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Date : 20120621


Dossier : T-1987-11

Référence : 2012 CF 804

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 21 juin 2012

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

WESTERN GRAIN BY-PRODUCTS

STORAGE LTD.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

PETER DONALDSON

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande a trait à la décision d’un arbitre agissant en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2. La question centrale consistait à savoir si le défendeur, M. Donaldson, avait été injustement congédié par la société demanderesse (Western Grain) exerçant ses activités à titre de dépôt à grains à partir de Thunder Bay (Ontario). L’avocate de Western Grain fait valoir que la décision de l’arbitre est entachée d’une erreur susceptible de contrôle, principalement parce que la conclusion de l’arbitre selon laquelle M. Donaldson a été victime d’un congédiement déguisé est erronée. Pour les raisons qui suivent, je souscris à cet argument.

[2]               L’arbitrage découlait d’un ensemble donné de faits dans le cadre duquel le directeur de Western Grain, M. Maurice Mailhot, a présenté une demande à M. Donaldson, parce que celui‑ci avait quitté le travail le 9 mai 2007 et n’était pas revenu avant le 25 octobre 2007, soit environ cinq mois et demi plus tard. En revenant au travail, M. Donaldson a présenté à la demanderesse un billet de médecin, daté du 24 octobre 2007, qui mentionnait ceci : [traduction] « M. Donaldson est maintenant apte à réintégrer son emploi auprès de Western Grain » (dossier de demande, volume 3, pièce 6). Dans l’affidavit qu’il a déposé dans le cadre de la présente demande, M. Mailhot atteste avoir eu la conversation suivante avec M. Donaldson :

[traduction]

 

[…] J’ai demandé à M. Donaldson d’obtenir un billet de médecin plus détaillé au sujet de son degré d’aptitude par rapport à ses fonctions et au milieu de travail avant que je l’autorise à revenir travailler. M. Donaldson a indiqué qu’il allait obtenir un billet plus détaillé, et je prévoyais qu’une fois qu’il aurait fourni ce billet, il pourrait revenir au travail.

 

(Dossier de demande, volume 1, onglet 6, paragraphe 15)

 

Dans l’affidavit qu’il a déposé dans le cadre de la présente demande, M. Donaldson atteste que [traduction] « M. Mailhot a dit qu’il voulait plus d’informations, mais il n’a pas contesté le billet avant le 4 janvier 2008 », et il fait également part de l’opinion suivante :

[traduction]

 

Il n’était pas nécessaire que je présente un billet de médecin pour être rappelé au travail. Il n’était pas justifié non plus que M. Mailhot demande d’autres informations médicales.

 

(Dossier de demande, volume 5, pièce G, paragraphe 5)

 

 

[3]               Dans cet ensemble donné de faits, il est survenu, dans l’intervalle, un élément extérieur important : peu après avoir quitté le travail le 7 mai, M. Donaldson a déposé le 22 juin 2007 une demande d’indemnité auprès de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (la CSPAAT), et a déclaré avoir été victime [traduction] « de douleurs abdominales et d’une réaction allergique toxique possible » par suite d’une exposition à son lieu de travail (dossier de demande, volume 3, onglet 5, page 784). La réponse de la CSPAAT à la demande de M. Donaldson est arrivée sous la forme d’une lettre datée du 17 octobre 2007, par laquelle la CSPAAT rejetait sa demande après avoir conclu que [traduction] « l’existence d’une maladie professionnelle n’a[vait] pas été établie » (dossier de demande, volume 3, onglet 5, page 785). La demanderesse a reçu avis de ce refus le 23 octobre 2007. Deux jours plus tard, M. Donaldson est revenu au travail avec le billet de son médecin, à la suite de quoi a eu lieu la conversation avec M. Mailhot.

 

[4]               Le 16 novembre 2007, M. Donaldson a déposé auprès de la Direction générale du travail de Ressources humaines et Développement social Canada (RHDSC) une plainte fondée, selon lui, sur le motif suivant : [traduction] « on ne m’a pas permis de retourner au travail avec un billet de médecin, j’ai le sentiment qu’on m’a injustement congédié » (dossier de demande, volume 3, onglet 9).

 

[5]               À deux reprises, des détails précis ont été demandés à propos de la demande datée du 25 octobre 2007 de M. Mailhot. En réponse à une demande d’informations datée du 26 novembre 2007 de la part de RHDSC, au sujet de la plainte, M. Mailhot a déclaré ceci le 12 décembre 2007 :

[traduction]

 

Peter Donaldson a quitté le travail malade durant la journée du 9 mai 2007. Il n’est pas revenu.

 

Le 28 juin 2007, nous avons reçu de la CSPAAT une demande d’indemnisation pour accident du travail concernant Peter Donaldson à cause d’une réaction allergique toxique attribuable à une exposition au lieu de travail.

 

M. Donaldson est venu faire un tour au lieu de travail pour prendre un café avec l’équipe en juillet et en août et on lui a demandé à quel moment il prévoyait revenir au travail. Sa réponse a été : mon médecin dit que je ne peux pas revenir au travail. Je ne suis pas autorisé à me trouver dans le bâtiment.

 

Le 23 octobre 2007, nous avons reçu de la CSPAAT une lettre rejetant la demande d’indemnisation de M. Donaldson.

 

Le 25 octobre 2007, Peter Donaldson m’a remis une note manuscrite datée du 24 octobre 2007, disant qu’il était apte à réintégrer son emploi. La date, la formulation et l’écriture manuscrite étaient suspectes et, à ce moment-là, j’ai demandé à M. Donaldson d’obtenir une lettre du médecin qui l’avait soigné durant sa période d’indemnisation de longue durée. Il fallait que cette lettre indique qu’il était apte à réintégrer ses fonctions habituelles auprès de Western Grain.

 

Le 9 novembre 2007, notre saison d’expédition a été réduite à du travail de nature très occasionnelle, et des avis de mises à pied ont été envoyés à M. Donaldson ainsi qu’à quatre autres employés.

 

Nous sommes d’avis que M. Donaldson fait l’objet d’une mise à pied saisonnière jusqu’à ce que les livraisons par wagon reprennent en février ou en mars.

 

(Dossier de demande, volume 3, onglet 11)

 

Par une lettre datée du 5 mars 2008, M. Mailhot a fait la demande officielle suivante à M. Donaldson :

[traduction]

 

Peter,

 

Juste un rappel pour dire que nous n’avons toujours pas reçu les informations suivantes, que nous vous avons déjà demandées :

 

1) vous devez nous remettre un certificat écrit par un médecin, attestant que vous étiez inapte à travailler pendant la période de 25 semaines s’étendant du 9 mai 2007 au 25 octobre 2007;

 

2) la raison pour laquelle il vous a été impossible de déclarer votre accident le 1er juin 2007 à votre superviseur – numéro de demande d’indemnisation 24678476 de la CSPAAT;

 

3) un certificat de médecin récent, attestant que vous êtes apte à réintégrer vos fonctions professionnelles habituelles.

 

Vous avez 15 jours à partir de la date de réception de la présente lettre pour y répondre.

 

(Dossier de demande, volume 3, onglet 12)

 

 

[6]               Au vu du dossier, il est clair que la plainte de M. Donaldson, laquelle a donné lieu à l’arbitrage faisant l’objet du présent contrôle, a pris naissance dans la conversation que MM. Mailhot et Donaldson ont eue le 25 octobre 2007. M. Donaldson a reçu un avis de mise à pied saisonnière le 9 novembre 2007, mais la plainte déposée n’était pas liée à ce fait.

 

[7]               En ce qui concerne l’arbitrage qui nous occupe, la position de M. Mailhot au sujet de la demande faite à M. Donaldson était la suivante :

[traduction]

 

Je n’ai pas mis fin à l’emploi de M. Donaldson à cause de la demande d’indemnisation de la CSPAAT ou pour une autre raison; j’ai uniquement demandé un avis médical plus détaillé disant qu’il était apte à réintégrer ses fonctions, étant donné que la CSPAAT avait conclu qu’il ne souffrait pas d’une maladie professionnelle due aux grains ou à un autre facteur. […]

 

(Dossier de demande, volume 1, onglet 6, paragraphe 59)

 

Toutefois, M. Donaldson a qualifié cette demande de congédiement déguisé, parce qu’il s’agissait d’un manquement à son contrat d’embauche auprès de Western Grain. Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, laquelle est datée du 9 novembre 2011, l’arbitre a conclu à l’existence d’un congédiement déguisé. À mon avis, cette conclusion est entachée d’une erreur fondamentale, parce qu’elle repose sur un fait qui n’a absolument rien à voir avec la plainte qui a pris naissance dans la conversation que MM. Mailhot et Donaldson ont eue le 25 octobre 2007.

 

[8]               Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, l’arbitre a correctement énoncé les règles de droit concernant les congédiements déguisés :

[traduction]

 

Encore une fois, je souscris à la thèse générale de Me Firman [l’avocat de Western Grain dans le cadre de l’arbitrage] selon laquelle l’arrêt Farber c Cie Trust Royal, [1997] 1 RCS 846 (CSC) [Farber], est l’arrêt de principe sur la question des congédiements déguisés qui énonce les critères juridiques connexes. Le point sur lequel nous divergeons d’opinion a trait à l’application des principes énoncés dans Farber.

 

Me Firman a cité in extenso des passages pertinents de l’arrêt Farber, aux paragraphes 24 à 27. Voir le volume 1, Argumentation écrite générale pour le compte de l’employeur, aux pages 67 à 70. Me Firman en a souligné quelques passages :

 

¶ 24 – Lorsqu’un employeur décide unilatéralement de modifier de façon substantielle les conditions essentielles du contrat de travail de son employé et que celui-ci n’accepte pas ces modifications et quitte son emploi, son départ constitue non pas une démission, mais un congédiement. Vu l’absence de congédiement formel de la part de l’employeur, on qualifie cette situation de « congédiement déguisé ». En effet, en voulant de manière unilatérale modifier substantiellement les conditions essentielles du contrat d’emploi, l’employeur cesse de respecter ses obligations; il se trouve donc à dénoncer ce contrat. Il est alors loisible à l’employé d’invoquer la résiliation pour bris de contrat et de quitter. L’employé a alors droit à une indemnité qui tient lieu de délai-congé et, s’il y a lieu, à des dommages.

 

¶ 25 – Par contre, l’employeur peut faire toutes les modifications à la situation de son employé qui lui sont permises par le contrat, notamment dans le cadre de son pouvoir de direction. D’ailleurs, ces modifications à la situation de l’employé ne constitueront pas des modifications du contrat de travail, mais bien des applications de ce dernier. Cette marge de manoeuvre sera plus ou moins grande selon ce qui a été entendu entre les parties lors de la formation du contrat. […]

 

¶26 – Pour arriver à la conclusion qu’un employé a fait l’objet d’un congédiement déguisé, le tribunal doit donc déterminer si la modification unilatérale imposée par l’employeur constituait une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail de l’employé. Pour ce faire, le juge doit se demander si, au moment où l’offre a été faite, une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que l’employé, aurait considéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail. Le fait que l’employé ait été prêt à accepter en partie la modification n’est pas déterminant puisque d’autres raisons peuvent inciter l’employé à accepter moins que ce à quoi il a droit.

 

¶ 27 – Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que l’employeur ait eu l’intention de forcer son employé à quitter son emploi ou qu’il ait été de mauvaise foi en modifiant de façon substantielle les conditions essentielles du contrat de travail, pour que celui-ci soit résilié. Toutefois, si l’employeur était de mauvaise foi, cela aurait un impact sur les dommages à accorder à l’employé. […]

 

            (Décision, aux pages 66 – 67)

 

[9]               Pour conclure de manière définitive, dans le cadre de l’arbitrage, qu’il y avait eu congédiement déguisé, l’arbitre a appliqué l’analyse qui suit, aux pages 67 et 68 de la décision :

[traduction]

 

1) M. Donaldson s’est absenté du travail essentiellement pendant le temps qu’ont duré l’enquête, l’examen et la décision, par la CSPAAT, de la demande d’indemnisation de M. Donaldson à la suite d’une présumée réaction allergique à un incident isolé de poussière de grains chez Western Grain. M. Mailhot a été informé de la demande, et il a eu la possibilité d’y répondre. Il a décidé de ne pas obtenir de plus amples informations, ni d’interroger M. Donaldson dans le cadre de la procédure de la CSPAAT. En définitive, la CSPAAT a rejeté la demande d’indemnisation de M. Donaldson et M. Mailhot a été informé de cette décision. Ce rejet était un refus de la CSPAAT de croire que M. Donaldson avait été victime au travail d’une réaction allergique indemnisable. Rien ne justifiait que M. Mailhot exige un « billet de médecin » – simple ou détaillé – comme condition au retour au travail de M. Donaldson.

 

2) Les faits n’étayent pas la conclusion selon laquelle M. Mailhot voulait seulement un billet de médecin [traduction] « plus détaillé » qui expliquerait peut-être mieux la conclusion du médecin de M. Donaldson, à savoir que ce dernier était [traduction] « apte » à retourner au travail.

 

J’ai exposé de manière assez détaillée l’argument de Me Firman [l’avocat de Western Grain dans le cadre de l’arbitrage] – qui reflète l’opinion de M. Mailhot – à savoir qu’il faudrait obliger M. Donaldson à nommer tous les médecins qui l’ont traité pendant vingt ans et à faire comparaître ces derniers aux frais de M. Donaldson, ainsi qu’à produire leurs dossiers médicaux, y compris leurs notes, en vue d’un interrogatoire et d’un contre-interrogatoire.

 

3. Une telle demande excède de loin le sujet qui a causé l’absence de M. Donaldson, c’est-à-dire une présumée réaction allergique à un incident isolé de poussière de grains. Ce que M. Mailhot cherchait à obtenir n’était pas seulement un avis médical selon lequel M. Donaldson était [traduction] « apte » à accomplir son travail en général, mais qu’il serait dorénavant apte à accomplir son travail de façon générale.

 

4. M. Mailhot a érigé des obstacles concrets, c’est-à-dire des conditions débordant nettement le cadre de la relation d’emploi entre Western Grain et M. Donaldson qui ont privé M. Donaldson du droit de retourner au travail. À première vue, il s’agissait d’obstacles auxquels M. Donaldson et d’autres employées de Western Grain n’avaient pas été soumis dans le passé. Et, dans la mesure où ces obstacles étaient liés à des garanties passées et futures de bonne santé physique – dans leur généralité – ils excédaient n’importe quelle condition d’emploi raisonnable.

 

[Souligné dans l’original.]

 

Le passage suivant de la décision, à la page 69, souligne clairement le motif sur lequel repose la conclusion de congédiement déguisé :

[traduction]

 

Au vu du dossier, et pour les motifs indiqués, j’ai conclu que Western Grain avait imposé des conditions au retour au travail de M. Donaldson qui excédaient à la fois ce qui était raisonnable dans le contexte du motif de son absence (à savoir un examen, par la CSPAAT, de sa demande d’indemnisation par suite d’une réaction allergique isolée à la poussière de grains, demande que la CSPAAT a finalement rejetée) et la demande, par Western Grain, de la comparution pour interrogatoire et contre-interrogatoire de tous les médecins ayant soigné M. Donaldson au cours d’une période de vingt ans.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[10]           Si l’avocat de Western Grain qui agissait dans le cadre de l’arbitrage avait déposé la [traduction] « demande de production », ce que conteste l’avocate de Western Grain dans le cadre de la présente demande, je conclus qu’elle ne pourrait être considérée que comme un incident de preuve survenu au cours de l’arbitrage et, à ce titre, qu’il était impossible de la lier d’une manière quelconque à la plainte que M. Donaldson a déposée le 16 novembre 2007; dans le meilleur des cas, il s’agissait simplement d’un élément de litige non pertinent, s’inscrivant dans le cadre d’un arbitrage conflictuel qui s’est étendu sur une période de quelque 32 jours.

 

[11]           Par conséquent, je conclus que la décision faisant l’objet du présent contrôle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La décision faisant l’objet du présent contrôle est annulée.

2.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1987-11

 

INTITULÉ :                                      WESTERN GRAIN BY-PRODUCTS STORAGE LTD. c PETER DONALDSON

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 19 juin 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 21 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Chantelle J. Bryson

POUR LA DEMANDERESSE

 

Peter Donaldson

POUR L’INTIMÉ (pour son propre compte)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BUSET & PARTNERS

Avocats

Thunder Bay (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

S.O.

 

POUR L’INTIMÉ

 

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