Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120509

Dossier : IMM-6273-11

Référence : 2012 CF 554

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

 

CHIPENG SU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle M. Su n’a ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger doit être annulée.

 

[2]               La Commission a cru que M. Su était homosexuel, mais non qu’il avait été arrêté et agressé par la police. En conséquence, elle a conclu que M. Su ne serait pas exposé à un risque sérieux de préjudice en Chine.

 

[3]               Quoique certains éléments de preuve puissent permettre de conclure que le récit de M. Su n’est pas crédible, le problème concernant la décision de la Commission est que certains des faits sur lesquels celle‑ci a fondé sa conclusion relative à la crédibilité ne concordent pas avec la preuve.

 

[4]               La première erreur de fait commise par la Commission ressort du passage suivant :

Dans son FRP, le demandeur d’asile soutient avoir été arrêté par la police dans le cadre d’une campagne de lutte contre la prostitution et avoir été accusé de s’adonner au [traduction] « commerce sexuel ». Lorsque je lui ai demandé, lors de l’audience, sous quel chef d’accusation il avait été arrêté en Chine, le demandeur d’asile a à nouveau déclaré qu’il avait été accusé de s’adonner au « commerce sexuel ». Je signale toutefois que le chef d’accusation qui figure dans le document qu’il a déposé en preuve indique qu’il a été accusé d’avoir [traduction] « agi de manière immorale et licencieuse dans le parc commémoratif de la guerre contre les Britanniques ». Le demandeur d’asile n’a pas été en mesure d’expliquer cette contradiction de manière satisfaisante; il s’est contenté de répéter qu’il avait été piégé et qu’à son avis, l’expression « agir de manière immorale et licencieuse » était synonyme de prostitution [note de bas de page omise].

 

[5]               En fait, le demandeur n’a pas déclaré dans son témoignage aussi clairement que la Commission le laisse entendre qu’il avait été accusé de [traduction] « commerce sexuel ». Dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP], à la question de savoir s’il avait déjà été « recherché, arrêté ou détenu par la police », il a répondu « oui » et à la question de savoir pour quelle raison, il a répondu [traduction] « présumée prostitution [non souligné dans l’original] ». Lorsqu’on lui a demandé à l’audience quelle accusation avait été déposée contre lui, il a répondu d’abord : [traduction] « [C]’est la police qui m’a accusé de m’adonner au commerce sexuel dans des endroits publics, ce qui signifie agir de manière immorale en se livrant à du fétichisme. » Lorsqu’on lui a demandé de clarifier sa réponse, il a dit : [traduction] « Ils m’ont accusé d’agir de manière licencieuse et immorale dans des endroits publics. »

 

[6]               À mon avis, il ressort d’une lecture objective du FRP et de la transcription que le demandeur a toujours affirmé que les policiers l’avaient accusé de s’adonner au [traduction] « commerce sexuel » ou à la prostitution masculine, alors qu’en fait il flirtait avec son petit ami. Officiellement, il a été accusé d’avoir [traduction] « agi de manière immorale et licencieuse dans le parc commémoratif de la guerre contre les Britanniques », comme le montrent les documents de la police figurant aux pages 404 à 407 du dossier certifié du tribunal. L’allégation selon laquelle il s’adonnait au commerce sexuel était le stratagème utilisé, non l’accusation. En conséquence, j’estime que la Commission n’a pas agi de manière raisonnable en se fondant sur cette présumée incohérence.

 

[7]               En outre, la Commission s’est appuyée sur une présumée contradiction entre l’assignation pour probation et les accusations mentionnées ci‑dessus. Le passage pertinent de l’assignation pour probation indique : [traduction] « ChiPeng SU est assigné pour cause de sodomie […] ». La Commission a souligné que la sodomie et la prostitution étaient deux choses différentes. Elle a écrit au paragraphe 16 de sa décision :

Lorsque j’ai souligné qu’il existait une différence importante entre les mots « sodomie » et « prostitution » et que, selon la documentation objective, il n’existait apparemment aucune loi contre la sodomie en Chine, le demandeur d’asile a à nouveau été incapable d’expliquer pourquoi, selon ce document, il aurait été accusé de sodomie. À ce moment de l’audience, le conseil du demandeur d’asile a interrogé l’interprète pour savoir si les caractères utilisés en chinois pouvaient aussi avoir le sens de « prostitution », et cette dernière a admis que, lus d’une certaine manière, ces caractères pouvaient effectivement être interprétés ainsi [non souligné dans l’original et notes de bas de page omises].

 

[8]               La Commission n’a pas expliqué pourquoi elle rejetait cet élément de preuve qui réglait en faveur du demandeur la question de savoir si l’on pouvait interpréter le document comme s’il mentionnait la « prostitution » et non la « sodomie ». À mon avis, il ressort clairement de l’échange suivant, survenu à l’audience entre l’interprète et le conseil de M. Su, que les caractères chinois employés peuvent signifier « prostitution » :

[traduction]

M. TSE : J’aimerais seulement revenir en arrière pour clarifier le libellé de ce document.

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : D’accord.

 

M. TSE : C’est vraiment important pour moi.

 

Madame [l’interprète], pouvez‑vous regarder le mot chinois ou le texte chinois à la page 80 pour trouver le mot qui a été traduit par « sodomie »? Pouvez‑vous traduire les mots et les sons exacts, donner le sens littéral des mots? Il y a deux caractères qui sont plutôt importants.

 

Je vais vous montrer ce que la traductrice a fait ressortir, les deux caractères. J’aimerais demander à la traductrice ce que signifient ces deux caractères.

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Dans l’original, il y a – c’est écrit à la main sur une partie du formulaire. Je me demande si vous pourriez seulement lui montrer le document original. Il se trouve dans le recueil là. Je l’ai vu lorsque j’ai feuilleté le recueil. Il y a des mots écrits à la main sur le formulaire. S’agit‑il de ces mots‑là?

 

[…]

 

M. TSE : Oui. Madame [la traductrice], pouvez‑vous lire ces mots, le mot lui‑même?

 

L’INTERPRÈTE : Ces deux mots signifient « sodomie ».

 

M. TSE : Je parle du mot.

 

L’INTERPRÈTE : Oh, en chinois, c’est (inaudible); on peut le couper à deux endroits.

 

M. TSE : Je veux la traduction de chaque partie.

 

L’INTERPRÈTE : Vous traduisez le sens. La traduction ne se fait pas toujours mot à mot.

 

M. TSE : Oui.

 

L’INTERPRÈTE : Mais mot à mot en chinois, la première lettre est (propos en langue étrangère) et la deuxième, (propos en langue étrangère). Et (propos en langue étrangère) signifie avoir des contacts sexuels et (propos en langue étrangère) signifie se livrer à la prostitution – donc, avoir des contacts sexuels avec un prostitué ou une prostituée. C’est le sens général.

 

M. TSE : Et lorsque vous traduisez ces deux caractères en anglais, ils signifient « sodomie »?

 

L’INTERPRÈTE : (Inaudible), « sodomie » ou, verbalement, « avoir des contacts sexuels avec un prostitué ou une prostituée ».

 

M. TSE : D’accord.

 

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Lequel est-ce?

 

L’INTERPRÈTE : Ce peut être les deux. Un sens original découlant d’un mot littéraire différent, « sodomie ».

 

M. TSE : Ce peut être les deux?

 

L’INTERPRÈTE : Oui, parce que le chinois n’est pas une langue très contrastée. Ce mot a un sens semblable, mais plus large [non souligné dans l’original].

 

[9]               Cette question de traduction a trait à une présumée divergence sur laquelle la Commission a fondé en grande partie sa conclusion relative à la crédibilité. Si l’autre définition est acceptée, il n’y aurait peut‑être pas de divergence entre le témoignage de M. Su selon lequel il a été accusé d’avoir « agi de manière immorale et licencieuse » à cause d’une accusation selon laquelle il se livrait à la prostitution masculine, d’une part, et l’assignation pour probation indiquant qu’il est assigné [traduction] « à cause » du fait qu’il s’adonnait à la sodomie ou à la prostitution, d’autre part. Le document ne semble pas préciser la nature de l’accusation; il indique plutôt avec précision l’acte qui a mené à l’accusation. La Commission a agi de manière déraisonnable lorsqu’elle a rejeté cette preuve sans explication.

 

[10]           Je conviens avec l’avocate du ministre que l’assignation pour probation reste problématique, en particulier parce que les autres documents ne mentionnent pas que le demandeur était assujetti à une période de probation. Toutefois, la Commission aurait peut‑être accordé un poids plus grand au témoignage du demandeur à cet égard si elle n’avait pas rejeté la preuve documentaire.

 

[11]           J’estime en outre que la Commission n’a pas tenu compte, pour parvenir à sa conclusion défavorable concernant la crédibilité du demandeur au regard de ses rapports avec la police, de la preuve selon laquelle celle‑ci se sert arbitrairement d’une variété de prétextes pour punir les démonstrations publiques de l’homosexualité. M. Su a déclaré dans son témoignage :

[traduction] Ce que je voulais dire, c’est que si les autorités policières avaient commencé en mai une campagne pour éradiquer la prostitution, elles devaient ou doivent se débarrasser d’un très grand nombre de cas de prostitution. Lorsqu’elles étaient incapables d’atteindre ce quota – d’arrêter suffisamment de prostitué(e)s – elles nous arrêtaient, nous les homosexuels, pour respecter leur quota […] Les autorités policières se sont donc servi du prétexte de l’éradication de la pornographie pour arrêter des homosexuels.

 

La Commission n’a pas examiné cette prétention selon laquelle des homosexuels ont été arrêtés pour que les quotas d’arrestations pour prostitution soient atteints. À mon avis, elle a commis une erreur en n’analysant pas les allégations répétées de M. Su, qui étaient étayées par la preuve documentaire, selon lesquelles les autorités utilisaient de faux prétextes pour le persécuter.

 

[12]           Subsidiairement, la Commission a conclu que M. Su avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Shanghai où, selon elle, le mode de vie homosexuel est généralement accepté. Elle a indiqué que M. Su s’est contenté d’émettre l’hypothèse que sa probation ne lui permettrait pas de s’installer dans cette ville, sans expliquer de manière satisfaisante pourquoi. Elle a rappelé que M. Su avait pu quitter la Chine et y retourner à deux reprises, sans que son statut en matière de probation ne soit touché. Elle a conclu que rien ne permettait de croire qu’il ne pourrait pas le faire à nouveau.

 

[13]           Je conviens avec M. Su que la conclusion défavorable que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité au regard de ses rapports avec la police a eu une incidence sur l’appréciation de l’existence d’une PRI. Si les conclusions de la Commission relatives au risque sont erronées, alors M. Su est une personne faisant l’objet d’un statut en matière de probation qui devra, au moins une autre fois, se présenter devant ses agents de persécution et qui sera détenu pendant trois mois pour ne pas s’être manifesté. Il n’est donc pas simplement un homosexuel susceptible de faire l’objet de discrimination dans sa ville. Or, il n’y a pas de PRI si la personne s’expose à de la persécution pour obtenir la permission de se rendre à l’endroit où la PRI existe.

 

[14]           Il est déraisonnable que la Commission conclue qu’il y avait moins qu’une simple possibilité que le demandeur soit exposé à un risque de préjudice s’il se présentait à la police dans le but de se réinstaller et de vivre à Shanghai s’il est vrai : (i) qu’il a été agressé par la police lorsqu’il a été aperçu en train d’embrasser et de caresser une autre personne dans le parc le 4 mai 2009, (ii) qu’il a été battu, agressé, déshabillé et forcé de se livrer à des actes sexuels par la police chaque jour qu’il a passé en détention entre le 4 et le 11 mai 2009, (iii) qu’il a été victime de violence verbale de la part de la police lorsqu’il s’est présenté à elle en conformité avec sa probation et qu’il a payé le montant exigé le 11 novembre 2009 et (iv) qu’il a été battu par la police au point d’avoir besoin de soins médicaux lorsqu’il s’est présenté pour faire son deuxième paiement le 11 mai 2009. Ces faits, s’ils sont survenus comme on l’allègue, jettent un éclairage très différent sur l’existence d’une PRI et sur le risque auquel sera exposé M. Su à son retour en Chine.

 

[15]           La demande d’asile de M. Su doit être réexaminée.

 

[16]           Aucune partie n’a proposé une question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, que la demande d’asile du demandeur doit être réexaminée par un tribunal différemment constitué de la Commission et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6273-11

 

INTITULÉ :                                      CHIPENG SU c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 2 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 9 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Iven K. S. Tse

 

                            POUR LE DEMANDEUR

Sandra Weafer

 

                             POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Iven K. S. Tse

Avocat

Vancouver (C.‑B.)

 

                            POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.