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Date : 20120612

Dossier: IMM-8630-11

Référence : 2012 CF 732

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2012

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

JUSTIN, NIYONKURU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               La crédibilité est la question principale en l’espèce. En l’absence de conclusions tirées de manière déraisonnable, cette Cour doit se garder d’intervenir. En effet, son rôle n’est pas de réévaluer la preuve soumise et de substituer son appréciation factuelle à celle du décideur des faits doté de sa propre expertise et de l’avantage d’entendre les revendicateurs d’asile (Bergeron c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 456).

 

[2]               Cependant, cette Cour, comme en l’espèce, se doit d’intervenir si le nœud de la revendication pourrait ne pas avoir été adéquatement cerné.

 

II. Procédure judiciaire

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 21 octobre 2011, selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention tel que défini à l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

III. Faits

[4]               Le demandeur, monsieur Justin Niyonkuru, est citoyen du Burundi.

 

[5]               Le demandeur allègue que son frère Nicaise est décédé, dans leur maison, le 25 décembre 2007, assassiné par Tobi Havyarimana.

 

[6]               La même journée, le demandeur serait allé dénoncer le meurtrier de son frère à la police, mais ce dernier aurait pris la fuite.

 

[7]               En janvier 2009, le demandeur allègue avoir été ciblé par Tobi Havyarimana en raison de la dénonciation. Ce dernier et ses complices seraient venus au domicile du demandeur en son absence. Ils auraient fouillé la maison et auraient battu son père. Le demandeur allègue qu’ils seraient revenus dans le quartier par trois fois pour le retrouver.

 

[8]               Le demandeur quitte le Burundi le 4 juillet 2009 pour arriver, des États-Unis au Canada, le 8 juillet 2009. Il y demande l’asile le jour même.

 

IV. Décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire

[9]               La SPR a conclu à la non-plausibilité du récit du demandeur sur la base des éléments suivants :

i)    une contradiction entre le témoignage du demandeur à l’audience et les informations contenues au Formulaire de renseignements personnels [FRP] selon laquelle Tobi Havyarimana aurait aperçu le demandeur qui se trouvait à la maison lors de l’agression contrairement à ce qui était mentionné dans le FRP;

ii)   Des contradictions, lors du témoignage, quant au nombre de menaces que le demandeur a reçues;

iii)   Une période d’une année écoulée sans que le demandeur ne reçoive de menaces;

iv)  Une période de 3 mois entre la dernière menace et le départ du demandeur;

v)   L’absence d’efforts du demandeur pour obtenir une preuve expliquant les circonstances du décès de son frère.

 

[10]           La SPR rejette également la possibilité de persécution en raison de l’origine ethnique tutsie du demandeur puisqu’il ne l’a pas invoquée dans son récit écrit.

 

V. Point en litige

[11]           La décision de la SPR est-elle raisonnable?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[12]           Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent au présent cas :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

VII. Position des parties

[13]           Le demandeur prétend qu’il n’est pas tenu de réciter le contenu de son FRP, par ailleurs minimal. Par le fait même, il soumet que les ajouts, lors de l’audience, n’auraient pas dû miner sa crédibilité. Le demandeur soutient que la SPR a écarté la preuve du certificat de décès sans fournir de motifs. Il explique que la SPR aurait dû lui donner le bénéfice du doute.

 

[14]           Par ailleurs, le demandeur soutient que la SPR a erré lorsqu’elle a refusé d’appliquer l’article 97 de la LIPR.

 

[15]           La partie défenderesse soutient que de multiples éléments négatifs à la crédibilité du demandeur étayent la décision négative de la SPR. Ayant déterminé que le demandeur n’était pas crédible, la SPR n’avait pas à effectuer une analyse distincte en fonction de l’article 97 de la LIPR en l’absence d’une preuve crédible permettant d’appuyer la prétention du demandeur.

 

VIII. Analyse

[16]           L’appréciation de la crédibilité est une question factuelle relevant de l’expertise spécialisée de la SPR. En conséquence, un degré élevé de déférence judiciaire est requis. Cette Cour doit se garder d’intervenir si la décision est raisonnable. L’erreur de droit est, cependant, révisable, quant à elle, sous la norme de contrôle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708).

 

[17]           Suffisamment d’éléments relevés par la SPR soutiennent une décision négative sur la base de la crédibilité. La décision de la SPR ne serait pas déraisonnable si elle avait tenu compte d’élément crucial à la revendication, sous-jacent au récit du demandeur : la persécution relative au groupe social.

 

[18]           Cette Cour réfère aux paragraphes 66 et 67 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/1P/4/FRE/REV.1 [Guide] apportant les éclaircissements suivants sur le rôle d’examen qui incombe à ceux chargés d’entendre les revendicateurs d’asile :

3) «du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques»

 

a) Commentaire général

 

66. Pour être considérée comme réfugié, une personne doit démontrer qu'elle craint avec raison d'être persécutée pour l'un des motifs énumérés ci-dessus. Peu importe que ce soit pour un seul ou pour plusieurs de ces motifs. Souvent, la personne qui demande la reconnaissance du statut de réfugié peut n'avoir pas, elle-même, véritablement conscience des motifs pour lesquels elle craint d'être persécutée. Elle n'est cependant pas tenue d'analyser son cas au point de pouvoir identifier ces motifs de façon très précise.

 

67. C'est à l'examinateur qu'il appartient, lorsqu'il cherche à établir les faits de la cause, de déterminer le ou les motifs pour lesquels l'intéressé craint d'être victime de persécutions et de décider s'il satisfait à cet égard aux conditions énoncées dans la définition de la Convention de 1951. Il est évident que souvent les motifs de persécution se recouvriront partiellement. Généralement, plusieurs éléments seront présents chez une même personne. Par exemple, il s'agira d'un opposant politique qui appartient en outre à un groupe religieux ou national ou à un groupe présentant à la fois ces deux caractères, et le fait qu'il cumule plusieurs motifs possibles peut présenter un intérêt pour l'évaluation du bien-fondé de ses craintes. [La Cour souligne].

 

[19]           La persécution ethnique en raison du groupe social a été traitée comme un élément relatif à l’appréciation de la crédibilité plutôt que l’objet d’une analyse distincte qui nécessite une attention particulière compte tenu des circonstances du demandeur et de la preuve objective concernant les conditions du pays d’origine :

[35]      Cette nouvelle omission mine la crédibilité du demandeur à propos de la nature de ses craintes et le tribunal ne croit pas que le demandeur ait une possibilité raisonnable ou sérieuse de persécution en raison de son origine ethnique tutsie car il a omis d’en faire mention dans son récit. [La Cour souligne].

 

[20]           Au contraire, le demandeur alléguait être persécuté par « un démobilisé du FNL » (Dossier du tribunal [DT] à la p 96). Le FRP indiquait également une crainte de persécution en raison de l’appartenance à un groupe social, le demandeur mentionnant son origine tutsie (DT aux pp 26-27).

 

[21]           La Cour suprême a spécifié que la SPR doit analyser toutes les possibilités de persécution alléguées, notamment celle relative à l’ethnie, et ce, même si celle-ci n’est pas soulevée au cours de l’audience (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689; Viafara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1526). D’ailleurs, dans le cas devant cette Cour, l’origine ethnique a été clairement spécifiée dans le FRP du demandeur avec une attention particulière soulignant une persécution par un démobilisé du FNL.

 

[22]           À l’examen de l’ensemble du dossier, les éléments, qui, selon la décision de la SPR, ont miné la crédibilité du demandeur, ne touchent néanmoins pas le cœur de la revendication.

 

[23]           La persécution en raison de l’origine ethnique aurait dû faire l’objet d’une analyse compte tenu de l’historique qui fait partie essentielle de ce dossier; c’est-à-dire que la preuve subjective et la preuve objective devraient être évaluées ensemble.

 

[24]           L’évaluation du dossier, si vu dans son ensemble intégral, donne à la SPR la possibilité d’appliquer son expertise.

 

[25]           Compte tenu que la SPR n’a pas vu le dossier dans son ensemble, l’intervention de cette Cour est justifiée.

 

IX. Conclusion

[26]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie.

 

[27]           Une analyse approfondie de la crainte de persécution du demandeur en raison de son groupe social doit être entreprise pour assurer l’évaluation de l’ensemble du dossier compte tenu des faits historiques notoires au nœud-même de ce dossier selon les paragraphes 66 et 67 du Guide :

66. Pour être considérée comme réfugié, une personne doit démontrer qu'elle craint avec raison d'être persécutée pour l'un des motifs énumérés ci-dessus. Peu importe que ce soit pour un seul ou pour plusieurs de ces motifs. Souvent, la personne qui demande la reconnaissance du statut de réfugié peut n'avoir pas, elle-même, véritablement conscience des motifs pour lesquels elle craint d'être persécutée. Elle n'est cependant pas tenue d'analyser son cas au point de pouvoir identifier ces motifs de façon très précise.

 

67. C'est à l'examinateur qu'il appartient, lorsqu'il cherche à établir les faits de la cause, de déterminer le ou les motifs pour lesquels l'intéressé craint d'être victime de persécutions et de décider s'il satisfait à cet égard aux conditions énoncées dans la définition de la Convention de 1951. Il est évident que souvent les motifs de persécution se recouvriront partiellement. Généralement, plusieurs éléments seront présents chez une même personne. Par exemple, il s'agira d'un opposant politique qui appartient en outre à un groupe religieux ou national ou à un groupe présentant à la fois ces deux caractères, et le fait qu'il cumule plusieurs motifs possibles peut présenter un intérêt pour l'évaluation du bien-fondé de ses craintes. [La Cour souligne].

 

[28]           L’affaire est donc retournée pour examen à nouveau à un panel autrement constitué. 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée et l’affaire soit retournée pour redétermination par un panel autrement constitué. Aucune question d’importance générale à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8630-11

 

INTITULÉ :                                       JUSTIN, NIYONKURU c

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 4 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 12 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jacques J. Bahimanga

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Talitha A. Nabbali

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jacques J. Bahimanga

Avocat

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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