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Date : 20120425


Dossier : IMM-5441-11

Référence : 2012 CF 482

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2012

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

JUAN CARLOS GARCIA KANGA

CHRISTIAN OLGUIN FRAGA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Christian Olguin Fraga et son époux, Juan Carlos Garcia Kanga, qui contestent une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leurs demandes d’asile.

 

Le contexte

[2]               Les demandeurs sont des citoyens du Mexique qui ont demandé l’asile au Canada en se fondant sur des antécédents d’actes criminels visant Mme Olguin, son père, sa mère et d’autres membres de sa famille. Les problèmes que la famille a vécus découlent au départ de tentatives d’extorsion d’un gang criminel visant principalement le père de Mme Olguin, qui possédait une entreprise prospère. Selon Mme Olguin, les nombreux enlèvements de personnes bien nanties au Mexique étaient, pour sa famille, une préoccupation sérieuse qui remontait à 1998 au moins. De plus, le père de Mme Olguin avait été agressé à 15 reprises au moins et son entreprise avait subi de nombreuses introductions par effraction plusieurs années durant. En 2005, des menaces téléphoniques avaient été faites à la mère et au père de Mme Olguin; en 2006, sa mère avait été victime de pirates de la route armés et, en 2009, son frère avait été l’objet de tentatives d’extorsion. En 2009, les mêmes personnes qui avaient menacé son père ont enlevé Mme Olguin. Un jour plus tard, elle a été relâchée après que son père eut payé une rançon de 100 000 pesos. Peu après cet incident, les ravisseurs ont exigé du père de Mme Olguin qu’il effectue des paiements mensuels de 30 000 pesos. Ces paiements ont été faits pendant deux mois, mais pas plus. Peu de temps après, Mme Olguin et son époux sont entrés au Canada et ont demandé l’asile.

 

            La décision de la Commission

[3]               La Commission a considéré que le témoignage de Mme Olguin était digne de foi et qu’il concordait avec les conditions d’enlèvements et d’extorsions généralisés, dus à des gangs, qui sont reconnues au Mexique. La Commission a conclu (et ceci n’est pas contesté) que la demande d’asile des demandeurs n’avait aucun lien avec les motifs prévus dans la convention qui figurent à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), et qu’elle ne pouvait donc être prise en considération qu’en vertu de l’article 97.

 

[4]               La Commission a ensuite rejeté la demande parce qu’elle a jugé que le risque auquel Mme Olguin était confrontée n’était pas suffisamment « personnel » (« particularized » dans la version anglaise de la décision) car il s’agit d’un risque auquel étaient généralement exposées d’autres personnes qui, au Mexique, se trouvaient dans une situation semblable. L’analyse de la Commission sur ce point figure dans l’extrait de ses motifs qui suit :

[20]      L’extorsion par les groupes du crime organisé est également un problème répandu au Mexique. Vous confirmez plusieurs fois dans votre formulaire de renseignements personnels (FRP) que les propriétaires d’entreprises et leurs familles sont tout particulièrement vulnérables. En effet, votre famille a été assaillie à de nombreuses reprises, et les commerces de votre père ont été le théâtre de plus d’un incident. Je ne nie pas que vous avez été ciblée dans le passé à des fins d’extorsion, d’enlèvement ou d’autres actes criminels et que vous continuerez peut-être de l’être parce que l’ancien statut d’homme d’affaires de votre père ou la richesse perçue de votre famille vous rendent vulnérable; toutefois, votre situation ne se distingue en rien de celle d’autres personnes perçues comme étant riches desquelles des groupes criminels organisés exigent qu’elles versent une rançon ou des sommes à intervalles réguliers pour acheter leur protection. De nombreux Mexicains doivent composer avec le risque de devenir victime d’enlèvement ou d’extorsion par des groupes criminels organisés. En l’espèce, je ne suis pas d’avis que le risque auquel vous êtes exposée est différent de celui auquel sont exposés les autres Mexicains.

 

[21]      Selon moi, La Familia cherchait et cherche encore à s’en prendre à quiconque pourrait lui verser de l’argent à une ou à plusieurs occasions, ce qui rend vulnérables les propriétaires d’entreprises prospères et leurs familles. Vous avez été ciblée purement pour des raisons d’argent, et je ne vois pas, dans votre situation, un quelconque conflit interpersonnel ou un désir de vengeance, par exemple. Vos parents possèdent trois maisons et d’autres biens immobiliers où vivent des locataires, et étaient propriétaires de quatre commerces qui ont fermé leurs portes en cours d’année. Ils avaient les moyens d’envoyer leurs enfants à l’école aux États-Unis et de payer ensuite leurs études postsecondaires. Il va sans dire que votre famille, parce qu’elle est relativement riche, est exposée au risque d’être continuellement exploitée; cependant, outre l’appât du gain financier, les éléments de preuve n’attestent aucune autre raison pour laquelle vous seriez pris pour cible.

 

[22]      Pour votre défense, il a été affirmé qu’un risque généralisé devient un risque auquel une personne est personnellement exposée lorsque des actes criminels sont commis de façon répétée ou sporadique pendant une période donnée et que, parce que votre famille a été prise pour cible de nombreuses fois et qu’elle continue de l’être, elle est personnellement exposée à un risque. Qui plus est, il a été soutenu que votre famille était personnellement exposée à un risque du fait qu’elle avait déjà payé une rançon et versé d’autres sommes exigées par les auteurs des tentatives d’extorsion. Les décisions Aguilar Zacharias et Martinez Pineda ont été citées à l’appui.

 

[23]      Il est intéressant de mentionner, au sujet des deux causes citées précédemment, que la Cour fédérale a constaté exactement l’inverse dans deux affaires basées sur des faits similaires, à savoir Perez et Paz Guifarro. Selon moi, Aguilar Zacharias et Martinez Pineda représentent la minorité, tandis que la jurisprudence penche largement en faveur des décisions Perez et Paz Guifarro. La Cour fédérale a maintes fois été appelée à étudier la question des sous-catégories de personnes vulnérables dans des pays où la criminalité est répandue. La Cour a conclu que la plupart des personnes qui se trouvent dans ces pays sont exposées de manière générale au même risque que ces groupes, en raison de la criminalité quasi omniprésente. Bien que certains groupes puissent être ciblés plus fréquemment ou de façon répétitive du fait de leur richesse perçue ou de leur profession ou, par exemple, parce qu’ils sont propriétaires d’entreprises, toutes les personnes qui se trouvent à l’intérieur du pays sont considérées à risque en raison des conditions qui y prévalent. Ce principe a également été confirmé dans Osorio, Rodrigues Perez, Prophete et Acosta, tandis que la question de la victimisation répétée ou accrue a été traitée dans les décisions Vickram, Carias, Cius, Innocent et Ventura De Parada, et il a été conclu qu’il s’agit d’un risque généralisé. L’appartenance d’une personne à une sous‑catégorie de population vulnérable ne signifie pas que cette personne est personnellement exposée à un risque, étant donné que les sous-groupes d’une population peuvent également être exposés à un risque généralisé.

 

[Notes de bas de page omises; souligné dans l’original.]

 

 

Les questions en litige

[5]               La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la preuve de l’existence d’un risque personnel, ou dans l’application de cette preuve au critère de protection que prévoit l’article 97 de la LIPR?

 

Analyse

[6]               Les points soulevés dans la présente demande sont des questions mixtes de fait et de droit, et la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité : voir Acosta c Canada (MCI), 2009 CF 213, au paragraphe 9, [2009] ACF no 270 (QL).

 

[7]               La principale critique des demandeurs à l’égard de la décision de la Commission concerne le traitement des différences que l’on relèverait dans la jurisprudence de la Cour fédérale sur la question d’un risque criminel généralisé au sein d’un sous-groupe de la population (p. ex., les familles bien nanties au Mexique). Selon les demandeurs, la Commission se trouvait dans l’obligation d’expliquer pourquoi elle privilégiait les décisions sur lesquelles elle se fondait et pourquoi elle rejetait celles qui avaient été citées en leur faveur (c.-à-d. : Zacarias c Canada (MCI), 2011 CF 62, [2011] ACF no 144 (QL) [Zacarias], et Pineda c Canada (MCI), 2007 CF 365, [2007] ACF no 501 (QL) [Pineda]).

 

[8]               Je ne suis pas d’accord avec cet argument. Premièrement, il ne m’apparaît pas évident qu’il existe une incongruité marquée dans la jurisprudence applicable de la Cour fédérale sur cette question. La réserve qu’ont exprimée le juge Simon Noël dans la décision Zacarias, précitée, ainsi que le juge Yves de Montigny dans la décision Pineda, précitée, avait trait au fait que la Commission n’avait pas tenu compte de la preuve d’un risque personnel dans le contexte d’une analyse de l’article 97. Le juge Noël a décrit le problème en ces termes :

[17]     Comme c’était le cas dans Martinez Pineda, la Commission a commis une erreur dans sa décision : elle s’était concentrée sur la menace généralisée à laquelle était exposée la population du Guatemala, en omettant toutefois de prendre en compte la situation particulière du demandeur. Parce que la crédibilité du demandeur n’était pas en cause, il incombait à la Commission d’apprécier rigoureusement le risque personnel auquel le demandeur était exposé afin de procéder à une analyse complète de sa demande d’asile au titre de l’article 97 de la LIPR. Il semble que le demandeur n’avait pas été pris pour cible de la même manière que n’importe quel autre marchand : il était menacé de représailles parce qu’il avait collaboré avec les autorités, qu’il avait refusé de se plier à la volonté du gang et qu’il connaissait les circonstances du décès de M. Vicente.

 

[9]               L’analyse qui précède ne me semble pas décalée par rapport aux décisions sur lesquelles la Commission s’est fondée en l’espèce. Ces dernières exigent elles aussi que la Commission examine de près la preuve d’un risque personnel afin de déterminer si ce risque transcende celui auquel est exposé un élément ou un sous-groupe important de la population. Dans le cas présent, la Commission a procédé à l’analyse requise et a conclu que le risque auquel les demandeurs étaient exposés ne satisfaisait pas au critère de protection énoncé à l’article 97 de la LIPR. Contrairement aux affaires citées par les demandeurs, la Commission n’a pas fait abstraction d’éléments de preuve concernant les antécédents de risque des demandeurs.

 

[10]           La Commission n’a été saisie d’aucune preuve indiquant que les demandeurs avaient été pris personnellement pour cible, sinon l’hypothèse de ces derniers selon laquelle le fait que le père de Mme Olguin n’avait pas payé l’argent qu’on voulait lui extorquer et l’enlèvement antérieur de cette dernière leur faisaient courir un risque accru. Il s’agit là du type de risque qui, a-t-il été conclu à maintes reprises, est généralisé et insuffisant pour étayer une demande de protection au sens de l’article 97 : voir Guifarro c Canada (MCI), 2011 CF 182, [2011] ACF no 222 (QL); Prophète c Canada (MCI), 2009 CAF 31, [2009] ACF no 143 (QL) [Prophète]; Gabriel c Canada (MCI), 2009 CF 1170, [2009] ACF no 1545 (QL); Perez c Canada (MCI), 2010 CF 345, [2010] ACF no 579 (QL); Ayala c Canada (MCI), 2012 CF 183, [2012] ACF no 137 (QL). La décision de la Commission de refuser la protection demandée était amplement étayée par la jurisprudence, et on ne peut pas dire qu’elle soit déraisonnable.

 

[11]           Par ailleurs, même s’il existe une jurisprudence partagée de la Cour fédérale sur un point de droit, je ne puis convenir que la Commission est tenue d’expliquer pourquoi elle a adopté un point de vue plutôt que l’autre. On peut supposer que la jurisprudence de la Cour fédérale parle d’elle-même, et la Commission n’est pas tenue d’offrir une interprétation additionnelle des décisions judiciaires sur lesquelles elle décide de se fonder pour régler un point de droit.

 

[12]           En résumé, je ne puis relever aucune erreur dans la décision de la Commission quant à la manière dont elle a appliqué la preuve de risque au critère de protection que comporte l’article 97.

 

[13]           Le souci additionnel des demandeurs selon lequel la Commission a créé un nouveau critère juridique de protection en vertu de l’article 97 en faisant mention, dans la version anglaise de sa décision, d’un « particularized risk » (risque particulier) au lieu d’un « personalized risk » (risque personnel) est sans fondement. Il ressort clairement des motifs de la Commission que cette dernière saisissait la distinction qui existe entre les risques généralisés et les risques personnels, et le fait d’avoir utilisé des termes synonymes pour décrire cette distinction ne cause aucune erreur susceptible de contrôle.

 

[14]           À la clôture des plaidoiries, j’ai invité les avocats à proposer une question à certifier. L’avocat des demandeurs a proposé la question suivante :

[traduction] Un risque qui, au départ, est aléatoire, indistinct ou général demeure-t-il un risque général au sens du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIRP en dépit des éléments de preuve admis d’un ciblage aggravé, personnel et précis de la part de l’agent de persécution par suite d’actes ultérieurs de la victime, comme le refus de se soumettre à des tentatives d’extorsion?

 

[15]           L’avocat du défendeur s’oppose à la certification d’une question quelconque en l’espèce parce que l’application de l’article 97 de la LIPR à un risque criminel repose sur les faits en cause, de sorte que l’issue d’une demande n’a pas d’effet déterminant dans le cas d’une autre.

 

[16]           Je suis d’accord que l’évaluation que la Commission a faite du risque en cause dans la présente affaire s’articulait autour d’une question mixte de faits et de droit – une évaluation qui, l’ai‑je conclu, est raisonnable. Comme la juge Johanne Trudel l’a fait remarquer dans l’arrêt Prophète, précité, l’application du paragraphe 97(1) de la LIPR requiert « un examen personnalisé » qu’il est impossible d’effectuer en recourant à une règle ou à une approche universelle quelconque. Dans le même ordre d’idées, il y a la décision du juge James Russell, dans Rodriguez c Canada (MCI), 2012 CF 11, [2012] ACF no 6 (QL), où celui-ci a refusé de certifier une question semblable parce que « dans certains cas, il y a lieu d’accorder une protection lorsque quelqu’un est pris pour cible, dans d’autres, non ».

 

[17]           En l’espèce, la question proposée n’aurait pas d’effet déterminant sur la présente demande, ni sur des affaires semblables qui n’ont pas encore été instruites. En définitive, je refuse de certifier une question dans la présente instance. La demande est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5441-11

 

INTITULÉ :                                      KANGA ET AL c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 20 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bjorn Harsanyi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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