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Date : 20120217


Dossier : IMM-5122-11

Référence : 2012 CF 226

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2012

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

 

FALULULLA PEER MUHAMMED

RIFAYA MOHAMED HALALDEEN

RISLA BEGUM FALULULLA

 

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Peer Muhammed craint, s’il est renvoyé au Sri Lanka, d’être persécuté, et même tué, par un certain M. Perera et les personnes qui agissent de concert avec lui. M. Perera a déclaré une vendetta personnelle contre M. Peer Muhammed parce que celui‑ci l’a licencié. De plus, M. Peer Muhammed, qui est un Tamoul musulman, a joué un rôle dans l’agrandissement d’un centre communautaire musulman, un projet auquel s’opposaient différentes personnes, dont M. Perera, qui est un nationaliste cinghalais.

 

[2]               La commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a déterminé que M. Peer Muhammed avait des raisons de craindre que M. Perera et ses complices s’en prennent à lui en raison de sa religion et des opinions politiques qui lui étaient attribuées. Elle a toutefois conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention des Nations Unies, ni une personne à protéger au Canada car il existait une possibilité de refuge intérieur au Sri Lanka, plus particulièrement dans les districts de l’Est du pays qui sont à prédominance tamoule et où habitent presque exclusivement des musulmans.

 

[3]               Deux questions sont en litige dans le cadre du contrôle judiciaire de cette décision. La question générale consiste à savoir si la décision était raisonnable. De plus, les demandeurs soutiennent que, en plus de tenir compte de leur religion et de leurs opinions politiques, qui sont des motifs prévus par la Convention, la commissaire aurait dû aussi prendre en compte le fait qu’ils étaient persécutés en raison de leur origine ethnique puisque les musulmans sont considérés comme un groupe ethnique au Sri Lanka.

 

[4]               En ce qui concerne la deuxième question, les agents de persécution ont toujours été les mêmes, peu importe que l’on considère que la persécution était fondée sur la race, la religion, les opinions politiques attribuées ou l’appartenance à un groupe social. En conséquence, aucune analyse distincte n’était nécessaire.

 

[5]               Alors qu’il était le gérant de la quincaillerie de son beau‑père à Ambanpola, M. Peer Muhammed a licencié M. Perera, un inspecteur de police à la retraite, à cause de ses relations d’affaires suspectes. M. Perera a juré de se venger. Il y avait un centre communautaire musulman sur un terrain et dans un immeuble donnés par le beau‑père de M. Peer Muhammed. En 2005, M. Peer Muhammed, qui était le président du conseil d’administration, a lancé le processus d’approbation de l’agrandissement du centre, par suite de quoi il y a eu des appels téléphoniques de menaces, ses enfants ont été menacés d’enlèvement, la police n’a rien fait et sa maison a été dévalisée. M. Perera l’a agressé et d’autres personnes se sont jointes à lui. La police n’a toutefois rien fait.

 

[6]               M. Peer Muhammed s’est ensuite enfui avec sa famille chez l’oncle de sa femme à Kandy. Il a continué à piloter le projet par téléphone. On a cependant retrouvé sa trace et des personnes l’ont abordé. La famille s’est enfuie au Canada par la suite.

 

[7]               M. Peer Muhammed a été jugé crédible, malgré le fait que ses deux enfants aînés s’étaient désistés de leurs demandes d’asile, étaient retournés vivre dans une autre partie du Sri Lanka et n’avaient subi aucun préjudice de la part de M. Perera ou d’une autre personne, même s’ils avaient été menacés d’enlèvement.

 

[8]               La commissaire a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, M. Perera ne pourrait ni ne voudrait retrouver M. Peer Muhammed dans l’Est du Sri Lanka car ce dernier n’était plus associé au centre communautaire en construction, et que, s’il était entouré d’autres musulmans, il serait en sécurité et libre de pratiquer sa religion et de participer à des projets communautaires.

 

[9]               La commissaire a déterminé qu’il serait raisonnable de déménager dans la province de l’Est. Elle a constaté que le district de Batticaloa était à prédominance tamoule et que la population de certaines régions était composée presque exclusivement de musulmans. Cette conclusion était fondée sur le Report of Information Gathering Visit to Columbo, Sri Lanka 23‑29 August 2009, daté du 22 octobre 2009. La visite en question avait été entreprise par le Foreign and Commonwealth Office Migration Directorate, à la demande du United Kingdom Border Agency Country of Origin Information Service. Le paragraphe 5.6 de ce rapport indique ce suit :

            [traduction] La province de l’Est offre un portrait plus contrasté. Le district de Batticaloa est principalement tamoul, mais certaines régions sont habitées presque exclusivement par des musulmans. Un grand nombre de musulmans, de Cinghalais et de Tamouls vivent dans les districts d’Ampara et de Trincomalee.

 

[10]           L’arrêt de principe sur la question de la possibilité de refuge intérieur est Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, [1993] ACF no 1172 (QL), qui a été rendu par la Cour d’appel fédérale. Le critère applicable comporte deux volets. Pour que l’on puisse conclure à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur, il faut que le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté ou d’être exposé à la persécution, à une menace à sa vie ou au risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités et, en outre, que la situation dans la région envisagée soit telle qu’il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, d’y chercher refuge.

 

[11]           La question de savoir s’il existe une possibilité de refuge intérieur n’est que l’un des aspects dont il faut tenir compte pour savoir si un demandeur d’asile est un réfugié. Il incombe au demandeur d’asile d’établir qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution partout dans le pays : voir Thirunavukkarasu, précité, et Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, [1991] ACF no 1256 (QL) (CAF).

 

[12]           En l’espèce, il n’était peut‑être pas nécessaire que la commissaire laisse entendre que M. Peer Muhammed serait en sécurité seulement dans les régions où la population est constituée principalement de musulmans, mais, de toute façon, cette conclusion n’était pas déraisonnable : voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008]1 RCS 190, au paragraphe 47.

 

[13]           C’est le deuxième volet du critère qui est en cause en l’espèce, soit la question de savoir s’il serait raisonnable pour le demandeur d’asile de déménager. Le juge Linden a dit ce qui suit, aux paragraphes 13 et 14 de Thirunavukkarasu, précité, au sujet de la question de savoir s’il serait objectivement déraisonnable pour un demandeur d’asile de se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur :

[13]      Permettez-moi de préciser. Pour savoir si c’est raisonnable, il ne s’agit pas de déterminer si, en temps normal, le demandeur choisirait, tout compte fait, de déménager dans une autre partie plus sûre du même pays après avoir pesé le pour et le contre d’un tel déménagement. Il ne s’agit pas non plus de déterminer si cette autre partie plus sûre de son pays lui est plus attrayante ou moins attrayante qu’un nouveau pays. Il s’agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs. Autrement dit pour plus de clarté, la question à laquelle on doit répondre est celle-ci : serait-ce trop sévère de s’attendre à ce que le demandeur de statut, qui est persécuté dans une partie de son pays, déménage dans une autre partie moins hostile de son pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l’étranger?

 

[14]      La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l’autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S’il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu’il s’expose à un grand danger physique ou qu’il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. Par exemple, on ne devrait pas exiger des demandeurs de statut qu’ils risquent leur vie pour atteindre une zone de sécurité en traversant des lignes de combat alors qu’il y a une bataille. On ne devrait pas non plus exiger qu’ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, par exemple dans une caverne dans les montagnes, ou dans le désert ou dans la jungle, si ce sont les seuls endroits sûrs qui s’offrent à eux. Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu’ils n’aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu’ils n’y ont ni amis ni parents ou qu’ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S’il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d’être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n’est pas un réfugié.

 

[14]           M. Peer Muhammed soutient tout d’abord qu’aucun endroit particulier n’a été désigné comme étant sûr et qu’il serait déraisonnable pour lui de déménager dans la province de l’Est.

 

[15]           Il ne suffit pas d’affirmer seulement qu’il existe une possibilité de refuge intérieur, mais il n’est pas nécessaire d’indiquer une adresse municipale. À mon avis, la mention des régions de la province de l’Est habitées principalement par des musulmans était suffisante.

 

[16]           On a fait valoir qu’il serait déraisonnable d’obliger M. Peer Muhammed à déménager dans l’Est parce que, bien que cette région n’ait pas été aussi ravagée par la guerre civile que d’autres parties du pays, des mines terrestres non explosées s’y trouvent et l’infrastructure laisse grandement à désirer. Il s’agit cependant d’une situation à laquelle sont confrontés des millions de Sri‑Lankais, Cinghalais et Tamouls, qu’ils soient bouddhistes, hindous, chrétiens ou musulmans. Dans Megag c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 71 FTR 64, [1993] ACF no 1459 (QL), le juge Rothstein, qui était alors juge à la Cour fédérale, a examiné la situation existant dans le nord de la Somalie. Il a dit au paragraphe 8 : « Quant à l’instabilité, je ne crois pas que le critère du caractère raisonnable puisse être formé de ce seul élément. Ce critère s’applique à la situation personnelle de chaque requérant. »

 

[17]           La présente demande doit être rejetée. Les parties et la Cour conviennent qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


ORDONNANCE

 

            POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI‑DESSUS,

            LA COUR ORDONNE :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-5122-11

 

INTITULÉ :                                            MUHAMMED ET AL c

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                  ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 9 février 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                            LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                           Le 17 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rishma N. Shariff

                            POUR LES DEMANDEURS

 

Jamie Freitag

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Caron & Partners LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

                            POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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