Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20120420


Dossier : IMM-6002-11

Référence : 2012 CF 466

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

 

OMER EL-SOURI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

            MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Phelan

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le demandeur, un agent consulaire principal à l’ambassade du Canada à Riyad, s’est vu refuser un visa canadien au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision du deuxième agent des visas (le deuxième agent), qui n’a pas confirmé la décision rendue par le premier agent des visas (le premier agent), par laquelle ce dernier avait accueilli la demande de visa.

 

II.        LE CONTEXTE

[2]               En 2007, le demandeur avait présenté une demande d’immigration au Canada au titre de la catégorie des « travailleurs qualifiés ». Il n’avait pas obtenu suffisamment de points pour pouvoir automatiquement se qualifier pour être admis au Canada, mais après une entrevue avec le premier agent, ce dernier avait présenté une recommandation favorable à une substitution d’appréciation, conformément au paragraphe 76(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) :

76. (3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

 

76. (3) Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection (2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada.

 

[3]               Conformément au paragraphe 76(4), la substitution d’appréciation devait être confirmée par un autre agent – en l’occurrence, le deuxième agent :

76. (4) Toute décision de l’agent au titre du paragraphe (3) doit être confirmée par un autre agent.

76. (4) An evaluation made under subsection (3) requires the concurrence of a second officer.

 

[4]               La principale préoccupation était le projet d’entreprise du demandeur et les capitaux que celui-ci était prêt à investir ou pouvait investir. Le projet du demandeur consistait à fonder une entreprise dont la mission serait d’aider les étudiants provenant de l’Arabie Saoudite et des autres pays du Golfe en veillant à leur hébergement et à leur transport, ainsi qu’en les rencontrant à l’aéroport d’Halifax. Le demandeur avait une somme de 50 000 $ à investir.

 

[5]               Le premier agent, tout en concluant que le projet d’entreprise était raisonnable, avait fait remarquer que les fonds à la disposition du demandeur étaient [traduction] « un peu faibles ». Il avait néanmoins conclu que le demandeur pouvait réussir son établissement économique.

 

[6]               Le deuxième agent, qui n’avait pas interrogé le demandeur, mais qui avait toutefois examiné les notes au dossier et parlé au premier agent, n’est pas parvenu à la même conclusion. Le deuxième agent n’était pas convaincu que le demandeur pouvait réussir son établissement au Canada. Il était préoccupé par le fait que le demandeur n’avait pas d’expérience en tant qu’entrepreneur, ni en exploitation d’entreprise, et qu’il ne disposait pas de fonds suffisants, et, dans l’éventualité où son entreprise devait échouer, par la question de savoir si le demandeur pouvait réussir, à 62 ans, son établissement. Le deuxième agent savait que l’épouse du demandeur avait une formation d’enseignante et que sa fille était établie au Canada.

 

[7]               Étant donné le refus du deuxième agent de confirmer la substitution d’appréciation, la demande de visa du demandeur a été rejetée.

 

III.       ANALYSE

[8]               Le demandeur soulève deux questions en litige (qu’il avait toutefois formulées différemment) :

·                     Le manquement au principe suivant lequel « celui qui entend doit trancher », ou le fait que le demandeur s’est vu refuser la possibilité de répondre aux préoccupations du deuxième agent, constituaient-ils un déni de justice naturelle?

·                     La décision du deuxième agent était-elle raisonnable, étant donné l’omission de ce dernier de tenir compte d’éléments de preuve pertinents?

 

[9]               Il est bien établi que la première question en litige doit être tranchée selon la norme de la décision correcte (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 43 et 50). Il est tout aussi bien établi que la norme de contrôle applicable à la deuxième question en litige est la raisonnabilité (voir Malik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1283, au paragraphe 22)

 

A.        La justice naturelle

[10]           Bien que le défendeur tente d’établir un lien entre le paragraphe 87(4), qui porte sur la question de la confirmation dans le contexte des candidats des provinces, et la disposition qui prévoit, au paragraphe 76(4), la confirmation de la décision, ces deux dispositions visent des objectifs très différents, et le lien n’est donc d’aucune utilité dans l’analyse de la première question.

 

[11]           L’équité doit être appréciée dans le contexte de l’affaire en cause. Le paragraphe 76(4) n’a pas pour effet d’interdire ou d’enjoindre au deuxième agent de procéder à une entrevue ou d’autrement suivre toutes les étapes effectuées par le premier agent.

 

[12]           Comme le juge Mainville (tel était alors son titre) a conclu dans la décision Malik, précitée, au paragraphe 26, les garanties procédurales applicables dans les affaires relatives aux travailleurs qualifiés ne sont pas absolues, dans la mesure où il n’y a aucune atteinte à un droit acquis. C’est particulièrement le cas lorsque le demandeur savait qu’il n’avait pas atteint le seuil nécessaire de points et qu’il sollicitait une autre appréciation, de nature discrétionnaire.

26     En l’espèce, le demandeur n’a pas un droit absolu d’entrer au Canada et d’y demeurer : Chiarelli, précité, pages 733-734. Il a sollicité la résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, et la procédure prévue par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et par son Règlement, prévoient l’application de critères clairs et précis, selon un système de notation, ce qui laisse peu de pouvoir discrétionnaire aux agents des visas et qui ne requiert pas en principe une entrevue ou autre type de rencontre avec les candidats. La nature du régime réglementaire, le rôle de la décision de l’agent des visas dans le régime global, enfin la procédure choisie, tout cela n’appelle donc pas la mise en place de garanties procédurales absolues au-delà de ce que prévoit déjà la loi, si ce n’est la garantie procédurale de la communication de renseignements aux candidats concernant les critères appliqués et les documents requis pour une bonne évaluation de leurs demandes de visas. La décision de faire droit ou non à une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés est évidemment importante pour l’intéressé, mais elle ne l’est pas au point de porter atteinte aux libertés fondamentales ou autres droits fondamentaux d’un candidat, comme pourrait le faire une procédure criminelle ou, dans le contexte de l’immigration, une procédure d’expulsion. En outre, aucun engagement n’est pris envers les candidats selon lequel ils bénéficieront d’une entrevue ou recevront une notification additionnelle si des documents sont manquants ou insuffisants, ce qui limite considérablement les attentes des candidats en ces matières.

 

[13]           Comme il a été conclu dans la décision Silion c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 173 FTR 302, au paragraphe 11, il n’existe pas de droit à l’entrevue personnelle. Dans la présente affaire, le deuxième agent disposait des notes qu’avait prises le premier agent lorsqu’il avait mené l’entrevue.

 

[14]           En ce qui concerne le principe suivant lequel « celui qui entend doit trancher », le deuxième agent a bel et bien entendu l’affaire, au moyen de l’examen qu’il a fait du dossier, des documents et des notes. La procédure suivie est cohérente avec le rôle que doit assumer un agent [traduction] « de confirmation » dans ce processus.

 

[15]           Il ne s’agissait pas d’une affaire concernant des doutes quant à la crédibilité ou d’un cas où des éléments de preuve contradictoires pourraient nécessiter un processus différent; il s’agissait plutôt d’une affaire portant sur le caractère suffisant du projet d’entreprise du demandeur, sur le caractère adéquat des capitaux et sur l’appréciation de la capacité du demandeur à réussir son établissement. Par conséquent, l’exigence « d’équité » ne s’appliquait pas à l’entrevue. Cette conclusion est compatible avec le raisonnement du juge Mosley dans la décision Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24 :

24     Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John et Cornea, deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.

 

B.        La raisonnabilité

[16]           La contestation, par le demandeur, du bien-fondé de la décision du deuxième agent est fondée sur le fait que l’agent a omis de tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve pertinents. Plus précisément, le demandeur allègue que le deuxième agent n’a pas tenu compte des similitudes entre les fonctions consulaires qu’il exerçait et l’entreprise qu’il entendait fonder, de l’établissement de sa fille au Canada et du fait qu’il pourrait vivre avec cette dernière, ainsi que de l’expérience de son épouse en tant qu’enseignante.

 

[17]           Il n’y a pas de preuve étayant que le deuxième agent a omis de tenir compte d’éléments de preuve; il disposait de l’ensemble du dossier. De plus, le dossier soulevait les mêmes préoccupations que celles ayant influencé le deuxième agent, y compris un projet d’entreprise non structuré, dépourvu de l’analyse financière accompagnant généralement une entreprise en démarrage. Le demandeur n’a produit aucune forme de budget que ce soit, ni d’analyse de flux de trésorerie ou de plan de mise en marché, ce qui était entièrement dans son droit. Le deuxième agent n’avait pas obligation de lui demander de tels renseignements.

 

[18]           Le véritable problème, à l’instar de la première question, était l’insuffisance du projet d’entreprise. Compte tenu de ces faits, il était loisible à l’agent de conclure comme il l’a fait.

 

[19]           La présente affaire illustre peut-être le problème posé par la norme de la raisonnabilité, dans les cas où il est raisonnable de rendre deux décisions opposées, comme cela s’est produit avec le premier et le deuxième agent. Cependant, ce résultat est manifestement envisagé par l’exigence de confirmation prévue au paragraphe 76(4).

 

IV.       CONCLUSION

[20]           La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les parties ont demandé à la Cour de reporter son ordonnance définitive à dix (10) jours après le prononcé des présents motifs, dans le but de leur permettre de formuler des observations concernant une question à certifier. Chaque partie devra déposer ses observations, le cas échéant, au plus tard le lundi 30 avril 2012.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 20 avril 2012

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6002-11

 

INTITULÉ :                                      OMER EL-SOURI

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 16 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Matthew Jeffery

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mme Ildiko Erdei

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. MATTHEW JEFFERY

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

M. MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.