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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120503


Dossier : T-70-11

Référence : 2012 CF 517

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2012

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

 

LA PREMIÈRE NATION KWICKSUTAINEUK AH-KWA-MISH

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, MARINE HARVEST CANADA INC. ET EWOS CANADA LTD., s/n MAINSTREAM CANADA

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Cette demande de contrôle judiciaire est une conséquence directe du jugement rendu par la Cour suprême de la Colombie-Britannique le 9 février 2009, Morton v British Columbia (Agriculture and Lands), 2009 BCSC 136, 174 ACWS (3d) 103 (la décision Morton), où elle a conclu que le régime provincial de réglementation de l’aquaculture était inconstitutionnel et que l’élevage de poissons relève exclusivement de la compétence fédérale. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a invalidé le régime provincial de réglementation, qui selon elle outrepassait la compétence de l’Assemblée législative provinciale, mais a suspendu l’application de son jugement pour une période de 12 mois. Cette suspension en ensuite été prolongée jusqu’au 18 décembre 2010 (Morton v British Columbia (Agriculture and Lands), 2010 BCSC 100, 2 BCLR (5th) 306), afin que le fédéral dispose d’un délai suffisant pour étudier la question et établir un régime réglementaire fédéral.

 

[2]               Ce jugement signifiait qu’environ 680 permis provinciaux d’aquaculture expireraient le 18 décembre 2010 et ne pourraient pas être renouvelés par la province. Le fédéral avait donc 22 mois pour mener des consultations et mettre en œuvre un régime entièrement nouveau de réglementation et d’autorisation des activités d’aquaculture et pour se préparer à délivrer des permis fédéraux d’aquaculture devant entrer en vigueur le 19 décembre 2010.

 

[3]               À la suite de consultations portant sur le nouveau régime de réglementation et sur les modalités communes qui s’appliqueraient à chaque nouveau permis, le nouveau règlement du ministère des Pêches et des Océans (le MPO) est entré en vigueur le 9 décembre 2010, et la plupart des permis délivrés sont entrés en vigueur le 19 décembre 2010.

 

[4]               En vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F-7, la Première Nation Kwicksutaineuk Ah-Kwa-Mish (la PNKA, ou la demanderesse) a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du MPO de délivrer des permis d’élevage de poissons aux deux sociétés défenderesses, Ewos Canada Ltd., exploitée sous le nom de Mainstream Canada (Mainstream Canada) et Marine Harvest Canada Inc. (Marine Harvest).

 

1. Les faits

[5]               La demande concerne l’aquaculture en Colombie-Britannique, plus précisément la salmoniculture. Le mot « aquaculture » s’entend de la forme aquatique de l’agriculture, où les stocks sont élevés, amenés à une taille commercialisable, puis récoltés en vue de leur transformation, de leur vente et de leur consommation. Les poissons sont une classe de vertébrés qui a été domestiquée avec succès grâce à l’aquaculture. Le saumon de l’Atlantique est la principale espèce de l’industrie de l’aquaculture au Canada.

 

[6]               La salmoniculture a un poids important dans l’économie. Ce secteur génère plus de 50 millions $ chaque année en salaires. En 2007, par exemple, cette activité a apporté 370 millions $ à l’économie provinciale (affidavit d’Andrew Thomson, paragraphes 9 à 16; dossier du défendeur, pages 359‑361).

 

[7]               Il semble y avoir quelque 28 fermes de pisciculture dans l’archipel de Broughton, lesquelles élèvent surtout des saumons de l’Atlantique. Cet archipel se trouve sur la côte ouest de la Colombie‑Britannique, entre l’anse Kingcome et l’anse Knight, à l’extrémité sud du détroit de la Reine-Charlotte, sur la côte centre-sud de la Colombie-Britannique, et il a une superficie d’environ 5 000 kilomètres carrés.

 

[8]               La ferme Burdwood se trouve dans le passage Raleigh, au large de l’archipel Burdwood Group. Cette exploitation a une superficie de 34,33 hectares. Son premier permis d’aquaculture lui a été délivré par la province le 17 février 1992. En juillet 2005, Mainstream Canada a acheté la ferme Burdwood ainsi que plusieurs autres exploitations, à Heritage Salmon Limited. La ferme Burdwood continue d’être un site aquacole productif et, selon Mainstream Canada, elle est un élément essentiel des activités de Mainstream Canada sur la côte est de l’île de Vancouver. Le permis délivré par la province pour ce site autorisait la production de saumon de l’Atlantique jusqu’à une production maximale totale par cycle de 3 000 tonnes métriques et jusqu’à une superficie maximale nette réservée aux cages de 12 600 m2 (affidavit d’Andrew Thomson, paragraphes 111 et 112, affidavit Jensen, paragraphes 10, 17 à 22, 24 et 81, dossier d’Ewos Canada Ltd.).

 

[9]               Le site de Blunden Pass se trouve dans le passage Blunden, au large de l’île Baker. L’exploitation a une superficie de 16,1 hectares. Le premier permis d’aquaculture pour ce site a été délivré par la province vers le 24 février 1993. Le permis provincial autorisait la production de saumon de l’Atlantique et de morue charbonnière jusqu’à une production maximale totale par cycle de 1 840 tonnes métriques et jusqu’à une superficie maximale nette réservée aux cages de 7 200 m2. Il semble que ce site est en jachère depuis 2003, mais il s’agit d’un site auxiliaire qui sera utilisé pour permettre la mise en jachère d’autres sites.

 

[10]           La demanderesse est un groupe autochtone et une bande d’Indiens au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, ch I-5, dont le territoire traditionnel se trouve à l’intérieur de l’archipel de Broughton, près du détroit Johnstone, entre la Colombie-Britannique continentale et l’île de Vancouver. Elle fait partie du conseil tribal Musgamagw Tsawataineuk (le CTMT), avec les trois Premières Nations suivantes : la Tribu Gwawaenuk, la Première Nation Namgis et les Tsawataineuk.

 

[11]           La PNKA compte dix réserves indiennes au sens de la Loi sur les Indiens, qui sont situées dans l’archipel de Broughton et qui sont liées à leurs sites traditionnels de pêche. Elle affirme que les eaux marines de l’archipel de Broughton sont ses lieux de pêche et que la pêche de poissons et de fruits de mer à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles dans cette région fait partie intégrante de sa culture distinctive en tant que groupe autochtone. La pêche est l’occupation principale des membres de la PNKA depuis des temps immémoriaux. Tant avant qu’après le contact avec les Européens, la pêche a été le principal moyen de subsistance de la PNKA et elle a aussi été d’une grande importance culturelle, selon le chef Robert Chamberlin (dossier de la demanderesse, pages 575-576, paragraphes 11 à 14).

 

[12]           La PNKA affirme que l’abondance et la qualité de ses ressources halieutiques sont en déclin, déclin qu’elle attribue notamment à la présence de fermes salmonicoles sur son territoire. C’est là un thème récurrent dans les consultations menées par les autorités provinciales et fédérales avec divers groupes autochtones depuis l’apparition de la pisciculture. Elle soutient qu’au moins certaines des fermes piscicoles, y compris la ferme Burdwood, se trouvent sur les routes migratoires des stocks de jeunes saumons roses et cohos traditionnellement pêchés par la PNKA, des stocks qui sont actuellement en déclin.

 

[13]           Les fermes piscicoles sont des viviers formés de filets flottants qui sont arrimés au plancher océanique, dans les profondeurs marines, par des ancres, et qui occupent la colonne d’eau surplombant leurs ancres, jusqu’à la surface de l’eau. Ces viviers contiennent des centaines de milliers de poissons qui sont élevés dans une écloserie à partir d’œufs de poissons et qui sont ensuite mis dans les filets, où ils demeurent jusqu’à leur pêche.

 

[14]           La preuve scientifique quant aux risques sanitaires et environnementaux entraînés par les fermes piscicoles fait évidemment l’objet d’un intense débat. La demanderesse, comme bien d’autres groupes autochtones et organisations non gouvernementales s’intéressant à l’environnement, soutient qu’un grand nombre de saumons de l’Atlantique capturés dans ces fermes piscicoles s’échappent dans l’archipel de Broughton, et entrent ensuite en compétition avec les saumons sauvages de la région pour la nourriture qui s’y trouve. Elle dit aussi qu’une grande quantité de déchets et de débris flottants engendrés par les antibiotiques et autres médicaments administrés aux poissons d’élevage quitte les viviers et a un effet néfaste sur les saumons sauvages. Certains scientifiques sont également d’avis que l’aquaculture accélère la prolifération des poux du poisson, lesquels menacent les saumons sauvages, et que la présence de fermes piscicoles fait obstacle aux voies migratoires des saumons sauvages.

 

[15]           De 1988 (année de l’apparition de l’aquaculture en Colombie-Britannique) au mois de février 2009, il revenait généralement à la province de surveiller les activités de l’industrie aquacole conformément aux lois et aux règlements provinciaux. Le fédéral exerçait un rôle relativement restreint en matière d’aquaculture. Le MPO, principal organisme fédéral pour l’aquaculture, avait pour tâche d’administrer, de surveiller et de faire appliquer les lois et les règlements fédéraux en matière de conservation et de protection des lieux de pêche, de protection de l’environnement et des habitats du poisson, ainsi que de santé des animaux aquatiques. Le MPO menait des recherches scientifiques portant sur la politique aquacole et exécutait des projets visant à améliorer les conditions commerciales pour cette industrie. Environnement Canada, Transports Canada, Santé Canada et l’Agence canadienne d’inspection des aliments intervenaient également dans divers aspects de la réglementation de l’industrie. Les responsabilités respectives de la province et du fédéral ont été définies dans un Protocole d’accord de 1988 (affidavit d’Andrew Thomson, paragraphes 18 à 24 et dossier du défendeur, pages 361 à 363).

 

[16]           Comme il est mentionné ci‑dessus, en février 2009, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a jugé que la réglementation de l’aquaculture relevait de la compétence du fédéral et que, par conséquent, le régime provincial de réglementation était invalide. À la suite de ce jugement, il revenait au fédéral d’établir un nouveau régime de réglementation et de prendre les mesures nécessaires pour établir le mécanisme de délivrance des permis fédéraux d’aquaculture. La province conservait un certain pouvoir de délivrer des permis d’occupation relevant de la compétence provinciale aux fins d’aquaculture, de fixer des règles en matière de sécurité au travail et de prendre certaines mesures touchant les pratiques commerciales.

 

[17]           L’avocat du MPO a prétendu que les conséquences de la décision Morton sur le rôle du MPO dans le secteur de l’aquaculture étaient [traduction] « énormes », et il ne fait aucun doute que l’élaboration d’un nouveau régime réglementaire a exigé un travail considérable. Non seulement a-t-il fallu rédiger de nouveaux règlements sur l’aquaculture et trois séries de nouvelles conditions générales régissant les permis d’aquaculture pour les principales catégories d’aquaculture commerciale (poissons marins, mollusques et crustacés, et poissons d’eau douce), mais il a également fallu négocier un nouveau protocole d’accord avec la province, établir tout un régime réglementaire pour l’application de la nouvelle réglementation et délivrer environ 680 permis d’aquaculture.

 

[18]           Pendant l’élaboration de la nouvelle réglementation, en 2009 et au début 2010, le MPO a mené une vaste consultation pour connaître la position des gouvernements et des parties touchées, y compris les Premières Nations et autres groupes autochtones au sujet du développement futur d’une aquaculture durable. Le MPO a organisé environ 30 ateliers dans tout le pays et consulté plus de 500 représentants, ce qui a conduit, en novembre 2010, au document de synthèse appelé Initiative nationale pour des plans d’action stratégiques 2011-2015, ainsi qu’à cinq plans d’action stratégiques, dont le Plan d’action stratégique, Secteur des poissons marins de la Côte Ouest 2011‑2015.

 

[19]           Ces diverses tâches ont manifestement exercé une pression énorme sur le MPO et, plus généralement, sur le gouvernement fédéral. Toutefois, la question en litige est de savoir si la Couronne a rempli son obligation de consultation et, le cas échéant, son obligation d’accommodement en conséquence des consultations engagées par le MPO avec les Premières Nations touchées. Le compte rendu suivant des consultations qui se sont déroulées à partir du début de 2009 et jusqu’à la délivrance des deux permis contestés se fonde sur les affidavits déposés par le chef Robert Chamberlin, au nom de la demanderesse, et par Andrew Thomson, directeur de la Direction de la gestion de l’aquaculture pour la Région du Pacifique du MPO, au nom du ministre des Pêches et des Océans.

 

[20]           La première étape que devait franchir le MPO dans la mise en œuvre de la décision Morton consistait à rédiger un nouveau règlement en vertu de la Loi sur les pêches, LRC 1985, ch F-14, une loi fédérale. Ce règlement est devenu finalement le Règlement du Pacifique sur l’aquaculture, DORS/2010-270 (le Règlement). Selon le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le REIR) publié en juillet 2010 (affidavit d’Andrew Thomson, pièce « C »), des réunions ont eu lieu avec toutes les parties intéressées et touchées par l’élaboration du nouveau régime de réglementation, y compris avec les administrations provinciale et municipales de la Colombie-Britannique, les Premières Nations et autres parties prenantes, dont l’industrie, les groupes de défense de l’environnement et le grand public.

 

[21]           Le 10 mars 2009, le chef Chamberlin a écrit à Paul Sprout, directeur général régional du MPO, pour informer le MPO que la PNKA avait des droits de pêche ancestraux et que le fait d’autoriser des exploitations aquacoles dans l’archipel de Broughton porterait atteinte à ces droits. Le chef Chamberlin demandait aussi la tenue de consultations sur cette question. Le 1er avril 2009, M. Sprout a répondu à la lettre du chef Chamberlin, lui expliquant que le MPO examinait les conséquences de la décision Morton, que le MPO reconnaissait que toute nouvelle réglementation nécessiterait des consultations, et, enfin, que le MPO entendait mener de réelles consultations avec les Premières Nations, l’industrie et les parties prenantes au cours de la transition. La lettre mentionnait expressément que le MPO entendait donner à la PNKA la possibilité de discuter de la gestion et de la réglementation de l’aquaculture avec les représentants du MPO.

 

[22]           Afin de faciliter la tenue de consultations avec un grand nombre de Premières Nations, le MPO a confié à l’Aboriginal Aquaculture Association (Association autochtone de l’aquaculture) et au First Nations Fisheries Council (Conseil des pêches des Premières Nations) la tâche d’organiser des rencontres avec les Premières Nations en Colombie-Britannique. Ces rencontres devaient servir à transmettre de l’information et à obtenir les vues des Premières Nations sur les éléments qui devraient figurer dans un nouveau régime de réglementation de l’aquaculture. L’Aboriginal Aquaculture Association a été établie en 2003 pour favoriser, appuyer et faciliter une participation concrète des Premières Nations dans la mise en valeur d’une aquaculture durable. Le First Nations Fisheries Council fut mandaté par le First Nations Leadership Council de la Colombie-Britannique pour examiner les questions, priorités et préoccupations communes en matière de pêches.

 

[23]           En avril 2009, le MPO a conclu avec l’Aboriginal Aquaculture Association un accord de collaboration pour une gestion conjointe du Programme autochtone de gestion des ressources aquatiques et océaniques, afin de favoriser la tenue de consultations avec les Premières Nations concernant l’aquaculture. Le MPO a également conclu un accord semblable avec le First Nations Fisheries Council pour faciliter la participation de groupes autochtones au dialogue entourant l’utilisation et la gestion des ressources aquatiques et des espaces océaniques, par un renforcement des capacités et un encouragement au dialogue et à la collaboration intercommunautaires. Au total, le MPO a versé 2 143 830 $ en financement des capacités pour des programmes autochtones sur la pêche, notamment des ateliers, des réunions et des consultations sur le Règlement.

 

[24]           Le 14 mai 2009, des représentants du MPO ont rencontré le Fisheries Council afin d’examiner l’approche proposée pour les consultations initiales sur le Règlement et de définir un échéancier serré. Le Fisheries Council s’est déclaré disposé à contribuer au processus global, à examiner les documents de consultation et à donner des conseils.

 

[25]           Les 16 et 17 juin 2009, le MPO a organisé, à Vancouver et à Campbell River, des réunions visant à obtenir les vues des Premières Nations sur la décision Morton. Le ministère souhaitait obtenir des conseils sur l’élaboration de protocoles et plans spécifiques de consultation pour l’examen de propositions de gestion de la réglementation, et se pencher sur les moyens de structurer le régime de gestion de l’aquaculture. Plus de 32 Premières Nations, conseils tribaux et organisations de Premières Nations étaient présents à ces réunions, dont le chef Chamberlin et Sandy Johnson, de la PNKA, ainsi que Brian Wadhams, du CTMT.

 

[26]           Les 10 et 11 décembre 2009, le MPO s’est réuni à Campbell River, en Colombie-Britannique, avec les Premières Nations de la Colombie-Britannique et les groupes concernés pour obtenir leurs réactions et leurs recommandations concernant l’élaboration d’un nouveau régime de réglementation de l’aquaculture des poissons. Le chef Chamberlin était présent à ces deux réunions. Au cours des réunions, le MPO a expliqué le processus d’élaboration de la réglementation, les principes à la base du Règlement, le champ d’application du Règlement, le mode de délivrance des permis et les conditions des permis, les mesures de lutte contre la pollution, les obligations de notification et d’information, les mesures d’exécution, les inspections, les vérifications et les redevances ainsi que les politiques opérationnelles et les lignes directrices.

 

[27]           Le MPO a aussi financé un atelier organisé le 14 décembre 2009 à Nanaimo par l’Aboriginal Aquaculture Association pour discuter notamment de l’élaboration du Règlement et recueillir des points de vue sur la mise en valeur d’une aquaculture durable. Un deuxième atelier a eu lieu au même endroit le 30 mars 2010 pour un examen de ces questions. Il y avait à ces ateliers 25 Premières Nations et quatre organisations de Premières Nations, et le chef Chamberlin était présent aux deux ateliers.

 

[28]           En février et mars 2010, le MPO a soutenu financièrement le First Nations Fisheries Council pour qu’il organise avec les Premières Nations, dans toute la Colombie-Britannique, une série de rencontres communautaires et d’échanges de points de vue. Les rencontres avaient pour objet de partager l’information et de connaître le sentiment des Premières Nations sur l’élaboration d’un nouveau régime de réglementation pour l’aquaculture, compte tenu d’un document de travail rendu public par le MPO en novembre 2009, intitulé Réglementation fédérale en aquaculture pour la C.‑B. et Initiative pour des plans d’action stratégiques – Document de support aux discussions. Le chef Chamberlin était présent à six de ces réunions.

 

[29]           Le First Nations Fisheries Council a rédigé un rapport sommaire de la réunion du 2 mars 2010 à Alert Bay. Après avoir précisé que le Conseil n’est pas un organe consultatif et n’agit pas à ce titre pour le MPO, et donc que [traduction] « les réunions avec le MPO n’avaient nullement valeur de consultation sur le plan juridique », le rapport renferme notamment ce qui suit :

[traduction]

 

Les participants ont déclaré à l’unanimité que les fermes piscicoles, dans leur forme actuelle, ne sont pas acceptables à l’intérieur des territoires traditionnels des Premières Nations présentes, quel que soit leur mode de gestion. Des fermes piscicoles en circuit fermé sont les seules formes acceptables d’aquaculture des poissons dans les territoires des Premières Nations de l’archipel de Broughton. Par ailleurs, il est troublant de constater que des entreprises étrangères sont autorisées à exercer leurs activités dans les eaux territoriales des Premières Nations sans le consentement de celles-ci. Ce sont là des questions fondamentales qui doivent être abordées avant que les Premières Nations puissent véritablement participer à l’établissement d’une réglementation de l’aquaculture. Or l’exposé du MPO se limitait au contenu de la réglementation. Un débat ultérieur aura lieu avec les Premières Nations concernant l’Initiative nationale pour des plans d’action stratégiques en aquaculture (INPASA), mais le peu d’empressement du MPO à discuter de questions particulières ou de la manière dont ces questions seront gérées à l’avenir a pour effet d’établir une séparation artificielle. Les Premières Nations veulent participer à l’établissement d’une nouvelle réglementation de l’aquaculture, mais elles ne sont pas tout à fait sûres que leurs préoccupations seront prises en compte.

 

Dossier des défendeurs, le procureur général du Canada et le ministre des Pêches et des Océans, volume 3, affidavit d’Andrew Thomson, pièce V, page 623.

 

[30]           Puis le rapport fait état du bref échéancier fixé par le MPO :

[traduction]

 

Les Premières Nations ne sont pas toutes pleinement informées du sujet ou des questions. Elles ont besoin de temps pour conférer, pour apprendre, pour créer des capacités, etc. L’échéancier proposé par le MPO semble précipité et ne permettra pas aux Premières Nations de participer véritablement. Comme les Premières Nations ont un intérêt considérable dans l’issue du processus, le MPO devrait être tenu de prendre dûment en compte les préoccupations des Premières Nations. À cet égard, il faut que les Premières Nations se concertent pour définir ce que sont leurs attentes.

 

                        Ibid.

 

 

[31]           Le 26 mai 2010, le First Nations Fisheries Council et le MPO ont constitué un groupe de travail conjoint pour étudier les domaines d’intérêt commun concernant l’aquaculture. Andrew Thomson, du MPO, et le chef Chamberlin étaient les coprésidents du Groupe de travail sur l’aquaculture. Le Groupe de travail s’est réuni à cinq reprises entre juin et décembre 2010, pour examiner les projets du MPO portant sur l’élaboration et la mise en œuvre du nouveau régime de réglementation et de délivrance de permis pour l’aquaculture en Colombie-Britannique

 

[32]           Outre les consultations susmentionnées, le MPO a envoyé le 13 juillet 2010 une lettre à quelque 70 Premières Nations côtières pour les informer que le nouveau projet de règlement sur l’aquaculture avait été publié dans la partie I de la Gazette du Canada, et pour les inviter à s’exprimer sur ce projet au cours de la période de 60 jours réservée à l’examen public. Cette lettre décrivait de manière générale l’approche qu’entendait suivre le MPO pour réglementer l’aquaculture. Elle précisait aussi que, pour les nouveaux permis fédéraux qui allaient être délivrés en décembre 2010, le MPO n’entendait pas apporter de changements aux modalités des autorisations antérieures, c’est-à-dire augmentations de la production, taille des installations existantes ou espèces autorisées. La lettre précisait plutôt que de tels changements seraient examinés au cas par cas au cours des années à venir.

 

[33]           Le MPO a reçu, pour ses lettres du 13 juillet 2010, des réponses directes venant de 12 groupes autochtones qui représentaient 28 Premières Nations. Il a aussi reçu plus de 900 courriels, lettres et télécopies durant la période de 60 jours réservée aux commentaires du public. D’août à novembre 2010, les communications ainsi reçues ont été examinées et les amendements requis ont été apportés. Dans son affidavit, Andrew Thomson affirme que les observations et recommandations reçues ont permis d’affiner plusieurs dispositions du Règlement. Cependant, le chef Chamberlin écrit dans son affidavit qu’aucune des observations faites par la PNKA n’a été intégrée au texte final du Règlement, publié le 8 décembre 2010 dans la partie II de la Gazette du Canada.

 

[34]           Le principal outil de gestion prévu par le nouveau règlement est la délivrance de permis dictant les conditions auxquelles un exploitant doit se conformer. Les conditions du permis énoncent des exigences spécifiques de gestion, par exemple des plans de gestion de la santé du poisson, des exigences de prévention des évasions de poissons, des mesures propres à minimiser les répercussions sur le poisson et sur l’habitat du poisson, et des mesures de surveillance de l’environnement, de tenue de dossiers, et de notifications et rapports.

 

[35]           L’annonce du MPO selon laquelle tous les permis provinciaux d’aquaculture arrivant à expiration seraient remplacés par des permis fédéraux s’est heurtée à l’opposition unanime des trois principales organisations de Premières Nations en Colombie-Britannique. Le 10 août 2010, le First Nations Summit (Sommet des Premières Nations), la Union of BC Indian Chiefs (l’Union des chefs amérindiens de la Colombie-Britannique) et la BC Assembly of First Nations (l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique) ont envoyé au ministre du MPO une lettre commune, dans laquelle ils se disaient préoccupées par le projet du ministère de reconduire les permis d’aquaculture existants. La lettre renfermait aussi leur point de vue selon lequel une telle reconduction, sans consultation et sans que soient pris en compte les empiétements causés par ces permis, [traduction] « serait inconstitutionnelle » (dossier de la demanderesse, volume II, affidavit de Robert Chamberlin, page 632).

 

[36]           Le 24 août 2010, la PNKA a répondu à la lettre du MPO datée du 13 juillet 2010. Elle demandait la convocation d’une réunion où serait examinée sa réponse préliminaire au projet de Règlement et au REIR annexé au Règlement. La réunion a eu lieu à Nanaimo le 2 septembre 2010. Pendant la réunion, M. Thomson a informé le chef Chamberlin que le MPO envisageait d’établir diverses catégories de permis et de conditions pour l’aquaculture et qu’il ferait connaître les projets de permis aux Premières Nations à mesure qu’ils seraient disponibles. Le chef Chamberlin s’est déclaré disposé à examiner les permis et à participer à l’élaboration de leurs conditions, mais il n’a formulé aucune objection concernant les deux installations qui sont l’objet de cette demande de contrôle judiciaire.

 

[37]           Durant cette même réunion, le chef Chamberlin s’est montré intéressé par une planification par zone pour la région de Broughton, et M. Thomson a promis de continuer à discuter de ces aspects avec la PNKA et le CTMT. Le MPO a également indiqué où il en était dans son projet d’élaboration de Plans de gestion intégrée de l’aquaculture (PGIA) en Colombie-Britannique. Cette mise à jour expliquait que les PGIA seraient le mécanisme d’établissement, de concertation et, en général, de communication pour l’élaboration des politiques et pour les conditions de délivrance des futurs permis, et qu’ils seraient fondés sur une approche géographique et écosystémique de la gestion de l’aquaculture. Le MPO n’avait pas précisé la manière dont il définirait les zones de gestion, même s’il prévoyait que chaque zone engloberait probablement les territoires traditionnels revendiqués par une foule de Premières Nations. Il faudrait donc engager des consultations globales dans une grande diversité de tribunes, et des consultations bilatérales au gré des demandes et des besoins. Au cours de la réunion et dans une lettre de suivi, la PNKA a explicitement informé le MPO que la délivrance de permis d’aquaculture risquait de porter atteinte à ses droits ancestraux et que des consultations directes allaient être nécessaires concernant les remplacements projetés de permis dans les lieux de pêche de la PNKA.

 

[38]           Le 24 septembre 2010, le MPO a répondu à cette lettre en demandant une autre réunion avec la PNKA afin de poursuivre la discussion sur les intérêts et préoccupations de la PNKA portant sur le régime de réglementation de l’aquaculture proposé par le MPO. Plus précisément, le MPO voulait discuter de l’approche qu’il proposait pour les permis d’installations d’aquaculture et l’utilisation de PGIA. La lettre ne disait rien de la demande de la PNKA visant la tenue de consultations sur certains permis dans son territoire. La lettre réitérait que les nouveaux permis fédéraux ne comporteraient pas d’augmentations de la production ni de changements à la taille des installations existantes ou aux espèces autorisées, et elle précisait que le MPO s’employait à élaborer des conditions de permis qui établiraient des obligations précises de gestion. Finalement, elle mentionnait que des modèles de permis assortis des conditions applicables seraient mis au point d’ici à la mi-octobre et que le MPO souhaiterait la convocation d’une réunion de suivi pour connaître l’opinion de la PNKA sur ces conditions.

 

[39]           Le 4 octobre 2010, le MPO a écrit aux Premières Nations de la Colombie-Britannique pour les renseigner davantage sur son intention d’établir un nouveau régime de permis fédéraux. La lettre expliquait que le MPO était en train d’établir le nouveau Règlement et veillerait à ce que les exploitations aquacoles existantes soient en mesure d’obtenir un permis fédéral pour exercer légalement leurs activités sous le régime de la Loi sur les pêches. Elle expliquait aussi que l’intention du MPO, quant au nouveau régime de permis, était de développer quatre catégories de permis : pour les poissons marins, pour les poissons d’eau douce, pour les mollusques et crustacés, et pour les installations de mise en valeur. On pourrait alors fixer des obligations spécifiques de gestion comme conditions du permis. La lettre rappelait encore une fois que les nouveaux permis fédéraux ne comporteraient pas d’augmentations de la production ni de changements à la taille des installations existantes ou aux espèces autorisées.

 

[40]           Le 21 octobre 2010, les représentants du MPO ont à nouveau rencontré la PNKA, et cette dernière a présenté un ordre du jour faisant ressortir l’objet de cette réunion. Il y a eu une discussion générale portant sur les PGIA, et le MPO a fait le point sur le Règlement projeté et sur ses intentions concernant la délivrance de permis aux installations existantes, y compris à celles de l’archipel de Broughton. À l’exception d’une demande de la PNKA qui souhaitait obtenir des cartes pour les permis délivrés dans ses territoires traditionnels, il n’y a pas eu d’autre débat sur les permis à la suite de la mise à jour. La PNKA n’a pas fait état de préoccupations à propos de fermes piscicoles précises, par exemple la ferme Burdwood ou celle de Blunden Pass.

 

[41]           Les cartes demandées ont été remises à la PNKA le 2 novembre 2010. Prié de s’exprimer sur les cartes, l’avocat de la PNKA a répondu ce qui suit dans un courriel daté du 9 novembre 2010 : [TRADUCTION] « Les cartes sont satisfaisante, mais il reste la question des effets de champ lointain et de la mesure dans laquelle cela exige une consultation pour les fermes situées à proximité, mais à l’extérieur des frontières de la PNKA. Mais je vous donnerai une réponse plus formelle sur le sujet prochainement. » (Dossier des défendeurs, le procureur général du Canada et le ministre des Pêches et des Océans, volume 4, affidavit d’Andrew Thomson, page 1000). Le MPO n’a pas reçu d’autres observations ou demandes de la PNKA avant le 19 novembre 2010. Par ailleurs, le CTMT a annulé une réunion avec le MPO qui devait avoir lieu le 26 octobre 2010. La réunion a été provisoirement reportée à la deuxième moitié du mois de novembre 2010. Le MPO a demandé trois fois un ordre du jour pour la réunion, mais le CTMT n’en a jamais fourni.

 

[42]           Le 27 octobre 2010, le MPO a envoyé une lettre à toutes les Premières Nations de la Colombie-Britannique, y compris à la PNKA, lettre à laquelle étaient jointes trois ébauches de permis modèle pour les trois principales catégories d’aquaculture commerciale (poissons marins, mollusques et crustacés et poissons d’eau douce). La lettre expliquait que les modèles présentaient le contenu commun des permis que le MPO entendait délivrer et qu’ils englobaient l’éventail complet des conditions que le MPO prévoyait d’inclure dans les permis réels. L’intention du MPO était que les permis comprendraient des renseignements spécifiques propres à chaque exploitation, mais qu’ils suivraient étroitement le modèle. La lettre demandait aussi aux destinataires de fournir leurs observations ou questions sur les modèles de permis avant le 12 novembre 2010. La date limite fut par la suite reportée au 19 novembre 2010, à la demande de l’avocat de la demanderesse.

 

[43]           Le 19 novembre 2010, l’avocat du CTMT et de la PNKA a transmis au MPO ses observations concernant les ébauches de permis. La lettre reconnaissait d’entrée que [TRADUCTION] « les conditions de permis qui sont énoncées dans le modèle sont presque identiques aux conditions de permis figurant dans la réglementation provinciale existante ». Il exposait ensuite, dans les termes suivants, les préoccupations traditionnelles de ses clients à propos des fermes salmonicoles et de l’aquaculture en général :

[TRADUCTION]

 

Notre territoire traditionnel, dans l’archipel de Broughton, connaît depuis près de 20 ans la plus forte concentration de fermes salmonicoles de la province. Durant toute cette période, nous avons eu des consultations avec la province à propos des permis de fermes salmonicoles et de leurs effets sur notre droit ancestral de pêche sur les stocks sauvages. Durant cette période, nous avons constaté dans notre territoire d’importantes infestations de poux du poisson, plusieurs d’épidémies, des fuites nombreuses de saumons atlantiques non indigènes dans nos zones fréquentées par le saumon sauvage, une pollution visible de nos plages coquillières, enfin un déclin général de nos stocks locaux de saumons sauvages, de harengs, d’eulachons et de poissons de fond. Nous sommes très préoccupés par l’emploi intensif et l’accumulation de pesticides, d’antibiotiques et d’agents antisalissures dans notre écosystème marin – le système qui est depuis des temps immémoriaux la principale source de notre alimentation. L’emploi de lumières de nuit et les prises accessoires dans les enclos en filet sont également des sujets de grande inquiétude pour nous, car ils sont des causes d’appauvrissement de nos stocks sauvages. À ce jour, ces difficultés et préoccupations n’ont nullement été résolues, et nous ne voyons aucun progrès dans l’adoption par le MPO de l’ancien régime provincial.

 

(Dossier de la demanderesse, volume II, affidavit de Robert Chamberlin, page 649)

 

[44]           Au lieu de consacrer du temps et des ressources à l’examen technique détaillé d’un modèle de conditions génériques des permis, modèle qui soulevait des questions auxquelles il était selon lui mal placé pour répondre, l’avocat écrivait pour la première fois que ses clients souhaitaient se concentrer sur des consultations portant sur les préoccupations suscitées par les conséquences et les risques des permis d’aquaculture des poissons dans le territoire traditionnel de la PNKA. Selon lui, les conditions du modèle de permis ne répondaient pas aux préoccupations de la PNKA et du CTMT.

 

[45]           Dans cette même lettre, le CTMT et la PNKA énonçaient aussi pour la première fois une position selon laquelle, avant de songer à délivrer des permis fédéraux, il fallait examiner les questions systémiques se rapportant à toutes les fermes salmonicoles de l’archipel de Broughton :

[traduction]

 

Dans une lettre adressée à vous et portant la date du 8 septembre 2010, l’une de nos nations membres soulignait son vif intérêt pour un plan de gestion par zone dans l’archipel de Broughton. C’est là une approche qui nous permettra d’échanger des renseignements essentiels et fondamentaux, par exemple : combien de fermes y a-t-il dans notre territoire collectif? quels sont leurs volumes et leurs cycles de production? y aura-t-il une stratégie de mise en jachère pour tenir compte de l’exode de nos stocks locaux de poissons sauvages? existe-t-il des processus permettant d’évaluer les effets cumulatifs d’un grand nombre de fermes dans l’écosystème de l’archipel de Broughton? À notre avis, ce sont là des notions fondamentales qui doivent être considérées avant que le MPO ne délivre des permis d’aquaculture dans notre territoire, et avant que l’on discute en détail des conditions de permis.

 

(Dossier de la demanderesse, volume II, affidavit de Robert Chamberlin, page 649)

 

 

 

[46]           À première vue, cette nouvelle position adoptée par le CTMT et la PNKA aurait requis la tenue de consultations multilatérales avec toutes les Premières Nations touchées de l’écosystème de l’archipel de Broughton, consultations qui auraient porté sur un plan de gestion par zone pour l’archipel de Broughton. La mise au point de ce plan (y compris de toute stratégie requise de mise en jachère pour l’ensemble de la région) avant la délivrance de permis prenant effet le 19 décembre 2010 aurait aussi été nécessaire.

 

[47]           En réponse à une demande faite par le CTMT et la PNKA dans leur lettre du 19 novembre 2010, une réunion a eu lieu le 10 décembre 2010. Les propos échangés durant cette réunion ne sont pas tout à fait clairs, car ils n’ont pas été consignés explicitement. Il semble que le CTMT et la PNKA y modifiaient quelque peu leur position. Ils ne demandaient pas au MPO d’engager des consultations et d’établir un plan de gestion par zone et une stratégie de mise en jachère pour la région de l’archipel de Broughton au cours des huit jours précédant l’expiration des permis provinciaux. Le CTMT et la PNKA reconnaissaient plutôt qu’il était raisonnable, eu égard aux circonstances, que les consultations relatives aux fermes salmonicoles de la région de l’archipel de Broughton et à leurs répercussions sur les droits ancestraux revendiqués par le CTMT et la PNKA allaient devoir se poursuivre au cours d’une période transitoire après la délivrance des permis fédéraux. Durant la période transitoire d’un an, les consultations relatives à une approche de gestion par zone, ainsi qu’à des questions non régionales, propres à telle ou telle exploitation aquacole, se poursuivraient.

 

[48]           Le chef Chamberlin reconnaissait aussi qu’un vide réglementaire pour les fermes pourvues en poissons n’était pas souhaitable et il a pris acte de l’expiration imminente des permis provinciaux. Le CTMT et la PNKA voulaient qu’aucun permis ne soit délivré pour les catégories de fermes salmonicoles suivantes :

a) les fermes qui n’étaient pas actuellement pourvues en poissons, car il n’était pas immédiatement nécessaire pour le MPO d’autoriser l’activité de fermes piscicoles inactives (l’une d’elles est celle de Blunden Pass);

b) les deux fermes – Upper Retreat et Blunden Pass – qui sont dans des zones peu profondes et ont des fonds meubles ayant par le passé causé une accumulation de substances délétères néfastes à l’habitat du poisson, et qui se trouvent à proximité de gisements de palourdes et de crabes ayant connu une forte augmentation de la pollution sédimentaire;

c) les six fermes clés du territoire du CTMT – Burdwood, Sargent’s Pass, Humphrey Rock, Glacier Falls, Cliff Bay et Sir Edmund – qui se trouvent sur la principale route migratoire des stocks de saumoneaux, actuellement très menacés (subsidiairement, la PNKA a demandé que ces fermes soient éliminées dès que cela sera possible).

 

[49]           C’était la première fois, au cours des consultations, que le CTMT et la PNKA communiquaient au MPO des préoccupations sur des installations précises, ainsi que des demandes de changement se rapportant à des fermes précises (par exemple la ferme Burdwood et la ferme de Blunden Pass, qui sont l’objet de la présente demande). Dans une lettre postérieure à cette réunion et datée du 17 décembre 2010, l’avocat du CTMT et de la PNKA écrivait qu’ils [TRADUCTION] « espèrent que leurs observations provisoires seront reflétées dans les décisions [touchant les permis] [pour le choix de sites indiqués durant la réunion] » et qu’ils [TRADUCTION] « attendent avec intérêt la poursuite du dialogue durant la nouvelle année ». Ils priaient le MPO de donner, aussitôt que possible, un avis écrit de ses décisions en matière de permis pour ces sites. L’un des fonctionnaires du MPO qui avaient assisté à la réunion du 10 décembre 2010 a donc communiqué les observations du CTMT et de la PNKA à M. Thomson le lundi 13 décembre 2010.

 

[50]           Rendant sa décision au nom du MPO, M. Thomson a écrit dans son affidavit qu’il avait connaissance des renseignements suivants et qu’il les avait considérés :

i)      les renseignements contenus dans les permis provinciaux;

ii)     tous les renseignements fournis par les Premières Nations au cours des consultations du MPO et dans la correspondance avec ces Premières Nations;

iii)    les renseignements donnés par les demandeurs de permis et par les promoteurs dans leurs demandes;

iv)    l’information scientifique relative aux répercussions de l’aquaculture sur l’environnement, notamment l’information établie par le MPO, de même que divers articles de recherche évalués par les pairs et publiés dans les revues scientifiques;

v)     sa connaissance de l’aquaculture des poissons en général, une connaissance acquise au cours de ses études et de son expérience professionnelle;

vi)    le fait que les permis fédéraux n’autorisaient aucun changement aux exploitations existantes (par exemple, augmentations de la production, modification des espèces autorisées);

vii)   le fait que les permis fédéraux étaient d’une durée limitée (12 mois dans le cas des permis d’aquaculture des poissons), ce qui permettrait un examen attentif des permis et des conditions et donnerait une occasion d’apporter les changements nécessaires aux diverses conditions de permis au cours de cette période;

viii)  sa connaissance des mesures, décrites dans son affidavit, qui concernent la santé des poissons et les préoccupations environnementales, par exemple celles exprimées par la PNKA.

(Dossier des défendeurs, le procureur général du Canada et le ministre des Pêches et des Océans, volume 2, affidavit d’Andrew Thomson, paragraphe 135)

 

[51]           Le 18 décembre 2010, le MPO a délivré environ 680 permis pour l’aquaculture des poissons, pour celle des mollusques et crustacés, pour celle des poissons d’eau douce et pour les opérations de mise en valeur, y compris les 22 permis de la zone de planification de Broughton (dont 17, selon la demanderesse, se trouvent à l’intérieur du territoire de la PNKA). Il est établi que, depuis la prise du Règlement et la délivrance des permis, le MPO consulte les Premières Nations sur le développement de plusieurs PGIA. Ces PGIA visent à établir une approche géographique et écosystémique en matière de gestion de l’aquaculture et ils constitueront le mécanisme d’établissement, de concertation et, généralement, de communication pour l’élaboration des politiques et les conditions de délivrance des permis futurs.

 

[52]           Avant l’audition de la présente demande, l’avocat du procureur général du Canada, a présenté une requête en radiation de l’affidavit de Michael Price, déposée au nom de la demanderesse, aux motifs que cet affidavit n’est pas recevable comme preuve d’expert et n’est pas conforme à l’article 52.2 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), ni au Code de déontologie régissant les témoins experts, qui figure dans l’annexe des Règles. Ewos Canada Ltd., qui fait affaire sous le nom de Mainstream Canada, a elle aussi présenté une requête semblable, non seulement en radiation de l’affidavit de Michael Price, mais également en radiation de certains paragraphes de l’affidavit fait à l’appui de la demanderesse par Robert Mountain, agent local d’information sur les pêches pour le CTMT. Dans une lettre datée du 19 octobre 2011, Marine Harvest faisait connaître son soutien à ces requêtes. Elles ont été instruites au début de l’audience le 7 novembre 2011, et j’ai expliqué que je statuerais sur ces requêtes en même temps que je rendrais ma décision sur le fond.

 

2. Questions en litige

[53]           La demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1) La PNKA a-t-elle la qualité requise pour présenter la demande de contrôle judiciaire?

2) Le Canada, représenté par le MPO, avait-il l’obligation de consulter la PNKA concernant la délivrance des permis d’aquaculture et, plus précisément, des permis pour les fermes Burdwood et Blunden? Dans l’affirmative, quelle était l’étendue de l’obligation de la Couronne?

3) Les mesures prises par le MPO pour favoriser les consultations étaient-elles raisonnables compte tenu des circonstances?

 

[54]           Toutefois, avant d’aborder ces questions, j’examinerai les deux requêtes en radiation déposées par les défendeurs.

 

3. Analyse

            - Les requêtes en radiation

[55]           Comme je le disais plus haut, l’avocat du procureur général du Canada a contesté la recevabilité de l’affidavit d’expert de Michael Price et déposé une requête visant à faire radier l’affidavit dans son intégralité. Selon l’avocat, l’affidavit est déficient à plusieurs égards parce qu’il n’expose pas : 1) la déposition entière de M. Price, car elle énonce simplement des conclusions, 2) les titres et les domaines d’expertise de M. Price au regard des questions abordées dans sa preuve et 3) les détails de sujets qui pourraient influer sur le devoir de M. Price envers la Cour.

 

[56]           L’avocat de Mainstream Canada a soulevé une objection semblable et déposé lui aussi une requête en radiation, en s’appuyant sur les mêmes arguments que le procureur général, ainsi que sur l’argument selon lequel M. Price n’est pas un témoin expert objectif et impartial, car il s’est montré critique envers l’aquaculture.

 

[57]           La demanderesse revendique le droit ancestral de récolter les ressources marines présentes à l’intérieur du territoire traditionnel qu’elle revendique dans l’archipel de Broughton. Elle affirme que les deux fermes se trouvent dans son territoire traditionnel et qu’elles font obstacle à l’exercice de son droit ancestral, en raison de la pollution de l’environnement marin et de la transmission de parasites et de maladies des saumons d’élevage aux saumons sauvages.

 

[58]           Pour montrer que la pisciculture est préjudiciable à la santé et à l’environnement des Premières Nations occupant les territoires revendiqués, la demanderesse a déposé l’affidavit de M. Michael Price, candidat à une maîtrise en biologie à l’Université de Victoria, dont la thèse traite de l’écologie marine des saumoneaux du Pacifique. Les régions qu’il étudie englobent la côte centrale de la Colombie-Britannique et la région des îles Discovery, au sud de l’archipel de Broughton. Selon son affidavit, le chapitre introductif de sa thèse [traduction] « compare les concentrations de poux du poisson sur les saumons roses et kétas juvéniles qui migrent à travers chacune des régions ci-dessus (à proximité ou loin des fermes salmonicoles) vers celles de l’archipel de Broughton », tandis que le reste de sa thèse [traduction] « s’intéresse aux agents stressants d’origine humaine qui influencent l’écologie marine des saumons sockeyes sauvages juvéniles du fleuve Fraser, un accent particulier étant mis sur les fermes salmonicoles marines et les installations de traitement du saumon d’élevage » (Dossier de la demanderesse, volume I, page 110).

 

[59]           On peut d’emblée statuer sur l’affirmation du procureur général selon laquelle M. Price n’indique pas les titres de compétence qui l’autorisent à arriver à sa conclusion globale. Dans son premier affidavit, M. Price énonce ses titres de compétence en détail et joint son curriculum vitae. Le procureur général soutient que M. Price n’est pas compétent sur la question précise qui est l’objet de cette demande parce que les régions qu’il étudie ne comprennent pas la région en litige, mais cet argument n’a aucun fondement. Il n’est pas nécessaire d’être un expert sur le sujet précis de la controverse pour pouvoir offrir à la Cour une aide appréciable. En tant que biologiste s’intéressant aux rapports de l’hôte et du parasite en milieu marin et aux possibles agents stressants auxquels font face les saumoneaux sauvages en conséquence d’activités piscicoles avec enclos en filet, M. Price est à première vue bien placé pour émettre des opinions générales sur l’état de la science et sur son application à la ferme Burdwood.

 

[60]           Puisque le procureur général s’appuie largement sur l’article 52.2 des Règles et sur l’article 3 du Code de déontologie régissant les témoins experts, qui figure dans l’annexe des Règles, ces dispositions sont ici reproduites par souci de commodité :

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106

 

Affidavit ou déclaration d’un expert

 

52.2 (1) L’affidavit ou la déclaration du témoin expert doit :

 

a) reproduire entièrement sa déposition;

 

b) indiquer ses titres de compétence et les domaines d’expertise sur lesquels il entend être reconnu comme expert;

 

c) être accompagné d’un certificat, selon la formule 52.2, signé par lui, reconnaissant qu’il a lu le Code de déontologie régissant les témoins experts établi à l’annexe et qu’il accepte de s’y conformer;

 

d) s’agissant de la déclaration, être présentée par écrit, signée par l’expert et certifiée par un avocat.

 

Inobservation du Code de déontologie

 

(2) La Cour peut exclure tout ou partie de l’affidavit ou de la déclaration du témoin expert si ce dernier ne se conforme pas au Code de déontologie.

Federal Courts Rules, SOR/98-106

 

Expert’s affidavit or statement

 

 

52.2 (1) An affidavit or statement of an expert witness shall

 

(a) set out in full the proposed evidence of the expert;

 

(b) set out the expert’s qualifications and the areas in respect of which it is proposed that he or she be qualified as an expert;

 

(c) be accompanied by a certificate in Form 52.2 signed by the expert acknowledging that the expert has read the Code of Conduct for Expert Witnesses set out in the schedule and agrees to be bound by it; and

 

(d) in the case of a statement, be in writing, signed by the expert and accompanied by a solicitor’s certificate.

 

Failure to comply

 

 

(2) If an expert fails to comply with the Code of Conduct for Expert Witnesses, the Court may exclude some or all of the expert’s affidavit or statement.

 

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, ann Code de déontologie régissant les témoins experts

 

Les rapports d’expert

 

3. Le rapport d’expert, déposé sous forme d’un affidavit ou d’une déclaration visé à la règle 52.2 des Règles des Cours fédérales, comprend :

 

a) un énoncé des questions traitées;

 

b) une description des compétences de l’expert quant aux questions traitées;

 

 

c) un curriculum vitae récent du témoin expert en annexe;

 

 

d) les faits et les hypothèses sur lesquels les opinions sont fondées, et à cet égard, une lettre d’instruction peut être annexée;

 

 

e) un résumé des opinions exprimées;

 

f) dans le cas du rapport qui est produit en réponse au rapport d’un autre expert, une mention des points sur lesquels les deux experts sont en accord et en désaccord;

 

g) les motifs de chacune des opinions exprimées;

 

h) les ouvrages ou les documents expressément invoqués à l’appui des opinions;

 

i) un résumé de la méthode utilisée, notamment des examens, des vérifications ou autres enquêtes sur lesquels l’expert se fonde, des détails sur les qualifications de la personne qui les a effectués et une mention quant à savoir si un représentant des autres parties était présent;

 

j) les mises en garde ou réserves nécessaires pour rendre le rapport complet et précis, notamment celles qui ont trait à une insuffisance de données ou de recherches et la mention des questions qui ne relèvent pas du domaine de compétence de l’expert;

 

k) tout élément portant sur la relation de l’expert avec les parties à l’instance ou le domaine de son expertise qui pourrait influencer sur son devoir envers la Cour.

Federal Courts Rules, SOR/98-106, sched Code of Conduct for Expert Witnesses

 

 

Experts’ Reports

 

3. An expert’s report submitted as an affidavit or statement referred to in rule 52.2 of the Federal Courts Rules shall include

 

(a) a statement of the issues addressed in the report;

 

(b) a description of the qualifications of the expert on the issues addressed in the report;

 

(c) the expert’s current curriculum vitae attached to the report as a schedule;

 

(d) the facts and assumptions on which the opinions in the report are based; in that regard, a letter of instructions, if any, may be attached to the report as a schedule;

 

(e) a summary of the opinions expressed;

 

(f) in the case of a report that is provided in response to another expert’s report, an indication of the points of agreement and of disagreement with the other expert’s opinions;

 

(g) the reasons for each opinion expressed;

 

(h) any literature or other materials specifically relied on in support of the opinions;

 

 

i) a summary of the methodology used, including any examinations, tests or other investigations on which the expert has relied, including details of the qualifications of the person who carried them out, and whether a representative of any other party was present;

 

(j) any caveats or qualifications necessary to render the report complete and accurate, including those relating to any insufficiency of data or research and an indication of any matters that fall outside the expert’s field of expertise; and

 

 

(k) particulars of any aspect of the expert’s relationship with a party to the proceeding or the subject matter of his or her proposed evidence that might affect his or her duty to the Court.

 

[61]           Le principal grief du procureur général à l’encontre de l’affidavit de M. Price est que l’affidavit ne respecte pas la condition énoncée dans l’alinéa 52.2(1)a) des Règles, une condition explicitée aux alinéas 3d), g), i) et j) du Code régissant les témoins experts.

 

[62]           M. Price expose sa conclusion générale au paragraphe 7 de son affidavit, où il écrit ce qui suit :

[TRADUCTION] Les observations scientifiques de la transmission de parasites et de maladies des saumons d’élevage aux saumons sauvages ne sont pas concluantes, ni complètes. Cependant, il existe plusieurs études scientifiques, évaluées par des pairs, qui montrent que les saumoneaux sauvages exposés aux fermes salmonicoles se trouvant le long des routes migratoires de l’archipel de Broughton sont constamment exposés à d’importants risques auxquels on devrait s’intéresser.

 

[63]           M. Price développe ensuite cette conclusion et en explique les raisons. À titre d’exemple, il affirme que les fermes en cause utilisent des enclos en filet pour élever les saumons; il n’y a donc pas de barrières physiques empêchant la transmission d’agents pathogènes des saumons d’élevage aux saumons sauvages. Puis, il affirme que les saumons sauvages sont davantage prédisposés aux infections par des agents pathogènes lorsqu’ils sont à l’état juvénile, et la ferme Burdwood est située immédiatement du côté mer des cours d’eau à saumons, d’où migrent les saumoneaux sauvages (paragraphe 7 de son affidavit).

 

[64]           M. Price relie ensuite ces affirmations générales au cas particulier de la ferme Burdwood en cause dans la demande de contrôle judiciaire. Il écrit ce qui suit (paragraphe 8 de son affidavit) :

[traduction] La ferme Burdwood se trouve dans le chenal Tribune. Elle constitue un risque réel et important pour les saumons, et cela pour plusieurs raisons. D’abord, elle est située immédiatement côté mer des cours d’eau à saumons, ce qui constitue un risque très élevé de répercussions des agents pathogènes de la ferme sur la phase juvénile, très délicate, des saumons sauvages roses et kétas. Plusieurs études montrent que les saumons juvéniles prélevés à titre d’échantillons près de Burdwood ont toujours accueilli des concentrations élevées de poux du poisson. Deuxièmement, cinq populations en déclin de saumons roses de l’archipel de Broughton migrent probablement au-delà de la ferme Burdwood pour rejoindre la pleine mer, et l’on impute leur déclin au fait qu’ils sont exposés à la ferme piscicole. Troisièmement, la ferme Burdwood est tout près d’autres fermes (c’est-à-dire à moins de 10 km) et cela favorise sans doute la transmission et l’amplification des maladies d’une ferme à une autre (et leur transmission aux saumons sauvages en train de migrer), comme on a pu le constater par le passé pour la ferme Burdwood et d’autres fermes de l’archipel de Broughton. L’amplification des maladies sur les fermes salmonicoles telles que Burdwood, et leur transmission aux saumons sauvages, est l’une des préoccupations les plus sérieuses parce que la quarantaine des populations atteintes qui croissent dans des enclos en filet n’est pas possible.

 

[65]           Le seul problème que pose l’affidavit de M. Price est le fait que son opinion est fondée entièrement sur 24 articles scientifiques, évalués par des pairs et qu’il n’est l’auteur que d’un seul d’entre eux. Cela ne serait pas en soi déterminant s’il avait présenté sa propre analyse et son propre examen des publications. Au lieu de cela, il annexe simplement les articles comme pièces de son affidavit et prétend les résumer à l’aide d’une ou deux conclusions, sous forme de phrases, qui, dit‑il, viennent des articles. Il adopte ensuite ces conclusions comme étant les siennes, pour étayer son opinion générale.

 

[66]           Cette méthode est très problématique. Naturellement, étant biologiste, M. Price a les compétences requises pour saisir l’essentiel des articles examinés. Le problème cependant est qu’il en dit bien peu sur la manière dont il arrive à son propre résumé des articles en question. Il ne s’exprime pas non plus sur la méthode employée, ni sur la qualification de la personne qui a mené ces études. Il n’explique pas en quoi les conclusions qu’il tire des articles confirment sa propre opinion générale selon laquelle la ferme Burdwood constitue pour les saumons un risque réel et considérable. Cela aurait été en effet utile, puisqu’aucune des études citées dans son affidavit ne parle explicitement de la ferme Burdwood, ni de son impact sur les saumons roses et kétas sauvages, à l’état juvénile. En fait, seules deux études parlent de l’interaction des saumons sauvages et des saumons d’élevage.

 

[67]           Les problèmes susmentionnés sont accentués par le fait que M. Price a dénoncé publiquement les risques sérieux que pose l’aquaculture et s’est déclaré opposé aux fermes piscicoles, et ce, à plusieurs reprises. Par exemple, la preuve montre que la Raincoast Conservation Society, l’employeur de M. Price, a recours au « militantisme informé » pour promouvoir ses objectifs de conservation. M. Price reconnaissait aussi dans son deuxième affidavit du 17 juin 2011 que, en 2006, il avait déclaré son opposition à l’aquaculture telle qu’elle est aujourd’hui pratiquée, au cours d’un exposé présenté au Comité spécial sur l’aquaculture durable établi par l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique. Ces vues ont également été exprimées dans de multiples lettres adressées au rédacteur en chef du Times Colonist, ainsi que dans une lettre adressée au roi Harald V de Norvège, datée du 17 août 2009. Il a recommandé que les routes migratoires et les aires de croissance des saumoneaux sauvages soient libérées immédiatement des fermes salmonicoles et que, à tout le moins, les fermes situées sur les routes migratoires ou dans les aires de croissance soient vidées durant la période où les saumoneaux quittent leurs rivières natales pour rejoindre la peine mer. Il a aussi déclaré que, à plus ou moins brève échéance, l’industrie tout entière devra se convertir et adopter des formes d’élevage en circuit fermé.

 

[68]           Naturellement, ces opinions ne devraient pas l’empêcher d’être un témoin expert. M. Price a signé le certificat requis attestant qu’il a lu le Code de déontologie régissant les témoins experts, qui mentionne explicitement, à l’article 1, qu’un témoin expert « a l’obligation primordiale d’aider la Cour avec impartialité », et il a accepté d’être lié par ce certificat. M. Price a aussi juré, dans un troisième affidavit daté du 18 octobre 2011, qu’il n’a aucune relation personnelle ou professionnelle avec les parties à la présente instance. Finalement, l’impartialité ne signifie pas que les scientifiques n’ont pas le droit d’avoir leurs propres opinions dans les débats scientifiques qui intéressent leur domaine. Tant qu’un témoin expert ne devient pas un militant et ne dissimule pas un argument sous les apparences d’une opinion d’expert, son témoignage sera recevable.

 

[69]           Cela dit, je suis troublé de constater que M. Price n’a pas révélé les détails de sa relation avec la Raincoast Conservation Society. Cela est contraire à l’alinéa 3k) du Code de déontologie régissant les témoins experts, selon lequel l’affidavit d’expert doit comprendre tout élément portant sur sa relation avec la demanderesse dans la présente instance, ou le domaine de son expertise qui pourrait influencer sur son devoir envers la Cour. Il aurait eu sans doute aussi tout intérêt à être plus transparent et à révéler à la Cour ses déclarations antérieures concernant l’aquaculture sur la côte de la Colombie‑Britannique.

 

[70]           Ces imperfections ne suffisent pas à rendre irrecevable l’affidavit de M. Price. Ce sont cependant d’importants facteurs qui ont un effet sur le poids devant être accordé à son témoignage. Ses opinions bien arrêtées sur la pisciculture soulèvent forcément quelques doutes sur son choix des articles passés en revue, ainsi que sur les conclusions qu’il en tire. D’un point de vue méthodologique, une opinion d’expert fondée entièrement sur des études faites par d’autres experts est évidemment moins convaincante qu’une opinion tirée des connaissances de l’auteur lui-même, et elle est exposée à tous les pièges d’une opinion de seconde main.

 

[71]           Vu les considérations ci-dessus, je suis porté à accorder peu de poids à l’affidavit de M. Price. Certes, un ensemble d’observations scientifiques montre les répercussions possibles de la ferme Burdwood sur les saumons sauvages. D’ailleurs, M. Price lui-même admet que les observations scientifiques ne sont ni concluantes, ni complètes. Son affidavit est donc déclaré recevable à cette seule fin restreinte. Il n’est pas nécessaire d’aller plus loin. Il n’appartient manifestement pas à la Cour, dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire, de dire si les risques pour la santé et l’environnement qui sont allégués par la demanderesse ont été prouvés ou non.

 

[72]           L’avocat de Mainstream Canada a lui aussi déposé une requête en radiation des paragraphes 8 à 12, 15 à 25, 27 à 31, 34 et 35, et des pièces D à G, de l’affidavit fait le 9 mars 2011 par le chef Robert Mountain, parce que l’affidavit est irrecevable en raison du ouï‑dire, des opinions et des arguments qu’il contient.

 

[73]           Comme on peut le lire aux paragraphes 4, 5 et 6 de son affidavit, le chef Mountain est né et a grandi dans l’archipel de Broughton (où se trouvent les fermes Burdwood et Blunden). C’est son grand-père qui lui a appris à pêcher dans cette région, alors qu’il avait cinq ans, et le chef Mountain a pratiqué la pêche commerciale et la pêche de subsistance dans la région durant les 48 dernières années. Au moment de faire son affidavit, le chef Mountain était depuis douze ans garde-pêche autochtone dans la région, dans le cadre d’un programme financé et supervisé par le MPO. Par la suite, il a rempli durant six ans les fonctions de coordonnateur local de l’information sur les pêches pour le Conseil tribal local (dont la PNKA est membre), avec pour principale responsabilité la collecte [traduction] « de renseignements se rapportant aux activités de pêche de poissions sauvages et d’aquaculture dans l’archipel de Broughton » (dossier de la demanderesse, volume II, page 357, paragraphe 5). Il affirme que, au cours de ce travail, il a passé de nombreuses journées sur l’eau, surveillant les activités de pêche de poisson sauvage et de pêche d’élevage dans la zone.

 

[74]           L’article 81 des Règles prévoit que, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête, les affidavits doivent se limiter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. La règle qui exclut le ouï‑dire est un principe bien établi. La Cour d’appel fédérale a jugé que « l’affidavit a pour but de présenter les faits pertinents quant au litige sans commentaires ni explications. La Cour peut radier des affidavits ou des parties de ceux-ci lorsqu’ils sont abusifs ou n’ont clairement aucune pertinence, lorsqu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit... » (voir l’arrêt Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47, au paragraphe 18, 399 NR 33, l’arrêt Duyvenbode c Canada (Procureur général), 2009 CAF 120, et la décision McConnell c Commission canadienne des droits de la personne, 2004 CF 817, confirmée par 2005 CAF 389).

 

[75]           La preuve pas ouï‑dire est donc en principe irrecevable. Si la partie qui veut présenter de telles dépositions ne peut prouver qu’elles répondent au double critère de la nécessité et de la fiabilité, alors la règle générale de l’exclusion est applicable (R c Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 RCS 787, aux paragraphes 2 et 3,).

 

[76]           Je reconnais, avec l’avocat de la demanderesse, que les paragraphes 10, 17, 18, 22, 23 et 28 ne peuvent être considérés comme du ouï-dire, car le chef Mountain en a une connaissance personnelle de par sa fonction et son expérience (voir l’arrêt Smith Kline & French Laboratories Ltd c Novopharm Ltd, 25 ACWS (2d) 470, 53 NR 68 (CAF), et la décision Philip Morris Inc c Imperial Tobacco Ltd, 8 FTR 310, 3 ACWS (3d) 109 (CF)). L’expérience du chef Mountain, qui a été durant de nombreuses années garde-pêche autochtone et coordinateur local de l’information sur les pêches, lui donne manifestement la possibilité d’avoir une connaissance personnelle des faits rapportés dans ces paragraphes. Il convient aussi de noter que Marine Harvest n’a pas contesté le témoignage du chef Mountain par un témoignage contradictoire ou au moyen d’un contre-interrogatoire.

 

[77]           Les paragraphes 15 et 16 contiennent des extraits d’un rapport consultatif adressé par le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique au ministre fédéral des Pêches et des Océans et au ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Pêches de la Colombie‑Britannique (dossier de la demanderesse, volume II, affidavit de Robert Mountain, pièce « D », « Avis aux médias 2002 : La protection des stocks de saumon rose de l’archipel de Broughton », page 372). On ne peut douter que ce rapport soit digne de foi puisque le chef Mountain en a produit un exemplaire, accompagné d’un communiqué qui en fait le résumé (voir la pièce « E »). Quant aux extraits de ce document qui figurent dans l’affidavit, ce sont des citations exactes qui peuvent facilement être vérifiées. Il serait déraisonnable dans ces conditions de considérer ce rapport comme du ouï-dire et d’exiger qu’il soit produit au départ par le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique. Le même raisonnement vaut pour les paragraphes 19 à 21 de l’affidavit, qui font état du rapport final du Comité spécial sur l’aquaculture durable, présenté à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique et daté de mai 2007; pour les paragraphes 27, 28, 30 et 31, qui pareillement font état du rapport final d’une étude menée par Coastal & Ocean Resources Inc. et financée par la province (Ibid., pièce « G », « Broughton Archipelago Clam Terrace Survey », page 466); et pour une étude semblable menée par le MPO (Ibid., pièce « H », « An Exploratory Survey for Littleneck Clams (Protothaca staminea) in the Broughton Archipelago, British Columbia – 2006 », page 505). Il est sans aucun doute vrai que le chef Mountain ne pourrait pas être contre-interrogé sur ces divers rapports, puisqu’il n’en est pas l’auteur. Cependant, l’avocat de la défenderesse Mainstream n’a pas prétendu être désavantagé du seul fait que ces rapports ont été déposés. Il lui était loisible à lui aussi de déposer pareillement des documents en contre-preuve.

 

[78]           Cela dit, le chef Mountain va trop loin quand il cite ces rapports de manière sélective et prétend les interpréter. Cette fonction appartient clairement aux témoins experts. Un tel exercice est d’ailleurs parsemé de risques et de pièges. À titre d’exemple, le chef Mountain invoque le paragraphe final du dernier rapport mentionné, celui du MPO (pièce « H »), pour dire que [traduction] « le rapport concluait que, selon des informations communiquées aux gestionnaires du MPO par les Premières Nations et les pêcheurs commerciaux, les stocks de palourdes du Pacifique présents dans l’archipel de Broughton sont en déclin » (dossier de la demanderesse, volume II, page 533). Il omet cependant de citer la suite du même paragraphe : [traduction] « La plupart des palourdes du Pacifique qui ont été examinées étaient saines, de sorte qu’une épidémie n’est probablement pas la raison pour laquelle les stocks sont en déclin. Il faut une recherche plus ciblée sur les répercussions des activités de capture et autres activités humaines sur les populations de palourdes du Pacifique ». À mon avis, on ne saurait pour autant exclure ces paragraphes de l’affidavit, mais il faut accorder un poids très restreint à ces commentaires sur les rapports en cause.

 

[79]           Mainstream Canada soutient aussi que les paragraphes 8, 9, 11, 12, 24, 25, 31, 34 et 35 devraient être radiés au motif qu’ils contiennent des témoignages d’opinion ou des arguments. Il est naturellement bien établi que les témoins ordinaires doivent se confiner aux faits dont ils ont personnellement connaissance et qu’ils doivent s’abstenir d’exprimer des opinions ou de tirer des conclusions. Après un examen attentif des paragraphes contestés de l’affidavit du chef Mountain, je suis d’avis qu’ils sont généralement recevables. Résumant, en matière de témoignages d’opinion, l’approche moderne énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Graat, [1982] 2 RCS 819, John Sopinka, Sidney N. Lederman et Alan W. Bryant, écrivent ce qui suit, dans The Law of Evidence in Canada, 2e édition, Markham (Ontario) & Vancouver (Colombie‑Britannique), Butterworths Canada Ltd, 1999, à la page 609 :

[traduction] Les tribunaux sont aujourd’hui davantage à même de déclarer recevable l’opinion d’un témoin non expert si : (1) le témoin a une connaissance personnelle; (2) le témoin est mieux placé que le juge des faits pour se former une opinion; (3) le témoin justifie de l’expérience nécessaire pour tirer la conclusion; et (4) l’opinion est un mode succinct d’expression et le témoin ne pourrait pas aussi fidèlement, aussi convenablement, et avec une facilité raisonnable, décrire les faits qu’il rapporte.

 

 

[80]           La plupart des affirmations apparaissant dans les paragraphes susmentionnés sont de nature largement factuelle et fournissent un contexte utile pour cette demande de contrôle judiciaire. Il est vrai que certains passages de ces paragraphes s’écartent des faits pour devenir des opinions et prétendent aller bien au-delà de ce que le chef Mountain pouvait personnellement observer. Au lieu de rapporter des événements en s’en tenant aux faits, le déposant est parfois tendancieux et enclin à établir une corrélation entre d’une part la présence de fermes aquacoles et l’apparition de maladies et d’autre part un déclin des stocks de saumons dans l’archipel de Broughton. Dans la mesure où le chef Mountain exprime sa propre opinion et prétend tirer des conclusions en se fondant sur des preuves de nature scientifique ou sur des preuves dont il n’a pas une connaissance personnelle, on devrait accorder peu de poids à ses affirmations. Je me garderais toutefois de vouloir retrancher et radier les passages de son affidavit qui ne paraissent pas conformes à l’article 81 des Règles. Dans une certaine mesure, c’est parce que la ligne de démarcation entre des faits et des opinions ou arguments n’est pas toujours claire, et aussi parce que les passages contestés, relativement mineurs, de l’affidavit du chef Mountain sont si intimement liés à ses affirmations par ailleurs recevables que leur radiation rendrait son affidavit incompréhensible. Pour ces motifs, je crois préférable de rejeter la requête de la défenderesse Mainstream Canada et de prendre en compte l’affidavit du chef Mountain, sous réserve de la mise en garde nécessaire quant au poids à accorder aux parties de son témoignage qui ne viennent pas de sa connaissance personnelle.

 

1) La PNKA a-t-elle la qualité requise pour déposer cette demande de contrôle judiciaire?

[81]           L’avocat du procureur général du Canada affirme que cette demande ne pouvait être déposée, à titre d’instance par représentation conformément au paragraphe 114(1) des Règles, que par un membre au nom du groupe autochtone prétendant détenir le droit ancestral. Puisque la demande a été déposée par la PNKA elle-même, une bande selon la Loi sur les Indiens comprenant deux tribus distinctes, mais étroitement associées, qui ont été fusionnées aux fins de la Loi des Indiens en 1947, l’avocat du procureur général du Canada soutient que la demanderesse n’a pas la qualité pour agir.

 

[82]           La jurisprudence interprétant l’article 114 des Règles est très mince. Cependant, un mémoire rédigé par le juge en chef Allan Lutfy et par Emily McCarthy, intitulé « Rule-Making in a Mixed Jurisdiction: the Federal Court (Canada) » (2010) 49 SCLR (2d) 313, donne un résumé intéressant et utile de la genèse de cette disposition.

 

[83]           La disposition antérieure correspondant à l’article 114 a été abrogée en 2002, lorsque les Règles ont été modifiées pour prévoir l’autorisation des recours collectifs. On pensait à l’époque que les instances qui auraient auparavant été introduites en tant qu’instances par représentation le seraient désormais en tant que recours collectifs. Cependant, un certain temps après l’abrogation de l’article 114, des praticiens membres du Barreau autochtone ont demandé au comité des règles d’envisager son rétablissement. Cette demande était fondée sur le fait que les instances par représentation se prêtent mieux que les recours collectifs à l’introduction de procédures se rapportant à des droits ancestraux ou issus de traités, puisqu’il n’est pas nécessaire alors d’accorder l’autorisation à une bande indienne, étant donné que c’est une entité reconnue en droit canadien. Les droits ancestraux ou issus de traités sont des droits sui generis qui sont détenus par une collectivité et qui doivent être invoqués collectivement. De tels droits ne sont pas détenus à titre individuel, et l’appartenance au groupe est essentielle pour exercer le droit ou le faire reconnaître. La nature collective du droit est particulièrement problématique pour les recours collectifs parce que les dispositions concernant l’exclusion, une particularité importante des recours collectifs, ne fonctionnent tout simplement pas dans ce contexte (voir la décision Gill c Canada, 2005 CF 192, 271 FTR 139, au paragraphe 13).

 

[84]           Un sous-comité a examiné les raisons qui avaient conduit à l’abrogation de l’article 114, ainsi que les préoccupations des membres du Barreau autochtone. Il a décidé qu’une règle régissant les instances par représentation devrait être rétablie et que cette règle devrait être plus détaillée que la disposition antérieure. Il en a résulté le nouvel article 114, qui s’applique aux demandes tout comme aux actions et qui énonce les conditions que doit remplir le représentant. Les conditions du paragraphe 114(1) ont pour objet de protéger les membres d’une Première Nation dans une demande, tout comme elles le font pour une action; la Cour peut donc exiger qu’un avis soit communiqué, que des modalités soient imposées pour le processus de règlement et que le demandeur représentant soit remplacé.

 

[85]           L’avocat du procureur général du Canada soutient que les demandes se rapportant à des droits ancestraux, tout comme les actions se rapportant à de tels droits, ne peuvent être validement déposées qu’à titre d’instances par représentation. Aucun fondement n’est cependant invoqué à l’appui de cette affirmation.

 

[86]           L’avocat du procureur général du Canada a cité quelques décisions où des droits ancestraux étaient revendiqués par un représentant agissant au nom des membres de la Première Nation détenant ou revendiquant les droits en question (voir l’arrêt Pasco (Oregon Jack Creek Indian Band) v Canadian National Railway Co (1989), 56 DLR (4th) 404 (C.A. C.-B.), confirmée par [1989] 2 RCS 1069; et la décision Wii’litswx v British Columbia (Minister of Forests), 2008 BCSC 1139, 171 ACWS (3d) 501). Non seulement ces décisions ne lient-elles pas la Cour, mais elles ont été rendues dans le contexte d’une règle formulée différemment, et ne disent pas explicitement qu’une instance par représentation est la seule manière de revendiquer un droit ancestral.

 

[87]           Quoi qu’il en soit, le libellé de l’article 114 des Règles ne laisse subsister aucun doute sur l’intention du législateur. Il s’agit d’une disposition facultative, et non impérative. Les mots introductifs de la disposition mentionnent clairement que « … une instance (…) peut être introduite par ou contre une personne agissant à titre de représentant d’une ou plusieurs autres personnes… » (non souligné dans l’original). Si l’intention avait été d’exiger que toutes les instances de cette nature soient introduites conformément à cette disposition, la disposition aurait été formulée différemment. Naturellement, il est toujours loisible à la Cour de s’assurer que la bande ou le groupe autochtone n’agit pas en contravention de la volonté de ses membres, ou sans une autorisation légale. En l’espèce, aucune préoccupation du genre n’a été évoquée par l’un quelconque des défendeurs.

 

[88]           Je reconnais que, dans de nombreuses affaires portant sur des droits ancestraux revendiqués et sur l’obligation de consulter, le demandeur est un membre de la Première Nation, ou le chef de la Première Nation agissant au nom de celle-ci (voir par exemple l’arrêt Nation Haïda c Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511, l’arrêt Première nation Tlingit de Taku River c Colombie‑Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 RCS 550, et la décision Première nation de Ka’a’Gee Tu c Canada (Procureur général), 2007 CF 763, 315 FTR 178). Il n’en reste pas moins qu’une bande indienne est une entité juridique et politique qui peut elle-même ester en justice et être condamnée par jugement (voir la décision Bande indienne Wewayakum c Bande indienne Wewayakai, [1991] 3 CF 420. Il est vrai que ce précédent concernait le droit d’occupation et d’utilisation d’une réserve et ne portait pas sur des droits ancestraux, comme l’a fait observer le procureur général, mais il n’en demeure pas moins que c’est la bande elle-même qui était la demanderesse, et non un représentant agissant en son nom. Pareillement, plusieurs bandes indiennes ont déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du ministre des Pêches et des Océans, au motif que le ministre n’avait pas préservé l’honneur de la Couronne et ne s’était pas acquitté de son obligation constitutionnelle de consulter les bandes touchées et de répondre à leurs préoccupations; la Cour n’a aucunement mis en doute la qualité pour agir de ces bandes pour cause d’absence de représentant (Première nation des Ahousaht c Canada (Pêches et Océans), 2008 CAF 212, 379 NR 297).

 

[89]           Pour tous les motifs susmentionnés, je suis d’avis que la demande n’est pas irrémédiablement viciée du seul fait qu’elle n’a pas été déposée par un représentant agissant au nom des membres de la PNKA.

 

[90]           Il convient d’examiner une autre question apparentée avant de passer au bien-fondé de cette demande. L’avocat de Marine Harvest affirme que la demanderesse n’est créancière d’aucune obligation de consultation, car il n’y a aucun lien entre cette bande indienne et le groupe autochtone qui est fondé à revendiquer des droits ancestraux en application de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch 11 (R.-U.).

 

[91]           Il n’est pas contesté que la demande de la PNKA repose fondamentalement sur une revendication de droits ancestraux. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne définit pas les « peuples autochtones du Canada » bénéficiant de la reconnaissance de tels droits, mais la jurisprudence ultérieure définit les titulaires de droits ancestraux comme des groupes de personnes présentant des attributs distinctifs, par exemple une langue commune, une culture et une organisation sociale. La demanderesse doit non seulement préciser le groupe autochtone dont les pratiques antérieures au contact avec les Européens établiraient le droit revendiqué (en l’espèce, le droit de capture des saumons sauvages dans les environs de l’archipel de Broughton), mais aussi établir un lien actuel avec le groupe antérieur au contact. Dans cette mesure, l’appartenance à la bande n’établira pas nécessairement un lien ancestral avec les membres du même groupe autochtone dont les activités de pêche faisaient partie intégrante d’une culture distinctive au moment du contact avec les Européens. Une bande relevant de la Loi sur les Indiens est une entité juridique qui est postérieure au contact avec les colons européens, et l’on ne peut présumer que la composition d’une Première Nation qui détient un droit ancestral coïncide avec la composition d’une bande relevant de la Loi sur les Indiens. En fait, une Première Nation qui détient ou revendique des droits ancestraux peut avoir des membres qui appartiennent à plusieurs bandes différentes relevant de la Loi sur les Indiens.

 

[92]           Au paragraphe 5 de son affidavit, le chef Chamberlin écrit ce qui suit :

[traduction] Les membres de la PNKA sont les descendants de deux tribus distinctes, mais étroitement liées, du peuple Kwakwaka’wakw qui, à l’époque du contact avec les Européens, étaient appelées les Kwicksutaineuk et les Ah-Kwa-Mish. Les deux tribus ont été fusionnées en 1947 aux fins de la Loi des Indiens et sont aujourd’hui appelées collectivement la PNKA, ou la bande indienne de Kwicksutaineuk Ah-Kwa-Mish.

 

(Dossier de la demanderesse, volume II, page 574.)

 

 

[93]           Dans un affidavit fait pour la Marine Harvest, Daisy May Sewid-Smith conteste l’affirmation du chef Chamberlin selon laquelle la Première Nation Kwicksutaineuk Ah-Kwa-Mish détient des droits de pêche ancestraux dans l’archipel de Broughton. Elle affirme que son arrière‑grand‑père était membre de l’un des trois clans de la nation Qwe’Qwa’Sot’Enox (dont une autre graphie est Kwicksutaineuk) qui vivaient dans le village de Gwayasdums, sur l’île Guilford. Elle a aussi déclaré que son arrière‑grand‑père avait déménagé en 1855 de Gwayasdums à l’île Village, où était situé le village d’une autre Première Nation, et qu’il n’est jamais retourné à Gwayasdums, mais qu’il n’a jamais abandonné son droit de propriété de Gwayasdums et de la région environnante. Elle écrit que les membres de la PNKA qui occupent aujourd’hui Gwayasdums sont un groupe mixte des trois clans originaux, et des membres de clans avoisinants. Par une série d’erreurs administratives commises par les commissaires des réserves à la fin des années 1880, des réserves ont été attribuées aux mauvais groupes; des réserves ont été établies à l’intérieur du territoire traditionnel de la nation Qwe’Qwa’Sot’Enox au bénéfice de groupes tribunaux apparentés, sans lien ancestral avec la terre, y compris le groupe formant aujourd’hui la Première Nation Kwicksutaineuk Ah-Kwa-Mish. Elle prétend donc que la composition actuelle de la PNKA n’est pas le « véritable » peuple Kwicksutaineuk fondé à s’exprimer pour les dix réserves attribuées à la PNKA, ou pour les terres et eaux environnantes revendiquées par la PNKA comme son territoire traditionnel.

 

[94]           Il n’est pas nécessaire pour la Cour de régler ces revendications rivales, et cela pour au moins trois raisons. D’abord, un affidavit presque identique a été déposé comme preuve par la Couronne dans le cadre de la décision Kwicksutaineuk/Ah-Kwa-Mish First Nation v British Columbia (Minister of Agriculture and Lands), 2010 BCSC 1699, 15 BCLR (5th) 322. Dans cette affaire, les demanderesses affirmaient que la province avait délivré des permis à des fermes piscicoles, ce qui avait provoqué des infestations de poux du poisson dans les stocks de saumons sauvages, et de ce fait un empiétement sur leurs droits de pêche. L’un des points que devait décider le tribunal avant d’autoriser la procédure en tant que recours collectif était de savoir si la catégorie proposée (la PNKA et les autres Premières Nations qui revendiquaient des droits de pêche ancestraux dans l’archipel de Broughton et dans les cours d’eau qui s’écoulent dans l’archipel) englobait des groupes autochtones ou des membres de tels groupes qui pouvaient revendiquer des droits de pêche en vertu de l’article 35.

 

[95]           Examinant cette question, le juge Slade a considéré non seulement l’affidavit de Daisy Sewid‑Smith, mais également des écrits historiques et ethnographiques. Il est arrivé à la conclusion que la PNKA, de même que onze autres groupes autochtones, étaient membres d’un groupe linguistique qui est aujourd’hui appelé Kwakiutl. Puis il poursuivait ainsi (aux paragraphes 89 et 90) :

[traduction]

 

Chacun de ces groupes est présent à l’intérieur d’une zone géographique, largement coextensive à l’archipel de Broughton, utilisée et occupée lors du contact avec les Européens par les Kwakiutl. Lors du contact, chacun avait des intérêts territoriaux à l’intérieur de la grande région géographique et jouissait d’un accès à certaines ressources, en commun, à l’intérieur du grand territoire auquel les Kwakiutl, en tant que groupe linguistique (c’est‑à‑dire les locuteurs du Kwak’wala), étaient associés.

 

Chacun des groupes mentionnés dans le paragraphe ci-dessus est une bande ayant des antécédents dans les divisions tribales parmi les Kwakiutl. Chacun, comme bande, occupe une ou plusieurs réserves relevant de la Loi sur les Indiens. Les réserves donnent sur les eaux de l’archipel de Broughton. Il serait très étrange d’imaginer que, comme peuple pêcheur, ils n’utilisent pas leurs réserves pour organiser leurs activités de pêche.

 

[96]           Naturellement, cela ne règle pas la question des revendications rivales qui sont avancées en ce qui concerne l’archipel de Broughton et le droit de pêcher dans cette zone. Ces revendications cependant n’ont pas à être tranchées dans l’examen d’une demande de contrôle judiciaire. Il vaut mieux les laisser à la Commission des traités de la Colombie-Britannique et, éventuellement, à un procès où des témoignages pourront être produits et où les preuves ethnographiques, historiques et traditionnelles pourront être globalement examinées et considérées. Je note par ailleurs que le procureur général du Canada ne conteste pas qu’il a une obligation de consulter la PNKA, et qu’il reconnaît donc, au moins implicitement, que la PNKA peut d’une manière plausible revendiquer un droit ancestral de pêcher dans la zone pour laquelle ont été délivrés les deux permis d’aquaculture considérés dans la présente demande.

 

[97]           Pour tous les motifs susmentionnés, je suis d’avis que la PNKA a bien qualité pour présenter la demande de contrôle judiciaire.

 

2) Le Canada, représenté par le MPO, avait-il l’obligation de consulter la PNKA concernant la délivrance des permis d’aquaculture, et plus précisément, des permis pour les fermes Burdwood et Blunden? Dans l’affirmative, quelle était l’étendue de l’obligation de la Couronne?

[98]           Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable à la question de l’existence et de l’étendue de l’obligation de consultation et d’accommodement est celle de la décision correcte, car il s’agit d’une pure question de droit. En revanche, la norme applicable à la question de savoir si la Couronne s’est acquittée de son obligation de consultation avant de prendre une décision est celle de la décision raisonnable (voir l’arrêt Nation Haïda, précité, aux paragraphes 61 à 63, et l’arrêt West Moberly First Nations v British Columbia (Chief Inspector of Mines), 2011 BCCA 247, 333 DLR (4th) 31, au paragraphe 174).

 

[99]           L’obligation de la Couronne de consulter les Premières Nations s’applique lorsque la Couronne a connaissance (une connaissance réelle ou imputée) de l’existence possible du droit ou titre ancestral revendiqué et qu’elle envisage des mesures susceptibles de porter préjudice à ce droit ou titre (arrêt Nation Haïda, précité, au paragraphe 35). La Cour suprême du Canada a reformulé ce critère très succinctement dans un arrêt récent, Rio Tinto Alcan Inc c Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 RCS 650, au paragraphe 31 :

Dans l’arrêt Nation Haïda, notre Cour établit que l’obligation de consulter prend naissance « lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui‑ci » (par. 35). Ce critère comporte trois volets : (1) la connaissance par la Couronne, réelle ou imputée, de l’existence possible d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral, (2) la mesure envisagée de la Couronne et (3) la possibilité que cette mesure ait un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral.

 

[Souligné dans l’original.]

 

[100]       Les deux premières conditions sont manifestement remplies dans la présente affaire. Lorsque la PNKA a eu connaissance de la décision Morton et du fait que le MPO était investi de la compétence sur l’aquaculture, elle a rapidement informé par écrit le MPO qu’elle avait des droits de pêche dans l’archipel de Broughton, qu’elle était très préoccupée par les répercussions de la présence de fermes salmonicoles sur les droits en question et que des consultations étaient nécessaires. La lettre mentionnait que la PNKA avait déjà fait part de ces préoccupations au MPO. Dans une lettre datée du 1er avril 2009, le MPO accusait réception de la lettre de la PNKA et reconnaissait que [traduction] « toute nouvelle réglementation nécessiterait des consultations ». Plus précisément, le MPO affirmait son intention, entre autres choses, [traduction] « d’engager de véritables consultations avec les Premières Nations », durant cette période de transition (dossier des défendeurs, le procureur général du Canada et le ministre des Pêches et des Océans, volume 4, affidavit d’Andrew Thomson, pièce « NNN », page 1022). Au cours des mois suivants, le MPO a reconnu aussi le pouvoir du chef et du conseil de la PNKA d’engager des consultations au nom de la PNKA. Il ne fait donc aucun doute que la Couronne savait que la PNKA revendiquait des droits de pêche ancestraux.

 

[101]       On ne saurait non plus douter que le MPO ait proposé de remplacer, et qu’il ait effectivement remplacé, les permis d’aquaculture délivrés pour le territoire de la PNKA. La décision du MPO de délivrer des permis de remplacement est une « décision » qui déclenche l’obligation de la Couronne d’engager des consultations. D’ailleurs, la décision de principe en la matière, l’arrêt Nation Haïda, découlait de la décision de la Couronne de remplacer une concession de ferme forestière sur le territoire de la Nation Haïda et de permettre que cette concession passe d’une compagnie forestière à une autre.

 

[102]       C’est le troisième volet du critère qui est problématique. Cette étape reflète l’objet de l’obligation de consultation, qui est de tenter de prévenir, lorsque cela est possible, les empiétements sur des droits ancestraux. Sur ce sujet, il convient de se rappeler les propos de la Cour suprême du Canada aux paragraphes 45 et 46 de l’arrêt Rio Tinto, précité :

Le troisième élément requis pour qu’il y ait obligation de consulter est la possibilité que la mesure de la Couronne ait un effet sur une revendication autochtone ou un droit ancestral. Le demandeur doit établir un lien de causalité entre la mesure ou la décision envisagée par le gouvernement et un effet préjudiciable éventuel sur une revendication autochtone ou un droit ancestral. Un acte fautif commis dans le passé, telle l’omission de consulter, ne suffit pas.

 

Une approche généreuse et téléologique est aussi de mise à l’égard de ce troisième élément puisque, comme le dit Newman, l’objectif poursuivi est [traduction] « de reconnaître que les actes touchant un titre aborigène ou un droit ancestral non encore établi, ou des droits issus de traités, peuvent avoir des répercussions irréversibles qui sont incompatibles avec l’honneur de la Couronne » (p. 30, citant l’arrêt Nation Haïda, par. 27 et 33). Cependant, de simples répercussions hypothétiques ne suffisent pas. Comme il appert de l’arrêt R. c. Douglas, [2007] BCCA 265, 278 D.L.R. (4th) 653, au par. 44, il doit y avoir un [traduction] « effet préjudiciable important sur la possibilité qu’une Première nation puisse exercer son droit ancestral ». Le préjudice doit toucher l’exercice futur du droit lui‑même, et non seulement la position de négociation ultérieure de la Première nation.

 

[103]       La PNKA affirme que la décision de délivrer des permis d’aquaculture risque d’empiéter sur ses droits de pêche, de deux manières. Invoquant la décision Adams Lake Indian Band v British Columbia (Lieutenant Governor in Council), 2011 BCSC 266, 20 BCLR (5th) 356 et la décision Gitxsan v British Columbia (Minister of Forests), 2002 BCSC 1701, 10 BCLR (4th) 126, elle soutient qu’un changement de gouvernance a nécessairement des répercussions sur ses droits. Dans la décision Adams Lake, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a jugé que la création d’une municipalité où se trouvait une station de ski présentait bel et bien de possibles répercussions importantes sur une bande qui revendiquait des droits et un titre sur ces terres, ne serait‑ce que parce que la station de ski pouvait plus facilement infléchir les politiques de la municipalité qu’elle n’aurait pu le faire auparavant au niveau du district régional. Dans l’affaire Gitxsan, la même cour a reconnu avec les Premières Nations demanderesses que le gouvernement n’avait pas rempli son obligation de consultation quand il avait consenti au changement de contrôle d’une compagnie forestière, laquelle détenait trois concessions de fermes forestières sur des terres revendiquées par les Premières Nations.

 

[104]       Je reconnais avec l’avocat de Mainstream Canada que ces décisions peuvent être distinguées de la présente espèce. Dans l’affaire Gitxsan, le changement de décideur concernait non pas l’organe de réglementation, mais la compagnie forestière elle-même. Dans l’affaire Adams Lake, la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique s’expliquait en partie par le fait que les municipalités ne sont pas soumises à l’obligation de consultation.

 

[105]       Ces deux décisions présentent cependant un dénominateur commun qui est également applicable dans le présent contexte. Leur lecture attentive montre que, ce qui déclenche l’obligation de consultation de la Couronne, c’est le caractère incertain des principes d’après lesquels la nouvelle instance dirigeante entend fonctionner. Dans la décision Adams Lake, la Cour suprême de la Colombie-Britannique écrivait par exemple, au paragraphe 127 :

[traduction]

 

[…] Par ailleurs, un changement de gouvernance a nécessairement une incidence sur les terres revendiquées par la bande parce que c’est la municipalité qui exercera désormais une autorité sur Sun Peaks, d’une manière qui pourrait influer négativement sur les droits ancestraux et le titre ancestral revendiqués par la bande.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[106]       Dans le même registre, la même cour écrivait, dans la décision Gitxsan, au paragraphe 82 :

[traduction]

 

Je rejette l’argument selon lequel la décision du ministre de donner son consentement au changement de contrôle de la société Skeena n’a eu aucune incidence sur les demandeurs. Il est vrai que le changement de contrôle était neutre, au sens où il ne modifiait pas la possession théorique des concessions de fermes forestières, ni aucune des conditions y afférentes, mais le changement de contrôle n’était pas neutre d’un point de vue pratique. D’abord, il a modifié l’identité de l’âme dirigeante de la compagnie Skeena, et la manière de penser des personnes qui prendront les décisions se rapportant aux concessions a pu changer en conséquence.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[107]       Certes, dans ces deux cas, la Couronne était intervenue dans le changement de décideur, tandis que le transfert de compétence du gouvernement provincial au fédéral dans la présente espèce était le résultat d’une décision judiciaire interprétant la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Victoria, ch 3. Ainsi, à proprement parler, la Couronne n’est pas à l’origine de ce changement et l’on ne saurait dire que le changement résulte d’une conduite de la Couronne. Cependant, cela est sans importance. Si le transfert du contrôle d’une société peut conduire, en raison d’une manière différente de voir les choses, à des conséquences préjudiciables pour des droits ancestraux qui sont revendiqués, ce sera d’autant plus le cas quand le transfert du pouvoir décisionnel concerne deux ordres de gouvernement, quelle que soit la raison de ce transfert. C’est sans doute indiscernable pour l’instant, mais seul le temps dira si la décision Morton influera radicalement sur la réglementation de l’aquaculture. Compte tenu de ce recentrage fondamental de la gestion de l’industrie aquacole, je crois que le gouvernement fédéral avait l’obligation de consulter la demanderesse et toutes les autres Premières Nations présentes dans la région.

 

[108]       La deuxième façon dont la décision de délivrer des permis d’aquaculture risque de porter atteinte aux droits de pêche de la demanderesse est plus fondamentale. La PNKA affirme que les permis autorisant des activités d’aquaculture dans les fermes Burdwood et Blunden mettent véritablement en péril la santé et l’abondance des stocks de poisson sauvage, dont dépend l’exercice de ses droits de pêche ancestraux. Elle invoque à l’appui les dégâts provoqués par l’élevage des saumons dans son territoire traditionnel, dégâts dont a témoigné le chef Robert Mountain, et la compréhension qu’elle a de l’information scientifique actuelle concernant les répercussions possibles de l’aquaculture des saumons.

 

[109]       Mainstream Canada rétorque que le transfert de la compétence de la Colombie-Britannique au Canada par suite de la décision Morton n’a pas pour effet en tant que tel de porter préjudice aux droits ancestraux de la PNKA. Le permis Burdwood délivré à Mainstream Canada le 18 décembre 2010 était le premier permis d’aquaculture délivré par le MPO, mais ce permis n’autorisait aucun changement opérationnel et il n’était pas différent du permis que la province aurait délivré à nouveau dans la même forme pour la ferme Burdwood, comme elle l’avait fait systématiquement depuis 2003.

 

[110]       Il est vrai que l’objet de consultations est de répondre aux préoccupations touchant les nouvelles menaces possibles. Comme l’écrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rio Tinto, précité, au paragraphe 49 : « L’atteinte antérieure et continue, y compris l’omission de consulter, ne fait naître l’obligation de consulter que si la décision actuelle risque d’avoir un nouvel effet défavorable sur une revendication actuelle ou un droit existant ». Autrement dit, la portée de l’obligation de consultation ne comprend pas les empiétements passés ni les répercussions actuelles et courantes de mesures passées. Pour que l’obligation de consultation soit déclenchée, il doit y avoir une nouvelle décision ou une nouvelle conduite susceptible d’influer sur des droits ancestraux. Le renouvellement d’un permis, même si le permis est semblable à celui qu’il remplace, suffit certainement à remplir la troisième condition de l’obligation de consultation (voir par exemple la décision Upper Nicola Indian Band v British Columbia (Minister of Environment), 2011 BCSC 388, 21 BCLR (5th) 81, aux paragraphes 103 à 114). Il s’agit d’une nouvelle mesure, à tel point que, sans le permis renouvelé, il faudrait que l’activité commerciale autorisée par ce permis cesse. À mon avis, l’obligation de consultation s’applique chaque fois qu’un permis est renouvelé, parce que chaque nouveau permis est susceptible de porter atteinte, même si ce n’est que faiblement, au droit ou titre revendiqué. Autrement, l’obligation de consultation disparaîtrait une fois le permis initial délivré, quelle que soit la période du renouvellement et sans égard aux répercussions que les renouvellements de permis risquent d’avoir plus tard. Un tel raisonnement tournerait en dérision l’obligation de consultation et l’honneur de la Couronne.

 

[111]       Cela dit, l’étendue des changements entraînés par le renouvellement d’un permis sera un facteur essentiel à prendre en compte au moment d’évaluer l’étendue de l’obligation de consultation. La Cour suprême du Canada a affirmé dans l’arrêt Nation Haïda que l’obligation du gouvernement variera en fonction de la solidité de la revendication et de l’effet de la conduite envisagée du gouvernement sur les droits en cause. Lorsque le droit ancestral revendiqué est restreint et que la possibilité d’empiétement est faible, l’obligation de consultation sera négligeable et la Couronne pourra se contenter de signifier un avis, de communiquer une information et de débattre des points soulevés en réponse à l’avis. Si, à l’autre extrémité du registre, il existe de fortes présomptions en faveur du droit revendiqué et que l’empiétement éventuel est d’une importance majeure pour le peuple autochtone, alors des consultations « approfondies » visant à trouver une solution provisoire satisfaisante pourraient être requises. Comme l’écrivait le juge en chef dans la décision unanime de la Cour suprême dans l’arrêt Rio Tinto, précité, au paragraphe 36, « la consultation exigée est plus approfondie lorsque la revendication autochtone paraît de prime abord fondée et que l’effet sur le droit ancestral ou issu de traité sous-jacent est grave… »

 

[112]       Dans la présente affaire, le procureur général a reconnu l’existence d’une obligation de consultation et n’a pas présenté d’arguments sur la solidité de la revendication de la demanderesse. La demanderesse elle-même ne s’est pas exprimée à ce chapitre. Dans ces conditions, il serait tout à fait inopportun pour la Cour de conjecturer ce premier volet de l’équation, et je m’abstiendrai donc de tout commentaire si ce n’est pour mentionner que de nombreuses autres Premières Nations semblent avoir des revendications rivales sur le territoire même où la PNKA fait valoir des droits de pêche. Dans sa décision, le juge Slade souligne que plusieurs autres groupes autochtones (dont un bon nombre font partie du CTMT) ont, dans l’archipel de Broughton, d’importantes revendications territoriales qui se chevauchent (décision PNKA, précitée, aux paragraphes 79 à 85).

 

[113]       La preuve est plus étoffée en ce qui concerne la seconde variable de l’équation, c’est-à-dire l’effet des permis sur le droit de pêche ancestral revendiqué par la demanderesse. Comme je l’ai dit précédemment, la PNKA se fonde sur les affidavits de Robert Mountain et Michael Price pour soutenir que l’autorisation d’activités salmonicoles avec cages en filet dans l’archipel de Broughton risque fort de nuire au droit de la PNKA de pêcher le saumon et de récolter des mollusques et crustacés, en particulier dans des zones reconnues par la PNKA comme des milieux sensibles tels que les sites de Blunden et de Burdwood.

 

[114]       En réponse à cette affirmation, le procureur général du Canada a produit un affidavit de Pieter Van Will, employé par le MPO comme chef de programme pour l’évaluation des stocks de saumons de North Island. M. Van Will y mentionne des affidavits qu’il avait déposés devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans une affaire apparentée opposant la demanderesse et le procureur général. Cette réclamation en dommages-intérêts concerne les populations de saumons sauvages présentes dans la même zone appelée l’archipel de Broughton.

 

[115]       Les affidavits de M. Van Will ne font état d’aucune conclusion définitive, mais ils offrent une évaluation beaucoup plus nuancée et approfondie des observations scientifiques se rapportant à l’état des stocks de saumons présents dans la zone litigieuse. Il n’appartient évidemment pas à la Cour de se prononcer catégoriquement sur ces questions scientifiques complexes, en particulier dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Tout ce que l’on peut dire avec certitude, compte tenu de la preuve non contredite de M. Van Will et en gardant à l’esprit les graves lacunes des affidavits de MM. Price et Mountain, c’est qu’il y a encore beaucoup à apprendre sur les causes du déclin de certains stocks de saumons dans certains cours d’eau de l’archipel de Broughton. À la lumière de cette preuve, je suis d’avis que la gravité des conséquences résultant de la délivrance des permis contestés sur le droit ancestral revendiqué par la PNKA demeure une question non résolue. Loin d’être démontré clairement, l’effet préjudiciable des permis délivrés le 18 décembre 2010 est, du moins pour l’instant, une simple conjecture. Mon sentiment n’est guère différent de celui exprimé par le juge Powers dans la décision Homalco Indian Band v British Columbia (Minister of Agriculture, Food and Fisheries), 2005 BCSC 283, 39 BCLR (4th) 263, au paragraphe 34, où il a dû constater qu’il existe des incertitudes et des désaccords importants dans les opinions scientifiques portant sur les effets et les risques de l’aquaculture des saumons. Il s’est écoulé sept ans depuis les propos du juge Powers, mais les études complémentaires qui ont été faites depuis ne semblent pas avoir apporté davantage de certitude.

 

[116]       Par conséquent, je conclus que le degré de consultation nécessaire en l’espèce ne se situe manifestement pas à l’extrémité supérieure du registre, comme le voudrait la demanderesse. Je suis aussi enclin à penser qu’il ne se situe pas non plus à l’extrémité inférieure du registre, compte tenu de la gravité des risques que pose la pisciculture pour le droit de pêche ancestral revendiqué par la demanderesse. Néanmoins, au final, il n’importe pas de savoir où se situe la présente affaire sur le registre de l’obligation de consultation, car je suis d’avis que, vu les circonstances, le gouvernement du Canada a fait ce qu’il devait faire pour préserver l’honneur de la Couronne et favoriser la conciliation des intérêts en jeu.

 

3) Les mesures prises par le MPO pour favoriser les consultations étaient-elles raisonnables eu égard aux circonstances?

[117]       Selon la PNKA, le MPO ne l’a jamais consultée avant de décider de remplacer les permis d’aquaculture. En fait, elle soutient que le MPO a montré qu’il n’était pas du tout disposé à consulter la PNKA sur cette question et que les consultations restreintes entreprises par le MPO avec la PNKA ont porté sur le cadre général de réglementation. Elles ne satisferaient donc pas à l’obligation de la Couronne d’engager des consultations sur les permis, c’est-à-dire sur les activités qui mettent en péril le droit de pêche ancestral de la PNKA.

 

[118]       Subsidiairement, la PNKA affirme que, s’il était conclu que le MPO avait engagé des consultations avant de décider de délivrer les permis, ces consultations ont été insuffisantes et dénuées de sens. D’abord, le MPO n’a évalué ni la solidité du droit ancestral de la PNKA ni les conséquences possibles de la délivrance des permis. Deuxièmement, il n’est pas prouvé que le MPO a pris en compte les préoccupations de la PNKA concernant le Règlement, la délivrance des permis et les conditions des permis. Le MPO n’a pas répondu aux préoccupations de la PNKA exposées dans diverses pièces de correspondance, et il n’a pas procédé à une évaluation environnementale ni montré l’importance d’une telle évaluation. En outre, le MPO a simplement informé la PNKA de la délivrance des permis près d’un mois après les faits, et il n’a pas fait connaître les raisons de sa décision.

 

[119]       Après un examen attentif du dossier et des arguments avancés par les parties, je suis d’avis que les affirmations de la PNKA ne sont pas confirmées par la preuve qui a été soumise à la Cour. En premier lieu, il faut reconnaître que la décision Morton mettait le MPO dans une situation très difficile. Puisqu’il n’était évidemment pas envisageable de laisser les 680 permis expirer sans qu’ils soient renouvelés, le MPO devait simultanément mettre en place, pour une industrie très complexe et dans un très court laps de temps, un régime complet de réglementation et d’émission de permis. La PNKA a raison d’affirmer que la Couronne ne peut, au nom de l’efficacité, sacrifier son obligation constitutionnelle de consultation. La preuve montre cependant que le MPO a engagé de nombreuses consultations au cours des 22 mois écoulés entre la publication de la décision Morton et l’expiration du délai donné par la Cour suprême de la Colombie-Britannique au fédéral pour l’examen et la mise en place de son propre régime de réglementation. Durant cette période, le MPO (1) a versé plus de 2 millions $ de financement de capacités au cours de 2009 et 2010, collectivement au Fisheries Council et à l’Aboriginal Aquaculture Association, pour faciliter les consultations avec un grand nombre de Premières Nations; (2) a communiqué tout au long de 2009 et 2010 des informations concernant la modification du régime de réglementation et concernant l’approche retenue par le MPO pour sa réglementation de l’aquaculture; (3) a organisé des réunions bilatérales ou participé à des ateliers bilatéraux les 16 et 17 juin et les 10, 11 et 14 décembre 2009, ainsi que le 30 mars 2010; (4) a publié le projet de règlement, pour examen et commentaires; (5) a communiqué un modèle de permis du MPO, pour examen et commentaires; (6) a conféré directement, en personne ou par téléphone, avec la PNKA et le CTMT le 2 septembre, le 21 octobre, le 17 novembre et le 10 décembre 2010; et (7) a communiqué des informations sur la manière dont le MPO entendait procéder dans l’avenir pour les consultations relatives à son nouveau régime de réglementation, y compris à l’utilisation de PGIA, afin d’assurer une gestion par zone.

 

[120]       Le MPO a finalement décidé de délivrer des permis aux 22 fermes salmonicoles de la région de Broughton, avec entrée en vigueur le 19 décembre 2010, à titre transitoire. Il est vrai que les permis provinciaux étaient en général délivrés annuellement eux aussi, mais les saumons sont élevés dans les installations durant 16 à 22 mois, ce qui signifie que des permis valides un an sont d’une utilité restreinte. Le MPO entend éventuellement délivrer des permis de plus longue durée, mais il a décidé de délivrer des permis d’une durée d’un an afin de permettre un examen complémentaire des conditions de permis et de rendre possibles d’autres consultations avant que ne soient prises les décisions de renouvellement. Le MPO a aussi maintenu les restrictions provinciales existantes applicables à la production maximale et aux espèces autorisées.

 

[121]       Pour arriver à sa décision de délivrer les permis, le MPO a pris en compte l’information figurant dans les permis provinciaux, l’information communiquée par les Premières Nations durant les consultations menées par le MPO, l’information donnée par les demandeurs de permis et par les promoteurs dans leurs demandes et, enfin, l’information scientifique se rapportant aux conséquences environnementales de l’aquaculture. Dans le cadre de cette décision, il a aussi été tenu compte des améliorations du régime fédéral de réglementation par rapport au régime provincial, y compris les nouvelles exigences et mesures fédérales destinées à dissiper les préoccupations suscitées par les fermes au chapitre de l’environnement et de la santé des poissons (voir l’affidavit d’Andrew Thomson, paragraphes 87 et 135).

 

[122]       Je reconnais avec le procureur général que la proposition présentée par le CTMT et la PNKA dans leur lettre du 17 décembre 2010, et en particulier leur demande de non-délivrance de permis pour six fermes clés du territoire du CTMT (dont la ferme Burdwood), équivaut pour l’essentiel à une stratégie de mise en jachère pour toute la région de Broughton. Une telle position est déraisonnable, car une stratégie de mise en jachère pour la région de l’archipel de Broughton, si elle était nécessaire, devrait être le résultat d’une vaste consultation multilatérale impliquant toutes les Premières Nations susceptibles de subir les effets des fermes salmonicoles de la région, de même que les autres parties touchées.

 

[123]       Par ailleurs, et contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, le CTMT et la PNKA ont évoqué pour la première fois ces mesures provisoires d’accommodement la veille seulement de l’expiration des permis provinciaux, dans la lettre de leur avocate datée du 17 décembre 2010. Dans sa lettre du 8 septembre 2010, l’avocate du CTMT et de la PNKA avait simplement évoqué la nécessité de consultations directes portant sur [traduction] « des permis projetés, ou des remplacements de permis, dans leur territoire ». Puis, dans une lettre du 19 novembre 2010, le CTMT et la PNKA écrivaient pour la première fois que des questions systémiques concernant toutes les fermes salmonicoles de l’archipel de Broughton devaient être réglées avant la délivrance de permis fédéraux. Par la suite, le CTMT et la PNKA ont modifié leur position lors de la réunion tenue le 10 décembre 2010, comme il est indiqué plus haut aux paragraphes 47 à 49 des présents motifs. C’est à cette réunion que la PNKA a semble-t-il fait connaître au MPO ses préoccupations à propos de certains sites et a demandé la fermeture, ou à tout le moins l’élimination progressive, de six fermes présentes sur son territoire. Non seulement cette demande a-t-elle été faite une semaine seulement avec l’expiration des permis provinciaux, mais il aurait été irréaliste et injustifié de prendre une décision sur ces fermes uniquement, sans une consultation sur un plan de gestion par zone. L’intention du MPO de poursuivre les consultations sur une gestion par zone dans l’écosystème de l’archipel de Broughton, ainsi que sur des questions non régionales, propres à des installations précises, fut aussi un facteur pris en compte dans la décision de délivrer à titre transitoire des permis d’une durée d’un an.

 

[124]       Considérées globalement, les consultations menées par le MPO concernant le cadre de réglementation et la délivrance de permis étaient raisonnables et n’étaient certainement pas dénuées de sens. L’idée de pondération et de compromis est inhérente à la notion d’honneur de la Couronne dans les affaires portant sur l’obligation de consultations. Comme l’écrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nation Haïda, précité, au paragraphe 45 :

[…] Tant que la question n’est pas réglée, le principe de l’honneur de la Couronne commande que celle-ci mette en balance les intérêts de la société et ceux des peuples autochtones lorsqu’elle prend des décisions susceptibles d’entraîner des répercussions sur les revendications autochtones. Elle peut être appelée à prendre des décisions en cas de désaccord quant au caractère suffisant des mesures qu’elle adopte en réponse aux préoccupations exprimées par les Autochtones. Une attitude de pondération et de compromis s’impose alors.

 

 

[125]       En bref, je n’ai pas été persuadé que les consultations n’étaient pas authentiques et qu’elles visaient uniquement à donner aux groupes autochtones l’occasion de se défouler. Bien au contraire, la preuve montre que la Couronne, par l’entremise du MPO, a abordé les consultations sans parti pris. De vastes consultations ont eu lieu à la fois sur le régime de réglementation et sur le régime de délivrance des permis, et ce, en dépit du très court laps de temps à l’intérieur duquel devait se faire le transfert de compétence de l’ordre provincial à l’ordre fédéral. Les consultations n’étaient pas dénuées de sens, et M. Thomson écrivait dans son affidavit que les observations et recommandations reçues à propos du projet de règlement avaient permis d’affiner plusieurs de ses dispositions. Le MPO n’a pas souscrit aux mesures provisoires de dernière minute proposées par la PNKA, mais, pour l’ensemble des motifs déjà exposés, cela ne signifie pas que les consultations n’étaient pas de véritables consultations.

 

[126]       À la lumière de tout ce qui précède, je suis donc d’avis que cette demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée, avec dépens en faveur des trois défendeurs.

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE : 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens en faveur des trois défendeurs.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-70-11

 

INTITULÉ :                                      LA PREMIÈRE NATION KWICKSUTAINEUK AH‑KWA‑MISH c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATES DE L’AUDIENCE :          Les 7, 8, 9 et 10 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 3 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

K. Robertson

R. Morgerson

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

S. Postman

A. Semple

POUR LES DÉFENDEURS

(LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS)

 

C. Watson

 

 

K. Grist

K. O’Callaghan

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(MARINE HARVEST CANADA INC.)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(EWOS CANADA, s/n MAINSTREAM CANADA)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robertson Law

Victoria (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

(LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS)

 

 

 

MacKenzie Fujisawa LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

(MARINE HARVEST CANADA INC.)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(EWOS CANADA, s/n MAINSTREAM CANADA)

 

 

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