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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20120626


Dossier : IMM-7472-11

Référence : 2012 CF 816

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

SHAMIKA SHONETTE RYAN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Ryan veut faire annuler une décision rendue par un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) qui a rejeté sa demande d’ERAR. L’agent a déterminé que Mme Ryan n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention et qu’elle ne subirait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle retournait à Saint-Vincent-et-les Grenadines. Malgré les arguments solides de son avocat, je ne peux conclure que l’agent a commis une erreur de droit ou qu’il a rendu une décision déraisonnable comme on l’a prétendu.

 

Le contexte

[2]               Mme Ryan est une citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines âgée de 19 ans. Elle est arrivée au Canada le 8 juillet 2008 à l’âge de 15 ans. Elle tentait ainsi d’échapper à son père et à son ancien petit ami qui l’avaient agressée sexuellement.

 

[3]               En juillet 2009, elle a présenté une demande d’asile au soutien de laquelle elle a fait valoir seulement que son ancien petit ami avait été violent à son endroit. Elle dit qu’elle n’avait pas eu le courage, à l’âge de 16 ans, de révéler à la Section de la protection des réfugiés qu’elle avait été agressée sexuellement par son père.

 

[4]               Sa demande d’asile a été rejetée le 5 mai 2009. Mme Ryan a été autorisée à demander le contrôle judiciaire de cette décision. Sa demande a été rejetée le 8 mars 2011. Voir Ryan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 269.

 

[5]               Le 20 mai 2011, Mme Ryan a présenté une demande d’ERAR dans laquelle elle a révélé avoir été agressée par son père. Elle a expliqué qu’elle avait parlé de ces agressions sexuelles à plusieurs personnes, dont sa mère, et que celles‑ci avaient communiqué avec son père et condamné publiquement ses gestes. Son père a nié les allégations et a menacé de la tuer ou de lui faire du mal s’il la revoyait.

 

[6]               La demande d’ERAR de Mme Ryan a été rejetée. L’agent a apprécié la nouvelle preuve qui était constituée d’une évaluation psychologique, d’une lettre de la sœur de Mme Ryan et de documents objectifs sur la situation des droits de la personne à Saint‑Vincent, la prévalence de l’inceste, la violence fondée sur le sexe, ainsi que la corruption et l’impunité de la force policière.

 

[7]               L’agent a convenu que Mme Ryan avait été agressée sexuellement par son père dans le passé, mais il ne croyait pas que celui‑ci avait menacé de lui faire du mal ou de la tuer aujourd’hui. Selon lui, si le père de Mme Ryan voulait se venger, c’était à cause d’une vendetta personnelle et non pas parce que Mme Ryan est une femme. En conséquence, l’agent a considéré qu’il n’y avait aucun lien avec un motif prévu par la Convention et il a rejeté la demande d’asile fondée sur l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Il a ensuite examiné les risques dans le contexte du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

[8]               L’agent a fait remarquer que le rapport psychologique indiquait que Mme Ryan [traduction] « semble très crédible dans sa détresse et lorsqu’elle relate ses expériences » et qu’elle souffre du trouble de stress post‑traumatique de type chronique. L’agent a convenu que la demanderesse avait été agressée physiquement et sexuellement à Saint‑Vincent, mais il a considéré que la preuve ne corroborait pas le fait que son père était susceptible de s’en prendre à elle. En ce qui concerne l’évaluation psychologique, l’agent a conclu ce qui suit : 

[traduction] J’estime que l’information contenue dans l’évaluation concernant les incidents qui se sont déroulés entre la demanderesse, sa mère et son père, après que la demanderesse a révélé les agressions sexuelles, est fondée sur les déclarations faites au psychologue par la demanderesse elle‑même. Il ne s’agit pas d’une preuve corroborant ces incidents. Je ne pense pas que l’on puisse accorder du poids à l’évaluation psychologique en tant qu’élément de preuve corroborant le fait que la demanderesse risque de subir un préjudice ou d’être tuée par son père à son retour à Saint‑Vincent aujourd’hui.

 

[9]               Selon l’agent, la lettre de la sœur de Mme Ryan était le seul élément de preuve corroborant l’existence d’une menace. Selon cette lettre, la sœur de Mme Ryan avait elle aussi été agressée sexuellement par leur père quand elle était enfant et elle avait dit à la demanderesse de ne pas s’en faire parce qu’elle était loin. L’agent a estimé que cette lettre donnait peu de détails au sujet du risque allégué par la demanderesse. La lettre n’était accompagnée d’aucune forme d’identification et ni l’adresse de retour, ni le nom de la sœur de la demanderesse – l’expéditrice – n’étaient indiqués sur l’enveloppe. L’agent n’y a donc accordé aucun poids.

 

[10]           L’agent a fait remarquer ensuite qu’aucune preuve corroborante n’avait été produite par la mère de la demanderesse et d’autres personnes concernées vivant au Canada. Il a écrit : [traduction] « Comme ces personnes ont manifesté leur soutien à la demanderesse en communiquant avec le père de celle‑ci pour lui reprocher son comportement violent à l’égard de sa fille, on ne sait pas au juste pourquoi la demanderesse n’aurait pas pu leur demander de produire une preuve corroborant leur conversation avec son père. » L’agent était d’avis que la preuve était insuffisante pour établir que Mme Ryan avait été menacée de préjudice grave ou de mort par son père parce qu’elle avait dénoncé son comportement violent ou pour une autre raison.

 

[11]           L’agent a convenu que les conditions dans le pays faisaient état de la violence familiale et sexuelle dont les femmes sont victimes et qu’il s’agit d’un problème grave à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines. Cela ne démontre pas cependant que Mme Ryan coure un risque personnel que son père s’en prenne à elle aujourd’hui. L’agent a mentionné que Mme Ryan est plus âgée, qu’elle n’a plus à habiter avec son père et qu’elle peut jouir du soutien de sa sœur, laquelle écrit qu’elle réussit à éviter tout contact avec son père.

 

[12]           L’agent a estimé qu’il ne disposait d’aucune preuve fiable lui permettant de conclure que le père de Mme Ryan avait été dénoncé publiquement parce qu’il avait agressé la demanderesse et l’avait menacée et qu’il représentait un risque pour elle aujourd’hui. Pour ces motifs, la demande a été rejetée.

 

Les questions en litige

[13]           La demanderesse a soulevé un certain nombre de questions, que la Cour formule de la façon suivante :

1.                  L’agent a-t-il commis une erreur en tirant une conclusion défavorable concernant la crédibilité en raison de l’absence d’une preuve corroborante?

2.                  L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale à l’égard de la demanderesse en ne tenant pas une audience?

3.                  L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en concluant à l’absence de lien entre la demanderesse et un motif prévu par la Convention?

 

Analyse

[14]           Les observations formulées par la demanderesse au regard des deux premières questions sont fondées sur sa prétention selon laquelle l’agent a tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité. 

 

[15]           Mme Ryan soutient que le témoignage qu’elle a rendu sous serment doit être présumé vrai dans le contexte d’un ERAR : Yoosuff c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1116, au paragraphe 3, Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 8, et Maldonado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1979] ACF no 248. Elle s’appuie également sur Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 974, où la juge Dawson a écrit au paragraphe 9 :

Il ne reste que l’absence de documents corroborant l’avortement forcé. Indépendamment de la question de savoir s’il y avait un fondement dans la preuve permettant à la Commission de supposer l’existence d’un tel document, en l’absence de preuve contradictoire, la SPR commet une erreur si elle exige que le demandeur produise une preuve corroborante; voir Ahortor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 705, au paragraphe 45 (1re inst.). L’absence de preuve corroborante constituait donc un fondement insuffisant et ne permettait pas à la SPR de mettre en doute le témoignage de Mme Zheng [souligné par la demanderesse].

 

[16]           La demanderesse rappelle que l’agent a convenu qu’elle avait été agressée sexuellement par son père et que cette conclusion était étayée par la preuve corroborante. Elle souligne que, malgré ces deux conclusions [traduction] « et malgré le fait qu’il n’a relevé aucune contradiction ou invraisemblance dans le témoignage fait sous serment par la demanderesse [souligné par la demanderesse] », l’agent a rejeté la seule partie de la preuve qui indique que son père veut la tuer. La demanderesse soutient qu’il s’agit d’une erreur de droit puisqu’aucune preuve corroborante n’était nécessaire.

 

[17]           Il ressort de la preuve dont disposait l’agent et dont dispose maintenant la Cour que la mère de Mme Ryan lui a dit que son père voulait lui faire du mal. Ces propos de la mère, qui ont été rapportés à l’agent par la demanderesse, sont du ouï‑dire. Il était raisonnable que l’agent apprécie ce ouï‑dire en tenant compte de l’absence d’une preuve corroborante dont on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle soit produite. L’agent a ensuite conclu que la preuve n’établissait pas que Mme Ryan serait persécutée à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines. Cette conclusion n’avait rien à voir avec la crédibilité.

 

[18]           J’ai déjà parlé de la distinction entre la crédibilité et le poids et la nécessité de produire une preuve corroborante dans des situations comme celle en cause dans Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 27 :

S’il n’y a pas corroboration, alors il pourrait ne pas être nécessaire d’évaluer sa crédibilité puisque son poids pourrait ne pas être suffisant en ce qui concerne la charge de la preuve des faits selon la prépondérance de la preuve. Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, il ne rend pas de décision basée sur la crédibilité de la personne qui fournit la preuve; plutôt, le juge des faits déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle‑même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée.

 

[19]           En outre, bien qu’un témoignage fait sous serment soit présumé vrai et ne puisse pas être affaibli par l’absence d’une preuve corroborante, il y a une exception. Celle‑ci s’applique lorsqu’un tribunal n’accepte pas les explications données par un demandeur pour ne pas avoir produit une preuve alors qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il le fasse : Rojas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 849, au paragraphe 6. L’agent a tiré une telle conclusion en l’espèce. La décision indique ce qui suit :

[traduction] La demanderesse n’a produit aucun document à l’appui provenant de sa mère, laquelle aurait pu présenter une preuve originale de ses échanges avec la demanderesse et avec le père de celle‑ci au sujet des agressions sexuelles et de toute menace proférée ensuite par le père de la demanderesse. On n’a pas expliqué pourquoi aucune preuve de la mère de la demanderesse n’avait été produite.

 

[20]           Il s’agissait d’une préoccupation légitime. Il convient qu’un agent soupèse l’absence de preuve corroborante s’il rejette les explications données par un demandeur pour ne pas avoir produit une preuve alors qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il le fasse. Il n’y avait aucune preuve en l’espèce. 

 

[21]           La preuve de la demanderesse n’a pas été rejetée, l’agent n’a tiré aucune conclusion concernant la crédibilité et il n’avait pas l’obligation de tenir une audience.

 

[22]           Je conviens avec le défendeur que la validité de l’analyse du lien entre la demande d’asile et un motif prévu par la Convention qui a été effectuée par l’agent est sans importance étant donné que Mme Ryan n’a pas suffisamment établi les faits essentiels de ses allégations et qu’il a été déterminé que Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines pouvait la protéger adéquatement. Ces deux conclusions sont déterminantes.

 

[23]           Quant à l’allégation selon laquelle l’agent avait l’obligation d’évaluer le risque additionnel d’être à nouveau agressée sexuellement par son père auquel était exposée Mme Ryan, j’estime que l’agent s’est acquitté de cette obligation dans les deux derniers paragraphes de sa décision :

[traduction] Je reconnais que la violence familiale et sexuelle commise contre les femmes [est] un problème grave à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines. J’ai convenu également que la demanderesse avait été agressée physiquement et sexuellement dans le passé.

 

Cependant, cela n’établit pas qu’elle court un risque personnel d’être agressée par son père aujourd’hui. La demanderesse est maintenant plus âgée et elle n’habite plus avec son père. Elle jouit du soutien de sa sœur, laquelle écrit qu’elle réussit à éviter tout contact avec leur père.

 

[24]           Compte tenu de la façon dont la sœur de la demanderesse a aussi été agressée sexuellement alors qu’elle était enfant, du fait que son père ne s’en prend plus à elle aujourd’hui et du fait qu’elle réussit à éviter tout contact avec lui, il était raisonnable pour l’agent de conclure que la demanderesse ne serait pas exposée au même type de persécution sexuelle que dans le passé. La conclusion de l’agent était raisonnable.

 

[25]           Aucune partie n’a proposé une question à des fins de certification.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7472-11

 

INTITULÉ :                                      SHAMIKA SHONETTE RYAN c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 14 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alyssa Manning

 

                                 POUR LA DEMANDERESSE

Christopher Crighton

 

                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vandervennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

 

                                 POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

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