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Date : 20120620

Dossier : IMM-8638-11

Référence : 2012 CF 793

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 juin 2012

En présence de madame la juge Gleason

 

 

ENTRE :

 

CYNTHIA MOMODU

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision d’un agent d’immigration, rendue en date du 17 octobre 2011, de rejeter la demande de résidence permanente présentée pour des motifs d’ordre humanitaire par la demanderesse en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi].

 

[2]               La demanderesse, une citoyenne du Nigéria, est arrivée au Canada en avril 2008 et a demandé l’asile, alléguant que la police voulait l’emprisonner parce qu’elle avait refusé de se marier avec un chef de village, un mariage qui avait été arrangé par son oncle. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR] a rejeté sa demande d’asile le 28 juillet 2010 au motif que ses allégations n’étaient pas crédibles. Une demande d’autorisation de contrôle judiciaire relative à cette décision a été rejetée par la Cour le 10 décembre 2010. Par ailleurs, une décision défavorable (datée du 11 octobre 2011) a été rendue relativement à l’ERAR demandé par la demanderesse, à l’égard de laquelle, selon son conseil, l’autorisation a été refusée.

 

[3]               Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas établi que son renvoi lui causerait des difficultés démesurées pour les motifs suivants. Premièrement, l’établissement de la demanderesse au Canada ne créait aucune difficulté inhabituelle, injustifiée ou démesurée. Deuxièmement, l’agent a rejeté les allégations de risque de la demanderesse parce que la SPR ne les avait pas jugées crédibles. Troisièmement, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle ou sa fille seraient exposées à des pratiques discriminatoires équivalant à des difficultés démesurées si elles étaient renvoyées au Nigéria.

 

[4]               La demanderesse soutient que l’agent n’a pas appliqué le bon critère pour évaluer les difficultés. Elle allègue que l’agent n’a pas évalué correctement les difficultés qui leur seraient causées, à elle et à sa fille, si elle était renvoyée du Canada. Elle soutient plus particulièrement à cet égard que l’agent n’a pas pris en considération de manière appropriée l’intérêt supérieur de sa fille de trois ans née au Canada, laquelle devrait soit rester au Canada sans personne pour prendre soin d’elle, soit courir le risque de subir une mutilation génitale féminine [MGF] ou d’être mariée contre son gré au Nigéria si elle retournait dans ce pays avec sa mère.

 

[5]               Pour sa part, le défendeur soutient que la dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est une mesure extraordinaire et discrétionnaire qui ne peut être accordée que dans les cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées et que la demanderesse n’a pas réussi à faire la preuve de difficultés de ce genre. Il fait valoir que l’agent a appliqué le critère approprié, qu’il a examiné la preuve avec soin et qu’il a tiré une conclusion raisonnable. Il fait valoir également que l’agent s’est intéressé expressément à l’intérêt supérieur de la fille de la demanderesse, y compris au risque de MGF, et qu’il a considéré que ce risque n’était pas étayé. Il affirme enfin que ce que la demanderesse demande en fait à la Cour, c’est d’apprécier à nouveau la preuve, ce que la Cour ne devrait pas faire dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

 

[6]               La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. En effet, il est bien établi que les décisions des agents concernant une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sont discrétionnaires et que l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un agent chargé de statuer sur une demande de ce genre doit faire l’objet d’une grande retenue (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193, au paragraphe 62; Prashad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1286, au paragraphe 26, 208 ACWS (3d) 387; Paz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 412, aux paragraphes 22 à 25, [2009] ACF no 497).

 

[7]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’ai conclu que la décision de l’agent était raisonnable et qu’elle sera donc maintenue.

 

[8]               Le critère énoncé par l’agent n’est pas erroné. L’agent a statué à cet égard qu’il incombait à la demanderesse d’établir qu’elle subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées si elle était tenue de demander la résidence permanente à partir de l’extérieur du Canada, comme elle devrait le faire normalement. L’agent a ensuite cité le Guide 5 sur le traitement des demandes au Canada, de Citoyenneté et Immigration Canada, intitulé « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire » [Guide IP 5], qui énonce les lignes directrices auxquelles doivent se conformer les agents d’immigration lorsqu’ils apprécient une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. En résumé, les extraits tirés du Guide IP 5 indiquent que des difficultés « inhabituelles » ne sont généralement pas envisagées dans la Loi et que des difficultés « injustifiées » sont généralement le résultat de circonstances indépendantes de la volonté du demandeur; en outre, il peut être justifié de tenir compte de motifs d’ordre humanitaire dans les cas où les difficultés ne sont ni « inhabituelles » ni « injustifiées », si le fait d’obliger le demandeur à présenter sa demande de résidence permanente à partir de l’extérieur du pays aurait un impact déraisonnable sur lui en raison de sa situation personnelle. Les tribunaux ont reconnu que ces lignes directrices sont appropriées et pertinentes au regard de l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un agent saisi d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (voir, par exemple, Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1062, aux paragraphes 35 à 40, 317 FTR 179; Uberoi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1232, au paragraphe 18, 301 FTR 146; Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1041, [2001] ACF no 1441, aux paragraphes 5 et 9). Ainsi, contrairement à ce que la demanderesse affirme, l’agent n’a pas appliqué le mauvais critère.

 

[9]               Comme il a été mentionné, la demanderesse prétend en l’espèce que les conclusions de l’agent sur l’absence de difficultés démesurées étaient déraisonnables, car elles ne tenaient pas compte de la preuve relative au risque de MGF ou de mariage forcé auquel, selon elle, sa fille serait exposée au Nigéria. La seule preuve relative aux risques dont l’agent disposait cependant était la documentation générale sur le pays. Or, rien ne permettait d’établir spécifiquement un lien entre la demanderesse ou sa fille et ces risques.

 

[10]           À mon avis, la décision de l’agent reflète fidèlement la documentation sur le pays qui lui a été présentée. Il ressort de cette documentation que le Nigéria est un pays où la vie est difficile : il est pauvre et marqué par la violence et la criminalité et les femmes y font l’objet d’une discrimination systémique. De plus, les risques allégués par la demanderesse sont étayés dans une certaine mesure par la documentation générale concernant le Nigéria, car celle‑ci démontre que des MGF sont pratiquées et que des jeunes filles sont forcées de se marier contre leur gré. L’agent a examiné la documentation générale sur le pays et a noté à juste titre qu’elle établissait que les mariages forcés surviennent surtout dans le nord du pays, dans les collectivités musulmanes (dossier certifié du tribunal [le DCT], aux pages 100 à 103), et que les MGF sont principalement pratiquées dans certaines collectivités ethniques (DCT, aux pages 76 et 95). La demanderesse est chrétienne, vient du sud du pays et n’a pas prétendu être membre des collectivités ethniques au sein desquelles des MGF sont le plus souvent pratiquées. La documentation générale sur le pays ne permet donc pas de croire que la fille de la demanderesse serait particulièrement en danger sur ces plans.

 

[11]           Par-dessous tout cependant, la demanderesse affirme qu’elle est la seule personne à prendre soin de l’enfant. Au Nigéria, ce serait donc elle qui prendrait les décisions concernant sa fille. Comme le défendeur le souligne à juste titre, ce fait met à mal la prétention de la demanderesse concernant les difficultés que sa fille subirait. La demanderesse n’a produit aucune preuve indiquant que quelqu’un d’autre qu’elle jouerait un rôle dans l’éducation de l’enfant au Nigéria ou aurait une influence sur les décisions concernant le bien‑être de celle‑ci. Ce seul motif suffit pour trancher la présente affaire.

 

[12]           Il est bien établi en droit qu’il incombe à la personne qui présente une demande pour des motifs d’ordre humanitaire de produire une preuve à l’appui de ses prétentions (voir, par exemple, Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 35, [2009] ACF no 713; Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 8, [2004]2 RCF 635; Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 638, au paragraphe 18). En l’absence d’une preuve de la demanderesse établissant les risques auxquels son enfant serait exposée, on ne peut pas considérer que les conclusions de l’agent étaient déraisonnables.

 

[13]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[14]           Aucune question n’a été soumise à des fins de certification en vertu de l’article 74 de la LIPR et aucune n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

3.                  Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8638-11

 

INTITULÉ :                                      CYNTHIA MOMODU c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 13 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pius Okoronkwo

 

                            POUR LA DEMANDERESSE

Charles Jubenville

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blackfriars LLP

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

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