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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20120515

Dossier : IMM-7359-11

Référence : 2012 CF 586

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 15 mai 2012

En présence de monsieur le juge Campbell

 

 

ENTRE :

 

LIHUA SU

JUN BIN YANG

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               En décembre 2010, la demanderesse Lihua Su (la demanderesse) et son jeune fils, tous deux citoyens de la Chine, ont fui leur maison de la province du Guangdong en Chine et ont demandé l’asile au Canada. Leur demande est fondée sur la preuve de la demanderesse selon laquelle elle est chrétienne et qu’à cause de cette identité religieuse elle sera exposée, si elle est tenue de retourner en Chine, à plus qu’une simple possibilité de persécution selon l’article 96 de la LIPR ou à un risque probable selon l’article 97 de la LIPR.

 

[2]               Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a accepté la preuve de la demanderesse selon laquelle elle est chrétienne. Elle a toutefois rejeté sa demande d’asile parce que, dans les faits, si la demanderesse et son fils retournent dans leur maison du Guangdong, l’existence du risque objectif allégué sous le régime des articles 96 et 97 ne peut pas être établie.

 

[3]               La décision de la SPR est fondée sur l’opinion selon laquelle, bien qu’il soit démontré que les chrétiens sont persécutés au Guangdong, le risque de persécution est faible dans le cas des personnes considérées comme des chrétiens « laïques ». La question de savoir si cette opinion est valable dépend de la qualité de l’analyse effectuée par la SPR de la preuve au dossier concernant les conditions de persécution auxquelles sont actuellement confrontés les chrétiens au Guangdong. Pour les motifs qui suivent, j’estime que l’analyse comporte une erreur susceptible de contrôle car elle ne traite pas de certains éléments de preuve fondamentaux.

 

[4]               L’analyse effectuée par la SPR des éléments de preuve les plus récents sur le pays qui étaient disponibles à l’époque où la décision faisant l’objet du présent contrôle a été rendue a porté principalement sur le rapport de l’Association d’aide à la Chine de 2010, qui constitue le document 12.10 de l’index des documents de la Commission de l’immigration et du statut de


réfugié. La preuve exacte relative aux actes de persécution commis au Guangdong est décrite de la façon suivante dans le document pour la période allant de janvier 2010 à décembre 2010 :

[traduction]

6. Sud de la Chine : Guangdong

(Nombre total de cas de persécution dans la région : 6, l’année dernière : 8; nombre de personnes persécutées : >233, l’année dernière : >300; nombre de personnes détenues : 2, l’année dernière : >0; nombre de personnes condamnées : 0, l’année dernière : 0)

 

Date

Affaire (6)

Peine légale

Actes illicites

(2 affaires, 2 personnes)

Nombre de personnes

GUANGDONG

3 mars

Le pasteur Wang Dao, de l’église Liangren à Guangzhou, son épouse et sa fille de 6 ans sont convoqués pour être interrogés par la police

 

Enfant amenée pour être interrogée par la police

2

4 mars

Le pasteur Wang Dao est agressé et détenu lors d’une réunion dans une église à Luoxi Xincheng

 

multiples lésions corporelles

>10

Pour plus de détails, cliquer ici : http://www.chinaaid.org/2010/03/guangzhou-police-kidnap-pastor-wang-dao.html.

2 mai

L’église Liangren est forcée de tenir ses réunions en plein air

 

 

>100

 

 

Pour plus de détails, cliquer ici : http://www.chinaaid.org/2010/05/liangren-church-pastor-wang-dao.html.

9 mai

Le pasteur Wang Dao est détenu en tant que criminel, la réunion des fidèles dans un parc est dispersée

1 personne détenue en tant que criminel

 

>100

Pour plus de détails, cliquer ici : http://www.chinaaid.org/2010/05/liangren-church-persecution-continues.html.

13 oct.

Un délégué devant participer à un congrès à Lausanne est empêché à l’aéroport de quitter le pays

Empêché de quitter le pays

 

1

Pour plus de détails, cliquer ici : http://www.chinaaid.org/2010/10/china-lausanne-delegation-writes-open.html.

Nov.

De nombreuses maisons‑églises sont forcées de fermer pendant les Jeux asiatiques à Guangzhou

Forcées de se disperser

 

>20

Pour plus de détails, cliquer ici : http://www.chinaaid.org/2010/11/guangzhou-bans-prayer-meetings.html.

Cas de poursuites à Guangzhou : 6

Nombre de personnes détenues : 2

Cas d’actes illicites : 2

Nombre de personnes con-damnées : 0

Nombre total de personnes persécutées

>233

 

 


[5]               La SPR analyse de la manière suivante les renseignements contenus dans le rapport de l’Association d’aide à la Chine de 2010 :

[…] [Ce rapport] répertorie les cas d’arrestation et de persécution de chrétiens en Chine de janvier à décembre 2010. Selon ce dernier rapport, les chiffres totaux pour 2010 en Chine sont de 3 343 chrétiens persécutés et de 556 chrétiens arrêtés et détenus. Le rapport indique également que seulement 6 personnes ont été « condamnées » à la suite de leur détention; ce chiffre est nettement inférieur à l’année précédente, où 23 personnes avaient reçu une condamnation. Le tribunal remarque que les données relatives au nombre total de chrétiens persécutés sont quelque peu trompeuses. Les statistiques applicables à la province du Guangdong  montrent que 233 personnes ont été « persécutées ». Un examen approfondi permet de constater que quatre incidents mettaient en cause le pasteur Wang Dao et l’église Liangren, qui tenait des services religieux dans un parc de la ville de Guangzhou. Deux de ces incidents mettaient apparemment en cause plus de 100 personnes, et un troisième mettait en cause plus de 10 personnes. Le total s’élève donc à 212 personnes pour les quatre incidents. La façon dont ces incidents sont présentés porte à croire qu’ils mettaient en cause les mêmes membres de la congrégation.

 

[…]

 

D’après le document de l’Association d’aide à la Chine datant de 2010, le pasteur de l’église Liangren continue d’être harcelé par les autorités et s’est fait interroger à plusieurs reprises au cours des deux dernières années; il a en outre été détenu en tant que criminel et battu. Le document laisse entendre que le pasteur a été accusé de « sédition » pour avoir diffusé des articles sur Internet et qu’il est victime de harcèlement parce qu’il a l’intention de tenir un grand service religieux en plein air. Quoi qu’il en soit, rien n’indique que des laïques aient été arrêtés en lien avec l’église Liangren. Le tribunal constate que l’église Liangren a un profil différent des autres églises clandestines de Chine compte tenu de sa taille et des gestes provocateurs de son pasteur.

 

[…]

 

Le tribunal a également tenu compte du fait que l’Association d’aide à la Chine et son président, Bob Fu, ont déclaré dans le rapport de l’Association ne pas avoir répertorié tous les cas de persécution et de répression du fait de la religion qui sont survenus dans toutes les provinces de la Chine, dont le Guangdong et le Fujian. Toutefois, le tribunal souligne encore une fois qu’il n’y a pas, dans la documentation portant sur la persécution du fait de la religion en Chine, d’élément de preuve convaincant qui montre que des chrétiens laïques ont récemment été arrêtés ou persécutés dans la province du Guangdong.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[Notes de bas de page omises.]

 

(Décision, aux paragraphes 16, 18 et 21)

 

[6]               La SPR a tiré la conclusion suivante sur la foi de la preuve examinée :

Le tribunal est conscient que, même si des éléments de preuve attestent l’existence d’un préjudice pouvant être qualifié de grave, la Section de la protection des réfugiés doit se demander s’il existe une possibilité sérieuse que la demandeure d’asile soit réellement exposée à un tel préjudice. Il est possible qu’une loi proscrivant les agissements ou le profil de la demandeure d’asile existe et que les peines prévues par cette loi soient inconcevablement sévères, sans qu’il existe pour autant une possibilité sérieuse pour la demandeure d’asile de se faire infliger cette peine. La Cour suprême a insisté sur le fait que, lorsqu’il s’agit d’établir si la crainte d’un demandeur d’asile est objectivement fondée, il convient notamment de prendre en considération les facteurs pertinents comme les lois en vigueur dans le pays d’origine ainsi que la façon dont elles sont appliquées. À cet égard, la Cour s’est reportée au Guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés :

 

Les mesures d’application peuvent varier d’une région à l’autre dans un pays et, si c’est le cas, « le caractère raisonnable de la crainte de persécution dépend, entre autres, des pratiques de l’autorité locale conservée ». On pourrait notamment considérer que la possibilité est loin d’être sérieuse lorsque l’on constate que l’État n’a pas l’habitude de prendre des mesures pour faire appliquer la loi.

 

Comme il a été mentionné, les éléments de preuve documentaire présentés à l’appui de la situation dans la province du Guangdong, dont est originaire la demandeure d’asile, montrent que le risque de persécution auquel sont exposés les chrétiens pratiquants est faible. Le tribunal a examiné la preuve documentaire relativement aux conditions dans la province du Guangdong et les circonstances personnelles de la demandeure d’asile. Le tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, la demandeure d’asile serait en mesure de pratiquer sa religion dans la communauté chrétienne de son choix si elle devait rentrer chez elle dans la province du Guangdong, en Chine, et qu’elle ne s’exposerait pas à une possibilité sérieuse d’être persécutée en le faisant.

 

(Décision, aux paragraphes 24 et 25)

 

 

[7]               La SPR a toutefois omis de tenir compte, dans son analyse de la preuve au dossier qui a mené à sa conclusion, de l’inscription de « novembre » dans le rapport de l’Association d’aide à la Chine cité ci‑dessus : [traduction] « de nombreuses maisons‑églises sont forcées de fermer pendant les Jeux asiatiques au Guangdong ». La SPR n’a pas non plus tenu compte des détails des mesures prises contre les chrétiens « laïques » qui se trouvent sur Internet à l’adresse : http://www.chinaaid.org/2010/11/guangzhou-bans-prayer-meetings.html :

[traduction] Les autorités de la ville de Guangzhou, dans le sud de la Chine, ont interdit officiellement aux « maisons‑églises » protestantes de tenir des réunions car la ville se prépare à accueillir les Jeux asiatiques plus tard cette semaine.

 

Les pasteurs locaux et leurs fidèles ont été avertis de ne pas se réunir pendant les 16es Jeux asiatiques, qui se dérouleront du 12 au 27 novembre [2010], selon un avocat défenseur des droits et membre d’une maison‑église protestante, Tang Jingling.

 

« Toutes les maisons‑églises avec lesquelles j’ai des rapports se trouvent dans la même situation », a dit M. Tang.

 

« [Les autorités] s’adressent aux pasteurs de ces groupes et leur demandent de ne plus tenir de réunions. »

 

Il a dit que certains des groupes avaient réagi en se scindant en groupes beaucoup plus petits et en changeant constamment de lieux de réunion.

 

Il a dit que les policiers avaient abordé les leaders de sa propre église au sujet de l’interdiction qui, selon lui, devait rester en vigueur jusqu’en janvier.

 

« Nous avons commencé à nous réunir en petits groupes, chaque fois chez une personne différente », a dit M. Tang.

 

Il a dit aussi que les églises n’ont pas une attitude hostile envers les Jeux. « Personne ne prévoit intervenir. Cependant, si vous causez des ennuis à des gens, bien sûr que cela suscitera une certaine antipathie. »

 

Wang Dao, le pasteur de l’église Liangren à Guangzhou, a dit que la police locale avait essayé de le rencontrer alors qu’il était à l’extérieur de la ville et que l’ordre avait apparemment été étendu à toutes les maisons‑églises dans l’ensemble de la région du delta de la rivière des Perles.

 

« Lorsque je suis venu à Shanghai le 31 octobre, certains de mes frères et sœurs m’ont dit que la police était allée chez moi pour me parler », a dit M. Wang.

 

« Ce n’est pas seulement à Guangzhou, mais dans toutes les régions du delta de la rivière des Perles », a-t-il ajouté.

 

« J’ai reçu un message texte d’une église de Jiangmen, qui indiquait qu’on leur avait dit de mettre fin à leurs réunions régulières pendant les Jeux asiatiques pour des raisons de sécurité. »

 

Il a cependant dit que les groupes protestants de la région sont peu susceptibles de constituer une menace importante à la sécurité.

 

« Il n’y a pas de problème de sécurité », a‑t‑il dit. « Je pense qu’il s’agit seulement d’une excuse. De cette façon, ils pourront prendre des mesures énergiques contre les maisons‑églises et les faire disparaître. »

 

Les églises non reconnues en Chine sont constamment la cible du gouvernement parce que leurs activités ne sont pas officiellement approuvées.

 

Officiellement athée, la Chine a une armée de fonctionnaires dont le travail consiste à surveiller les activités religieuses, lesquelles se répandent rapidement par suite des changements sociaux importants et de l’incertitude économique depuis que les réformes économiques ont été entreprises il y a 30 ans.

 

Les dirigeants du parti s’intéressent aux catholiques, aux bouddhistes, aux taoïstes, aux musulmans et aux protestants. Le judaïsme n’est pas reconnu et la fréquentation des temples, églises et mosquées non reconnus est interdite par la loi.

 

Dans son plus récent rapport sur les droits de la personne en Chine, le département d’État des États‑Unis a écrit que la liberté de religion existe à divers degrés en Chine.

 

 

[8]               J’accepte la prétention de l’avocate de la demanderesse selon laquelle le fait que la SPR n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve contenue dans le rapport de l’Association d’aide à la Chine de 2010 au regard de l’identité religieuse de la demanderesse constitue une erreur susceptible de contrôle parce que l’inscription de novembre et l’article publié sur Internet vont à l’encontre de la conclusion de la SPR – que j’ai reproduite ci‑dessus – selon laquelle « il n’y a pas, dans la documentation portant sur la persécution du fait de la religion en Chine, d’élément de preuve convaincant qui montre que des chrétiens laïques ont récemment été arrêtés ou persécutés dans la province du Guangdong ».

 

[9]               En conséquence, j’estime que la décision faisant l’objet du présent contrôle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

La décision faisant l’objet du contrôle est annulée et l’affaire est renvoyée afin qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision.

 

Il n’y a aucune question à certifier.

 

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7359-11

 

INTITULÉ :                                      LIHUA SU, JUN BIN YANG c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 10 mai 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 15 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

 

                            POUR LES DEMANDEURS

 

Neal Samson

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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