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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120614

Dossier : IMM-8767-11

Référence : 2012 CF 746

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2012

En présence de madame la juge Bédard

 

 

ENTRE :

 

WAJID ALI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d'une demande, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi], de contrôle judiciaire de la décision du 24 octobre 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), a rejeté la demande d'asile au Canada présentée par le demandeur. La Commission a conclu que le demandeur n'avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention conformément à l'article 96 de la Loi ni celle de personne à protéger au sens de l'article 97 de la Loi.

 

I. Contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Inde et il est de confession musulmane. Il fonde sa demande d'asile sur les événements suivants. 

 

[3]               Le demandeur, un homme d'affaires qui réussissait bien, était un associé d’une entreprise indienne appelée Elite International. Cette entreprise était spécialisée dans la fabrication et l'exportation d'articles de sellerie de cuir et d'autres marchandises liées à l'équitation.

 

[4]               Afin d'obtenir un avantage concurrentiel et de miner les activités du demandeur au moyen de la publicité négative, l'un de ses concurrents, M. Naresh ‑ membre de l'organisation RSS ‑, a accusé le demandeur de tuer des vaches, ce qui constitue une infraction grave en Inde. Pour cette infraction, le demandeur a été arrêté, détenu et torturé et n'a été libéré qu’après le paiement d'un pot‑de‑vin important. Le demandeur allègue de plus que le 15 avril 2009, il a été arrêté une deuxième fois pour avoir tué des vaches et avoir protégé des militants musulmans. Il a été libéré quatre jours plus tard après avoir payé un autre pot‑de‑vin qui s'élevait à 50 000 roupies. Tout au long de cette période, il a également été harcelé par la police et des membres du RSS.

 

[5]               Par suite de ces incidents, le demandeur craignait pour sa vie et a fui l'Inde. Il est arrivé au Canada le 13 mai 2009 et quelques semaines plus tard, il a présenté une demande d'asile.

 

[6]               Après que le demandeur eut quitté l’Inde, ses associés ont dissout l'entreprise.

 

[7]               Au cours de son témoignage, le demandeur a déclaré que l'organisation RSS était un groupe anti‑musulman qui a des adeptes partout dans le pays. Il a expliqué qu'il craignait à la fois le RSS, et plus précisément M. Naresh, ainsi que les autorités indiennes.

 

II. Décision faisant l'objet du contrôle

[8]               La Commission a reconnu la crédibilité et la fiabilité du témoignage du demandeur et a cru qu'il craignait le RSS, ses membres, M. Naresh et les membres de la police indienne qui seraient sous l'influence du RSS. La Commission a cependant conclu qu'il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) et que cette question déterminait l’issue de la demande d'asile. La Commission a identifié les villes de Bangalore, de Mumbai et de Delhi comme PRI possibles.

 

[9]               Interrogé sur la raison pour laquelle il craignait retourner en Inde, le demandeur a déclaré qu'il croyait que M. Naresh demeurait une menace. Il croyait que s'il retournait en Inde, M. Naresh supposerait qu'il lancerait une nouvelle entreprise et deviendrait à nouveau un concurrent. Le demandeur a également indiqué qu'il serait toujours ciblé par le RSS parce que lorsque le RSS prend une personne pour cible, la personne sera toujours une cible. En raison des liens entre le RSS et la police, le demandeur estime qu'il ne peut être en sécurité à quelque endroit que ce soit en Inde.

 

[10]           Malgré le témoignage du demandeur, la Commission a conclu qu’il était peu probable qu’il soit exposé à la persécution s'il retournait en Inde et vivait dans une autre ville. En se fondant sur les éléments suivants, la Commission a jugé que M. Naresh, le RSS ou la police ne s'intéresserait plus au demandeur :

  • M. Naresh avait atteint son but; l'entreprise du demandeur était dissoute et il n'était plus un concurrent. Selon la Commission, M. Naresh n'investirait ni temps ni argent pour cibler le demandeur dans les PRI proposées, plus particulièrement si le demandeur n'exerçait pas les mêmes activités commerciales;
  • le demandeur pouvait mettre à profit ses compétences et son expérience d'affaires dans un autre secteur d'activités où il ne serait pas un concurrent ou un rival de M. Naresh;
  • les associés du demandeur n'avaient vécu aucun problème;
  • la famille du demandeur continuait à vivre dans la même ville et n'avait subi aucun problème particulier de la part de M. Naresh ou du RSS.

 

III. Question en litige

[11]           Dans la présente affaire, une seule question en litige doit être tranchée, soit celle de savoir si la décision de la Commission concernant la PRI est raisonnable.

 

IV. Norme de contrôle

[12]           Il est bien établi que les décisions concernant la possibilité d'une PRI sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Anwuobi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1352, au paragraphe 9 (disponible sur CanLII); Lopez Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 550, au paragraphe 14 (disponible sur CanLII); Guerilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 394, au paragraphe 10 (disponible sur CanLII); Barbosa Ponce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1360, au paragraphe 13 (disponible sur CanLII); Castor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1267, 208 ACWS (3d) 382), au paragraphe 24.

 

[13]           L'arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], définit au paragraphe 47 le rôle de la cour lors du contrôle d'une décision selon la norme de la raisonnabilité :

[...] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

V. Analyse

[14]           La conclusion portant sur l'existence ou non d'une PRI fait partie intégrante de la décision portant sur la demande d'asile (Rasaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1991) ACF no 1256, [1992] 1 CF 706 (CA), au paragraphe 6 (disponible sur QL) [Rasaratnam]. De plus, l'évaluation d'une PRI comporte l'application d’un critère à deux volets. Premièrement, la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'existe aucune possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté, exposé à la torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités dans la région envisagée comme PRI (Rasaratnam, ci-dessus, au paragraphe 10). Une fois que la Commission évoque la possibilité d'une PRI, il incombe au demandeur de prouver qu'elle n'existe pas ou que dans les circonstances, il ne lui serait pas raisonnable de se prévaloir de cette PRI. (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 109 DLR (4th) 682,  [1994] 1 CF 589 (CA), au paragraphe 12).

 

[15]           En l'espèce, le demandeur conteste l'analyse de la Commission en ce qui a trait au premier volet du critère relatif à la PRI. Il soutient qu'il était déraisonnable pour la Commission de conclure qu'il n'existait pas de possibilité sérieuse qu'il soit persécuté soit par le RSS, et plus particulièrement M. Naresh, soit par la police.

 

[16]           Le demandeur soutient que la Commission n'a pas examiné les principaux éléments de preuve suivants :

  • le différend n'était pas un simple différend commercial; il comportait une composante religieuse qui entraînait des conséquences graves à son égard;
  • le RSS a des liens avec la police;
  • le RSS a harcelé les membres de sa famille et leur a demandé où se trouvait le demandeur après son départ;
  • après son départ, ses associés ont été interrogés concernant l'endroit où il se trouvait;
  • la Commission n'a pas examiné la preuve documentaire concernant l'intolérance grandissante des fondamentalistes hindous envers les musulmans et la résurgence du fondamentalisme hindou.

 

[17]           Le demandeur fait de plus valoir que la Commission n’a pas tenu compte de son témoignage concernant le fait qu’il était une cible permanente de M. Naresh. Le demandeur a déclaré que M. Naresh supposerait qu'il lancerait une nouvelle entreprise et qu'il deviendrait à nouveau un concurrent. Dans son témoignage, le demandeur a aussi indiqué que le RSS continuerait de le cibler.

 

[18]           En toute déférence et malgré la tristesse du récit du demandeur, j’estime que la décision de la Commission est raisonnable et ne justifie pas l'intervention de la Cour.

 

[19]           La Cour doit faire preuve d'une très grande déférence à l'égard des décisions concernant les PRI. En l'espèce, la démarche qu’a adoptée Commission était appropriée pour évaluer s'il existait une PRI viable. De plus, je ne suis pas d'avis que la Commission n'a pas examiné les principaux éléments de preuve ou qu'elle n’a pas tenu compte du témoignage du demandeur.

 

[20]           Il ressort des motifs que la Commission a en effet reconnu que le demandeur craignait que M. Naresh ou le RSS ne continue de s'intéresser à lui pour deux raisons : (1) il serait encore perçu comme un concurrent potentiel et (2) lorsque le RSS cible une personne, « il s'efforce d'accomplir le travail jusqu'au bout. » La Commission a examiné cet élément de preuve, mais a conclu qu'il n'était pas suffisamment concluant pour la convaincre de l’inexistence d’une PRI viable. En toute déférence, la preuve du demandeur visait sa crainte subjective, mais n'a pas établi l'existence d'un fondement objectif pour cette crainte. La croyance du demandeur selon laquelle il sera persécuté dans la PRI doit reposer sur un fondement objectif (Romero Quiroz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 864, au paragraphe 7 (disponible sur CanLII)).

 

[21]           Il n'était pas non plus déraisonnable que la Commission estime que l'origine du différend qui a entraîné les problèmes du demandeur était de nature commerciale plutôt que religieuse, compte tenu de la preuve. Dans ce contexte et vu les conclusions de la Commission à cet égard, il n'était pas nécessaire que la Commission mentionne la preuve documentaire concernant le fondamentalisme hindou. Il est bien établi en droit que la Commission n'est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve dans ses motifs (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, 83 ACWS (3d) 264 (CF 1re inst.), au paragraphe 16) et que la Commission est présumée avoir examiné l'ensemble de la preuve (Florea c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CA), au paragraphe 1 (disponible sur QL)). Il est utile de souligner que dans l'arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union], la Cour suprême donne l'explication suivante au paragraphe 16 :

[16]      Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

[22]           La lecture de la décision de la Commission me permet de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission en est arrivée à ses conclusions ainsi que les éléments de preuve sur lesquels elle a fondé ses conclusions. J’estime également que la Commission a apprécié tous les éléments de preuve pertinents. Rien au dossier ne m'amène à croire que cette décision ne pourrait pas appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 47). De plus, le fait qu'une conclusion raisonnable différente soit possible n'est pas une raison pour que la Cour annule une décision. Il se peut qu'il y ait plus d'une issue raisonnable (Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, ci-dessus, au paragraphe 11).

 

[23]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n'ont proposé aucune question à des fins de certification et aucune n'est soulevée en l'espèce.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 

 

                                


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8767-11

 

Intitulé :                                      WAJID ALI c le ministre de la citoyenneté et de l'immigration

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 31 mai 2012

 

Motifs du jugement

et jugement :                            la juge BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 14 juin 2012

 

 

 

Comparutions :

 

Jeffrey Platt

                

Pour le demandeur

 

Salima Djerroud

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffrey Platt, avocat

Saint-Laurent (Québec)

 

Pour le demandeur

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

 

 

 

 

 

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