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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120510


Dossier : IMM-3917-11

Référence : 2012 CF 568

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

GUSTAVO ADOLFO SAENZ GOMEZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande visée au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], concernant le contrôle judiciaire de la décision rendue le 12 mai 2011 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), et signée le 19 mai 2011, de rejeter la demande présentée par le demandeur afin que la qualité de réfugié ou de personne à protéger lui soit reconnue en vertu de l’article 96 ou 97 de la Loi.

 

[2]               Le demandeur veut obtenir une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission afin qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

Les faits

[3]               M. Gustavo Adolfo Saenz Gomez (le demandeur) est un citoyen de la Colombie. Il demande la protection du Canada parce qu’il craint d’être persécuté par les autorités de l’État en Colombie en raison de ses liens avec l’Union patriotique, un parti politique de gauche.

 

[4]               Le demandeur soutient que lui et son père sont devenus membres de l’Union patriotique en 1985. Ce parti étant perçu comme une menace par l’État, ses membres seraient régulièrement persécutés et torturés par le gouvernement colombien.

 

[5]               Le demandeur allègue que son père a été assassiné le 28 septembre 1991. Il a ensuite vécu dans la clandestinité car sa vie était également en danger. Le demandeur allègue aussi que sa famille était également menacée et qu’en conséquence elle a été forcée de déménager plus de 30 fois au cours d’une période de dix ans.

 

[6]               Le demandeur allègue qu’il a été victime d’une attaque à main armée en 1996. À l’époque, il habitait à Cali, une ville située sur la côte de la Colombie.

 

[7]               Le demandeur affirme que, le 12 avril 1997, il a été forcé de quitter son pays et de s’enfuir aux États‑Unis.

 

[8]               Le cousin du demandeur a été torturé et tué par la police le 6 juin 2004. Son frère Rodrigo a aussi été assassiné le 3 octobre 2004, après avoir participé à des révoltes étudiantes. Le demandeur allègue que son cousin et son frère ont été tués par les autorités de l’État à cause de la poursuite judiciaire qu’ils avaient intentée par suite du décès de son père.

 

[9]               Le demandeur a vécu aux États‑Unis du 12 avril 1997 au 5 mars 2009, date à laquelle il est arrivé au Canada et a demandé l’asile.

 

[10]           La demande d’asile du demandeur a été entendue par la Commission le 12 mai 2011.

 

[11]           La Commission a rejeté la demande d’asile parce que les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles.

 

La question en litige

[12]           La Cour doit trancher la question suivante en l’espèce : le demandeur a-t-il été privé d’une audience équitable à cause de l’inefficacité de l’assistance de son conseil?

 

[13]           La Cour suprême du Canada a indiqué dans R c GDB, 2000 CSC 22, au paragraphe 27, [2000] 1 RCS 520, que l’incompétence doit être appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable. La Cour souscrit à l’opinion du juge Zinn selon laquelle, lorsque l’incompétence du conseil est alléguée, « cette mise en garde est particulièrement pertinente car l’ancien représentant [l’ancien conseil] […] n’est pas présent devant la Cour pour expliquer ses actes » (TKM c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 927, au paragraphe 4, [2011] ACF no 1154).

 

[14]           En l’espèce, la Cour doit apprécier les allégations du demandeur en tenant compte seulement des faits divulgués dans le dossier.

 

Les prétentions du demandeur

[15]           Le demandeur soutient qu’il n’a pas eu une audience équitable à cause de l’inefficacité de l’assistance de son ancien conseil.

 

[16]           Le demandeur allègue que c’est son avocat qui doit être blâmé pour les omissions dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) parce qu’il n’a lui‑même jamais été informé que son FRP devait être détaillé et complet. Il affirme que son avocat ne lui a pas posé de questions dans le but de remplir son FRP et que celui‑ci a finalement été rempli par l’assistant/l’interprète de l’avocat. De même, le demandeur allègue que l’interprète de l’avocat a rédigé l’exposé circonstancié de son FRP en français, sur la foi d’une déclaration que le demandeur avait écrite en espagnol. Le demandeur affirme qu’il ne parle pas français et que le représentant n’a pas retraduit l’exposé circonstancié en espagnol dans le but de vérifier qu’il était exact et complet, même si le représentant a signé une déclaration à cet effet.

 

[17]           En outre, le demandeur affirme qu’il a eu très peu de contacts avec son avocat malgré tous ses efforts et que ce dernier n’a pas donné suite à ses demandes de conseils avant l’audience et ne lui a pas dit comment obtenir des documents corroborants au soutien de ses allégations.

 

[18]           Le demandeur affirme également qu’il a remis certains documents corroborants à son avocat avant l’audience, mais que celui‑ci a omis de produire un document important du bureau du procureur général du Mexique, daté du 28 avril 2011 (qui confirmait l’existence d’une poursuite relative au meurtre de son père), qui était [traduction] « précisément le type de document que, selon la Commission, il n’avait pas essayé d’obtenir, ce qui avait miné considérablement sa crédibilité aux yeux de la Commission » (mémoire des arguments du demandeur, au paragraphe 15).

 

[19]           Le demandeur affirme également qu’il a déposé une plainte auprès du Barreau du Québec le 24 juin 2011, ou vers cette date, concernant la conduite de son avocat.

 

Les prétentions du défendeur

[20]           Pour sa part, le défendeur soutient que la décision de la Commission était raisonnable et que le demandeur n’a pas produit une preuve corroborante suffisante démontrant qu’il n’avait pas eu droit à une audience équitable à cause de l’inefficacité de l’assistance de son ancien conseil.

 

Analyse

[21]           Ayant examiné les documents, le témoignage du demandeur, les prétentions des parties et la jurisprudence pertinente, la Cour ne peut reconnaître, comme le demandeur le voudrait, qu’il y a eu manquement à la justice naturelle en l’espèce. La Cour estime que le demandeur n’a pas démontré qu’il existait une probabilité raisonnable que, n’eût été l’incompétence de son ancien conseil, l’issue de l’audience aurait été différente.

 

[22]           La Cour rappelle que c’est le demandeur qui a le lourd fardeau d’établir un manquement à l’équité procédurale. Elle rappelle également que l’incompétence d’un conseil ne constituera un manquement à l’équité procédurale que dans des cas exceptionnels où cela est clairement établi.

 

[23]           Le critère servant à déterminer si l’incompétence d’un conseil constitue un manquement à la justice naturelle et à l’équité procédurale consiste à se demander si les actes du conseil « relevaient de l’incompétence » et s’ils ont causé une « erreur judiciaire » (GDB, précité, aux paragraphes 26 et 27; Memari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1196, [2010] ACF no 1493; TKM c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 927, [2011] ACF no 1154; Gulishvili c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1200, [2002] ACF no 1667, et Shirwa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1re inst), [1993] ACF no 1345 aux paragraphes 60 à 64, [1994] 2 CF 51).

 

[24]           La Cour suprême du Canada a affirmé dans GDB, précité :

[27] L’incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable. Le point de départ de l’analyse est la forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. Il incombe à l’appelant de démontrer que les actes ou omissions reprochés à l’avocat ne découlaient pas de l’exercice d’un jugement professionnel raisonnable. […]

 

[25]           En outre, les remarques suivantes formulées par le juge De Montigny dans Bedoya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 505, aux paragraphes 18 à 20, [2007] ACF no 680, sont pertinentes :

[18] La Cour a établi clairement qu’une partie ne devrait pas pouvoir invoquer l’incompétence de son avocat si ce dernier n’a pas eu l’occasion de justifier sa conduite ou s’il n’est pas démontré que l’affaire a été soumise pour enquête à l’organe dirigeant : voir par exemple les décisions suivantes : Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 555 (C.F. 1re inst.); Sathasivam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 438; Kizil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 137; Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1274. Comme je l’ai dit, ce critère a été observé dans la présente affaire.

 

[19] La norme d’après laquelle la Cour peut conclure que l’incompétence d’un avocat a été flagrante au point de constituer un manquement à la justice naturelle est très élevée, comme on peut le voir dans l’extrait suivant de la décision Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 23 Imm. L.R. (2d) 123 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 11 et 12 :

 

Lorsque le requérant n’a commis aucune faute, mais le manque de diligence de son avocat a pour effet de le priver totalement de son droit d’être entendu, il y a manquement à un principe de justice naturelle […]

 

Dans les autres cas où une audience a lieu, la décision rendue ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire que dans des « circonstances extraordinaires », lorsqu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour établir « l’étendue du problème » et que le contrôle judiciaire a « pour fondement des faits très précis ». Ces restrictions sont essentielles, selon moi, afin de tenir compte des préoccupations exprimées par les juges MacGuigan et Rothstein, selon lesquelles l’insatisfaction d’ordre général ressentie à l’égard de la qualité de la représentation assurée par l’avocat dont le demandeur a, de son propre chef, retenu les services, ne saurait justifier le contrôle judiciaire d’une décision défavorable. Toutefois, lorsque l’incompétence ou la négligence du représentant ressort de la preuve de façon suffisamment claire et précise, elle est en soi préjudiciable au demandeur et elle justifie l’annulation de la décision, même si le tribunal n’a pas agi de mauvaise foi ni omis de faire quoi que ce soit.

 

[20] Les demandeurs doivent aussi montrer qu’il existe une probabilité raisonnable que, sans cette prétendue incompétence, l’issue de l’audience initiale aurait été autre : Shirvan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509; Jeffrey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605; Olia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 315.

 

[26]           La Commission a écrit dans sa décision que la crédibilité du demandeur était minée par les omissions importantes dans son FRP et par l’absence de documents corroborants. Compte tenu des faits, la Cour ne peut pas souscrire à l’opinion du demandeur et conclure à l’incompétence du conseil pour les motifs qui suivent.

 

[27]           Il ressort d’un examen des documents produits :

·                que le demandeur a choisi de ne pas modifier ou corriger son FRP pendant l’entrevue qui a eu lieu avant l’audience de la Commission (dossier du tribunal, à la page 100);

 

·                que, à l’audience, la Commission a donné au demandeur la possibilité de déposer ses documents même si le délai pour le faire était expiré (dossier du tribunal, à la page 176);

 

·                que la Commission a invité le demandeur à faire des corrections à son FRP au début de l’audience et qu’elle a accepté que des modifications soient apportées à la transcription (dossier du tribunal, aux pages 189 à 193);

 

·                que le demandeur a eu la possibilité de mentionner à la Commission l’existence du document, mais qu’il ne l’a pas fait (dossier du tribunal, aux pages 205 à 207).

 

[28]           La Cour constate en conséquence que le demandeur a eu amplement le temps de corriger les omissions dans son FRP ou de modifier celui‑ci et de produire ses documents, mais qu’il ne l’a pas fait. Aussi, compte tenu des observations ci‑dessus, elle conclut que le demandeur n’a pas démontré que, n’eût été l’incompétence de son ancien conseil, l’issue de l’audience aurait été différente.

 

[29]           En l’espèce, la Commission a souligné que la crédibilité du demandeur était minée par les omissions importantes dans son FRP et dans les notes prises au point d’entrée et que le demandeur n’avait pas produit une preuve corroborante (dossier du tribunal, aux pages 201 à 208, 213 et 218). En outre, le demandeur a admis n’avoir rien fait pour obtenir ces documents au soutien de sa demande d’asile (décision du tribunal, aux paragraphes 13 et 14). De plus, (i) le FRP du demandeur est écrit en anglais, (ii) la question 31 du FRP est claire et (iii) la preuve ne démontre pas que le demandeur ne comprend pas l’anglais. Par conséquent, le fait qu’il n’a rien dit de la poursuite judiciaire ou de la dénonciation consécutive au décès de son père n’était pas sans importance puisqu’il a affirmé craindre de retourner en Colombie car il y serait persécuté à cause de cet acte.

 

[30]           Le demandeur déclare dans son affidavit (au paragraphe 17) qu’il a déposé auprès du Barreau du Québec une plainte concernant son ancien conseil, mais il n’a produit aucune preuve convaincante le confirmant ou démontrant que le conseil a été déclaré professionnellement responsable. En somme, les allégations du demandeur ne sont pas étayées par la preuve. 

 

[31]           Enfin, le demandeur soutenait que les faits en l’espèce étaient similaires à ceux en cause dans El Kaissi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1234, [2011] ACF no 1518, où le juge Near a conclu à un manquement à l’équité procédurale, de sorte que cette décision s’appliquait en l’espèce. La Cour n’est toutefois pas de cet avis car une distinction claire peut être faite entre les deux affaires. Il est utile de noter que le juge Near a souligné que des « circonstances extraordinaires » existaient dans El Kaissi. Plus particulièrement, la preuve dans cette affaire démontrait que le conseil du demandeur était en possession d’un élément de preuve (une lettre) qu’il avait omis de produire. Or, aucune preuve de ce genre n’a été produite en l’espèce. En conséquence, El Kaissi ne s’applique pas à la présente affaire. 

 

[32]           Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, la Cour conclut que le demandeur n’a pas démontré qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[33]           Comme aucune partie n’a proposé une question à des fins de certification, aucune question ne sera certifiée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3917-11

 

INTITULÉ :                                      GUSTAVO ADOLFO SAENZ GOMEZ c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 27 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Lehrer

 

                            POUR LE DEMANDEUR

 

Laoura Christodoulides

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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