Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120419

Dossier : IMM‑2130‑11

Référence : 2012 CF 460

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 avril 2012

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

AL‑GHAZALI FOUAD

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Fouad Al‑Ghazali demande le contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas qui a déclaré qu’il était interdit de territoire au Canada parce qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il était membre d’une organisation appelée al‑Jabha al‑Wataniya Lilmu’ardha (ou MOG), laquelle s’était livrée à des actes visant au renversement d’un gouvernement par la force.

 

[2]               M. Al‑Ghazali affirme qu’il a été traité injustement dans le cadre du processus au terme duquel il a été déclaré interdit de territoire, car l’agent des visas l’a empêché de produire une preuve établissant que la MOG n’était pas une organisation qui s’était livrée à des actes visant au renversement d’un gouvernement par la force. Il affirme en outre que la conclusion de l’agent des visas concernant son appartenance à cette organisation était déraisonnable.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que M. Al‑Ghazali a été traité injustement ou que la conclusion d’interdiction de territoire de l’agent des visas était déraisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Le contexte

[4]               M. Al‑Ghazali, un citoyen du Yémen, a quitté ce pays pour la Suisse en 1999. Il a demandé l’asile à son arrivée en Suisse. Il faisait valoir, à l’appui de sa demande, qu’il était membre de la MOG. La demande d’asile de M. Al‑Ghazali a été rejetée pour des raisons de crédibilité.

 

[5]               M. Al‑Ghazali a épousé une citoyenne canadienne en 2003. Sa femme a ensuite présenté une demande de parrainage afin qu’il obtienne la résidence permanente à titre de membre de la catégorie « regroupement familial ».

 

[6]               Au cours d’une entrevue avec les autorités canadiennes de l’immigration en 2005, M. Al‑Ghazali a nié avoir déjà été membre de la MOG au Yémen. Il prétendait qu’il avait quitté ce pays pour des raisons familiales et qu’il avait fabriqué son récit concernant son appartenance à la MOG pour renforcer la demande d’asile qu’il avait présentée en Suisse.

 

[7]               M. Al‑Ghazali a eu une deuxième entrevue en 2010, cette fois avec l’agent des visas. Au cours de cette entrevue, ce dernier lui a demandé d’éclaircir les incohérences contenues dans son récit et de produire une preuve démontrant que, comme il l’affirmait, il n’était pas membre de la MOG. M. Al‑Ghazali a refusé l’offre de l’agent de lui donner plus de temps pour produire cette preuve, faisant valoir que la seule preuve dont il disposait était le rejet de sa demande d’asile par les autorités suisses pour des raisons de crédibilité.

 

La décision de l’agent des visas

[8]               L’agent des visas a déclaré que M. Al‑Ghazali était interdit de territoire au Canada selon l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et il a rejeté sa demande de résidence permanente.

 

[9]               Selon l’agent, il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Al‑Ghazali était membre de la MOG, une organisation qui s’était livrée à des actes visant au renversement du gouvernement yéménite par la force. L’agent était convaincu que M. Al‑Ghazali avait longtemps été associé à des membres de la MOG et qu’il avait écrit des slogans, distribué des papillons et incité des personnes à se soulever contre le gouvernement yéménite pour le compte de cette organisation.

 

[10]           L’agent des visas a fondé sa conclusion sur les déclarations sous serment que M. Al‑Ghazali avait présentées au gouvernement suisse à l’appui de sa demande d’asile. Il était d’avis que ces déclarations créaient une présomption selon laquelle M. Al‑Ghazali était membre de la MOG et qu’il lui incombait maintenant de réfuter cette présomption, ce qu’il n’avait pas réussi à faire en se rétractant simplement de ses déclarations antérieures.

 

[11]           De plus, l’agent des visas n’était pas convaincu que le rejet de la demande d’asile de M. Al‑Ghazali par les autorités suisses était suffisant pour établir qu’il avait inventé son appartenance à la MOG. L’agent a fait remarquer que la norme de preuve applicable dans les deux cas était différente et que la preuve dont il disposait était suffisante pour satisfaire à la norme moins rigoureuse de l’existence de « motifs raisonnables de croire »,

 

M. Al‑Ghazali a‑t‑il été traité injustement par l’agent des visas?

[12]           M. Al‑Ghazali soutient que l’agent des visas l’a traité injustement en ne lui donnant pas la possibilité de produire une preuve établissant que la MOG n’était pas une organisation qui s’était livrée à des actes visant au renversement du gouvernement yéménite par la force.

 

[13]           Lorsqu’il est question d’équité procédurale, la tâche de la cour de révision consiste à déterminer si le processus suivi par le décideur satisfait au degré d’équité exigé, compte tenu de toutes les circonstances : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43.

 

[14]           La teneur de l’obligation d’équité procédurale à laquelle est astreint un agent des visas se situe vers l’extrémité inférieure du registre. La Cour d’appel fédérale a statué que cette obligation est moindre en ce qui concerne les décisions relatives à l’interdiction de territoire qui comportent le refus d’octroyer un visa à une personne à l’extérieur du Canada. Les intérêts en jeu dans de tels cas sont moins importants et le demandeur a toujours le fardeau de démontrer l’admissibilité : Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297, [2000] A.C.F. no 2043 (QL), au paragraphe 54 (C.A.F.); Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, [2001] A.C.F. no 1699 (QL), au paragraphe 30; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539, au paragraphe 46.

 

[15]           En l’espèce, les préoccupations de l’agent des visas découlaient du libellé de la LIPR. M. Al‑Ghazali était donc au courant des questions déterminantes car celles‑ci ressortaient de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

 

[16]           Les agents n’ont pas l’obligation de faire part au demandeur des problèmes qui découlent directement des dispositions de la Loi ou de son règlement d’application : Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 55, 288 N.R. 48, au paragraphe 10; Pan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 838, 90 Imm. L.R. (3d) 309, au paragraphe 26; Johnson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 2, 163 A.C.W.S. (3d) 439, au paragraphe 34; Ayyalasomayajula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 248, 155 A.C.W.S. (3d) 941, au paragraphe 18.

 

[17]           En fait, les options dont disposait M. Al‑Ghazali en matière de preuve pour établir son admissibilité au Canada ressortaient clairement du paragraphe 34(1) de la LIPR, et l’agent n’était pas tenu d’aider M. Al‑Ghazali à le convaincre.

 

[18]           Même si l’agent des visas aurait dû lui dire expressément qu’il pouvait produire une preuve démontrant la nature de la MOG en tant qu’organisation, M. Al‑Ghazali ne m’a pas convaincue que le défaut de le faire lui avait causé un préjudice.

 

[19]           À l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, M. Al‑Ghazali a produit certains renseignements sur les conditions en vigueur dans le pays qui font référence à la MOG. J’ai examiné ces renseignements avec soin et constaté qu’ils ne contredisent ou ne remettent autrement en question d’aucune façon la conclusion de l’agent selon laquelle la MOG s’était livrée à des actes visant au renversement du gouvernement yéménite par la force. En fait, une grande partie des renseignements sur lesquels M. Al‑Ghazali s’appuie renforce plutôt cette conclusion.

 

La conclusion de l’agent des visas selon laquelle M. Al‑Ghazali était membre de la MOG était‑elle raisonnable?

 

[20]           M. Al‑Ghazali prétend également que la conclusion de l’agent des visas concernant son appartenance à la MOG était déraisonnable parce qu’elle n’était pas fondée sur une preuve concluante et digne de foi, contrairement à ce qu’exige Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 114.

 

[21]           Selon M. Al‑Ghazali, la conclusion à laquelle l’agent est parvenu au sujet de son appartenance à la MOG reposait uniquement sur les déclarations qu’il avait faites sous serment aux autorités suisses, desquelles il s’était ensuite rétracté. M. Al‑Ghazali soutient que la conclusion des autorités suisses selon laquelle sa demande d’asile n’était pas crédible confirme qu’il a menti au sujet de ses liens avec la MOG.

 

[22]           Je rejette cet argument. Il était raisonnablement loisible à l’agent des visas de conclure qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Al‑Ghazali avait été membre de la MOG compte tenu que c’est ce qu’il avait déclaré sous serment lorsqu’il avait demandé l’asile en Suisse.

 

[23]           Même si les autorités suisses ont conclu que la demande d’asile de M. Al‑Ghazali n’était pas crédible, l’agent des visas n’avait pas l’obligation d’accepter le nouveau récit des faits de celui‑ci : Shkabari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 856, 150 A.C.W.S. (3d) 201, aux paragraphes 19, 28 et 29; Cheung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 710, 235 F.T.R. 150, aux paragraphes 3, 4, 7 et 20; Dust Parast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 660, 153 A.C.W.S. (3d) 1210, aux paragraphes 13 et 14.

 

[24]           En outre, il ressort d’un examen de la décision des autorités suisses que la norme de preuve appliquée à la demande d’asile de M. Al‑Ghazali est différente de celle qui s’applique à une interdiction de territoire fondée sur le paragraphe 34(1) de la LIPR. M. Al‑Ghazali était tenu de démontrer le bien‑fondé de la demande d’asile présentée en Suisse selon la prépondérance des probabilités, alors que l’agent des visas devait seulement avoir des motifs raisonnables de croire que M. Al‑Ghazali était membre de la MOG.

 

[25]           Dans Mugesera, la Cour suprême du Canada a indiqué que la norme de preuve correspondant à l’existence de « motifs raisonnables de croire » exige « davantage qu’un simple soupçon, mais rest[e] moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile » [non souligné dans l’original]. Elle a ajouté que « la croyance doit […] posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » : au paragraphe 114.

 

[26]           M. Al‑Ghazali a raconté deux histoires essentiellement différentes concernant son appartenance à la MOG, modifiant son récit seulement lorsqu’il était dans son intérêt de le faire. Il est évident qu’au moins une de ses histoires est fausse. L’agent a conclu que l’autre était véridique.

 

[27]           Je reconnais qu’il peut être difficile pour M. Al‑Ghazali de comprendre comment l’agent des visas a pu considérer qu’il mentait en niant être membre de la MOG après que les autorités suisses eurent conclu qu’il mentait en affirmant en être membre.

 

[28]           Cependant, comme la Cour d’appel fédérale l’a mentionné dans Agraira c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CAF 103, 415 N.R. 121, au paragraphe 73, cette absurdité « est plus apparente que réelle ». M. Al‑Ghazali a prétendu être membre de la MOG lorsque cela faisait son affaire, puis il a nié qu’il en était membre lorsque cela convenait à une autre fin.

 

[29]           L’agent des visas ayant interrogé M. Al‑Ghazali en personne, il était en mesure d’apprécier sa crédibilité et de décider à quel récit il devait ajouter foi. Il a conclu que l’information fournie sous serment par M. Al‑Ghazali aux autorités suisses était crédible et que sa rétractation subséquente ne l’était pas. C’est l’agent des visas qui était le mieux placé pour faire cette appréciation, et M. Al‑Ghazali ne m’a pas convaincue que celle‑ci était déraisonnable.

 

[30]           Ayant déterminé que les déclarations faites par M. Al‑Ghazali aux autorités suisses étaient crédibles, l’agent des visas avait clairement des motifs raisonnables de croire que M. Al‑Ghazali était membre de la MOG.

 

Conclusion

 

[31]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je conviens avec les parties que l’affaire ne soulève pas une question à certifier.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2130‑11

 

INTITULÉ :                                                  AL‑GHAZALI FOUAD c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 18 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 19 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dov Maierovitz

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John Provart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Etienne Gertler LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.