice des crimes commis par son gouvernement?

 

IV. Analyse

[17]           Il ne fait aucun doute que la première question est essentiellement de nature juridique. Eu égard à ce type de questions, le tribunal n’a pas droit à l’erreur parce que l’on ne saurait tolérer différentes interprétations du concept de complicité dans l’application de la clause d’exclusion. Par voie de conséquence, c’est la norme de la décision correcte qui doit recevoir application  (voir, entre autres, Ezokola c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 662 aux para 54-59, [2011] 3 RCF 377 [Ezokola #1] conf par 2011 CAF 224 au para 39, [2011] 3 RCF 417 [Ezokola #2]).

 

[18]           D’autre part, la deuxième question fait intervenir des considérations mixtes de fait et de droit. À ce titre, elle doit être analysée en appliquant la norme de la décision raisonnable. Tel que l’a précisé la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2009 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

A) Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en interprétant de façon erronée la notion de complicité dans le contexte de l’article 1 F (a) de la Convention?

 

[19]           L’article 98 de la Loi édicte que la personne visée à l’article 1 F(a) de la Convention n’est pas considérée comme un réfugié ou une personne à protéger et ne peut, par conséquent, faire l’objet des protections offertes par la Convention et la Loi. Ces dispositions se lisent comme suit :

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un rime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

( a ) He has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

[20]           Dans la présente instance, le ministre n’a pas tenté d’établir que le demandeur avait personnellement commis l’un de ces crimes. Il est cependant acquis que la complicité est tout aussi répréhensible que la commission de l’acte elle-même. Comme l’écrivait la Cour d’appel fédérale dans Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Bazargan (1996), 205 NR 282 au para 11, 67 ACWS (3d) 132 [Bazargan] : « [C]elui qui met sa propre roue dans l’engrenage d’une opération qui n’est pas la sienne mais dont il sait qu’elle mènera vraisemblablement à la commission d’un crime international, s’expose à l’application de la clause d’exclusion au même titre que celui qui participe directement à l’opération ». La culpabilité du complice n’est, par conséquent, pas moindre que celle de l’individu ayant commis le crime. La question est donc de savoir si le tribunal a correctement interprété la notion de complicité, en tenant compte de l’abondante jurisprudence de cette Cour et de la Cour d’appel fédérale en la matière.

 

[21]           Cette question a récemment fait l’objet d’un examen exhaustif dans l’arrêt Ezokola #2, précité. Après avoir passé en revue ses décisions les plus marquantes en cette matière (Ramirez c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 CF 306 (disponible sur QL) [Ramirez]; Moreno c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 298 (disponible sur QL); Sivakumar c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1996] 2 CF 872 (disponible sur QL); Bazargan, précité; Sumaida c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 66 (disponible sur QL); Harb c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, 238 FTR 194), la Cour d’appel a réitéré le critère de « participation personnelle et consciente » qu’avait développé le juge MacGuigan dans l’arrêt Ramirez, précité. Voici d’ailleurs comment le juge Noël résume cette décision :

Dans Ramirez, le juge MacGuigan indique qu’une personne ne peut avoir commis de crimes au sens de l’article 1Fa) de la convention – incluant les crimes contre l’humanité – sans qu’il n’y ait un « certain degré de participation personnelle et consciente » (pp. 316, 317). Il ajoute que la simple appartenance à une organisation qui commet des crimes internationaux ne suffit pas en soi pour exclure un individu de l’application des dispositions relatives au statut de réfugié. Il en va autrement, par contre, lorsqu’une organisation vise principalement des fins limitées et brutales (p. 317). Le juge MacGuigan ajoute que les membres d’une organisation peuvent, selon les faits propres à chaque affaire, être considérés comme des participants personnels et conscients. Dans de tels cas, la « complicité dépend essentiellement de l’existence d’une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont » (pp. 317, 318). Il affirme également qu’il n’est pas souhaitable, dans l’établissement d’un principe général applicable à la complicité, de dépasser le critère de la « participation personnelle et consciente »; le reste devant être tranché selon les faits de chaque affaire (p. 320).

                       

                        Ezokola #2, précité au para 52.

 

 

[22]           Compte tenu de ce critère de la participation personnelle et consciente, la Cour d’appel a conclu que le juge de première instance avait appliqué un critère trop restrictif en exigeant que la personne visée ait participé personnellement aux crimes reprochés, y ait comploté personnellement ou en ait facilité l’exécution dans le sens exprimé. À l’inverse, la Cour d’appel a également considéré que le tribunal avait erré en appliquant un critère de « connaissance personnelle et consciente » et en confondant connaissance et participation. Tel que noté par la Cour d’appel, la connaissance personnelle est certainement l’un des éléments requis pour qu’il y ait participation personnelle et consciente, mais elle ne saurait suffire à elle seule.

 

[23]           Une lecture attentive des motifs du tribunal ne révèle pas d’erreur au niveau du test retenu pour évaluer la complicité du demandeur. Lors de l’audition, l’avocate du demandeur n’a d’ailleurs pas remis en question la grille d’analyse utilisée par le tribunal, même si elle s’était appuyée sur la décision de la Cour fédérale dans l’arrêt Ezokola #1, précité, pour soutenir que le demandeur ne pouvait être considéré complice des crimes commis par son gouvernement du seul fait qu’il avait eu connaissance de ces crimes et qu’il avait travaillé au sein de ce gouvernement.

 

[24]           De fait, le Tribunal a correctement appliqué la norme de preuve en statuant que le ministre devait établir qu’il y a des « raisons sérieuses de penser » que le demandeur s’est livré aux actes qu’on lui reproche. Cette norme, il va sans dire, est bien inférieure à celle qui est requise dans le cadre du droit criminel (« hors de tout doute raisonnable ») ou même dans le contexte du droit civil (« prépondérance des probabilités »). S’il en va ainsi, c’est tout simplement parce que le tribunal n’est pas appelé à déterminer si la personne visée est criminellement responsable, mais uniquement si elle peut demander refuge au Canada (Ramirez, précité aux pp 311-312; Sivakumar c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 433 à la p 445 (disponible sur QL) (CAF); Bazargan, précité au para 12; Kaburundi c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 361 au para 18, 155 ACWS (3d) 915).

 

[25]           Même s’il n’est pas contesté que les FAC ont commis des crimes contre l’humanité entre 2001 et 2004, le tribunal a reconnu qu’elles ne pouvaient être considérées comme une organisation vouée à des fins limitées et brutales. Par conséquent, le demandeur ne pouvait être présumé avoir participé à des crimes contre l’humanité du seul fait de son appartenance aux forces armées de son pays. Par conséquent, il appartenait au ministre d’établir, selon la norme de preuve applicable, sa participation aux crimes de son gouvernement.

 

[26]           Or, il est bien établi que la participation personnelle et consciente ne requiert pas la présence physique sur les lieux du crime et peut se prouver en démontrant l’existence d’une intention commune. C’est précisément ce que le tribunal a recherché en examinant les facteurs suivants : 1) les méthodes de recrutement; 2) la nature de l’organisation; 3) le rang du demandeur et la durée de son association avec cette organisation; 4) la connaissance des atrocités perpétrées par l’organisation; et 5) la possibilité qu’il avait de quitter l’organisation. Ces facteurs sont tout à fait conformes à la jurisprudence de cette Cour (voir, entre autres, Petrov c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 465 au para 53, 57 ACWS (3d) 599; Fabela c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1028 au para 24, 277 FTR 20; Kathiripillai c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1172 au para 19, 398 FTR 178; Rutayisire c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1168 au para 11, 379 FTR 44).

 

[27]           Bref, je suis d’avis que le tribunal a correctement énoncé les principes juridiques applicables en matière de complicité. Reste maintenant à déterminer s’il les a correctement appliqués.

 

B) Le tribunal a-t-il tiré une conclusion de fait erronée en considérant que le demandeur avait été complice des crimes commis par son gouvernement?

 

[28]           En l’espèce, le demandeur n’a pas contesté la décision du tribunal selon laquelle il n’a jamais été forcé d’occuper le poste de responsable du service informatique dans les FAC, ni le fait qu’il avait connaissance des atrocités commises par certains membres des FAC avant d’accepter le poste en question, ni le fait qu’il a quitté cet emploi de manière volontaire – ou suite au licenciement de l’amiral Liwanga, selon son témoignage à l’audience – et non pas à la première occasion qui s’est présentée.

 

[29]           En fait, le litige entre les parties a trait à la conclusion du tribunal à l’effet que le demandeur aurait occupé une fonction importante au sein des FAC qui a permis la perpétration de crimes contre l’humanité. Là où le demandeur minimise la portée de ses fonctions, le défendeur estime que celui-ci a facilité ou encouragé, de par le poste qu’il occupait, la commission des crimes que l’on reproche aux FAC.

 

[30]           Le demandeur a soutenu qu’il avait exercé des fonctions peu importantes au sein de son gouvernement, limitées à la logistique informatique et à l’administration non militaire, qu’il n’avait jamais travaillé dans des endroits où avaient lieu des opérations militaires, qu’aucun homme n’était sous ses ordres, qu’il n’avait aucun pouvoir décisionnel et ne pouvait influencer les décisions prises par son gouvernement. Dans la même veine, le demandeur fait valoir que ses postes subséquents au ministère des Affaires étrangères et à l’Ambassade de la RDC en Algérie n’étaient pas de nature à lui permettre d’exécuter, d’encourager ou de dissimuler les crimes reprochés à son gouvernement ou d’y concourir.

 

[31]           Tel n’est pourtant pas le test retenu aux fins d’établir si un demandeur s’est rendu complice de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, comme nous l’avons vu précédemment. La question n’est pas tant de savoir si le demandeur a été directement impliqué dans ces crimes, mais plutôt de déterminer s’il a facilité, encouragé ou collaboré à la commission de tels crimes en toute connaissance de cause.

 

[32]           Le demandeur a admis avoir travaillé pour l’un des hommes les plus puissants de la RDC pendant trois ans, et il a admis, à la question 31 de son FRP, être au courant des exactions commises par les FAC et les milices financées par les FAC contre la population de son pays. Lors de l’audition devant le tribunal, il a bien tenté de minimiser l’impact de cet aveu en disant qu’il n’avait été informé des débordements des FAC que par suite de la torture subie par son beau-frère, mais cette explication est peu crédible compte tenu de l’ampleur et de la notoriété des violences perpétrées ou encouragées par l’armée au cours de cette période.

 

[33]           En créant et maintenant un réseau informatique pour relier le cabinet du Chef d’état-major aux autres unités de l’armée à travers le pays, le demandeur n’était pas un simple spectateur, mais contribuait au bon déroulement des opérations militaires. Même si le tribunal n’en avait pas la preuve directe, il n’était pas déraisonnable de conclure que le demandeur a mis la main à la roue et a participé consciemment aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre commis par les FAC au cours de ses opérations militaires.

 

[34]           Le demandeur aurait pu, à tout moment, quitter son travail et mettre fin à son implication dans les exactions commises par les FAC. Il ne l’a pas fait, et n’a quitté ses fonctions que suite au licenciement de l’amiral Liwanga.

 

[35]           Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, le rôle de cette Cour n’est pas de décider si le demandeur a participé personnellement et consciemment aux crimes commis par les FAC, mais de déterminer s’il était raisonnable pour le tribunal de tirer cette conclusion. Compte tenu de la preuve au dossier, et pour les raisons mentionnées dans les présents motifs, j’estime que le tribunal pouvait en arriver à cette conclusion, et il n’y a donc pas lieu pour cette Cour d’intervenir. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

 

[36]           L’avocate du demandeur a proposé que soit certifiée la question suivante :

Quel est le degré de participation personnelle et consciente (mens rea) requis pour être complice d’un crime contre l’humanité?

 

 

[37]           Le procureur du défendeur s’est objecté à la certification de cette question, au motif qu’elle ne remplissait pas les critères énoncés par la jurisprudence pour l’application de l’alinéa 74d) de la Loi. Je suis d’accord.

 

[38]           Les principes juridiques entourant la notion de complicité ont été examinés à de nombreuses reprises par cette Cour et par la Cour d’appel fédérale. Plusieurs de ces décisions sont mentionnées dans les présents motifs. La Cour d’appel s’est de nouveau penchée sur cette question dans l’arrêt Ezokola #2, précité, rendu il y a moins d’un an. Bien que la Cour suprême ait accueilli la permission d’en appeler de cette décision, il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de surseoir au prononcé de la présente décision jusqu’à ce que l’affaire Ezokola #2 soit tranchée par la plus haute cour du pays, compte tenu des délais que cela pourrait comporter.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 8 avril 2011 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est rejetée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2851-11

 

INTITULÉ :                                       EUGENE MWALUMBA MATA MAZIMA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Marie-Hélène Giroux

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Michel Pépin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Marie-Hélène Giroux

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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