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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120430

 

Dossier : IMM-5171-11

Référence : 2012 CF 494

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2012

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SCOTT

 

 

ENTRE :

 

ANNETTA PROFITT

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par Annetta Profitt (Mme Profitt) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 [la LIPR], de la décision du 6 juillet 2011 par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse n’avait ni qualité de réfugiée au sens de la Convention conformément à l’article 96, ni celle de personne à protéger au sens des articles 97 et 98 de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

II.        Les faits

 

[3]               Madame Profitt est une citoyenne de la Guyane, âgée de 49 ans. En bas âge, Mme Profitt a été adoptée par Mme Sheila Conway.

 

[4]               Madame Profitt est la mère de trois enfants, Cleveland Gray, Tamica Blair et David Blair.

 

Plusieurs années de mauvais traitements

 

[5]               En 1979, Mme Profitt a rencontré Alex Beckles lors d’une fête; les deux ont par la suite noué une relation. Monsieur Beckless est un policier. En 1980, Mme Profitt a emménagé chez lui et, après avoir vécu avec lui pendant un an, elle a compris que M. Beckles était un homme très agressif. Pendant de nombreuses années, elle a subi la violence verbale, physique et sexuelle de M. Beckles. Il la contraignait souvent à avoir des rapports sexuels avec ses collègues ou ses maîtresses. Si Mme Profitt protestait ou cherchait refuge chez un ami, il savait la trouver et lui infligeait des mauvais traitements.

 

[6]               En 2001, M. Beckles a séquestré Mme Profitt durant plusieurs mois et il forçait le jeune fils de Mme Profitt, David, à les regarder pendant qu’il agressait sa mère physiquement et sexuellement. Parfois, M. Beckles agressait sexuellement aussi David. Madame Profitt a tenté en vain de déposer plusieurs plaintes auprès de la police.

 

Statut de résidente permanente aux É.‑U. et condamnations au criminel

 

[7]               En 1988, Mme Profitt s’est mariée à Horriss Harding et a obtenu la résidence permanente aux États‑Unis. Cependant, elle a perdu ce statut après avoir été reconnue coupable de trois accusations criminelles. Elle a été reconnue coupable de vol au troisième degré en 1992 et condamnée à une période probation de trois ans. En 1995, elle a été reconnue coupable de tentatives de vol simple et condamnée à une peine d’emprisonnement d’un an à trois ans, mais a purgé une peine de six mois dans un camp de type militaire. En 2006, Mme Profitt a été accusée de possession de biens contrefaits, mais a été reconnue coupable de falsifier des documents d’affaires. Elle a été incarcérée pendant près de deux ans et a ensuite été expulsée en Guyane.

 

Arrivée au Canada

 

[8]               Madame Profitt a subi les mauvais traitements de M. Beckels pendant environ 6 mois en 2008. Elle a finalement révélé à ses parents que M. Beckels la maltraitait. Le père de Mme Profitt lui a obtenu un faux passeport et a acheté un billet d’avion pour le Canada. Elle est arrivée à Toronto le 28 janvier 2009 et a immédiatement présenté une demande d’asile.

 

 

 

 

La décision contestée

 

[9]               La Commission a jugé que Mme Profitt n’avait ni qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger et a rejeté la demande de Mme Profitt. Elle a conclu qu’elle pourrait raisonnablement se prévaloir de la protection de l’État en Guyane et que les autorités chargées de l’application de la loi feraient tout en leur pouvoir pour protéger Mme Profitt de son ex-conjoint de fait si elle retournait en Guyane. Elle a également conclu qu’il existait des motifs sérieux de penser que Mme Profitt avait commis un crime grave de droit commun au sens de la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [la Convention] durant son séjour aux États‑Unis.

 

III.       Dispositions législatives

 

[10]           Les dispositions législatives applicables sont jointes en annexe au présent jugement.

 

IV.       Les questions en litige et la norme de contrôle

 

A.                Les questions en litige

 

[11]           Les questions en litige soulevées dans la présente demande sont les suivantes :

 

1.         La Commission a‑t‑elle suffisamment motivé sa décision pour justifier pourquoi Mme Profitt ne pouvait demander l’asile en application de l’article 98 de la LIPR?

 

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que Mme Profitt avait perpétré des crimes graves de droit commun en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention et qu’en conséquence elle ne pouvait demander l’asile?

 

3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation du caractère suffisant de la protection de l’État en Guyane?

 

B.        La norme de contrôle

 

[12]           La question de savoir si un crime grave de droit commun a été commis est une question de droit appelant l’application de la norme de la décision correcte (voir Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 50 et 60 [Dunsmuir]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 44) alors que l’application de la section Fb) de l’article premier de la Convention est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir et Ivanov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 FC 1210, au paragraphe 6).

 

[13]           Le caractère suffisant de la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 [Carillo]; Ventura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 FC 10, au paragraphe 29).

 

 

 

V.        Les observations des parties

 

A.                Les observations de Mme Profitt

 

[14]           Madame Profitt soutient que la Commission n’a pas suffisamment motivé pourquoi elle avait préféré les observations du défendeur relativement à l’exclusion prévue à l’article 98 de la LIPR et la section Fb) de l’article premier de la Convention. La Commission écrit aux paragraphes 19 et 20 de sa décision :

[19] ... En m’appuyant sur les éléments de preuve et sur les observations écrites des parties, je penche davantage pour les observations du ministre. La conseil du ministre m’a convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, il existe de sérieux motifs de croire que la demandeure d’asile a commis un crime grave de droit commun.

 

[20] Les éléments de preuve fiables fournis par le ministre permettent d’établir qu’il existe des motifs sérieux de croire que la demandeure d’asile a commis un vol au premier degré aux É.‑U. en 1991, qu’elle a tenté de commettre un vol au premier degré aux É.‑U. en 1995 et qu’elle a falsifié des documents d’affaires aux É.‑U. en 2006. De plus, la conseil du ministre m’a convaincu que la falsification de documents d’affaires commise par la demandeure d’asile en 2006 aux É.‑U. est considérée comme un crime grave dans la LIPR et suffit en soit à justifier la présomption réfutable voulant que la demandeure d’asile a commis un crime considéré comme étant un crime grave de droit commun suivant l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention.

 

[15]           Madame Profitt fait valoir que la brève évaluation de sa santé mentale ne rend pas compte de l’importance de la preuve et de sa relation avec l’analyse contextuelle requise par Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404 [Jayasekara]. En somme, elle soutient que la Commission n’a pas suffisamment motivé sa décision et qu’elle n’a pas appliqué les critères énoncés par la Cour d’appel fédérale dans Jayasekara.

 

[16]           De plus, Mme Profitt soutient qu’elle a été reconnue coupable d’actes délictueux mineurs. La Commission n’a pas bien évalué la gravité des infractions visées par les déclarations de culpabilité de Mme Profitt et n’a pas su retenir les infractions canadiennes équivalentes ni se livrer à un examen approfondi de celles‑ci comme le requiert Jayasekara. La section Fb) de l’article premier de la Convention ne s’applique que dans les cas de crimes graves. Étant donné l’objet de la LIPR et de la nature des crimes de la demanderesse, Mme Profitt soutient qu’elle devrait avoir le droit de demander l’asile au Canada.

 

[17]           Madame Profitt fait valoir que la Commission a commis trois erreurs relativement à son évaluation du caractère suffisant de la protection de l’État en Guyane.

 

[18]           Premièrement, elle fait valoir que la Commission a utilisé un critère erroné relativement à la question de la protection de l’État. Dans Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward], la Cour suprême du Canada a déclaré au paragraphe 49 que « l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [traduction] aurait pu raisonnablement être assurée ». La seule volonté de l’État d’assurer la protection ne satisfait pas à cette exigence. 

 

[19]           Madame Profitt nous rappelle que « pour être estimée suffisante, la protection assurée par l’État devait être adéquate sur le terrain » (voir Level c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 251, au paragraphe 32; Mendoza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 119, au paragraphe 33; Wisdom Hall c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 685, aux paragraphes 8 et 9; Gilvaja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 598, aux paragraphes 39 et 40; Avila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, au paragraphe 27).

 

[20]           En l’espèce, la Commission a simplement repris les dispositions législatives et décrit es ressources existantes en Guyane sans se livrer à une évaluation qualitative de la protection de l’État.

 

[21]           Deuxièmement, Mme Profitt fait valoir que la Commission a apprécié de manière erronée la preuve documentaire relative à la violence familiale en Guyane. Une preuve claire et convaincante peut réfuter la présomption de la protection de l’État (voir Ward, ci-dessus). La preuve documentaire présentée à la Commission démontrait l’insuffisance de la protection de l’État accordée aux victimes de la violence familiale en Guyane.

 

[22]           Dans Persaud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 850 et E.B. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 111, la Cour a déterminé que la protection de l’État en Guyane n’était simplement pas disponible ou qu’elle était insuffisante.

 

[23]           Madame Profitt fait également valoir que la Commission n’a pas pris en compte ses circonstances personnelles. La Commission n’a pas tenu compte du fait qu’elle avait tenté d’obtenir la protection de l’État ni de tous ses antécédents médicaux. Elle n’a pas non plus pris en compte le fait que l’agresseur de Mme Profitt était, et est encore, un policier. Madame Prfoitt allègue que le défaut d’examiner la situation du demandeur est une « erreur d’autant plus importante que la Commission n’avait tiré aucune conclusion défavorable relativement à la crédibilité de la demanderesse » (voir Farias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 578, au paragraphe 29).

 

B.                Les observations du défendeur

 

[24]           Selon le défendeur, la Commission a tenu compte des observations du défendeur et de celles de Mme Profitt avant de prendre sa décision. La Commission a raisonnablement accordé plus de poids aux arguments du défendeur (voir Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 11).

 

[25]           Le défendeur soutient en outre que, malgré les observations de Mme Profitt selon lesquelles elle a été reconnue coupable d’actes délictueux mineurs, elle a en fait été reconnue coupable de cinq infractions de la catégorie D. Comme elle a plaidé coupable les trois fois, elle a été reconnue coupable de crimes moins sérieux. Or, comme Mme Profitt a été accusée de possession de biens contrefaits, la Commission avait des raisons sérieuses de croire qu’elle avait commis un crime équivalent à la mise en circulation de faux documents.

 

[26]           Le défendeur fait également valoir qu’il existe des motifs sérieux de croire que Mme Profitt a commis un crime grave de droit commun. La Commission a examiné toutes les circonstances atténuantes et aggravantes, comme le requiert Jayasekara. La Commission a raisonnablement décidé que Mme Profitt ne pouvait demander l’asile en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention.

 

[27]           Le défendeur soutient en outre que la Commission a examiné toute la preuve présentée par Mme Profitt et jugé que celle‑ci n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État en Guyane au moyen d’une preuve claire et convaincante (voir Ward, ci-dessus; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca (CAF), 99 DLR (4th) 334; Carillo, ci-dessus). Le demandeur ne peut satisfaire à ce critère simplement en démontrant que l’État ne peut pas assurer une protection parfaite à ses citoyens. Le critère approprié consiste plutôt à savoir si la protection est suffisante.

 

[28]           La Commission, selon le défendeur, est également présumée avoir apprécié toute la preuve et n’est pas tenue de mentionner des passages particuliers de la preuve documentaire contraire ou d’y renvoyer (voir Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, aux paragraphes 16 et 17). Le défendeur soutient qu’en l’espèce, la Commission a soupesé toute la preuve et qu’elle a raisonnablement jugé que la protection de l’État était suffisante en Guyane.

 

VI.       Analyse

 

1.         La Commission a‑t‑elle suffisamment motivé sa décision pour justifier pourquoi Mme Profitt ne pouvait demander l’asile en application de l’article 98 de la LIPR?

 

[29]           Madame Profitt soutient que la Commission n’a pas suffisamment motivé sa décision pour expliquer en quoi il ne lui était pas permis de demander l’asile au Canada en application de l’article 98 de la LIPR.

 

[30]           Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre­‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour suprême du Canada a affirmé au paragraphe 22 que « [l]e manquement à une obligation d’équité procédurale constitue certes une erreur de droit. Or, en l’absence de motifs dans des circonstances où ils s’imposent, il n’y a rien à contrôler. Cependant, dans les cas où, comme en l’espèce, il y en a, on ne saurait conclure à un tel manquement. Le raisonnement qui sous‑tend la décision/le résultat ne peut donc être remis en question que dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de celle‑ci ». Dans Dunsmuir, ci-dessus, , la Cour suprême du Canada a formulé au paragraphe 47 les commentaires suivants souvent cités : « Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » La décision doit être suffisamment motivée pour permettre à la cour de révision de déterminer si le décideur a commis une erreur (voir Via Rail Canada Inc c Lemonde, [2000] ACF no 1685, [2001] 2 CF 25, au paragraphe 19). Il incombe à la Cour d’examiner la décision et de déterminer si elle appartient aux issues possibles et acceptables.

 

[31]           La Commission n’a pas suffisamment motivé sa décision pour expliquer pourquoi Mme Profitt ne pouvait demander l’asile. La Commission a seulement déclaré que « [l]a conseil du ministre m’a convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, il existe de sérieux motifs de croire que la demandeure d’asile a commis un crime grave de droit commun » (voir le paragraphe 19 de la décision de la Commission). Elle a également affirmé que « la conseil du ministre m’a convaincu que la falsification de documents d’affaires commise par la demandeure d’asile en 2006 aux É.‑U. est considérée comme un crime grave dans la LIPR et suffit en soit à justifier la présomption réfutable voulant que la demandeure d’asile a commis un crime considéré comme étant un crime grave de droit commun » en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention (voir le paragraphe 20 de la décision de la Commission).

 

[32]           Bien que la Commission ait fourni quelques motifs, la Cour conclut qu’ils étaient insuffisants parce que la Commission ne s’étaient pas livrée à une analyse convenable et n’avait pas appliqué le bon critère, comme la Cour d’appel fédérale le requiert dans Jayasekara, ci-dessus, au paragraphe 44, ou n’avait pas apprécié convenablement les éléments de preuve atténuants présentés par Mme Profitt.

 

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que Mme Profitt avait perpétré des crimes graves de droit commun en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention et qu’en conséquence elle ne pouvait demander l’asile?

 

[33]           La suffisance des motifs joue un rôle fondamental pour savoir si le décideur a bien appliqué la jurisprudence ou le droit aux faits de l’espèce. En l’espèce, la Commission ne s’est pas livrée à une analyse convenable et n’a pas appliqué les bons critères pour décider si les crimes de Mme Profitt étaient suffisamment graves pour commander l’application de la section Fb) de l’article premier de la Convention.

 

[34]           La Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit au paragraphe 44 de Jayasekara, ci-dessus : « Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de la section Fb) de l’article premier de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité. » Même si la Commission a estimé que les mauvais traitements subis par Mme Profitt dans le passé constituaient un facteur atténuant, elle a néanmoins conclu qu’ils ne suffisaient pas pour réfuter la présomption de crime grave de droit commun. Cependant, la Commission n’a fait aucune évaluation des éléments constitutifs du crime, du mode de poursuite et de la peine prévue. Formuler de simples remarques sur les antécédents criminels de la demanderesse n’est pas suffisant.

 

[35]           De plus, la Commission ne s’est pas penchée sur les circonstances du crime. Madame Profitt avait enduré des années d’agressions physiques, sexuelles et mentales. Plusieurs rapports médicaux ont été présentés à la Commission pour rendre compte de l’état de santé de Mme Profitt et de la manière dont il se rattache aux années d’exploitation et de maltraitance. La docteure Celeste Thirlwell a examiné Mme Profitt et a conclu qu’elle [traduction] « présentait plusieurs symptômes qui sont conformes au syndrome de la femme battue (SFB), à l’état de stress post-traumatique (ESPT) et au trouble dissociatif de l’identité (TDI) » (voir à la page 73 du dossier de la demanderesse, volume 1). Un autre rapport de la docteure Linda Weber révèle que [traduction] « Mme Profitt souffre de l’état de stress post‑traumatique et d’épisodes dépressifs majeurs. Du mois d’août 2009 au mois de mai 2010, elle a été vue neuf fois par le docteur Meador, en raison des problèmes d’idéation suicidaire qui s’aggravaient, de cauchemars, de flashbacks, d’hypervigilance et d’angoisse. Le docteur Meador était très préoccupé par la santé et le bien‑être de la demanderesse et a obtenu une consultation psychiatrique urgente auprès du docteur Gotlib » (voir à la page 78 du dossier de la demanderesse, volume 1). Le docteur Les Richmond a effectué plusieurs évaluations physiques complètes de Mme Profitt et a conclu qu’elle avait subi plusieurs blessures qui corroboraient ses antécédents d’agressions physiques.

 

[36]           Selon l’évaluation du docteur Thirlwell, [traduction] « les crimes qu’elle a perpétrés aux États‑Unis n’ont pas été prémédités et ne visaient pas à causer des préjudices. Ils constituaient des exemples d’une façon mal appropriée de chercher de l’aide » (voir à la page 77 du dossier de la demanderesse, volume 1). Même si Mme Profitt a commis des crimes aux États‑Unis, la Commission n’a pas bien évalué les facteurs susmentionnés ou n’en a tout simplement pas tenu compte. Le fait de ne pas suivre les principes énoncés dans Jayasekara donne lieu à une erreur susceptible de contrôle.

 

[37]           Étant donné que la Cour donne raison à Mme Profitt sur les deux premières questions, il ne sera pas nécessaire de répondre à la question de la suffisance de la protection de l’État en Guyane.

 

VII.     Conclusion

 

[38]           La Commission n’a pas suffisamment motivé sa décision pour justifier pourquoi Mme Profitt ne pouvait bénéficier de l’application de la section Fb) de l’article premier de la Convention et elle n’a pas suivi les principes exposés dans Jayasekara. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


 

Annexe

 

Les articles 96, 97 et 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 [LIPR] disposent :

 

Définition de « réfugié »

 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

·         a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

·         b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Personne à protéger

 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

 

La section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés dispose :

 

1Fb) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5171-11

 

INTITULÉ :                                      ANNETTA PROFITT

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 20 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 30 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Laura Brittain et

Alyssa Manning

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Veronica Cham

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LAURA BRITTAIN,

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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