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Date : 20120611

Dossier : IMM‑5723‑11

Référence : 2012 CF 727

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

RAOUL ANDRE BURTON

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Raoul Andre Burton, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 3 août 2011 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Il a été déclaré interdit de territoire au Canada en application des alinéas 36(1)a) et 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), portant respectivement sur la criminalité et les activités de criminalité organisée. Par conséquent, une mesure d’expulsion a été prise contre lui.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je rejette la présente demande.

 

I.          Les faits

 

[3]               Le demandeur est un citoyen de la Jamaïque. Il est devenu un résident permanent du Canada le 17 novembre 1993, à l’âge de 10 ans.

 

[4]               Le 9 mars 2005, il a plaidé coupable à une accusation de participation à une organisation criminelle, la Malvern Crew, une infraction prévue au paragraphe 467.11(1) du Code criminel du Canada, LRC 1985, c C‑46. Dans une lettre concernant l’entente sur le plaidoyer, l’avocat du ministère public a écrit : [traduction] « Après consultation, l’ASFC‑Immigration n’a pas l’intention de prendre des mesures d’exécution pour l’instant. »

 

[5]               Le 27 décembre 2006, le demandeur a été reconnu coupable de deux chefs de possession d’une substance interdite en vue d’en faire le trafic, infraction prévue au paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19.

 

[6]               Par suite de ces déclarations de culpabilité, un rapport d’interdiction de territoire a été rédigé en application du paragraphe 44(1) de la LIPR. Une première audience dans cette affaire a été annulée. Le 14 janvier 2011, toutefois, un nouveau rapport concernant le demandeur a été établi.

 

[7]               Le délégué du ministre a examiné les rapports et a déféré l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, laquelle a eu lieu les 20 avril et 11 mai 2011.

 

II.        La décision faisant l’objet du contrôle

 

[8]               La Commission a rejeté la demande du conseil du demandeur d’assigner certaines personnes à témoigner au sujet d’une entente qu’aurait conclu l’avocat du ministère public et l’ASFC relativement à la première condamnation. La Commission a déclaré ne pas avoir compétence pour examiner le rapport et le renvoi de l’affaire pour enquête.

 

[9]               Le conseil du demandeur s’est également opposé à la production de certains éléments de preuve documentaire concernant le renvoi pour cause d’interdiction de territoire en raison du présumé accord avec l’ASFC. La Commission a toutefois admis ces documents comme elle l’explique dans ses motifs : « L’interaction entre les questions concernant les témoins, l’exclusion d’éléments de preuve et la demande d’ajournement a fait l’objet d’une décision par le tribunal, essentiellement défavorable à M. Burton. »

 

[10]           La Commission semble avoir adhéré au point de vue du ministre selon lequel la lettre de l’avocat du ministère public « est formulée dans des termes éphémères, [et qu’]il n’y a aucun élément de preuve concluant selon lequel l’ASFC a déclaré que des mesures d’exécution de la loi ne seraient jamais prises contre M. Burton » [En caractères gras dans l’original]. Elle a donc rejeté l’argument avancé par le demandeur quant à son attente légitime, soulignant qu’il avait eu la possibilité de faire des observations et qu’il avait été consulté sur la question. 

 

[11]           Compte tenu de ses condamnations pour trafic de substances désignées, une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans, la Commission a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a).

 

[12]           Après avoir examiné la preuve documentaire et la jurisprudence en matière criminelle, elle a également conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que la Malvern Crew constituait le type d’organisation criminelle visée à l’alinéa 37(1)a). Elle a mentionné l’implication de celle‑ci dans le trafic de stupéfiants, l’importation et la distribution de drogues et d’autres infractions liées au vol, au vol qualifié, aux armes à feu et au meurtre.

 

[13]           Bien que l’interdiction de territoire pour des motifs de criminalité organisée ne nécessite pas que la personne concernée ait fait l’objet d’une déclaration de culpabilité, la Commission s’est fiée largement au plaidoyer de culpabilité du demandeur et à sa condamnation pour conclure à son appartenance à la Malvern Crew et à sa participation aux activités criminelles de cette organisation.

 

[14]           La Commission a résumé comme suit le niveau de participation du demandeur aux activités de l’organisation :

[132] Les incidents décrits plus haut, l’activité liée au gang observée et le jugement de la Cour sont tous des éléments qui démontrent que M. Burton se trouvait en plein cœur de l’action et qu’il était un membre actif de la Malvern Crew participant activement aux activités de l’organisation et qu’il peut avoir joué un rôle assez influent et déterminant dans l’organisation.

 

[133] Il s’agit d’une personne qui a été désignée comme étant membre de la Malvern Crew au moyen de vidéos, d’éléments de preuve matérielle et obtenue par l’écoute électronique, ainsi que de renseignements dignes de foi provenant de la police [...]

 

[134] Le tribunal estime que la participation de M. Burton à la Malvern Crew était importante. Il était manifestement complètement intégré et bien impliqué dans l’organisation, après avoir fait le nécessaire pour être admis dans le groupe et reconnu au sein de celui‑ci. Non seulement il était un membre, mais il était aussi prêt à prendre part à des activités criminelles d’une ampleur majeure dans l’intérêt de l’organisation, et il a ainsi permis d’accroître la capacité de l’organisation de commettre des crimes. [...]

 

[15]           Dans l’ensemble, la Commission a conclu que le ministre s’était acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver que les faits emportant interdiction de territoire du demandeur suivant l’alinéa 37(1)a) existaient. Le demandeur était membre de la Malvern Crew, organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction punissable par mise en accusation. Le demandeur était également interdit de territoire parce qu’il s’était livré à des activités faisant partie d’un tel plan.

 

III.       Les questions en litige

 

[16]           La présente demande soulève plusieurs questions d’équité procédurale découlant de l’enquête effectuée par la Commission à l’époque, à savoir :

 

a)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en prenant une mesure de renvoi étant donné les questions soulevées à l’égard de la validité du renvoi prononcé par le ministre?

 

b)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en refusant de délivrer les citations à comparaître demandées par le conseil du demandeur relativement à la validité du renvoi?

 

c)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en refusant de suspendre l’enquête pour permettre au demandeur de présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la mesure de renvoi prise contre lui?

 

[17]           La Cour est également saisie de la question de savoir si la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur était interdit de territoire pour criminalité organisée en vertu de l’aliéna 37(1)a), le privait du droit de faire appel à la Section d’appel de l’immigration pour des motifs d’ordre humanitaire. Plus particulièrement, voici les questions sur lesquelles la Cour doit se prononcer :

 

d)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en s’appuyant sur les conclusions de fait tirées par d’autres tribunaux judiciaires ou administratifs?

 

e)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur s’appuyant sur la déclaration de culpabilité du demandeur, fondée sur l’article 467 du Code criminel, pour conclure que celui‑ci était visé par l’alinéa 37(1)a) de la LIPR?

 

f)         La Commission a‑t‑elle eu tort de s’appuyer sur les admissions faites par le conseil du demandeur à l’audience?

 

IV.       La norme de contrôle

 

[18]           Les questions de droit, de compétence et d’équité procédurale commandent l’application de la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, 2009 CarswellNat 434, au paragraphe 43).

 

[19]           En revanche, les conclusions de fait tirées par la Commission, telles que l’appartenance à une organisation criminelle, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Tang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 292, [2009] ACF no 671, au paragraphe 17; Castelly c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 788).

 

[20]           Suivant cette norme, la Cour n’interviendra que si la décision ne cadre pas avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité ou si elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47; Khosa, précité au paragraphe 59)

 

V.        Analyse

 

[21]           À titre préliminaire, je remarque que le conseil a été invité à préparer des observations à soumettre à l’examen de la Cour relativement à la question de la chose jugée, étant donné l’ordonnance du juge Robert Barnes dans IMM‑6499‑11, qui a refusé la demande d’autorisation de contrôle judiciaire présentée par le demandeur quant à la validité de la décision de déférer l’affaire pour enquête et au refus d’accorder un ajournement. La Cour a examiné ces commentaires. Or, compte tenu de ma conclusion sur les questions soulevées en l’espèce, j’estime qu’il n’est pas nécessaire que je me prononce sur la question de la chose jugée. Je précise quand même, incidemment, qu’étant donné les conditions strictes de l’application du principe de la chose jugée, la Cour devrait se montrer très prudente lorsqu’elle est saisie d’une décision qui s’appuie sur une ordonnance refusant sans motif une demande d’autorisation de contrôle judiciaire.

 

A.        Équité procédurale

 

[22]           Le demandeur soutient que le renvoi par le ministre de l’affaire pour enquête était invalide compte tenu des termes de l’entente sur le plaidoyer qu’il a conclue en 2005 à l’égard de l’accusation d’avoir participé à une organisation criminelle portée contre lui. Il insiste sur le fait que cette entente visait clairement, comme il est indiqué dans une lettre de l’avocat du ministère public, à le protéger d’un éventuel renvoi. En conséquence, en décidant de déferrer l’affaire pour enquête, l’ASFC a agi contrairement aux attentes légitimes du demandeur et a commis un abus de procédure.

 

[23]           Pour que la théorie de l’attente légitime puisse s’appliquer, il faut que la conduite ou les affirmations en cause soient « claires, nettes et explicites » et aient suscité chez le demandeur l’attente raisonnable qu’il conservera un avantage particulier, en l’occurrence celui d’être à l’abri d’un renvoi par l’ASFC (voir, par exemple, Syndicat canadien de la fonction publique c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] ACS no 28, au paragraphe 131; Centre hospitalier Mont‑Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] ACS no 43).

 

[24]           S’agissant de la lettre en cause, je suis d’accord avec le défendeur et avec la Commission pour dire que les conditions permettant d’établir l’existence d’une attente légitime ne sont pas réunies. Au contraire, la lettre n’est ni claire ni nette ni explicite. Aucune mesure d’exécution ne serait prise « pour l’instant ». Il n’est donc pas impossible qu’une telle mesure soit prise à l’avenir, surtout si d’autres infractions sont commises, comme dans le cas du demandeur. De fait, la lettre est contradictoire en ce sens qu’elle prévoit expressément la prise d’une mesure d’exécution en excluant le témoignage de tout membre du Service de police de Toronto dans le cadre d’une telle mesure.

 

[25]           En ce qui a trait aux allégations d’abus de procédure, je ne suis pas convaincu que cette doctrine s’applique dans les circonstances ou que la décision de la Commission quant au renvoi satisferait à ses conditions d’application. L’abus de procédure ne concerne que les procédures qui sont « oppressives ou vexatoires » et qui violent les principes fondamentaux de justice sous‑jacents au sens de l’équité et de la décence de la société. Cette doctrine vise à empêcher les abus du processus judiciaire (voir le résumé de cette notion dans l’arrêt Toronto (Ville) c Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] ACS no 64, aux paragraphes 35 à 37). Dans l’arrêt Blencoe c Colombie‑Britannique (Commission des droits de la personne), 2000 CSC 44, [2000] ACS no 43, la Cour suprême a indiqué que les procédures doivent être « injustes au point qu’elles sont contraires à l’intérêt de la justice ».

 

[26]           Comme nous l’avons vu, l’entente invoquée par le demandeur n’écarte pas la possibilité de renvois futurs. La Commission a procédé à l’enquête en tenant pour acquis que le renvoi résultait des déclarations de culpabilité du demandeur, y compris celles survenues en 2006 à la suite de l’entente sur le plaidoyer et constituant le fondement de la conclusion d’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 36(1)a).

 

[27]           De plus, le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur la validité du renvoi et en refusant pour cette raison d’assigner certaines personnes afin qu’elles témoignent sur la nature de l’entente sur le plaidoyer, comme on le lui demandait.

 

[28]           Il invoque la décision Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 29, [2005] ACF no 533, au paragraphe 77, où la juge Judith Snider a conclu que le renvoi était invalide et a ainsi annulé la décision de la Commission parce qu’elle n’avait pas compétence pour tenir l’enquête. Cette décision n’est guère utile pour le demandeur étant donné que l’examen de la juge Snider portait à la fois sur la nature du rapport et du renvoi pour enquête et à son incidence sur la prise d’une mesure d’expulsion. Sa conclusion quant à l’admissibilité découlait naturellement de l’invalidité du renvoi. Jusqu’à ce que le demandeur puisse établir que le renvoi initial est invalide, celui‑ci n’a aucune incidence sur la décision de la Commission. Comme je l’ai mentionné, la demande de contrôle judiciaire de la décision portant renvoi (IMM‑6499‑11) a récemment été rejetée.

 

[29]           Le demandeur invoque également la décision Wong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 971, [2011] ACF no 1193, dans laquelle le juge Luc Martineau a annulé une décision de maintenir une mesure de renvoi alors qu’il existait des « doutes importants » quant à savoir si le rapport avait été examiné et validé. Or, il ne s’agit pas de la situation dans laquelle se trouve le demandeur. Comme le défendeur le fait remarquer, le demandeur aurait pu faire état de ses préoccupations concernant le renvoi et la nature de l’entente sur le plaidoyer au cours de son entrevue, ou du moins avant l’enquête. Une fois l’affaire déférée pour enquête à la Commission, la seule question qui restait à trancher était celle de l’interdiction de territoire du demandeur.

 

[30]           Bien que le demandeur insiste sur le fait que les assignations à témoigner demandées auraient dû être accordées, ce qui aurait permis à certaines personnes possédant une connaissance pertinente de l’entente sur le plaidoyer de témoigner, rien n’obligeait à ce qu’elles le soient. À mon avis, la proposition du juge Martineau dans la décision Wong, précitée, selon laquelle le ministre aurait pu faire témoigner les fonctionnaires pour savoir ce qui était arrivé avec le rapport et le renvoi dans cette affaire ne saurait être considérée comme une obligation d’accéder à la demande du demandeur de faire témoigner certaines personnes ou d’adhérer à son interprétation de l’entente. Il s’agissait d’une simple remarque incidente.

 

[31]           À l’étape de l’enquête sur l’admissibilité, le renvoi du demandeur n’était pas directement en cause, comme la Commission l’a souligné au début de ses motifs. Les assignations à témoigner n’étaient pas nécessaires pour l’instruction approfondie de l’affaire en vertu de l’article 33 des Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002‑229. Pour contester le renvoi, la Commission n’était pas le forum approprié; il fallait plutôt s’adresser à la présente Cour par voie de demande de contrôle judiciaire.

 

[32]           Toutefois, je ne vois pas en vertu de quelle obligation la Commission aurait dû accorder l’ajournement. Rien n’empêchait le demandeur de s’adresser à la Cour pour obtenir le contrôle judiciaire de la décision après l’enquête. Il n’était pas nécessaire de retarder davantage l’audience. Dans Philistin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1333, [2011] ACF no 1860, par exemple, la décision de la Commission de refuser un ajournement pour contester le renvoi a été jugée raisonnable.

 

[33]           Je conclus donc qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale dans la façon dont la Commission a procédé à l’enquête, en dépit des allégations relatives à l’invalidité du renvoi et des demandes d’assignations à témoigner et d’ajournement. Il reste au demandeur à démontrer que le renvoi était invalide dans les circonstances.

 

B.         Activités de criminalité organisée

 

[34]           Le demandeur conteste le recours par la Commission à des conclusions de fait tirées par des cours criminelles afin de déterminer que la Malvern Crew est une organisation criminelle. Il soutient que la Commission avait l’obligation de prendre en considération « des éléments de preuve crédibles et fiables ». Il renvoie également à différentes décisions dans lesquelles la Cour met en garde contre l’idée de recourir directement à de telles conclusions de fait.

 

[35]           Je constate toutefois que dans plusieurs des décisions citées par le demandeur, ce principe est exprimé dans des contextes plutôt différents, comme l’acceptation de conclusions sur l’évolution constante des conditions du pays pour statuer sur une demande d’asile.

 

[36]           En l’espèce, la Commission ne s’est pas fondée uniquement sur les conclusions des autres tribunaux judiciaires ou administratifs comme le demandeur le laisse entendre. Bien que la Commission se soit appuyée de façon importante sur ces renseignements, ses motifs tiennent compte des éléments de preuve documentaires corroborants. La jurisprudence citée était tout à fait pertinente pour l’analyse des activités de la Malvern Crew et de la participation du demandeur aux activités de celle‑ci. Je ne vois pas pourquoi cet élément de preuve ne serait pas en définitive « crédible et fiable dans les circonstances », surtout que la Commission n’est pas tenue à des règles de preuve strictes et dispose d’une latitude considérable pour examiner les éléments pertinents (voir Thanaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 RCF 301, au paragraphe 7, infirmée pour d’autres motifs, [2006] 1 RCF 474 (CAF)).

 

[37]           En outre, le demandeur insiste sur le fait que la Commission a considéré à tort sa déclaration de culpabilité pour l’infraction prévue à l’article 467 du Code criminel comme étant un « facteur déterminant » pour conclure qu’il était interdit de territoire au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Dans Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2006] ACF no 1512, au paragraphe 40, la Cour a rejeté l’argument selon lequel la jurisprudence en matière pénale et les instruments internationaux doivent servir à préciser le sens d’une organisation criminelle et a déclaré : « [l]e libellé de l’alinéa 37(1)a) est différent, parce que son objet est différent. »

 

[38]           Bien que les termes examinés soient différents dans la jurisprudence en matière criminelle et en matière d’immigration, la Commission pouvait accorder de l’importance à la condamnation du demandeur à cet égard. Bien qu’elle ait utilisé le qualificatif « déterminant », comme le souligne le défendeur, elle a procédé à l’examen des « faits et [d]es conclusions sous‑jacents à cette déclaration de culpabilité ».

 

[39]           J’estime que la Commission pouvait tout à fait dans les circonstances considérer la condamnation du demandeur comme un facteur crucial pour conclure qu’il y avait des « motifs raisonnables de croire » que le demandeur participait aux activités criminelles de la Malvern Crew (voir les facteurs pertinents à la présente analyse dans Thanaratnam, précitée).

 

[40]           Le demandeur prétend maintenant qu’il a plaidé coupable à l’infraction de participation à une organisation criminelle sous la menace d’une expulsion, ajoutant que la Commission ne peut s’appuyer uniquement sur sa déclaration de culpabilité dans les circonstances. Pour étayer cet argument, il renvoie à une conclusion semblable dans l’affaire Tang, précitée.

 

[41]           Le défendeur fait valoir que la conclusion dans l’affaire Tang est différente, M. Tang ayant plaidé coupable dans un ressort étranger. Il souligne également que le demandeur n’a pas soulevé cet argument devant la Commission et n’a fourni aucun élément de preuve à l’appui.

 

[42]           Au paragraphe 19 de la décision Tang, le juge Michael Phelan a souligné ce qui suit :

[19]      En règle générale, une déclaration de culpabilité peut justifier une conclusion d’interdiction de territoire, mais pas nécessairement dans tous les cas. Une déclaration de culpabilité peut constituer cette justification lorsqu’il y a des motifs de croire que les allégations sur lesquelles elle repose sont fondées sur une déclaration véridique des faits. Cependant, pour s’appuyer sur une déclaration de culpabilité, il est nécessaire de faire enquête sur la portée de celle‑ci, ce qui peut exiger une analyse des circonstances s’y rapportant. Par exemple, la négociation d’un plaidoyer peut soulever des questions différentes de celles liées à une déclaration de culpabilité à la suite d’un procès.

 

[43]           La conclusion de la Commission est conforme à ces principes en ce que celle‑ci a examiné la déclaration de culpabilité et les circonstances s’y rapportant. Bien qu’il y ait eu une entente sur le plaidoyer en l’espèce, ce fait ne devrait pas en soi mettre en doute la validité et la pertinence de la déclaration de culpabilité pour l’enquête concernant l’interdiction de territoire. Le demandeur n’a pas démontré à la Commission ou à la Cour que les faits présentés et sur lesquels repose la déclaration de culpabilité sont d’une certaine façon inexacts eu égard au plaidoyer de culpabilité ou à tout autre motif.

 

[44]           Le demandeur attire aussi l’attention de la Cour sur diverses décisions portant sur l’incompétence de l’avocat dans les procédures. Il conteste l’admission faite par son ancien conseil à l’audience quant à sa participation à une organisation criminelle et au fait qu’il est par conséquent interdit de territoire, soutenant qu’elle était contraire à ses directives. Toutefois, il ne conteste pas l’admission faite au sujet de la criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a). Le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas dûment soulevé ces allégations d’incompétence plus tôt.

 

[45]           Malgré cela, j’estime qu’il est inutile d’examiner davantage la jurisprudence sur cette question étant donné que la Commission a tenu compte de ces admissions dans sa décision, mais qu’elle a procédé à une analyse approfondie étant donné qu’« il doit exister une preuve suffisante pour conclure qu’il y a interdiction de territoire ». Les admissions se sont révélées en définitive non pertinentes et il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale à l’égard du demandeur dans les circonstances.

 

[46]           Je ne suis pas convaincu que l’examen de la Commission concernant l’interdiction de territoire du demandeur pour ce qui est de sa participation à une organisation criminelle était déraisonnable et justifie l’intervention de la Cour.

 

VI.       Conclusion

 

[47]           Étant donné qu’il n’y a aucun manquement à l’équité procédurale et que la conclusion de la Commission quant aux activités de criminalité organisée était raisonnable, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5723‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  RAOUL ANDRE BURTON c MSPPC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 11 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Martin Anderson

Mahan Keramati

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann Sandulak & Kingwell LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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