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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 

Date: 20120618

Dossier : IMM-6994-11

Référence : 2012 CF 770

Ottawa (Ontario), le 18 juin 2012

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

 

SUKHWINDER SINGH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [Loi], relativement à une décision datée du 16 septembre 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (le Tribunal) a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié ou d’une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

I.                   Le contexte

A.    Le contexte factuel

[2]               M. Sukhwinder Singh (le demandeur) est un citoyen indien âgé de trente-et-un (31) ans. Le demandeur était résident du village Kili Chahlan dans la région du Pendjab. Il allègue craindre les autorités de son pays qui le soupçonnaient d’entretenir des liens avec des militants.

 

[3]               Le demandeur allègue que son cousin, Sukhdev Singh, un étudiant universitaire, et ses amis ont été arrêtés par la police en décembre 2002. Le demandeur soutient que ce dernier a été détenu et torturé par la police parce qu’il était accusé d’avoir aidé des militants.

 

[4]               Le demandeur stipule que son cousin a été détenu une deuxième fois en août 2003 pour une période de trois (3) jours et que celui-ci a été torturé par la police.

 

[5]               Le demandeur allègue que le 20 novembre 2003, la police a pénétré dans sa demeure familiale parce qu’elle recherchait son cousin. Le demandeur soutient qu’il a été détenu pour deux (2) jours, battu et questionné concernant les activités de son cousin et des militants.

 

[6]               Le demandeur allègue également que la police a harcelé les membres de sa famille. Par conséquent, le père du demandeur a décidé d’envoyer le demandeur dans un autre pays. Avec l’aide d’un agent, le demandeur a quitté l’Inde et s’est relocalisé au Koweït en février 2004, où il a travaillé pour des entrepreneurs en construction.

 

[7]               En mars 2005, le demandeur est revenu en Inde pour visiter sa famille pour une période de deux (2) mois. Suite à son départ, le demandeur affirme que la police a pénétré une seconde fois dans sa résidence familiale.

 

[8]               Suite à la fin de son contrat au Koweït en mars 2007, le demandeur est revenu en Inde une deuxième fois. Celui-ci affirme avoir été arrêté par la police le 14 mars 2007 puisqu’elle désirait obtenir davantage d’informations concernant son cousin et les militants. Le demandeur allègue qu’il a été torturé, battu, photographié et qu’on a relevé ses empreintes digitales.

 

[9]               Suite à sa libération, le demandeur a déménagé au Rajasthan, où il a vécu pendant 11 mois avec sa famille. Le demandeur a quitté l’Inde le 10 mars 2008 et est venu au Canada muni d’un visa de travail valide du 3 mars 2008 au 31 mars 2009. Le demandeur a été mis à pied par son employeur au Canada en juin 2009. Il a déposé sa demande d’asile le 8 août 2009.

 

[10]           Le demandeur soutient qu’il est toujours recherché par la police en Inde. Il allègue également que la police a arrêté et a torturé son père en novembre 2010 afin d’obtenir des informations à son sujet. Le père du demandeur est décédé dû aux blessures subies suite à la torture infligée par la police. D’autant plus, l’épouse et les enfants du demandeur sont déménagés dans un autre village.

 

[11]           Le Tribunal a entendu la demande d’asile du demandeur le 17 août 2011.

 

 

B.    La décision contestée

[12]           Le Tribunal a rejeté la demande d’asile du demandeur en raison de l’existence d’une possibilité de refuge interne (PRI) et en raison de son manque de crédibilité.

 

[13]           Quoique le Tribunal a jugé les explications du demandeur crédibles concernant ses deux retours en Inde ainsi que son délai quant à sa demande d’asile au Canada, le Tribunal a tiré une inférence négative du fait que le demandeur n’avait pas d’informations au sujet de son cousin. Le Tribunal a noté que le demandeur ne connaissait pas les raisons pour lesquelles la police le recherchait. De plus, le Tribunal a noté que les frères et sœurs du demandeur, ainsi que son épouse et ses enfants, situés en Inde, n’ont pas éprouvé de difficultés avec la police. Par conséquent, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait aucune preuve pouvant démontrer que la police recherchait le demandeur.

 

[14]           En outre, le Tribunal a constaté qu’il y avait une PRI puisque le demandeur avait témoigné que la police ne s’était pas déplacée pour visiter les membres de sa famille et que la police ne communiquait pas avec d’autres bureaux de police. Le Tribunal a affirmé que ces conclusions étaient corroborées par la preuve documentaire (notamment le document 2.5 du Cartable national de la documentation intitulé « United Kingdom (UK). 17 April 2008. Home Office. Operational Guidance Note : India ») et par d’autres décisions de la Cour fédérale (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 601, [2010] ACF no 720). De surcroit, le Tribunal a noté que le demandeur était entré en Inde à deux reprises et avait été capable de quitter son pays à trois reprises. De plus, en 2005, le demandeur avait séjourné en Inde pour une période de trois mois sans incident.

[15]           Le Tribunal a énuméré les villes de Bangalore, Mumbai ou Rajasthan en tant que PRI. Le Tribunal a noté qu’il y avait des possibilités de travail dans ces villes et que le demandeur n’avait pas démontré que ces PRI étaient déraisonnables. Le Tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il ait le profil d’une personne qui serait recherchée par les autorités à travers le pays ou qu’il pouvait être perçu comme militant par la police. Par conséquent, le Tribunal a déclaré que le demandeur n’était pas sujet à la persécution.

 

II.                 La question en litige

[16]         La Cour estime que la question déterminante en l’espèce est la suivante : Le Tribunal a-t-il erré en faits et en droit dans son évaluation de l’existence d’une PRI?

 

III.              Les dispositions législatives applicables

[17]           Les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés se lisent comme suit :

Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

 

Définition de « réfugié »

 

A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

Convention refugee

 

A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

IV.              La norme de contrôle applicable

[18]           Il est de jurisprudence constante que les conclusions relatives à la détermination de l’existence d’une PRI sont révisables selon la norme de la raisonnabilité (Valencia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 203 au para 20, [2011] ACF no 252). En conséquence, la Cour s’attardera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] ACF no 9).

 

V.                Analyse

[19]           La question au coeur de cette affaire est la décision du Tribunal concernant la PRI. Le demandeur allègue que le Tribunal a omis des éléments de preuve documentaire et qu’il avait l’obligation de commenter les pièces qui sont pertinentes à l’affaire et qui corrobore le récit du demandeur (Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 656, [2003] ACF no 847; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 485, [2009] ACF no 616; Cepeda-Gutierrez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425).

 

[20]           La Cour est d’avis, qu’en l’espèce, la décision du Tribunal est raisonnable et que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

[21]           En effet, la preuve au dossier ne contredit pas la conclusion du Tribunal et il était raisonnable pour le Tribunal de conclure que les problèmes du demandeur étaient limités à son propre village et qu’il n’était pas une personne recherchée à l’échelle nationale. Notamment, lorsque sa femme et ses enfants ont déménagé à 120 km de Killy Chahlan, ils ont cessé d’avoir des ennuis. Ses sœurs et ses frères n’ont pas été importunés par la police. Les sœurs du cousin militant n’ont pas eu de problèmes avec les policiers. De plus, le demandeur a quitté l’Inde à trois (3) reprises et y est revenu deux (2) fois. Son passeport comporte des étampes à cet effet. En 2005 le demandeur y est retourné près de trois (3) mois. En 2007, le demandeur a vécu onze (11) mois au Rajasthan. Dans ces circonstances, il est difficile de concevoir comment le demandeur aurait le profile d’une personne qui serait activement recherché par la police centrale de son pays. Sur ce point, la Cour réitère les observations du juge Shore dans l’affaire Singh, ci-dessus, au para 10:

[10] La SPR a raisonnablement conclu que le fait que M. Balwant Singh s'était servi de son propre passeport pour quitter l'Inde montrait qu'il ne craignait pas les autorités centrales. (Choque c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration) (1997), 73 A.C.W.S. (3d) 308, [1997] A.C.F. no 1017 (QL); Ccanto c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration) 1994, 73 F.T.R. 144, 46 A.C.W.S. (3d) 309; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), 2009 CF 958, [2009] A.C.F. no 1169 (QL)).

 

[22]           De plus, la Cour ne peut accepter l’argument du demandeur selon lequel le Tribunal aurait ignoré certains éléments de preuve au dossier. A titre d’exemple, la question du décès du père n’a pas été discutée pendant l’audience devant le Tribunal et force est de constater que les représentations n’en font pas mention. Cet élément n’est pas déterminant. En fait, le demandeur cherche, bien habilement, à obtenir un réexamen de la preuve. Sur ce point, la Cour réitère que le Tribunal est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve (Florea c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF no 598) et que ce dernier n’a pas l’obligation de commenter chacun des éléments de preuve au dossier (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1992] FCJ No 946, 147 NR 317; Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 420, [2007] 1 RCF 561; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 408, [2008] ACF no 547). La Cour conclut que l’argument du demandeur est sans fondement.

 

[23]           Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’il appartient au demandeur d’asile de démontrer l’inexistence d’une PRI en fonction du test à deux volets : le demandeur doit établir qu’il est à risque partout dans son pays et que la PRI serait objectivement déraisonnable compte tenu des circonstances (Rasaratnam c Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (CA), [1991] ACF no 1256, [1992] 1 CF 706; Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 2118, [2001] 2 CF 164; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1993] ACF no 1172, [1994] 1 CF 589).

 

[24]           La conclusion relative à l’existence d’une PRI est déterminante et suffisante pour disposer de la demande (Baldomino c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1270, [2007] ACF no 1638; Shimokawa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 445, [2006] ACF no 555; Canada (Procureur général) c Parent, 2006 CF 353, [2006] ACF no 457). 

 

[25]           Vu l’ensemble de la preuve au dossier, la Cour conclut que le demandeur n’a pas établi qu’il ne pouvait chercher refuge aux endroits proposés par le Tribunal. Par conséquent, la Cour conclut à la raisonnabilité de la décision du Tribunal.

 

[26]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et ce dossier n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que

1.         La demande est rejetée;

 

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6994-11

 

INTITULÉ :                                       Sukhwinder Singh c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Le Brun

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Suzanne Trudel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude légale de Me Le Brun

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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