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Date : 20120612

Dossier : T‑1132‑11

Référence : 2012 CF 720

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 12 juin 2012

En présence de madame la juge Gleason

 

 

ENTRE :

 

JOHN FISCHER

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la LCF], au moyen de laquelle M. Fischer cherche à faire annuler la décision rendue par un comité de griefs de classification [le comité], à laquelle a souscrit le délégué de l’administrateur général d’Environnement Canada le 22 juin 2011. Dans sa décision, le comité a recommandé à l’administrateur général d’Environnement Canada que le grief de classification de M. Fischer soit rejeté. Ce faisant, il a convenu que le degré attribué à l’un des facteurs devait être haussé comme M. Fischer le souhaitait, mais, sans aviser ce dernier, il a aussi conclu qu’un autre facteur devait être déclassé. (Comme l’employeur et M. Fischer s’entendaient sur le fait que le facteur en question devait demeurer inchangé, il n’a pas été l’objet de débats devant le comité.) Comme je l’expliquerai de manière plus détaillée ci‑dessous, la décision du comité reposait sur la décision de déclasser le facteur en question.

 

[2]               Dans la cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, M. Fischer allègue que le comité a manqué à l’équité procédurale et a violé ses attentes légitimes en ne l’avisant pas expressément qu’il envisageait de déclasser le facteur en question et en ne lui donnant pas la possibilité de présenter des observations à ce sujet. M. Fischer prétend subsidiairement que la décision du comité était déraisonnable.

 

[3]               La présente affaire soulève la question de l’étendue des renseignements qui doivent être divulgués par un comité de griefs de classification, question sur laquelle la Cour ne s’est pas encore prononcée. Afin de placer la question dans son contexte, il est utile de passer brièvement en revue le régime législatif régissant la classification dans la fonction publique fédérale et les faits ayant donné lieu à la présente demande.

 

Le contexte législatif

[4]               Contrairement à la situation qui prévaut habituellement dans les milieux syndiqués du secteur privé, la classification des employés est un droit de gestion unilatéral dans l’administration fédérale (sous réserve toutefois des exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6, dans les affaires relatives à l’équité salariale). La Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11 [la LGFP], attribue une compétence au Conseil du Trésor en matière de gestion du personnel de la fonction publique fédérale en général (en vertu de l’alinéa 7(1)e)) et de classification des postes et des employés en particulier (en vertu de l’alinéa 11.1(1)b)). En outre, le Conseil du Trésor a le pouvoir d’établir son règlement intérieur (paragraphe 5(4) de la LGFP). Selon l’article 7 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 2 [la LRTFP], les questions de classification ne peuvent être régies par les conventions collectives. Par conséquent, le Conseil du Trésor, qui est l’employeur de la plupart des fonctionnaires fédéraux, est habilité à établir unilatéralement les niveaux et les cadres de classification, ce qu’il a fait en adoptant des normes de classification écrites formalisées.

 

[5]               Aux termes de l’article 208 de la LRTFP, les fonctionnaires peuvent présenter des griefs au sujet de différentes questions, notamment de « tout fait » portant atteinte à leurs conditions d’emploi, par exemple la classification de leur poste. Ces griefs ne peuvent cependant pas être soumis à la Commission des relations de travail dans la fonction publique ou à un autre tribunal indépendant. Ils doivent plutôt être présentés à l’employeur, conformément à la Politique sur les griefs de classification et à la Procédure du règlement des griefs de classification du Conseil du Trésor.

 

[6]               La Politique sur les griefs de classification et la Procédure du règlement des griefs de classification prévoient que les griefs de classification seront examinés par un comité de griefs de classification formé de trois personnes qui connaissent bien les techniques de classification et l’application des normes de classification de l’administration fédérale, qui n’ont pas participé à la décision en matière de classification visée par le grief et qui ne sont pas en situation de conflit d’intérêts potentiel. La Procédure du règlement des griefs de classification prévoit que l’employé concerné aura la possibilité de présenter des observations par écrit et de vive voix au comité de griefs et que ce dernier pourra obtenir des renseignements additionnels auprès de la direction, qu’il devra ensuite communiquer à l’employé concerné. La Politique sur les griefs de classification et la Procédure du règlement des griefs de classification indiquent expressément que le comité de griefs de classification tiendra ses délibérations à huis clos et examinera tous les aspects d’une décision en matière de classification, qu’ils soient ou non contestés dans le cadre du grief. La Politique prévoit à cet égard : « Tous les aspects de la décision faisant l’objet du grief, c.‑à‑d. le groupe et le sous‑groupe, le niveau et la cotation (s’il y a lieu) accordés à chaque facteur, doivent être examinés même si dans certains cas, ils ne sont pas tous contestés. » Une disposition similaire figure dans la Procédure du règlement des griefs de classification. Un comité de griefs de classification a donc l’obligation de procéder à un examen complet de tous les aspects de la classification du poste faisant l’objet d’un grief.

 

[7]               La Procédure du règlement des griefs de classification prévoit que le comité de griefs de classification rédigera un rapport renfermant une recommandation sur la classification du poste faisant l’objet du grief et les motifs de cette recommandation. Elle prévoit également que le rapport sera présenté à l’administrateur général de l’élément de la fonction publique au sein duquel le plaignant travaille, afin qu’il l’approuve ou le rejette. Les décisions prises par l’administrateur général en matière de grief de classification ne sont pas susceptibles d’appel. Elles peuvent toutefois faire l’objet d’un contrôle judiciaire par notre Cour en vertu de l’article 18.1 de la LCF.

 

Le contexte factuel

[8]               M. Fischer est un employé de la fonction publique fédérale au service d’Environnement Canada au poste de coordonnateur des évaluations environnementales. Il fait partie de l’unité de négociation représentée par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada [l’IPFPC]. L’employeur a classifié son poste dans la catégorie « Sciences physiques – Scientifique et professionnelle » (PC) au niveau PC‑02.

 

[9]               La norme de classification applicable au poste de M. Fischer est la Norme de classification Groupe Sciences physiques – Catégorie scientifique et professionnelle [la Norme de classification – PC]. La Norme de classification – PC contient cinq niveaux (PC‑01 à PC‑05), et la détermination du niveau de classification d’un poste dépend de cinq facteurs : 1 – la nature du travail; 2 – la complexité du travail; 3 – les responsabilités professionnelles; 4 – les responsabilités de gestion; 5 – les répercussions des recommandations et des activités. Chaque facteur comporte un certain nombre d’éléments.

 

[10]           Dans le cas de la Norme de classification – PC, chaque élément de chaque facteur doit être évalué et une cote de 1 à 5 doit ensuite lui être attribuée. Cet exercice se fait notamment en comparant les éléments du travail propre au poste qui est évalué à ceux décrits relativement à certains postes‑repères qui font partie de la Norme de classification – PC. Les cotes attribuées à chaque élément déterminent ensuite la cote attribuée à chaque facteur, le degré étant déterminé par la prépondérance des cotes données à chacun des éléments du facteur. Lorsqu’il n’y a pas de prépondérance, la Norme de classification – PC exige que les responsables de la cotation comparent l’intensité de l’ensemble des exigences du poste au regard du facteur avec les caractéristiques de ce facteur pour les postes‑repères et attribuent au poste « le degré qui concorde le mieux, dans l’ensemble, avec les postes‑repères ».

 

[11]           La Norme de classification – PC exige que, après qu’un degré de 1 à 5 a été attribué à chacun des facteurs, un niveau soit attribué au poste en fonction de la prépondérance des cotes attribuées à chacun des cinq facteurs.

 

[12]           Le poste de M. Fischer a toujours été un poste de niveau PC‑02 selon la Norme de classification – PC. Par suite de certains changements apportés à ses fonctions, il a demandé que son poste soit réévalué à la fin de 2009, après que son employeur et lui eurent ensemble préparé une version modifiée de sa description de travail. Le 15 mars 2010, l’employeur a rendu sa décision concernant la classification, laquelle prenait effet le 1er novembre 2004. Il a maintenu la cotation globale au niveau PC‑02, ainsi que les cotes et la justification données relativement à chaque facteur qui était pertinent.

 

[13]           Le 17 mars 2010, M. Fischer a présenté un grief de classification, qui a finalement été renvoyé au comité, en conformité avec la Politique sur les griefs de classification et la Procédure du règlement des griefs de classification du Conseil du Trésor. Le comité était présidé par un spécialiste accrédité en classification et ses deux autres membres possédaient de l’expérience dans le domaine de la classification des postes de l’administration fédérale.

 

[14]           En conformité avec la Politique sur les griefs de classification et la Procédure du règlement des griefs de classification, le comité a tenu une audience et a invité M. Fischer et une représentante de l’IPFPC à lui présenter un exposé. En réponse à cette invitation, M. Fischer et la représentante de l’IPFPC ont déposé un mémoire détaillé et plus de 1 000 pages à l’appui. L’audience a duré plus de six heures. Au début de l’audience, le président du comité a informé M. Fischer et sa représentante syndicale qu’il allait, en conformité avec la Politique sur les griefs de classification et la Procédure du règlement des griefs de classification, examiner tous les aspects du poste de M. Fischer et que l’exercice pourrait résulter en un relèvement, un abaissement ou une confirmation du groupe et du niveau de son poste.

 

[15]           La représentante syndicale de M. Fischer a fait valoir que les cotes attribuées à deux facteurs – la nature du travail et les répercussions des recommandations et des activités – devaient être haussées du degré 2 au degré 3. Elle souscrivait aux cotes attribuées par l’employeur aux trois autres facteurs, y compris les responsabilités professionnelles, auxquels l’employeur avait attribué le degré 3. Les observations (orales et écrites) présentées pour le compte de M. Fischer ne traitaient que de la preuve et des prétentions concernant les deux facteurs qui étaient contestés. À la fin de la présentation, la représentante de l’IPFPC a lu l’exposé écrit et a déclaré : [traduction] « L’Institut se réserve le droit de […] formuler, avant qu’une décision définitive et obligatoire soit rendue, des observations sur les éléments que nous n’avons pas abordés aujourd’hui et qui pourraient amener le comité à envisager un abaissement ». Le comité n’a pas répondu à cette prétendue réserve de droits.

 

[16]           Après l’audience, le comité a demandé, par courriel, à la direction des éclaircissements sur plusieurs points, conformément à la Procédure du règlement des griefs de classification du Conseil du Trésor, et a transmis à la représentante de M. Fischer une copie de ses questions et des réponses reçues de la direction. M. Fischer a eu la possibilité de présenter des observations au sujet de ces questions et réponses, ce que lui et l’IPFPC ont fait en déposant environ 400 pages additionnelles de documents auprès du comité.

 

[17]           Le défendeur soutient que, à cause de ces demandes de renseignements, M. Fischer et l’IPFPC auraient dû savoir que le comité examinait le facteur des responsabilités professionnelles (et qu’il était fort possible qu’il y apporte des changements) étant donné que plusieurs des questions posées par le comité avaient trait à des éléments qui sont évalués par ce facteur. Le comité avait notamment cherché à savoir à plusieurs reprises si c’était M. Fischer ou ses supérieurs qui étaient chargés de prendre différents types de décisions. Comme l’avocat du défendeur l’a admis franchement pendant l’audience, ces demandes de renseignements sont également pertinentes au regard de l’un des facteurs contestés par M. Fischer, soit la nature du travail. Par conséquent, il n’y avait rien dans les demandes de renseignements du comité qui aurait pu raisonnablement amener M. Fischer ou son agente négociatrice à prévoir que le comité pourrait envisager d’abaisser le facteur des responsabilités professionnelles du degré 3 – qui était approprié, selon la direction et M. Fischer – à un degré inférieur. D’ailleurs, le fait qu’ils n’ont pas prévu que cela pourrait survenir est corroboré par les observations de 400 pages qu’ils ont déposées à la suite des demandes de renseignements et où il n’est pas question du facteur des responsabilités professionnelles.

 

[18]           Dans sa décision, le comité a convenu que l’un des facteurs contestés par M. Fischer – la nature du travail – devait passer du degré 2 au degré 3, mais non que l’autre facteur qui était contesté – les répercussions des recommandations et des activités – devait être relevé. Il a toutefois conclu que le facteur des responsabilités professionnelles devait être abaissé du degré 3 au degré 2. Comme je l’ai mentionné précédemment, M. Fischer et l’employeur avaient convenu que ce facteur devait être maintenu au degré 3 et aucune observation n’avait été formulée à cet égard par M. Fischer ou par l’IPFPC car ils n’avaient pas compris que cet aspect était en jeu.

 

[19]           La représentante de l’IPFPC qui a agi pour le compte de M. Fischer dans le cadre du grief de classification a déposé, au soutien de la demande de contrôle judiciaire de ce dernier, un affidavit dans lequel elle a indiqué que des décisions unilatérales de ce genre qui sont prises par un comité de griefs de classification afin de modifier un facteur sur lequel les parties se sont entendues sont rares et que, d’après son expérience (et celle d’un collègue), dans les cas où une telle décision a été prise, le comité avait demandé des observations additionnelles aux parties au sujet du facteur en question avant d’arrêter définitivement sa décision.

 

[20]           La recommandation du comité dépendait de l’abaissement du facteur des responsabilités professionnelles. Si ce facteur n’avait pas été abaissé, le comité aurait recommandé un relèvement du niveau du poste de M. Fischer de PC‑02 à PC‑03.

 

[21]           Le comité de griefs de classification a fait connaître sa recommandation le 17 juin 2011 et le délégué de l’administrateur général d’Environnement Canada l’a acceptée sans modification le 22 juin suivant. En conséquence, le grief de classification de M. Fischer a été rejeté et ce dernier est demeuré au niveau PC‑02.

 

Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?

[22]           Comme je l’ai mentionné précédemment, la présente affaire constitue la première occasion pour la Cour de se prononcer sur la question de savoir si un comité de griefs de classification doit révéler qu’il envisage un abaissement dans des circonstances où le plaignant ne pouvait pas raisonnablement penser que cette possibilité existait, mais où le comité a divulgué toute la preuve sur laquelle il fonde sa décision. Il y a eu des cas dans le passé où un abaissement qui n’était pas prévu a été envisagé par le comité, où celui‑ci disposait d’une preuve relative à l’abaissement et où il n’avait révélé au plaignant ni cette possibilité ni la preuve pertinente. Dans de telles circonstances, la Cour et la Cour d’appel fédérale ont conclu qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale (Bulat c Canada (Conseil du Trésor), [2000] ACF no 148, 252 NR 182 (CAF), au paragraphe 10; Chong c Canada (Conseil du Trésor), [1999] ACF no 176, 236 NR 371 (CAF) [Chong II], au paragraphe 14; Hale c Canada (Conseil du Trésor), [1996] 3 CF 3, [1996] ACF no 685 (1re inst.), au paragraphe 20). De plus, dans Maurice c Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 941, au paragraphe 35, 267 FTR 107 [Maurice], la juge Gauthier a annulé la décision d’un comité de griefs de classification parce que celui‑ci avait omis de révéler qu’il avait l’intention de refuser d’examiner un élément de preuve important pour des raisons de forme, la copie dont il disposait n’ayant pas été signée en bonne et due forme.

 

[23]           Le demandeur prétend que, bien qu’il n’existe aucune décision portant précisément sur cette question, il est possible de faire des analogies avec d’autres situations ou d’autres contextes où il a été statué que l’équité procédurale exige qu’une partie ait la possibilité d’aborder une question qui est au cœur des conclusions d’un décideur et de présenter des observations relativement à l’ensemble de la preuve substantielle (citant Danakas c Canada (Commission des allocations aux anciens combattants), [1985] ACF no 32, 59 NR 309, au paragraphe 6 [Danakas]; Canada (Procureur général) c McKenna, [1999] 1 CF 401, 47 Imm LR (2d) 21, au paragraphe 7 [McKenna]; Canada (Procureur général) c Garg, 2004 CAF 410, aux paragraphes 7 et 8, 329 NR 188 [Garg]; Hale, au paragraphe 20; Bulat, au paragraphe 10; Lapointe c Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 244, au paragraphe 32, 247 FTR 243; et Chong II, au paragraphe 13). L’avocat du demandeur prétend en outre que, si la procédure adoptée par le comité est jugée valable, les griefs de classification deviendront plus complexes puisque les plaignants aborderont inévitablement toutes les questions susceptibles d’être pertinentes dans leurs observations initiales, même lorsque l’employeur et l’employé s’entendent sur le résultat concernant un facteur en particulier, parce que, si le plaignant ne le fait pas, il n’aura pas la possibilité de présenter des observations sur un point qui pourrait ultérieurement se révéler déterminant.

 

[24]           L’avocat du défendeur soutient pour sa part que, même s’il s’agit d’une question de première impression, selon les précédents faisant autorité en ce qui concerne la portée de l’équité procédurale dans les griefs de classification, la présente demande devrait être rejetée puisqu’il est solidement établi que la procédure d’un comité de griefs est de type non contradictoire et que la teneur de l’obligation d’équité à laquelle est tenu le comité n’est pas très exigeante (citant à cet égard Utovac c Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 643, aux paragraphes 13, 16 et 19, [2006] ACF no 833; Chong c Canada (Procureur général), [1995] ACF no 1600, 59 ACWS (3d) 1124, aux paragraphes 39 et 40 [Chong I]; Chong II, au paragraphe 12; Maurice, au paragraphe 31; Julien c Canada (Procureur général), 2008 CF 115, au paragraphe 27, [2008] ACF no 140; Bulat, au paragraphe 9). Par conséquent, le défendeur soutient que l’équité procédurale exige seulement que le plaignant dispose des renseignements qui sont essentiels au regard du litige et qu’il ait la possibilité d’y répondre. Il soutient en outre que le droit de répondre est limité aux renseignements contradictoires ou aux nouveaux faits qui sont susceptibles d’influer sur la décision du comité, mais qu’il n’inclut pas le droit de présenter des arguments concernant un résultat éventuel que le comité envisage. En résumé, selon l’avocat du défendeur, la procédure de règlement des griefs de classification consiste en une recherche des faits et seuls les faits sur lesquels le comité fondera sa décision doivent être divulgués. Contrairement au demandeur, l’avocat du défendeur affirme que, si la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la procédure de règlement des griefs de classification sera indûment prolongée puisque les parties devront se faire offrir des possibilités additionnelles de présenter des observations pendant tout le processus de délibérations, ce qui pourrait entraîner des demandes de renseignements additionnelles de la part du comité de griefs de classification.

 

[25]           À mon avis, l’équité procédurale exigeait, dans les circonstances de l’espèce, que le comité révèle qu’il envisageait d’abaisser le degré attribué au facteur des responsabilités professionnelles et qu’il donne aux parties la possibilité de présenter des observations sur cette question avant de rendre sa décision. S’il est assurément exact que, dans le contexte des griefs de classification dans la fonction publique fédérale, la teneur de l’obligation d’équité « se situe du côté d’une moindre exigence » (Chong II, au paragraphe 12), même les exigences minimales de l’équité procédurale n’ont pas été respectées en l’espèce à mon avis. M. Fischer ne revendique pas le droit de présenter des témoignages de vive voix, de contre‑interroger des témoins ou de se prévaloir de règles propres à une audience contradictoire. Il revendique plutôt le droit minimal d’être informé de la possibilité de présenter des arguments relativement à la question déterminante de son grief et de se voir offrir cette possibilité. Comme le juge Evans l’a mentionné au paragraphe 10 de Bulat, décision qui portait à la fois sur le défaut de divulguer une question qui n’était pas prévue à l’origine et sur le défaut de divulguer la preuve recueillie par le comité de griefs de classification relativement à cette question :

[…] l’issue de la présente affaire ne dépend pas de l’étendue précise de la teneur de l’obligation d’agir équitablement que le comité a envers l’appelant. L’un des aspects élémentaires de l’obligation d’agir équitablement veut que la personne sur laquelle une décision a un effet négatif ait véritablement la possibilité de débattre d’une question qui joue, de l’avis du comité, un rôle crucial dans le règlement du grief, mais que l’auteur du grief ne croit pas litigieuse et qu’il ne s’attend donc pas à voir surgir ni à traiter.

 

 

[26]           À mon avis, ces remarques s’appliquent tout autant en l’espèce.

 

[27]           De plus, la Cour d’appel fédérale a déjà considéré dans d’autres affaires qu’un défaut similaire de divulguer une question fondamentale sur laquelle un tribunal administratif s’était appuyé constituait un manquement à l’équité procédurale (voir Danakas, McKenna et Garg). Bien que ces tribunaux administratifs soient différents d’un comité de griefs de classification – leurs instances ressemblent davantage aux audiences contradictoires d’une cour de justice – ces décisions de la Cour ne dépendent pas de la nature de la procédure suivie par le tribunal, mais plutôt de la nécessité de faire en sorte que le droit fondamental d’une personne de savoir ce qu’on entend faire valoir contre elle et d’avoir la possibilité de répondre aux questions essentielles soit respecté. En fait, j’estime que ce droit fondamental, qui est la pierre angulaire de la règle audi alteram partem, doit être respecté dans tous les cas où un intérêt important d’une personne est en jeu. Des intérêts importants sont en jeu dans les griefs de classification, car la décision rendue aura une incidence sur la rémunération et la pension des plaignants aussi longtemps qu’ils occupent le poste faisant l’objet du grief.

 

[28]           Comme je l’ai déjà mentionné, M. Fischer n’avait aucune raison valable de croire que le facteur des responsabilités professionnelles pourrait être en cause puisqu’il s’était entendu avec son employeur sur le fait que le degré 3 devait être attribué à ce facteur, et rien de ce que le comité a dit, ni aucune des questions qu’il a posées, ne lui ont permis de savoir que cette question pourrait être en cause. Les indications générales contenues dans la Politique sur les griefs de classification et la Procédure du règlement des griefs de classification du Conseil du Trésor ou les déclarations du président du comité au début de l’audience étaient insuffisantes à cet égard. La juge Reed a indiqué dans Hale que ce type d’indications et de déclarations générales « [ne sont] pas suffisant[es] pour permettre au requérant de participer véritablement au processus de décision » (au paragraphe 26).

 

[29]           En ce qui concerne les incidences de la présente décision, j’estime que le fait d’exiger la divulgation d’une question que l’on ne pouvait pas prévoir à l’origine et dont pourrait dépendre la décision du comité de griefs de classification et de donner aux parties la possibilité de présenter des observations relativement à cette question n’imposera pas un fardeau administratif excessif au processus. Dans Bulat, le juge Evans a souligné ceci, au paragraphe 17 :

Il n’aurait pas été difficile pour le comité de divulguer la thèse de la direction [au demandeur] et de lui permettre d’y répondre […] Cette façon d’agir n’aurait pas non plus transformé le processus de règlement des griefs de classification en arbitrage formel.

 

Ces remarques s’appliquent tout autant en l’espèce. De plus, l’argument du demandeur selon lequel le fait de permettre que des griefs soient tranchés sur la foi de facteurs dont les parties ne discutent pas ou qu’elles ne peuvent pas prévoir raisonnablement qu’ils seront pertinents augmenterait la complexité et la durée du processus étant donné qu’il est probable que les parties seraient forcées d’aborder toutes les questions imaginables dans le cadre de chaque grief, même lorsque plusieurs des facteurs pourraient ne pas être en cause, est très convaincant. Aussi, dans la mesure où les incidences de la présente décision constituent un élément pertinent, elles m’incitent fortement à accueillir la demande.

 

[30]           Par conséquent, pour ces motifs, le comité a manqué, dans les circonstances de l’espèce, aux principes d’équité procédurale en fondant sa décision sur l’abaissement du degré attribué au facteur des responsabilités professionnelles et en ne révélant pas à M. Fischer, qui n’avait aucune raison de croire que ce facteur pourrait être en jeu, qu’il pourrait rendre une telle décision. La décision du comité doit donc être annulée. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments invoqués par le demandeur au sujet de la doctrine des attentes légitimes ou du caractère prétendument déraisonnable de la recommandation du comité.

 

Réparation et dépens

[31]           L’avocat de M. Fischer a soutenu que la réparation appropriée serait d’annuler seulement la partie de la décision portant sur le facteur des responsabilités professionnelles et de renvoyer la question de la cotation de ce facteur à un comité de griefs de classification différemment constitué afin qu’il formule une recommandation, puis qu’une décision soit prise par l’administrateur général d’Environnement Canada (ou par son délégué). Pour sa part, l’avocat du défendeur a fait valoir que, compte tenu de l’obligation des comités de griefs de classification d’effectuer un examen global du poste et de toutes les facettes de la norme de classification, je devais, si j’accueillais la présente demande de contrôle judiciaire, annuler la décision en entier et renvoyer l’ensemble du grief afin qu’il soit réexaminé par un nouveau comité de griefs de classification. À mon avis, l’approche suggérée par le défendeur est celle qu’il convient de suivre et elle est conforme à l’esprit de la Politique sur les griefs de classification et de la Procédure du règlement des griefs de classification du Conseil du Trésor.

 

[32]           Pour ce qui est des dépens, les parties ont convenu qu’une somme globale de 3 000 $ était appropriée, et j’estime ce montant raisonnable dans les circonstances.

 

[33]           Par conséquent, la décision du comité, à laquelle a souscrit le délégué de l’administrateur général d’Environnement Canada le 22 juin 2011, sera annulée, des dépens de 3 000 $ seront adjugés et le grief de M. Fischer sera renvoyé à un comité de griefs de classification différemment constitué pour nouvel examen.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et des dépens d’une somme globale de 3 000 $ sont adjugés au demandeur.

 

2.                  La décision du comité, à laquelle a souscrit le délégué de l’administrateur général d’Environnement Canada le 22 juin 2011, est annulée.

 

3.                  Le grief de classification de M. Fischer est renvoyé à un comité de griefs de classification différemment constitué pour nouvel examen.

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1132‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  JOHN FISCHER c
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 30 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 12 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Allison Sephton

Richard Fader

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Welchner Law Office

Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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