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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120614

Dossier : IMM-8688-11

Référence : 2012 CF 737

Ottawa (Ontario), ce 14e jour de juin 2012

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

Gyorgyne KOCSIS

 

Partie demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’Anna Brychcy, membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi). Le tribunal a rejeté la demande d’asile de Gyorgyne Kocsis (la demanderesse) concluant que celle-ci n’avait pas la qualité de réfugiée ni celle de personne à protéger au sens de la Loi.

[2]          La demanderesse est une citoyenne de la Hongrie. Elle est Tsigane et allègue être persécutée en Hongrie en raison de sa race et de son appartenance à un groupe social, étant d’origine Romni.

 

[3]          Dans sa décision datée du 24 octobre 2011, le tribunal a accepté l’histoire de la demanderesse comme véridique. Il a conclu que la question déterminante était celle de la protection offerte par l’État.

 

[4]          La demanderesse soulève les questions en litige suivantes :

a.       Le tribunal a-t-il erré en ne procédant pas à une analyse de la crainte subjective de la demanderesse advenant son retour en Hongrie?

 

b.      Le tribunal a-t-il erré en concluant que la protection par l’État existait en Hongrie?

 

 

 

[5]          La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Les deux questions soulèvent une question mixte de faits et de droit, soit l’identification du test et des critères applicables et l’application de ces critères au cas en l’espèce. La détermination de la protection par l’État faite par le tribunal a été reconnue comme une question mixte de faits et de droit dans Mendoza c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 119, aux paragraphes 26 et 27; Soto c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1183, au paragraphe 26 et Burgos c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1537, au paragraphe 17. De plus, l’appréciation de la preuve et les questions de faits ressortent de la compétence du tribunal (Akhter c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 914 au para 22). Cette Cour doit donc déterminer si la décision et les conclusions du tribunal sont justifiées, transparentes et intelligibles, appartenant « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au para 47 [Dunsmuir]).

 

* * * * * * * *

 

1.       Le tribunal a-t-il erré en ne procédant pas à une analyse de la crainte subjective de la demanderesse advenant son retour en Hongrie?

 

 

[6]          La demanderesse devait faire preuve d’une crainte subjective de persécution fondée sur une réalité objective, cette réalité objective pouvant être basée sur la preuve documentaire (Alexibich c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 53 au para 16). Plus spécifiquement, un revendicateur d’asile au Canada doit établir un lien crédible entre sa revendication et la situation objective dans son pays d’origine pour être reconnu comme un réfugié selon la Loi (Al-Shammari c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 364 au para 24).

 

[7]          Le tribunal n’a pas tiré de conclusions spécifiques quant à la crainte subjective de la demanderesse. Le tribunal a plutôt cru l’histoire de la demanderesse, ne mettant pas en doute sa crédibilité et donc sa crainte. Toutefois, le tribunal a conclu que l’histoire de la demanderesse ne révélait pas d’incidents de persécution. De plus, le tribunal a expliqué que la question déterminante dans la présente affaire était celle de la disponibilité de la protection de l’État. Conséquemment, si la demanderesse devait retourner en Hongrie, ce pays serait capable de la protéger si elle se faisait harceler en raison de ses origines. Ainsi, le tribunal n’a pas erré en n’énonçant pas de conclusions spécifiques dans sa décision quant à la crainte subjective de la demanderesse et il n’a pas omis de considérer sa situation advenant son retour, se concentrant davantage sur la protection offerte par l’État. L’intervention de cette Cour n’est donc pas justifiée sur cette base : la demanderesse n’a pas démontré que la décision et les conclusions du tribunal sont déraisonnables.

 

2.       Le tribunal a-t-il erré en concluant que la protection par l’État existait en Hongrie?

 

 

[8]          La demanderesse soumet que le tribunal a erré en concluant que la protection d’État était disponible en Hongrie, le tribunal ayant omis de considérer toute la preuve documentaire, notamment en ce qui a trait aux relations entre la police et les Roma et l’efficacité des mesures en place. La demanderesse s’appuie sur les décisions Kovacs c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1003 [Kovacs] et Bors c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1004.

 

[9]          Le défendeur, pour sa part, plaide que la conclusion du tribunal quant à la protection offerte par l’État est raisonnable, celle-ci étant ancrée dans la preuve au dossier. Le défendeur ajoute que la demanderesse a allégué n’être victime que d’incidents isolés d’harcèlement, incidents qui n’ont jamais été dénoncés aux autorités hongroises. Enfin, le défendeur souligne que la demanderesse dit n’avoir eu aucun problème entre sa plus grave agression en 2004 et son départ en 2009.

 

[10]      À mon avis, bien que les parties soient d’accord sur le droit applicable quant à la protection offerte par l’État, la demanderesse n’a pas réfuté la présomption de l’existence de protection en Hongrie par une preuve claire et convaincante, ce qui est fatal à sa demande de réfugiée (Kovacs, ci-dessus au para 55).

 

[11]      Le tribunal avait l’obligation de considérer la preuve au dossier, mais il n’avait aucune obligation de mentionner chaque élément de preuve sur lequel s’appuie la demanderesse (Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, 157 F.T.R. 35; Zhou c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) au para 1; Kanagaratnam c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n1069, 83 F.T.R. 131 au para 6). Le tribunal est plutôt présumé avoir considéré toute la preuve au dossier (Florea c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n598 (C.A.F.) au para 1). La demanderesse dans son mémoire identifie deux documents que le tribunal aurait omis de considérer. Cependant, au contraire, le tribunal a explicitement mentionné ces documents dans sa décision, référant spécifiquement à des informations contenues dans ceux-ci, notamment en ce qui a trait à l’accusation de quatre individus suite à des enquêtes sur le harcèlement des Roma en 2008 et 2009 et à l’existence de fonds pour venir en aide aux Roma.

 

[12]      De plus, dans son analyse de la preuve documentaire, le tribunal ne s’appuie pas exclusivement sur la volonté de l’État, mais aussi sur l’efficacité des mesures mises en place en Hongrie. Par exemple, en discutant des mesures prises pour réduire la discrimination au niveau de l’emploi, le tribunal note que suite à l’instauration de ces programmes, un certain nombre de Roma auraient réussi à trouver du travail; en discutant des enquêtes policières, le tribunal mentionne l’arrêt de quatre individus; en considérant l’imposition d’amendes en cas de discrimination, le tribunal identifie une pizzeria qui s’est vu imposer une amende à cause de son affichage discriminatoire. Quant à l’efficacité des interventions policières, le tribunal mentionne qu’un site web discriminatoire a été fermé suite à l’intervention des autorités hongroises. Il est donc faux d’affirmer que le tribunal n’a pas considéré l’efficacité des mesures prises en Hongrie pour remédier à la discrimination des Roma.

 

[13]      Ainsi, le tribunal a non seulement considéré la volonté d’agir de l’État, mais aussi l’efficacité des mesures qu’il a mises en place. Toutefois, ce n’était pas là le facteur décisif pour conclure que la protection était disponible pour la demanderesse. Le tribunal a aussi retenu que celle-ci n’a entrepris aucune démarche pour contacter les autorités suite aux incidents d’harcèlement qu’elle a subis, comme dans l’affaire Horvath v. Minister of Citizenship and Immigration, 2012 FC 253, aux paragraphes 16 et 19.

 

[14]      Par ailleurs, la présente affaire peut être distinguée de Kovacs, où il était admis que le demandeur et sa famille faisaient face à un danger grave et étaient victimes de plusieurs incidents de violence en raison de leur origine Romni (voir le paragraphe 70). Ici, le tribunal a raisonnablement conclu que la demanderesse ne faisait pas face à des dangers comparables, n’ayant été blessée qu’une seule fois, suite à une chute à l’occasion d’un transport en commun. Il n’y a eu aucun acte récurrent de violence contre la demanderesse.

 

[15]      Il suffit de rappeler que le tribunal peut, en raison de son domaine d’expertise, faire le tri dans la preuve devant lui (Ganiyu-Giwa c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 506 au para 2). Tel qu’expliqué par le juge Marcel Joyal dans Omar c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 665, au paragraphe 7 :

. . . Pour chaque élément de preuve mentionné par [le tribunal], l’avocat a pu trouver une preuve contradictoire, et pour chaque conclusion tirée, il a pu exposer d’autres points de vue. Toutefois, le critère dans ces affaires consiste à se demander, non pas si l’affaire pourrait donner lieu à une conclusion différente, mais si un tribunal, compte tenu des éléments de preuve dont il disposait, pouvait à juste titre parvenir à la conclusion qu’il a tirée.

 

 

 

[16]      En la matière, chaque cas est un cas d’espèce. Ici, la décision du tribunal, prise dans son ensemble, m’apparaît raisonnable, appartenant « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus au para 47).

 

* * * * * * * *

 

[17]      Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[18]      Je suis d’accord avec les procureurs des parties qu’il n’y a pas ici matière à certification.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié concluant que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugiée ni celle de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8688-11

 

INTITULÉ :                                       Gyorgyne KOCSIS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphanie Valois                            POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Evan Liosis                                    POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois                                                           POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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