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Date : 20120509


Dossier : IMM‑3546‑11

Référence : 2012 CF 562

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

BABACAR DIALLO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Vue d’ensemble

 

 

[1]               M. Babacar Diallo déclare avoir été persécuté en Guinée en raison de son orientation sexuelle. Il affirme avoir été exploité sexuellement à l’âge de 12 ans par un de ses instituteurs, ce qui aurait plus tard déterminé son goût pour les hommes. En 2009, la police l’aurait arrêté et tabassé après l’avoir surpris en train d’avoir des rapports sexuels avec un autre homme. Toujours selon ses dires, sa famille et sa collectivité l’ont alors rejeté, de sorte qu’il est allé s’installer chez une tante, dont une foule en colère a brûlé la maison. M. Diallo, après un séjour à l’hôpital, s’est ensuite enfui dans une autre ville, puis au Canada.

 

[2]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, après examen de la demande d’asile de M. Diallo, l’a rejetée au motif de l’insuffisance de preuves dignes de foi. M. Diallo soutient que la Commission l’a traité de manière inéquitable en montrant une attitude hostile à son égard. Il affirme également qu’elle s’est montrée déraisonnable en doutant de sa crédibilité et qu’elle a en fin de compte rendu une décision déraisonnable. Il me prie d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner à un autre tribunal de cette dernière de réexaminer sa demande d’asile.

 

[3]               À mon avis, la Commission n’a pas traité M. Diallo de manière inéquitable et elle avait des motifs valables de mettre sa crédibilité en doute à certains égards. Cependant, elle a commis une erreur dans son traitement d’éléments de preuve importants présentés par M. Diallo à l’appui de sa demande d’asile. En conséquence, force m’est d’infirmer la décision de la Commission et d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[4]               Il y a deux questions en litige dans la présente instance :

1.      La Commission a‑t‑elle traité M. Diallo de manière inéquitable?

2.      La décision de la Commission est-elle déraisonnable?

 

II.        La décision de la Commission

 

[5]               La Commission avait des doutes sur la crédibilité de M. Diallo. Par exemple, celui‑ci s’est montré incapable de préciser les années où il avait été à l’école. De plus, il n’a pu produire d’éléments tendant à prouver que l’enseignant qui l’aurait exploité sexuellement travaillait à son école au moment de ces abus.

 

[6]               M. Diallo a affirmé que les abus sexuels dont il aurait été victime l’avaient traumatisé et rendu vulnérable, mais il n’a produit aucun élément de preuve à l’appui de cette affirmation. En outre, il a déclaré avoir été hospitalisé durant deux semaines après l’attaque de la maison de sa tante et être sorti de l’hôpital en béquilles. Or le rapport médical qu’il a produit portait qu’il était sorti de l’hôpital après une semaine et avec une minerve. En conséquence, la Commission a mis en doute son affirmation qu’il avait été persécuté en Guinée.

 

[7]               M. Diallo a présenté des éléments de preuve concernant le temps qu’il avait passé au Canada, mais il s’est révélé incapable de donner le nom de la plupart des bars homosexuels qu’il disait avoir fréquentés. Il a aussi produit une lettre d’un centre communautaire portant qu’il faisait partie d’un groupe de soutien, mais cette lettre ne précisait pas de quel groupe il s’agissait. En outre, bien qu’il ait produit des photographies le montrant avec deux amis, aucun des deux n’a fourni d’affidavit appuyant ses dires.

 

[8]               À partir de ces éléments de preuve, la Commission a conclu que M. Diallo n’était pas homosexuel et que, par conséquent, sa demande d’asile était infondée. La Commission a aussi conclu que M. Diallo ne risquait ni d’être torturé ni de subir d’autres mauvais traitements graves s’il retournait en Guinée.  

III.      Première question en litige – La Commission a‑t‑elle traité M. Diallo de manière inéquitable?

 

[9]               M. Diallo fait valoir que la Commission s’est montrée sarcastique et hostile à son égard, et qu’elle a empêché son conseil de présenter des éléments de preuve en sa faveur.

 

[10]           Vu le dossier, je conclus que ces affirmations de M. Diallo ne sont pas entièrement dépourvues de fondement. Certaines des remarques de la Commission étaient en effet sarcastiques et déplacées, par exemple, celle selon laquelle M. Diallo n’était pas particulièrement jeune lorsqu’il avait subi des abus sexuels – rappelons qu’il avait alors 12 ans. De plus, la Commission a interrompu à plusieurs reprises le conseil du demandeur pendant qu’il présentait des observations au nom de son client. Cependant, on peut dire que, dans l’ensemble, la Commission a pris en considération et examiné les observations du conseil. En fait, ce dernier a admis que [TRADUCTION] « les choses semblaient s’équilibrer ». La conduite de la Commission n’est pas louable ni même acceptable, mais on ne peut en déduire l’existence d’un parti pris.

 

[11]           À mon sens, compte tenu de l’ensemble de la preuve, la Commission a donné une audition équitable au demandeur et elle a raisonnablement pris en considération les éléments favorables à celui‑ci.

IV.       Deuxième question en litige – La décision de la Commission est-elle déraisonnable?

 

[12]           M. Diallo fait valoir que la Commission a agi déraisonnablement en exigeant de lui qu’il prouve son orientation sexuelle. Il soutient également que la Commission a omis de prendre en considération des éléments de preuve documentaire établissant que les homosexuels sont persécutés en Guinée et qu’il était actif dans la communauté homosexuelle de Toronto. La véritable question à trancher est celle du caractère raisonnable ou non des conclusions de la Commission selon lesquelles M. Diallo n’avait pas établi son orientation sexuelle ni le fondement de sa demande d’asile. À mon avis, ces conclusions sont déraisonnables.

 

[13]           M. Diallo avait produit devant la Commission une lettre du 519 Church Street Community Centre selon laquelle il était un membre actif du Groupe de soutien des réfugiés lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres [LGBT] depuis 2010. La Commission n’a attribué que peu de poids à cette lettre parce qu’on peut être membre du 519 Church Street Community Centre sans nécessairement appartenir à la communauté des LGBT. Or la lettre portait explicitement que M. Diallo était membre du Groupe de soutien des réfugiés LGBT, ce qui donnait à penser qu’il était effectivement homosexuel.

 

[14]           Selon le rapport médical produit devant la Commission, M. Diallo avait été gravement blessé à la tête, ce qu’il a confirmé dans son témoignage de vive voix. Ses souvenirs du traitement qu’il avait reçu étaient confus. Il était possible, a‑t‑il expliqué, qu’on lui ait mis une minerve pendant son séjour à l’hôpital et qu’on lui ait donné des béquilles au moment de sa sortie. Les dossiers médicaux ne contredisaient pas son témoignage.

 

[15]           La Commission a aussi négligé certains éléments de preuve. Par exemple, le rapport médical portait que la famille et la collectivité de M. Diallo désapprouvaient son mode de vie. De même, des témoins ont produit des lettres corroborant la version des faits donnée par le demandeur. Or la Commission n’a pas fait mention de ces documents.

 

[16]           Certains aspects de la preuve, il est vrai, étaient manifestement propres à susciter des doutes. Le témoignage de M. Diallo présentait des contradictions à certains égards. De plus, il a omis de produire des éléments de preuve touchant certains points, ainsi que d’appeler à la barre des personnes dont le témoignage lui aurait été utile.

 

[17]           Toutefois, étant donné les erreurs recensées plus haut, j’estime déraisonnable la conclusion de la Commission au motif qu’elle n’a pas tenu compte d’importants éléments de preuve favorables à M. Diallo.

 

V.        Conclusion et dispositif

 

[18]           La Commission n’a pas traité M. Diallo de manière inéquitable, mais elle a négligé ou mal interprété certains éléments de preuve importants. Force m’est donc de déclarer déraisonnable sa conclusion selon laquelle la demande d’asile de M. Diallo n’était pas étayée par la preuve et d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé de question grave de portée générale à la certification, et aucune n’est énoncée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE COMME SUIT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est énoncée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3546‑11

 

INTITULÉ :                                      BABACAR DIALLO

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 14 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 9 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sarah L. Boyd

 

POUR LE DEMANDEUR

Susan Gans

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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