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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120516

Référence : 2012 CF 579

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2012

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

Dossier : T‑435‑11

 

RAYMOND CAMERON

 

 

demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN, GREG BLAIN, EARL BLAIN ET ANGELINE THORNE

 

 

 

défendeurs

 

ET ENTRE :

Dossier : T-1401-11

 

RAYMOND CAMERON

 

 

demandeur

et

 

 

LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE D’Ashcroft, Greg Blain en sa qualité de chef de la bande indienne d’ashcroft, Earl Blain EN SA QUALITÉ DE CONSEILLER DE LA BANDE INDIENNE D’ASHCROFT ET

Angeline Thorne EN SA QUALITÉ DE CONSEILLÈRE DE LA BANDE INDIENNE D’ASHCROFT

 

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT

INTRODUCTION

 

[1]               Les présents motifs s’appliquent à deux demandes de contrôle judiciaire qui ont été réunies et instruites ensemble à Vancouver le 24 janvier 2012. Si les parties aux deux instances ne sont pas toutes les mêmes, les faits, les actes de procédure et les prétentions coïncident dans une grande mesure. En conséquence, j’ai examiné les deux demandes dans les présents motifs. Toutes deux ont été formées sous le régime de l’article18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

 

[2]               La demande no T‑435‑11 a pour objet une décision par laquelle le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (ci‑après désigné « le ministre ») a rejeté un appel interjeté sous le régime de l’article 12 du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, CRC, c 952 (ci‑après désigné « le Règlement »), concernant l’élection du conseil de la Bande d’Ashcroft tenue en juin 2010.

 

[3]               En mai 2011, le gouvernement du Canada a adopté ce qu’il appelle un nouveau « titre d’usage » pour le poste du ministre défendeur, qui devait désormais être appelé « ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada ». Cependant, les noms de ce ministre et de son ministère restent inchangés dans les lois, et ce sont ces noms que j’emploierai dans les présents motifs.

 

[4]               La seconde demande (dossier de la Cour no T‑1401‑11) a pour objet l’inapplication par le conseil de la Bande d’Ashcroft des Ashcroft Band Membership Rules (Règles d’appartenance de la Bande d’Ashcroft, ci‑après désignées « les Règles d’appartenance ») à la liste des membres de cette bande, en violation de l’article 10 de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5, ainsi que des Règles d’appartenance.

 

LE CONTEXTE

 

[5]               La Première Nation d’Ashcroft vit sur des terres de l’intérieur de la Colombie‑Britannique, sises près des villages d’Ashcroft et de Cache Creek.

 

[6]               En 1987, elle a choisi de décider de l’appartenance à ses effectifs sous le régime du paragraphe 10(1) de la Loi sur les Indiens en fixant par écrit les règles de cette appartenance.

 

[7]               Selon les Règles d’appartenance de la bande, sont admises [TRADUCTION] « d’office » à en devenir membres les personnes qui remplissent les critères d’ascendance énoncés à leur partie II. Le demandeur, M. Raymond Cameron, appartient à cette catégorie. Les autres personnes qui peuvent avoir droit à la qualité de membres doivent présenter une demande d’inscription, qui doit être accueillie par la majorité des électeurs de la bande dans le cadre d’une assemblée spéciale sur l’appartenance (parties III et IV des Règles d’appartenance). Le défendeur Greg Blain entre dans cette seconde catégorie.

 

[8]               Des assemblées sur l’appartenance ont été tenues régulièrement pendant quelques années conformément aux Règles d’appartenance. Cependant, en 2005, le conseil de la bande a cessé de tenir de telles assemblées. Il ressort de la preuve que M. Greg Blain n’a jamais été reconnu officiellement comme membre de la bande dans le cadre d’une assemblée tenue en application des Règles d’appartenance, malgré ses liens familiaux avec des membres de ladite bande. Néanmoins, son nom a été inscrit sur la liste des membres de la bande, ainsi que sur la liste des personnes admissibles au vote et éligibles. M. Greg Blain occupe maintenant le poste de chef de la bande, auquel il a été élu en 2004, puis réélu par la suite tous les deux ans.

 

[9]               En 2009, certains membres de la bande, y compris le demandeur, M. Cameron, se sont plaints au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (ci‑après désigné « le MAINC ») de ce que les effectifs de celle‑ci n’étaient pas conformes aux règles d’appartenance.

 

[10]           Toujours en 2009, le MAINC et le conseil de la bande ont constitué un comité pour examiner la question des effectifs de cette dernière. Ce comité se composait de Me Starr, avocate et aînée autochtone de Kitimat (Colombie‑Britannique), de Mme Kirkpatrick, historienne et aînée de la bande, et du commis aux effectifs de l’époque. Le conseil a mis fin au contrat de Me Starr en septembre 2009, avant qu’elle ne puisse présenter ses conclusions à la bande. Elle et Mme Kirkpatrick ont néanmoins produit des rapports.

 

[11]           Selon les rapports Starr et Kirkpatrick, 76 personnes inscrites sur la liste de la bande (dont les défendeurs Greg Blain et Earl Blain) n’avaient pas le droit d’y figurer; 69 d’entre elles n’avaient pas demandé leur inscription suivant les Règles d’appartenance, et les 7 autres étaient décédées ou s’étaient émancipées. Ces rapports portaient aussi que certaines personnes ne figuraient pas sur la liste bien qu’elles étaient admissibles à la qualité de membres suivant les Règles d’appartenance, qu’il n’était pas tenu d’assemblées régulières sur l’appartenance comme l’exigeaient lesdites Règles et que les membres décédés n’étaient pas systématiquement retranchés de ladite liste.

 

[12]           En juin 2010, M. Cameron a introduit devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (ci‑après désignée « la CSC‑B ») une action tendant à obtenir la radiation de personnes déterminées de la liste de la bande par voie de jugement déclaratoire et d’ordonnance. La CSC‑B a rejeté cette action au motif que la Cour fédérale avait compétence exclusive sur cette question. Voir Cameron c Albrich, 2011 BCSC 549.

 

[13]           À trois reprises, soit le 6 mai 2010, et les 5 et 24 août 2011, M. Cameron a présenté au conseil de la bande des éléments d’appréciation sur la liste de celle‑ci et lui a demandé de la réviser. Les défendeurs chef et conseillers n’ont pas répondu à ces demandes de M. Cameron.

 

[14]           Le 8 juin 2010, la bande a tenu une élection, après avoir nommé un président d’élection avec l’approbation du ministre. Le président d’élection a dressé une liste électorale à partir de la liste de la bande telle que la lui avait communiquée le commis aux effectifs. Or, cette liste contenait les noms de personnes qui, selon M. Cameron, ne sont pas membres de la bande. M. Cameron et M. Greg Blain, l’un des défendeurs, étaient tous deux candidats au poste de chef. Ils ont obtenu le même nombre de voix, de sorte que le président d’élection a dû effectuer un tirage au sort pour les départager. C’est M. Greg Blain qui a ainsi été élu.

 

[15]           M. Cameron a fait appel de l’élection devant le ministre, alléguant que le président d’élection avait refusé de laisser examiner les bulletins de vote déposés au scrutin, ainsi que les deux bulletins utilisés pour le tirage au sort; qu’il avait refusé de corriger la liste électorale; que l’élection s’était tenue à partir d’une liste électorale erronée; que certains des candidats n’étaient pas membres de la bande; et que certains des candidats avaient été proposés par des personnes qui n’appartenaient pas non plus à la bande.

 

[16]           Cet appel a été examiné par une déléguée du ministre. Celle‑ci a communiqué les écritures produites au président d’élection et aux autres candidats afin de recueillir leurs observations. M. Greg Blain est le seul à avoir répondu. La déléguée n’a communiqué sa réponse à aucun des intéressés. Ayant conclu qu’elle disposait de suffisamment d’information pour se prononcer, elle a notifié sa décision au demandeur par lettre en date de février 2011. Cette lettre portait qu’elle avait rejeté son appel après examen des écritures et pièces produites par lui et M. Blain.

 

[17]           La lettre de la déléguée peut se résumer comme suit. Celle‑ci posait d’abord que, la bande ayant choisi de décider de l’appartenance à ses effectifs sous le régime de l’article 10 de la Loi sur les Indiens, le MAINC ne pouvait intervenir sur la question de cette appartenance, dont la CSC‑B se trouvait par ailleurs saisie à ce moment. Le MAINC se voyait donc obligé, selon la déléguée, de présumer la validité de la liste des membres et de la liste électorale, sauf révision par la bande ou par un tribunal judiciaire. Le président d’élection, ajoutait-elle, était aussi lié par la liste des membres et n’avait pas le pouvoir de la contester. Enfin, elle concluait qu’aucune manœuvre frauduleuse n’avait entaché l’élection et que le président d’élection s’était soigneusement acquitté de ses obligations.  

 

[18]           Le dossier ne contient aucun élément tendant à établir que le chef et le conseil auraient formellement décidé de ne pas tenir d’assemblées sur l’appartenance, ou d’inscrire des personnes sur la liste des membres et la liste électorale de manière contraire aux Règles d’appartenance. Mais l’absence de tels éléments de preuve ne peut être invoquée en réponse à la présente demande; voir Okemow‑Clark c Nation crie de Lucky Man, 2008 CF 888, confirmée par 2010 CAF 48, paragraphe 30. Dans Okemow‑Clark, le juge de Montigny a rejeté l’argument selon lequel la demande était prématurée du fait de l’absence d’éléments tendant à établir qu’on eût formellement décidé de radier les demandeurs de la liste de bande. Il a conclu qu’une décision avait été prise et que le conseil de bande l’avait mise à exécution.

 

[19]            Après avoir pris acte du raisonnement suivi dans Okemow‑Clark, Monsieur le juge Punnett a formulé au paragraphe 23 de Cameron c Albrich, précitée, les conclusions suivantes touchant les faits en litige dans la présente espèce :

[TRADUCTION] Je conclus que le défaut du conseil de la bande ou du commis aux effectifs de se conformer aux Règles d’appartenance ne signifie pas qu’il n’y ait pas eu de décision. La bande a délégué certaines fonctions au conseil, au comité de l’appartenance et au commis aux effectifs. C’est leur défaut supposé de se conformer aux Règles d’appartenance qui est à la base du litige. Le conseil de la bande a décidé d’inscrire certaines personnes sur la liste de celle‑ci sans suivre les Règles d’appartenance. Cette décision pourrait être susceptible de contrôle judiciaire devant le tribunal compétent et entre les parties appropriées.

 

[20]           Je souscris aux conclusions formulées et à la logique suivie dans Okemow‑Clark et Cameron c Albrich. Je tire de la preuve les inférences de fait que le conseil de la bande a délibérément omis de convoquer des assemblées sur l’appartenance et a inscrit sur la liste des membres des personnes dont l’inscription n’avait pas été approuvée conformément aux Règles d’appartenance. Ces décisions, actions et omissions sont susceptibles de contrôle devant notre Cour dans le cadre de la présente demande.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[21]           Les faits qui sous-tendent les questions en litige dans la demande T‑1401‑11 (relative à l’inobservation des Règles d’appartenance) forment aussi la base de l’appel (contre l’élection du 8 juin 2010) visé par la demande T‑435‑11.

 

[22]           Les questions en litige dans la demande T‑1401‑1 sont les suivantes :

a.       Le conseil de la Bande d’Ashcroft a‑t‑il outrepassé sa compétence en refusant d’appliquer les Règles d’appartenance et de réviser la liste de ladite bande?

b.      Le conseil de la Bande d’Ashcroft a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en omettant de répondre aux demandes de révision de la liste de ladite bande présentées par le demandeur?

c.       Le demandeur a‑t‑il qualité pour attaquer le défaut d’agir de la bande?

d.      Dans le cas où la demande serait accueillie, quelle serait la réparation appropriée?

 

[23]           Les questions en litige dans la demande T-435-11 sont les suivantes :

5.      Le ministre a‑t‑il interprété erronément la Loi sur les Indiens et le Règlement?

6.      La décision du ministre était-elle raisonnable?

7.      Le ministre a‑t‑il manqué à l’équité procédurale?

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

[24]           Les dispositions suivantes de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5, soit ses articles 2 et 8, ses paragraphes 10(1), (8), (9) et (10), et 14.2(1) et (2), ainsi que ses articles 77 et 79, sont applicables à la présente instance :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« liste de Bande » Liste de personnes tenue en

vertu de l’article 8 par une Bande ou au ministère.

 

« membre d’une Bande » Personne dont le nom apparaît sur une liste de Bande ou qui a droit à ce que son nom y figure.

 

 

8. Est tenue conformément à la présente loi la liste de chaque Bande où est consigné le nom de chaque personne qui en est membre.

 

 

10. (1) La Bande peut décider de l’appartenance à ses effectifs si elle en fixe les règles par écrit conformément au présent article et si, après qu’elle a donné un avis convenable de son intention de décider de cette appartenance, elle y est autorisée par la majorité de ses électeurs.

 

 

 

[…]

 

(8) Lorsque la Bande décide de l’appartenance à ses effectifs en vertu du présent article, les règles d’appartenance fixées par celle-ci entrent en vigueur à compter de la date où l’avis au ministre a été donné en vertu du paragraphe (6); les additions ou retranchements effectués par le registraire à l’égard de la liste de la Bande après cette date ne sont valides que s’ils sont effectués conformément à ces règles.

 

(9) À compter de la réception de l’avis prévu à l’alinéa (7)b), la Bande est responsable de la tenue de sa liste. Sous réserve de l’article 13.2, le ministère, à compter de cette date, est dégagé de toute responsabilité à l’égard de cette liste.

 

 

(10) La Bande peut ajouter à la liste de Bande tenue par elle, ou en retrancher, le nom de la personne qui, aux termes des règles d’appartenance de la Bande, a ou n’a pas droit, selon le cas, à l’inclusion de son nom dans la liste.

 

 

14.2 (1) Une protestation peut être formulée, par avis écrit au registraire renfermant un bref exposé des motifs invoqués, contre l’inclusion ou l’addition du nom d’une personne dans le registre des Indiens ou une liste de Bande tenue au ministère ou contre l’omission ou le retranchement de son nom de ce registre ou d’une telle liste dans les trois ans suivant soit l’inclusion ou l’addition, soit l’omission ou le retranchement.

 

(2) Une protestation peut être formulée en vertu du présent article à l’égard d’une liste de Bande par le conseil de cette Bande, un membre de celle-ci ou la personne dont le nom fait l’objet de la protestation ou son représentant.

 

[…]

 

75. (1) Seul un électeur résidant dans une section électorale peut être présenté au poste de conseiller pour représenter cette section au conseil de la Bande.

 

 

 

(2) Nul ne peut être candidat à une élection au poste de chef ou de conseiller d’une Bande, à moins que sa candidature ne soit proposée et appuyée par des personnes habiles elles‑mêmes à être présentées.

 

77. (1) Un membre d’une Bande, qui a au moins dix-huit ans et réside ordinairement sur la réserve, a qualité pour voter en faveur d’une personne présentée comme candidat au poste de chef de la Bande et, lorsque la réserve, aux fins d’élection, ne comprend qu’une section électorale, pour voter en faveur de personnes présentées aux postes de conseillers.

 

(2) Un membre d’une Bande, qui a dix-huit ans et réside ordinairement dans une section

électorale établie aux fins d’élection, a qualité pour voter en faveur d’une personne présentée au poste de conseiller pour représenter cette section.

 

79. Le gouverneur en conseil peut rejeter l’élection du chef ou d’un des conseillers d’une

Bande sur le rapport du ministre où ce dernier se dit convaincu, selon le cas :

 

a) qu’il y a eu des manoeuvres frauduleuses à l’égard de cette élection;

 

b) qu’il s’est produit une infraction à la présente loi pouvant influer sur le résultat de l’élection;

 

c) qu’une personne présentée comme candidat à l’élection ne possédait pas les qualités requises.

2. (1) In this Act,

 

 

 

“Band List” means a list of persons that is maintained under section 8 by a Band or in the Department;

 

“member of a Band” means a person whose name appears on a Band List or who is entitled to have his name appear on a Band List;

 

8. There shall be maintained in accordance with this Act for each Band a Band List in which shall be entered the name of every person who is a member of that Band.

 

10. (1) A Band may assume control of its own membership if it establishes membership rules for itself in writing in accordance with this section and if, after the Band has given appropriate notice of its intention to assume control of its own membership, a majority of the electors of the Band gives its consent to the Band’s control of its own membership.

 

[…]

 

(8) Where a Band assumes control of its membership under this section, the membership rules established by the Band shall have effect from the day on which notice is given to the Minister under subsection (6), and any additions to or deletions from the Band List of the Band by the Registrar on or after that day are of no effect unless they are in accordance with the membership rules established by the Band.

 

(9) A Band shall maintain its own Band List from the date on which a copy of the Band List is received by the Band under paragraph (7)(b), and, subject to section 13.2, the Department shall have no further responsibility with respect to that Band List from that date.

 

(10) A Band may at any time add to or delete from a Band List maintained by it the name of any person who, in accordance with the membership rules of the Band, is entitled or not entitled, as the case may be, to have his name included in that list.

 

14.2 (1) A protest may be made in respect of the inclusion or addition of the name of a person in, or the omission or deletion of the name of a person from, the Indian Register, or a Band List maintained in the Department, within three years after the inclusion or addition, or omission or deletion, as the case may be, by notice in writing to the Registrar, containing a brief statement of the grounds therefor.

 

(2) A protest may be made under this section in respect of the Band List of a Band by the council of the Band, any member of the Band or the person in respect of whose name the protest is made or that person’s representative.

 

[…]

 

75. (1) No person other than an elector who resides in an electoral section may be nominated for the office of councillor to represent that section on the council of the Band.

 

(2) No person may be a candidate for election as chief or councillor of a Band unless his nomination is moved and seconded by persons who are themselves eligible to be nominated.

 

77. (1) A member of a Band who has attained the age of eighteen years and is ordinarily resident on the reserve is qualified to vote for a person nominated to be chief of the Band and, where the reserve for voting purposes consists of one section, to vote for persons nominated as councillors.

 

 

 

(2) A member of a Band who is of the full age of eighteen years and is ordinarily resident in a section that has been established for voting purposes is qualified to vote for a person nominated to be councillor to represent that section

 

79. The Governor in Council may set aside the election of a chief or councillor of a Band on the report of the Minister that he is satisfied that

 

 

(a) there was corrupt practice in connection with the election;

 

(b) there was a contravention of this Act that might have affected the result of the election; or

 

(c) a person nominated to be a candidate in the election was ineligible to be a candidate.

 

[25]           Sont également applicables à la présente instance les dispositions suivantes du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, CRC, c 952, soit son article 2, son alinéa 4(1)a), ainsi que ses articles 7, 9 et 12 à 14 : 

 

2. Dans le présent règlement,

 

« électeur » S’entend, à l’égard de l’élection du chef ou des conseillers d’une Bande, d’une personne ayant les qualités requises pour voter à cette élection en vertu de l’article 77 de la Loi. (elector)

 

« président d’élection » signifie le surintendant ou la personne désignée par le conseil de la Bande avec l’assentiment du ministre; (electoral officer)

 

4. (1) Au moins soixante‑dix‑-neuf jours avant l’élection :

 

 

a) lorsque la Bande qui tient l’élection a choisi de décider de l’appartenance à ses effectifs selon l’article 10 de la Loi, la Bande fournit au président d’élection le nom des électeurs;

 

 

9. Lorsqu’il arrive que deux candidats ou plus ont obtenu un nombre égal de votes, le président d’élection doit déposer un vote prépondérant en faveur de l’un ou de plusieurs de ces candidats, mais le président d’élection n’a pas

 

12. (1) Si, dans les quarante-cinq jours suivant une élection, un candidat ou un électeur a des motifs raisonnables de croire :

 

a) qu’il y a eu manoeuvre corruptrice en rapport avec une élection,

 

b) qu’il y a eu violation de la Loi ou du présent règlement qui puisse porter atteinte au résultat d’une élection, ou

 

c) qu’une personne présentée comme candidat à une élection était inéligible, il peut interjeter appel en faisant parvenir au sous-ministre adjoint, par courrier recommandé, les détails de ces motifs au moyen d’un affidavit en bonne et due forme.

 

 

(2) Lorsqu’un appel est interjeté au titre du paragraphe (1), le sous‑ministre adjoint fait parvenir, par courrier recommandé, une copie du document introductif d’appel et des pièces à l’appui au président d’élection et à chacun des candidats de la section électorale visée par l’appel.

 

(3) Tout candidat peut, dans un délai de 14 jours après réception de la copie de l’appel, envoyer au sous‑ministre adjoint, par courrier recommandé, une réponse par écrit aux détails spécifiés dans l’appel, et toutes les pièces s’y rapportant dûment certifiées sous serment.

 

(4) Tous les détails et toutes les pièces déposés conformément au présent article constitueront et formeront le dossier.

 

13. (1) Le Ministre peut, si les faits allégués ne lui paraissent pas suffisants pour décider de la validité de l’élection faisant l’objet de la plainte, conduire une enquête aussi approfondie qu’il le juge nécessaire et de la manière qu’il juge convenable.

 

 

14. Lorsqu’il y a lieu de croire

 

a) qu’il y a eu manoeuvre corruptrice à l’égard d’une élection,

 

b) qu’il y a eu violation de la Loi ou du présent règlement qui puisse porter atteinte au résultat d’une élection, ou

 

c) qu’une personne présentée comme candidat à une élection était inadmissible à la candidature, le Ministre doit alors faire rapport au gouverneur en conseil.

2. In these Regulations,

 

“elector”, in respect of an election of the chief or councilors of a Band, means a person who is qualified under section 77 of the Act to vote in that election; (électeur)

 

 

“electoral officer” means the superintendent or the person appointed by the council of the Band with the approval of the Minister; (président d’élection)

 

4. (1) At least 79 days before the day on which an election is to be held

 

(a) where the Band holding the election has assumed control of its own membership under section 10 of the Act, the Band shall provide the electoral officer with a list of the names of all electors;

 

9. Where it appears that two or more candidates have an equal number of votes, the electoral officer shall give a casting vote for one or more of such candidates, but the electoral officer shall not otherwise be entitled to vote.

 

12. (1) Within 45 days after an election, a candidate or elector who believes that

 

 

(a) there was corrupt practice in connection with the election,

 

(b) there was a violation of the Act or these Regulations that might have affected the result of the election, or

 

(c) a person nominated to be a candidate in the election was ineligible to be a candidate, may lodge an appeal by forwarding by registered mail to the Assistant Deputy Minister particulars thereof duly verified by affidavit.

 

 

 

 

(2) Where an appeal is lodged under subsection (1), the Assistant Deputy Minister shall forward, by registered mail, a copy of the appeal and all supporting documents to the electoral officer and to each candidate in the electoral section in respect of which the appeal was lodged.

 

(3) Any candidate may, within 14 days of the receipt of the copy of the appeal, forward to the Assistant Deputy Minister by registered mail a written answer to the particulars set out in the appeal together with any supporting documents relating thereto duly verified by affidavit.

 

(4) All particulars and documents filed in accordance with the provisions of this section shall constitute and form the record.

 

13. (1) The Minister may, if the material that has been filed is not adequate for deciding the validity of the election complained of, conduct such further investigation into the matter as he deems necessary, in such manner as he deems expedient.

 

14. Where it appears that

 

(a) there was corrupt practice in connection with an election,

 

(b) there was a violation of the Act or these Regulations that might have affected the result of an election, or

 

(c) a person nominated to be a candidate in an election was ineligible to be a candidate, the Minister shall report to the Governor in Council accordingly.

 

[26]           Les articles 1, 2, 13, 15 à 19, 21, 22, 24, 25 et 31 des Ashcroft Indian Band Membership Rules [Règles d’appartenance de la Bande indienne d’Ashcroft] (dossier du demandeur, pages 27 à 39), reproduits ci‑dessous, s’appliquent aussi à la présente instance :

[TRADUCTION]

 

Partie I

 

1. La Bande indienne d’Ashcroft approuve l’établissement des présentes Règles dans le but de protéger son identité culturelle et sociale, d’entretenir et de renforcer le sentiment de solidarité qui assure sa cohésion, ainsi que d’assurer le maintien de l’ordre et de la bonne entente entre ses membres.

 

2. Les définitions qui suivent s’appliquent aux présentes Règles :

 

(3) « liste de bande » Liste de personnes tenue sous le régime de l’article 8 de la Loi sur les Indiens (1985) par la bande ou par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

 

(14) « commis aux effectifs », ci‑après désigné « le commis » Agent chargé par le conseil de tenir et de gérer la liste de bande.

 

(15) « comité de l’appartenance », ci‑après désigné « le comité » Comité constitué par le conseil, qui se compose de quatre membres de la bande âgés d’au moins 18 ans, dont chacun représente l’une des quatre familles principales de celle‑ci, ainsi que d’une personne impartiale, non-membre de ladite bande et jouissant de la confiance de cette dernière.

 

(16) « membre de la bande » Personne dont le nom apparaît sur la liste de bande ou qui a droit à ce que son nom y figure.

 

[La partie II porte sur l’appartenance d’office, les parties III et IV sur l’appartenance par décision, et la partie V sur la perte de la qualité de membre.]

 

Partie VI Procédure de demande d’inscription

 

13. Les demandes d’inscription sur la liste de bande sont présentées au commis sur le formulaire établi à cet effet.

 

15. Le commis évalue les pièces produites à l’appui de la demande en fonction des critères d’admissibilité énoncés à la partie IV des présentes Règles.

 

16. Le commis transmet au comité la demande et ses pièces justificatives, accompagnées d’un bref rapport touchant leur conformité aux règles.

 

 

17. Le comité recommande au conseil l’acception ou le rejet de toute demande d’inscription sur la liste de bande.

 

18. Au reçu de la recommandation du comité, le conseil tient un référendum sur l’inscription.

 

19. Le conseil tient un référendum sur l’inscription quatre fois par an, soit en août, en novembre, en février et en mai, à moins que le commis n’ait reçu aucune demande d’inscription pendant une période de trois mois consécutifs.

 

21. Sur vote favorable de la majorité des votants, le demandeur d’inscription est admis comme membre de la bande à compter de la date du référendum.

 

Partie VII Procédure de recours

 

22. Tout demandeur d’inscription dont la demande est rejetée par les membres de la bande peut, après trois mois à compter de la date de ce rejet, présenter une nouvelle demande d’inscription sous le régime de la partie IV des présentes Règles.

 

24. Le demandeur d’inscription dont la première demande a été rejetée par les membres de la bande ne peut en présenter qu’une autre, et le résultat du second référendum sur sa nouvelle demande a valeur définitive.

 

25. Le rejet d’une demande d’inscription sous le régime des présentes Règles n’ouvre aucun droit contre le conseil, la bande ou les membres de celle‑ci pris individuellement, ni contre leurs mandataires.

 

[La partie VIII porte sur la procédure de modification des Règles d’appartenance, et la partie IX sur leur entrée en vigueur.]

 

Partie X Délégation de pouvoir

 

31. La bande délègue par les présentes au conseil le pouvoir de prendre des règlements visant à assurer l’application juste et impartiale des présentes Règles, exempte de discrimination fondée sur le sexe, la religion, l’âge ou la famille, et conforme à l’intérêt supérieur de ladite bande.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[27]           La demande T‑1401‑11 invite la Cour à ordonner au conseil de la bande de réviser la liste des membres de celle‑ci, le demandeur soutenant que ledit conseil a outrepassé sa compétence par son inapplication des Règles d’appartenance. Cette demande de contrôle judiciaire se rapporte à l’inaction ou au refus d’agir du conseil. Par conséquent, notre Cour doit établir si ce dernier a compétence sur la question des effectifs de la bande et si la loi lui crée des obligations positives à cet égard. Ce sont là des questions de droit et de compétence, catégorie en général soumise à la norme de la décision correcte. Voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 50.

 

[28]           Comme l’explique la Cour d’appel fédérale au paragraphe 32 de Première nation no 195 de Salt River c Martselos, 2008 CAF 221, « il importe que le conseil interprète correctement le code à l’égard des questions principales pour agir dans les limites de sa compétence. L’interprétation du code doit être fondée en droit, et aucune retenue n’est justifiée sur ce point. » Voir aussi Angus c Première nation des Chipewyans des Prairies, 2008 CF 932, paragraphes 31 à 33; Felix Sr c Sturgeon Lake First Nation, 2011 CF 1139, paragraphe 22; et Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, paragraphe 53.

 

[29]           Le juge Beaudry a formulé sur la norme en question les observations suivantes au paragraphe 20 de Bacon c Comité d’appel du Conseil de Bande de Betsiamites, 2009 CF 1060 :

[20] La Cour partage l’avis des parties à ce sujet. Dunsmuir nous enseigne aux paragraphes 59 à 61 que lorsque le décideur n’a pas une expertise particulière pour interpréter sa loi habilitante ou des lois connexes, on doit utiliser les éléments de la décision correcte lorsqu’il s’agit d’une question d’interprétation. Dans le cas qui nous occupe, le Comité d’appel ne possède pas cette expertise particulière.

 

Dans la présente espèce, le conseil de la bande, en tant qu’organisme élu, n’a pas d’expertise particulière dans l’interprétation de la Loi sur les Indiens et des Règles d’appartenance. La norme de contrôle applicable à la demande T‑1401‑11 est donc celle de la décision correcte.

 

[30]           Pour ce qui concerne l’appel contre l’élection, le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable à l’interprétation de la Loi sur les Indiens et du Règlement est celle de la décision correcte, étant donné qu’il s’agit là d’une question de droit; voir Esquega c Canada (Procureur général), 2007 CF 878, infirmée pour d’autres motifs par 2008 CAF 182, paragraphe 65; Dumais c Première nation n 468 de Fort McMurray, 2010 CF 342, paragraphe 4; Première nation no 195 de Salt River c Martselos, précité, paragraphe 28; et Giroux c Première nation de Swan River, 2006 CF 285, modifiée pour d’autres motifs par 2007 CAF 108, paragraphes 54 et 55. Selon le demandeur, la norme arrêtée au paragraphe 65 de la décision Esquega, précitée, pour le contrôle des décisions du gouverneur en conseil sur les appels relatifs à des élections devrait être appliquée aux décisions de même nature du ministre.

 

[31]           Le ministre défendeur fait valoir que depuis Dunsmuir, les questions de droit ne relèvent plus nécessairement de la norme de la décision correcte, puisque la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard des décisions du tribunal administratif lorsqu’il interprète « sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat » (Dunsmuir, précité, paragraphes 51 et 54). En outre, le ministre défendeur fait observer que la jurisprudence citée par le demandeur ne concerne pas des décisions du ministre, mais des décisions du gouverneur en conseil, de comités d’appel et de conseils de bande.

 

[32]           Dunsmuir prévoit un critère à deux étapes pour déterminer la norme de contrôle applicable : 1) vérifier si la jurisprudence a déjà établi cette norme de manière satisfaisante, et, dans la négative, 2) effectuer une analyse des facteurs permettant de déterminer la norme appropriée. Étant donné les arguments récapitulés dans les paragraphes qui précèdent, j’estime qu’il convient d’effectuer ici une analyse de la nature définie dans les termes suivants au paragraphe 64 de Dunsmuir, précité :

[64] L’analyse doit être contextuelle. Nous rappelons que son issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs pertinents, dont (1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, (3) la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif. Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable.

 

Voir aussi Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, paragraphe 16.

 

[33]           Premièrement, ni la Loi sur les Indiens ni le Règlement ne contiennent de clause privative. Deuxièmement, l’examen par le ministre des appels relatifs à des élections exige la prise en considération d’intérêts multiples et la mise en balance des coûts et des avantages pour les parties. La procédure d’appel, comme le révèlent l’étude de la preuve aussi bien que la lecture de la Loi sur les Indiens et du Règlement, est conçue comme une méthode rapide et économique de règlement des différends et doit donc faire l’objet de retenue judiciaire; voir Dunsmuir, précité, paragraphe 69; et Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982, paragraphe 36. Troisièmement, la question ici en litige est l’interprétation de la Loi sur les Indiens et du Règlement dans le contexte d’un appel contre une élection. La Cour suprême a donné les explications suivantes concernant les questions de droit au paragraphe 55 de Dunsmuir :

 

(…) [La question de droit] qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62). Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents.

 

[34]           Dans la présente espèce, les dispositions relatives aux élections de la Loi sur les Indiens et du Règlement appartiennent au domaine d’expertise du décideur (Esquega, précitée, paragraphe 62). La question de droit dont il s’agit ne revêt pas une importance capitale pour le système juridique. Enfin, il y a tout lieu de supposer que la déléguée possède une expertise dans l’interprétation des lois électorales et leur application en conformité avec les politiques du MAINC (voir Dunsmuir, précité, paragraphes 54 et 68). Tous ces facteurs militent en faveur d’un niveau élevé de retenue judiciaire. J’en conclus que la norme de contrôle applicable à la décision de la déléguée est celle du caractère raisonnable.

 

[35]           La cour qui contrôle une décision suivant la norme du caractère raisonnable doit se demander si cette décision est justifiée, si le processus qui y a conduit est transparent et intelligible, et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dumsuir, précité, paragraphe 47).

 

[36]           Les présentes demandes soulèvent aussi des questions d’équité procédurale. La Cour doit établir si, compte tenu de tous les faits de l’espèce, on a fait preuve d’équité envers le demandeur; voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, paragraphe 43; Felix Sr c Sturgeon Lake First Nation, précitée, paragraphe 23; Bacon c Comité d’appel du Conseil de Bande de Betsiamites, précitée, paragraphe 21; et Esquega, précitée, paragraphe 65.

 

AnalysE

 

T‑1401‑11

 

[37]           La demande T‑1401‑11 met en jeu un concept qui se situe au fondement même de notre système de gouvernement : le principe de la primauté du droit. Il est de jurisprudence constante que les conseils de bande sont aussi liés par ce principe; voir Laboucan c Nation crie de Little Red River no 447, 2010 CF 722, paragraphe 36; et Nation crie de Long Lake c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] ACF no 1020, paragraphe 31.

 

[38]           Le juge Douglas Campbell a récemment souligné l’importance du principe de la primauté du droit au paragraphe 3 de Les amis de la Commission canadienne du blé et al c Canada (Procureur général), 2011 CF 1432 :

[3] Un récent rappel quant à l’impératif constitutionnel fondamental que constitue la primauté du droit a été formulé par la juge en chef Fraser, aux paragraphes 159 et 160 de l’arrêt Reece c Edmonton (City), 2011 ABCA 238 :

 

[traduction]

Voici le point de départ. Au cours des nombreux siècles d’évolution de la démocratie, les plus grandes avancées ont été l’implantation du constitutionnalisme et de la primauté du droit. La primauté du droit, ce n’est pas l’État qui se donne le droit d’adopter des lois qu’il impose à ses citoyens, mais pas à lui-même, ou qui soustrait une autre entité gouvernementale à des lois qui lui sont applicables par ailleurs. La primauté du droit permet aux citoyens de s’adresser aux tribunaux pour faire appliquer les lois à l’encontre du pouvoir exécutif. Les tribunaux ont le pouvoir d’examiner les mesures prises par le pouvoir exécutif pour juger si ces mesures sont conformes à la loi et, s’ils l’estiment justifié, ils peuvent déclarer illégale la mesure prise par l’État. Ce droit, qui appartient à la population, ne constitue pas une menace à la gouvernance démocratique, mais en est plutôt l’affirmation même. Par conséquent, le pouvoir exécutif de l’État ne juge pas lui-même la légalité de ses actes ou de ceux de ses délégués. Les cas dans l’histoire où le pouvoir exécutif a lui-même établi, à ses propres fins, l’étendue de ses pouvoirs ont souvent entraîné des conséquences sanglantes.

 

Lorsqu’un État ne se conforme pas à la loi, il ne s’agit pas simplement d’une violation à une loi donnée : il s’agit d’un affront même à la primauté du droit […]

 

[C’est le juge Campbell qui souligne.]

 

Voir aussi Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217, paragraphes 70 à 72; et Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 RCS 721, paragraphes 59 et 60.

 

[39]           S’il est vrai que la présente demande concerne une question qui relève de la compétence d’une Première Nation opérant à la fois dans le cadre du droit législatif fédéral et dans celui d’un code d’appartenance qu’elle a elle-même adopté, le principe reste le même.

 

[40]           Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

 

1. Le conseil de la Bande d’Ashcroft a‑t‑il outrepassé sa compétence en refusant d’appliquer les Règles d’appartenance et de réviser la liste de ladite bande?

 

[41]           L’une des notions fondamentales à prendre en considération dans la présente demande est l’obligation de tenir et d’administrer la liste des membres de la bande, désignée « liste de bande » ou « liste de la bande » dans la Loi sur les Indiens. Cette obligation est énoncée à l’article 8 de ladite loi. La liste de bande peut être tenue soit par le MAINC (article 9) ou par la bande elle‑même (article 10). Rappelons à ce sujet les observations suivantes formulées par la juge Desjardins au paragraphe 2 de l’arrêt Première nation des Abénakis d’Odanak c Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2008 CAF 126 :

[2] Selon les dispositions de l’article 10 de la Loi, adopté en 1985, une bande qui le souhaite peut assumer le contrôle de sa liste de bande si elle fixe les règles par écrit et si elle est autorisée à le faire « par la majorité de ses électeurs ». La mesure, selon le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien qui pilotait le projet de modification de la Loi à la Chambre des communes le 7 mars 1985, constitue le début d’un processus visant la pleine autonomie politique des Indiens (débats de la Chambre des communes, 7 mars 1985, p. 12 :7; voir aussi Sawridge Band c. Canada, [2003] 3 C.N.L.R. 344 (C.F. 1ère inst.), para 28 à 32).

 

[42]           L’article 10, lit‑on au paragraphe 38 de l’arrêt Première nation des Abénakis d’Odanak c Canada, assure la protection des droits acquis. Il donne aux bandes indiennes la possibilité de décider de l’appartenance à leurs effectifs, laquelle appartenance est analogue à la citoyenneté en ce qu’elle comporte à la fois des droits et des obligations : participer aux élections de la bande, habiter dans la réserve, recevoir des prestations, etc. (Sandberg c Conseil de bande de la Nation crie de Norway House, 2005 CF 656, paragraphe 12). La notion d’appartenance est donc liée aux notions d’autonomie et de démocratie autochtones.

 

[43]           La Bande d’Ashcroft s’est prévalue de la possibilité susdite en 1987 et a alors adopté en conséquence ses Règles d’appartenance sous le régime du paragraphe 10(1) de la Loi sur les Indiens. Le point de savoir si elle a donné un avis convenable de son intention et obtenu l’autorisation de la majorité de ses électeurs ainsi que l’exige ce paragraphe ne fait pas l’unanimité, mais le ministre a entériné l’initiative de la bande, qui l’a mise à exécution. Les défendeurs chef et conseil ne peuvent maintenant faire valoir l’illégitimité du processus de l’adoption des Règles d’appartenance, étant donné que la décision de 1987 a déchargé le MAINC de la responsabilité de tenir la liste de la bande et que n’ont été contestées à l’époque ni cette décision ni sa ratification par le ministre.

 

[44]            Le paragraphe 10(9) de la Loi sur les Indiens fixe à la bande l’obligation de tenir la liste de ses membres, et le paragraphe 10(10) de la même loi lui confère le pouvoir d’y ajouter ou d’en retrancher des noms en conformité avec ses Règles d’appartenance. La tenue de la liste de bande en conformité avec les règles d’appartenance est une obligation de droit public; voir Scrimbitt c Conseil de la bande indienne de Sakimay, [2000] 1 CNLR 205, paragraphe 37.

 

[45]           Comme je l’expliquais plus haut dans la section relative au contexte, les Règles d’appartenance disposent que les personnes remplissant des critères déterminés sont admissibles [TRADUCTION] « d’office » comme membres de la bande (partie II), tandis que d’autres, qui peuvent avoir droit à l’inscription sur la liste des membres, doivent présenter une demande d’inscription, qui doit être accueillie par la majorité des électeurs de la bande dans le cadre d’une assemblée convoquée à cette fin (parties III et IV). La bande doit tenir quatre assemblées sur l’appartenance par an, à moins qu’aucune demande d’inscription n’ait été présentée pendant une période de trois mois.

 

[46]           Les Règles d’appartenance prévoient expressément les modalités de leur modification (articles 26 à 29). La jurisprudence a établi que l’on ne peut modifier de telles règles à volonté; voir Angus c Première nation des Chipewyans des Prairies, précitée, paragraphe 55. Le conseil de bande est lié par les règles d’appartenance et ne peut s’en écarter; voir Sandberg c Conseil de bande de la Nation crie de Norway House, précitée, paragraphe 12.

 

[47]           Le défendeur soutient que l’article 10 de la Loi sur les Indiens ne crée aucune obligation positive ni aucune obligation légale d’agir, s’appuyant principalement sur l’emploi du terme « peut » au paragraphe (10) de cet article. Cet argument ne me paraît aucunement convaincant.

 

[48]           Selon la principale règle de l’interprétation des lois, il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de cette loi, l’objet de celle‑ci et l’intention du législateur; voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, paragraphe 21; et l’article 12 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21.

 

[49]           Étant donné que l’article 10 de la Loi sur les Indiens a pour objet de rendre aux bandes le pouvoir de décider de l’appartenance à leurs effectifs, le libellé du paragraphe 10(10) peut s’interpréter comme leur conférant la faculté de choisir la manière dont elles ajouteront des noms à la liste de leurs membres ou en retrancheront. Si l’on envisage que le même article a aussi comme objet de favoriser l’autonomie des bandes, il faut attribuer au législateur l’intention d’éviter d’imposer une manière déterminée de gérer la liste de bande pour laisser plutôt les bandes décider elles-mêmes de la marche à suivre par leurs règles d’appartenance; d’où la précision « aux termes des règles d’appartenance de la bande » apportée au paragraphe 10(10).

 

[50]           En outre, il faut lire le paragraphe 10(10) de la Loi sur les Indiens en fonction du reste de l’article et plus particulièrement du paragraphe 10(9), qui crée bel et bien une obligation légale : « [...] la bande est responsable de la tenue de sa liste » [non souligné dans l’original]. De même, par l’article 31 des Règles d’appartenance, la Bande d’Ashcroft a délégué à son conseil le pouvoir de prendre des règlements administratifs visant à assurer [TRADUCTION] « l’application juste et impartiale [desdites Règles], exempte de discrimination [...] ». Enfin, les articles 18 et 19 des Règles d’appartenance fixent aussi des obligations positives au conseil, qui doit soumettre le rapport du comité de l’appartenance à un référendum.

 

[51]           Comme le faisait observer la juge Snider au paragraphe 12 de Sandberg c Conseil de bande de la Nation crie de Norway House, précitée, « [l]a Loi de même que les règles d’appartenance de chacune des bandes qui choisissent de décider de l’appartenance à leurs effectifs assurent l’intégrité du processus qui permet de devenir et de rester membre d’une bande ».

 

[52]           Les Règles d’appartenance et la Loi sur les Indiens font obligation au conseil de la bande de tenir la liste des membres de celle‑ci conformément auxdites Règles. Cette conclusion est étayée par l’analyse dont le juge Punnett rend compte aux paragraphes 18 à 21 et 23 de Cameron c Albrich, précitée. Il fait ainsi observer au paragraphe 21 que, [TRADUCTION] « [c]es Règles d’appartenance, comme on l’a vu plus haut, confèrent au conseil de la bande le pouvoir d’évaluer les demandes d’inscription, ainsi que de formuler des recommandations et de tenir des référendums sur ces demandes [...] ».

 

[53]           Les défendeurs soutiennent que la voie à suivre pour contester l’appartenance à la bande de certaines personnes actuellement inscrites sur la liste de ses membres serait de demander le contrôle judiciaire de chacune des décisions par lesquelles le commis aux effectifs les y a inscrites. Ce serait là à mon sens un gaspillage de ressources judiciaires. Le demandeur ne conteste la qualité de membre de personne en particulier; il prie plutôt la Cour de faire en sorte que la conseil de la bande applique fidèlement les Règles d’appartenance.

 

[54]           La contestation de l’appartenance à la bande de chacune des 76 personnes supposées ne pas en être membres à bon droit non seulement prendrait un temps considérable, mais ne produirait pas le résultat que vise M. Cameron par la présente demande, soit de faire en sorte que le conseil de bande se conforme aux Règles d’appartenance. Le principe de la primauté du droit ne fait pas que limiter l’action des gouvernements : il leur prescrit aussi de prendre des mesures déterminées en leur fixant des obligations légales; voir Fondation David Suzuki c Canada (Pêches et Océans), 2010 CF 1233, modifiée en partie pour d’autres motifs par 2012 CAF 40, paragraphes 163 et 164; et Proc gén du Can c Inuit Tapirisat et autre, [1980] 2 RCS 735, paragraphe 23.

 

[55]           Contrairement aux affirmations des défendeurs, la Loi sur les Indiens ne fixe pas au commis aux effectifs l’obligation d’exercer les attributions de la bande ou du conseil, pas plus que les Règles d’appartenance ne lui délèguent les pouvoirs de celle‑ci. Les Règles d’appartenance fixent bien une obligation au commis aux effectifs, mais cette obligation est seulement celle d’évaluer la conformité de la demande d’inscription aux exigences et de la transmettre, accompagnée d’un bref rapport, au comité de l’appartenance (articles 15 et 16 des Règles d’appartenance). Le commis aux effectifs ne prend pas la décision finale : c’est à la bande qu’il appartient de le faire, par la voie d’un référendum. Par conséquent, le commis aux effectifs n’a pas le pouvoir de modifier la liste des membres. Cette obligation, comme il a été expliqué plus haut, incombe aux défendeurs en leurs qualités respectives de chef et de conseillers.

 

[56]           L’absence dans les Règles d’appartenance d’un mécanisme d’appel accessible aux non‑demandeurs d’inscription ne laisse pas sans recours le demandeur à la présente instance ni ne permet au conseil de bande de se dérober à ses responsabilités. La Loi sur les Indiens, du fait qu’elle ne crée pas de mécanisme d’appel pour les bandes qui choisissent de décider de l’appartenance à leurs effectifs, abandonne à chacune d’elles le soin d’organiser le règlement des différends, conformément aux principes d’autonomie qui sous-tendent l’article 10 de la Loi sur les Indiens.

[57]           Je conclus de ce qui précède que le conseil de la bande a l’obligation d’assurer la bonne application des Règles d’appartenance. Les éléments de preuve que le demandeur a produits devant le conseil et devant notre Cour, ainsi que le mécontentement persistant qui agite la bande touchant les questions d’appartenance, fournissent des motifs raisonnables de mettre en discussion la validité de la liste de la bande; voir le rapport Starr, dossier du demandeur, page 102; le rapport Kirkpatrick, ibid., page 128; la lettre de Ray Cameron, ibid., page 20; et la pétition relative à la liste électorale, ibid., page 87.

 

[58]           La preuve révèle qu’il n’a pas été convoqué d’assemblées sur l’appartenance depuis 2005, en violation des articles 18 et 19 des Règles d’appartenance; voir la page 8 du rapport Kirkpatrick, dossier du demandeur, page 135, et la lettre de Ray Cameron, ibid., page 574. Les défendeurs n’ont produit aucun élément contredisant à cet égard la preuve déposée par le demandeur. Le conseil de la bande ne peut se dérober à ses responsabilités en restant muet sur la question. En refusant d’agir conformément à sa compétence et à la loi, il a commis une erreur donnant lieu à révision et dérogé au principe de la primauté du droit.

 

2. Le conseil de la Bande d’Ashcroft a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en omettant de répondre aux demandes de révision de la liste de ladite bande présentées par le demandeur?

 

[59]           Le demandeur soutient que le conseil de la bande avait envers lui une obligation d’équité procédurale. Le conseil a manqué à cette obligation d’équité procédurale, affirme‑t‑il, de deux manières : il n’a pas répondu à ses demandes et il n’a pas tenu compte des éléments d’appréciation qui les accompagnaient. Or, comme il est posé en principe au paragraphe 36 de Laboucan c Nation crie de Little Red River no 447, précitée, et aux paragraphes 47 et 48 de Sparvier c Bande indienne Cowessess [1993] 3 CF 142, tout conseil de bande doit respecter les formes régulières et l’équité procédurale dans ses rapports avec les membres de la bande pris individuellement.

 

[60]           Dans la présente espèce, cependant, aucun élément de preuve ne tend à établir que le conseil de la bande aurait pris des mesures ou suivi des procédures équivalant à un déni de justice naturelle à l’égard du demandeur. En l’occurrence, le conseil n’a rien fait du tout. Par conséquent, il n’a engagé aucune procédure dans le cadre de laquelle il aurait eu une obligation d’équité envers le demandeur; voir Lavallee c Alberta (Securities Commission), 2009 ABQB 17, paragraphe 66; et Prince Edward Island (Liquor Control Commission) c Prince Edward Island (Human Rights Board of Inquiry) (re Burge), [1995] PEIJ No 148 (CA).

 

3. Le demandeur a‑t‑il qualité pour attaquer le défaut d’agir de la bande?

 

[61]           Les défendeurs, invoquant les paragraphes 66 à 73 de Cameron c Albrich, précitée, ont mis en discussion le point de savoir si M. Cameron avait qualité pour former la présente demande. Cependant, celle‑ci diffère de l’action rejetée par la CSC‑B. Je reprends ici à mon compte les observations formulées par le juge en chef Fraser, dissident sur la question de l’abus de procédure, au paragraphe 143 de Reece c Edmonton (City), 2011 ABCA 238, et sa remarque incidente du paragraphe 159 :

[TRADUCTION]

 

[143] En outre, chose plus grave, cette déclaration présuppose que le citoyen n’a pas le droit de contester des actes illégaux de l’État. Cependant, lorsque le transgresseur est l’État lui-même, il est contraire au principe de la primauté du droit de soutenir que les citoyens sont sans recours. C’est l’une des principales tâches des tribunaux judiciaires que d’assurer la légalité de l’action étatique. On voit ainsi pourquoi le juge siégeant en chambre aurait dû trancher la question centrale de la présente espèce. Devrait‑on reconnaître aux appelants la qualité pour agir dans l’intérêt public qui leur permettrait de contester la manière illégale dont ils soutiennent que la Ville traite Lucy? Comme je le disais plus haut, cette question n’a jamais été réglée ni étudiée adéquatement. Or elle aurait dû l’être.

 

[…]

 

[159] (…) La primauté du droit permet aux citoyens de s’adresser aux tribunaux pour faire appliquer les lois à l’encontre du pouvoir exécutif. Les tribunaux ont le pouvoir d’examiner les mesures prises par le pouvoir exécutif pour juger si ces mesures sont conformes à la loi et, s’ils l’estiment justifié, ils peuvent déclarer illégale la mesure prise par l’État. Ce droit, qui appartient à la population, ne constitue pas une menace à la gouvernance démocratique, mais en est plutôt l’affirmation même […]

 

Voir aussi Harris c Canada, [1998] ACF no 1831, [1999] 2 CF 392, paragraphe 24; Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique c British Columbia (Education), 2011 BCSC 1219, paragraphe 60; et R c Consolidated Maybrun Mines Ltd, [1998] 1 RCS 706, paragraphe 25.

 

[62]           Le demandeur est membre de la bande et, à ce titre, il a intérêt à faire en sorte que le conseil de celle‑ci applique la loi. Cela est particulièrement vrai étant donné que c’est la bande qui a délégué au conseil le pouvoir relatif aux questions d’appartenance (article 31 des Règles d’appartenance). Il y a donc lieu de reconnaître aux membres de la bande la qualité pour agir afin d’assurer la bonne exécution des obligations correspondant à ce pouvoir. Cette conclusion est étayée par l’objet des Règles d’appartenance, énoncé à leur article premier :

1. La Bande indienne d’Ashcroft approuve l’établissement des présentes Règles dans le but de protéger son identité culturelle et sociale, d’entretenir et de renforcer le sentiment de solidarité qui assure sa cohésion, ainsi que d’assurer le maintien de l’ordre et de la bonne entente entre ses membres.

 

[63]           L’octroi par le législateur à tout membre de la bande du droit de contester l’état d’une liste de bande tenue par le MAINC milite aussi en faveur de ce point de vue; voir le paragraphe 14.2(2) de la Loi sur les Indiens. L’octroi de ce droit atteste le caractère collectif de l’intérêt en cause, c’est‑à‑dire le fait que l’appartenance est une question qui touche tous les membres de la bande et non pas seulement les personnes dont la qualité de membres est contestée ou qui ont vu rejeter leurs demandes d’inscription sur la liste.

 

[64]           L’argument des défendeurs, reposant sur Moulton Contracting Ltd c Behn, 2011 BCCA 311, selon lequel une personne qui ne représente pas la collectivité ne peut intenter d’action tendant à faire valoir des droits ancestraux est dénué de pertinence. Cette proposition est exacte d’un point de vue général, mais la présente demande n’est pas fondée sur une violation de droits ancestraux.

 

[65]           Le demandeur est personnellement touché par l’inexécution des Règles d’appartenance. La liste électorale de la bande est fondée sur la liste de ses membres. Or si la liste électorale est inexacte, les résultats des élections s’en trouveront faussés. En tant qu’électeur, M. Cameron a le droit d’exiger la bonne application des règlements afin d’assurer la légitimité de son gouvernement. Il est évident que la liste des membres de la bande influe sur les élections, puisqu’elle a un effet sur le nombre des électeurs et des candidats. Voir les articles 2, 75 et 77 de la Loi sur les Indiens, et l’article 4 du Règlement.

 

[66]           Je conclus de ce qui précède que le demandeur a qualité pour former la présente demande de contrôle judiciaire.

 

4. Dans le cas où la demande serait accueillie, quelle serait la réparation appropriée?

 

[67]           Le demandeur sollicite deux mesures de réparation : un jugement déclaratoire et une ordonnance de mandamus. Étant donné l’analyse qui précède, je ne vois aucune raison de ne pas prononcer un jugement déclarant que le conseil de la Bande d’Ashcroft a manqué à son obligation légale de tenir la liste de ladite bande conformément aux Règles d’appartenance et à la Loi sur les Indiens.

 

[68]           Je souscris à ce propos aux observations formulées par le juge en chef Fraser au paragraphe 167 de Reece c Edmonton (City), précité :

[TRADUCTION]

[167] Il ressort à l’évidence d’une jurisprudence de longue date que le jugement déclaratoire est un instrument inhérent au pouvoir des tribunaux judiciaires et d’une importance fondamentale pour l’exécution de leurs obligations en tant que défenseurs de la primauté du droit. La compétence d’un tribunal judiciaire pour déclarer illégale une mesure de l’État ne peut lui être retirée que par des dispositions législatives au libellé exceptionnellement clair et, pour ce qui concerne les mesures anticonstitutionnelles, ne peut lui être retirée du tout.

 

[69]           La seconde mesure de réparation demandée est une ordonnance enjoignant au conseil de la bande de réviser la liste des membres de celle‑ci. Les critères qui président à la prononciation d’un mandamus sont récapitulés aux paragraphes 60 et 73 de Devinat c Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), [1999] ACF no 1774 (CA), au paragraphe 45 d’Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1993] ACF no 1098 (CA), et au paragraphe 7 de Seyoboka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1290. Ce sont les suivants :

  1. Il doit y avoir une obligation légale d’agir à caractère public.
  2. Il faut qu’on soit tenu de cette obligation envers le demandeur.
  3. Il doit exister un droit manifeste d’obtenir l’exécution de cette obligation.
  4. Lorsque l’obligation dont on réclame l’exécution relève d’un pouvoir discrétionnaire, il faut prendre en considération la nature de ce pouvoir et la manière dont il doit être exercé.
  5. Le demandeur n’a aucun autre recours satisfaisant.
  6. L’ordonnance demandée aura une valeur ou un effet pratiques.
  7. Le tribunal, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, estime que rien ne l’empêche du point de vue de l’equity d’accorder la réparation demandée.
  8. L’ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être prononcée compte tenu de la « prépondérance des inconvénients ».

 

[70]           Comme l’écrivait le juge Walsh au paragraphe 21 de Canadians for the Abolition of the Seal Hunt et al c Canada (Ministre des Pêches et de l’Environnement), [1981] 1 CF 733 : « Il va sans dire qu’une loi ou un règlement doit être appliqué et qu’un bref de mandamus n’y ajoute rien, à moins qu’il n’y ait refus total d’application. » Voir aussi IWA/IBA Canada, Local 2995 c Ontario, [2002] OJ No 5202 (C div), paragraphe 10; et R c Benson, [2009] OJ No 239, paragraphe 22.

 

[71]           En l’occurrence, j’estime que sont remplies les conditions préalables à la prononciation d’un mandamus, étant donné que le conseil de la bande, par son inaction, a refusé d’appliquer les Règles d’appartenance. Le conseil de la bande a une obligation légale d’agir à caractère public, il est tenu de cette obligation envers le demandeur et les autres membres de la Première Nation, le demandeur n’a pas d’autre recours satisfaisant, l’ordonnance aura un effet pratique, et rien n’interdit en equity de la prononcer. Enfin, le critère de la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’octroi de l’ordonnance demandée, puisque rien ne donne à penser que le conseil de la bande essaiera de régler le problème de son plein gré.

 

[72]           La révision de la liste de la bande exigera du temps, des ressources et l’analyse des éléments d’appréciation produits. En conséquence, j’estime préférable de laisser à la bande et à son conseil le soin de décider comment ils s’y prendront pour réparer le manquement et donner effet à cette réparation. Il me paraît légitime d’exiger que cela soit fait dans un délai raisonnable, que je fixerai à six mois à compter du prononcé du présent jugement.

 

[73]           En conséquence, il faudra reporter la prochaine élection, qui était prévue pour juin 2012, en attendant la révision et la mise à jour de la liste de la bande. Je note que la Cour d’appel fédérale, par l’arrêt Canada (Procureur général) c Esquega, 2008 CAF 182, a reporté une élection jusqu’à ce que le conseil de bande eût réglé un problème relatif aux électeurs non résidents (voir le paragraphe 11). Dans cette affaire, la question se posait par suite d’une contestation constitutionnelle de résultats d’élection. Cependant, les faits étaient analogues à ceux de la présente espèce. L’élection suivante ne pouvait être légalement tenue avant qu’on n’eût pris des mesures déterminées. Dans la présente espèce, le report est nécessaire pour éviter la tenue d’une élection sur la base d’une liste de bande non valable. En outre, le non-report entraînerait vraisemblablement de nouveaux litiges. Par conséquent, dans l’intérêt de l’économie des ressources de la bande et des ressources judiciaires, le problème devrait être réglé avant la tenue de la prochaine élection.

 

T‑435‑11

 

[74]           Pour les motifs dont l’exposé suit, la Cour accueille aussi la demande de contrôle judiciaire visant la décision de la déléguée du ministre sur l’appel contre l’élection.

 

5. Le ministre a‑t‑il interprété erronément la Loi sur les Indiens et le Règlement?

 

[75]           Le paragraphe 12(1) du Règlement prévoit la possibilité d’interjeter appel contre une élection devant le ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord. Cependant, la décision finale n’appartient pas au ministre, puisque seul le gouverneur en conseil dispose du pouvoir de rejeter une élection; voir l’article 79 de la Loi sur les Indiens.

 

[76]           Le paragraphe 13 du Règlement confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la tenue d’une enquête si les faits allégués ne lui paraissent pas suffisants. Le ministre est tenu de faire rapport au gouverneur en conseil lorsqu’il estime remplie l’une ou l’autre des conditions énoncées à l’article 14 du Règlement : a) l’élection en question est entachée de manœuvres frauduleuses; b) il y a eu une violation de la Loi qui pourrait avoir influé sur son résultat; c) une personne inéligible y a été présentée comme candidat.

 

[77]           Le demandeur soutient que le ministre a interprété erronément la Loi sur les Indiens et s’est trompé en concluant que le Règlement ne lui faisait pas obligation d’examiner la validité de la liste électorale et, par voie de conséquence, de la liste des membres de la Bande indienne d’Ashcroft. Il ressort à l’évidence de l’alinéa 14c) du Règlement que le ministre est tenu de s’assurer que tous les candidats à l’élection étaient éligibles. Pour ce faire, il doit vérifier s’ils étaient tous membres de la bande; voir la définition du terme « électeur » à l’article 2 de la Loi sur les Indiens, et les articles 75 et 77 de celle‑ci, ainsi que la définition du même terme à l’article 2 du Règlement. Il ressort aussi à l’évidence de l’alinéa 14b) du Règlement que le ministre est tenu de s’assurer que la liste électorale correspond à la liste des membres de la bande et que tous les candidats ont été présentés par des électeurs qualifiés; voir la définition du terme « électeur » à l’article 2 de la Loi sur les Indiens, et les articles 75 et 77 de celle‑ci, ainsi que la définition du même terme à l’article 2 du Règlement, et les articles 4, 4.2 et 4.5 de ce dernier.  

 

[78]           La question est ici de savoir s’il était raisonnable de la part du ministre d’interpréter la Loi sur les Indiens et le Règlement comme lui fixant seulement l’obligation d’examiner la liste de la bande telle qu’elle était au moment de l’élection.

 

[79]           Le demandeur soutient que le ministre aurait dû vérifier la validité de la liste de la bande avant de se demander si la liste électorale y était conforme. Le ministre défendeur affirme quant à lui ne pas disposer du pouvoir de mettre en doute la validité de la liste de la bande. Cette dernière a choisi de décider de l’appartenance à ses effectifs en vertu de l’article 10 de la Loi sur les Indiens et a promulgué ses propres règles d’appartenance, fait‑il valoir; en conséquence, il n’a plus compétence sur les questions d’appartenance. Comme toute personne dont le nom apparaît sur la liste d’une bande est réputée être membre de cette bande (voir la définition de « membre d’une bande » à l’article 2 de la Loi sur les Indiens et l’article 8 de celle‑ci), le ministre estime qu’il était raisonnable de sa part de supposer que toutes les personnes inscrites sur la liste de la Bande d’Ashcroft étaient membres de cette dernière et avaient donc le droit de figurer sur la liste électorale.

 

[80]           Le paragraphe 10(9) de la Loi sur les Indiens dispose que lorsqu’une bande choisit d’assumer la responsabilité de la tenue de sa liste, « le ministère [...] est dégagé de toute responsabilité à l’égard de cette liste ». Étant donné les principes généraux d’interprétation des lois énoncés au paragraphe 21 de Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), précité, et à l’article 12 de la Loi d’interprétation, il était raisonnable de la part du ministre de conclure que la Loi sur les Indiens ne l’obligeait pas à dépasser la simple lecture de la liste de la bande.

[81]           Le ministre n’est pas une instance d’appel concernant les questions d’appartenance et ne peut en devenir une par la voie des appels relatifs à des élections. Sauf constatation de l’invalidité de la liste d’une bande par celle‑ci ou par un tribunal judiciaire, il est raisonnable de la part du ministre de présumer que toutes les personnes inscrites sur une telle liste tenue par la bande elle‑même sont des membres et par conséquent des électeurs de ladite bande. En outre, il semblerait peu réaliste d’exiger du ministre qu’il interprète les Règles d’appartenance de la bande et qu’il recueille des éléments d’appréciation sur tous les membres supposés de cette dernière afin de vérifier s’ils ont vraiment droit à cette qualité. Étant donné la Loi sur les Indiens dans son ensemble, le sens ordinaire des dispositions applicables, le rôle du ministre et du MAINC, et la nature des appels relatifs à des élections, je conclus au caractère raisonnable de l’interprétation donnée par le ministre de la législation en question.  

 

6. Le rejet de l’appel par le ministre était‑il raisonnable?

 

[82]           Le demandeur soutient que la décision du ministre était déraisonnable pour trois motifs : 1) le ministre n’a pas pris en considération les éléments de preuve relatifs à la participation à l’élection des non-membres supposés; 2) plus précisément, le ministre a omis de prendre en considération les éléments de preuve produits par le demandeur; et 3) le ministre n’aurait pas dû invoquer l’action formée devant la CSC‑B pour rejeter l’appel.

 

[83]           L’avocat du demandeur a retiré à l’audience les allégations de manœuvres frauduleuses avancées au départ.

 

[84]           Les préoccupations du demandeur se rapportent dans une large mesure à l’appréciation des faits par la déléguée du ministre. La Cour d’appel fédérale a formulé l’observation suivante au sujet des arguments de cette nature au paragraphe 33 de Canada (Agence du revenu) c Telfer, 2009 CAF 23 : « Puisque l’appréciation du poids à accorder à un fait en particulier est au cœur de ce qui constitue l’exercice du pouvoir discrétionnaire, il sera généralement difficile de persuader un tribunal qu’une décision administrative a été exercée de façon déraisonnable à cet égard. » Néanmoins, si la décision n’est pas justifiée, ou si le processus décisionnel manque de transparence ou d’intelligibilité, il est loisible à notre Cour d’intervenir; voir Dunsmuir, précité, paragraphe 47.

 

[85]           J’ai déjà conclu qu’il était raisonnable de la part du ministre d’interpréter la Loi sur les Indiens comme l’empêchant d’intervenir sur les questions d’appartenance. Il était également raisonnable de sa part de conclure que ni la Loi sur les Indiens ni le Règlement ne confèrent au président d’élection le pouvoir de réviser ou de mettre en discussion la liste de bande (voir l’article 4 du Règlement).

 

[86]           Le pouvoir d’enquête du ministre est de nature discrétionnaire et destiné à être exercé lorsque les faits allégués ne lui paraissent pas suffisants pour trancher l’appel (article 13 du Règlement). Dans la présente espèce, les faits ont paru suffisants au ministre. Le demandeur s’est révélé incapable de démontrer en quoi cette conclusion serait déraisonnable.

 

[87]           La norme de preuve que fixe l’alinéa 14b) du Règlement exige seulement qu’on établisse qu’il y a lieu de croire à une violation de la Loi sur les Indiens ou du Règlement; voir Keeper c Canada, 2011 CF 307, paragraphe 5; et Hudson c Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CF 203, paragraphe 87. Si cette norme est remplie, le ministre doit faire rapport au gouverneur en conseil.

 

[88]           Étant donné les éléments d’appréciation que le demandeur avait communiqués au ministre touchant l’inapplication des Règles d’appartenance et de l’article 10 de la Loi sur les Indiens par le conseil de la bande, il aurait été loisible à la déléguée de conclure que la norme susdite était remplie. La déléguée devait prendre en considération les éléments d’appréciation relatifs aux violations supposées de la Loi sur les Indiens ou du Règlement. Or elle semble avoir accepté la version des faits proposée par le défendeur Greg Blain sans tenir compte de la question sérieuse que soulevaient tous les éléments d’appréciation se rapportant à l’inobservation des Règles d’appartenance et, par voie de conséquence, de l’article 10 de la Loi sur les Indiens.

 

[89]           Il avait fallu un tirage au sort pour départager les candidats à l’élection faisant l’objet de l’appel. Il n’était pas difficile d’en déduire que l’inobservation de la loi pouvait avoir influé sur le résultat de cette élection. À mon sens, la déléguée du ministre n’a pas tenu compte des éléments d’appréciation dont elle disposait, pas plus qu’elle n’a expliqué de manière satisfaisante pourquoi elle ne pensait pas que fût atteint le seuil fixé à l’article 14.

 

[90]           Il ressort à l’évidence de la lettre-décision de la déléguée qu’elle considérait l’action formée devant la CSC‑B comme un exemple des voies légitimes par lesquelles on pouvait contester l’appartenance à la bande de personnes supposées inscrites à tort sur la liste de ses membres. Elle a déclaré que si le demandeur avait obtenu gain de cause dans cette action, il aurait pu utiliser ce jugement pour contester la validité de l’élection. En concluant ainsi, la déléguée s’est soustraite à son obligation d’examiner adéquatement l’affaire.

 

[91]           Étant donné les éléments d’appréciation dont disposait la déléguée du ministre et la norme de preuve que fixe l’article 14 de la Loi sur les Indiens, la décision attaquée ne remplit pas la norme du caractère raisonnable.

 

7. Le ministre a‑t‑il manqué à l’équité procédurale?

 

[92]           La dernière question en litige se rapporte à l’équité procédurale. Le demandeur soutient que le ministre a manqué à l’équité procédurale à son égard dans le cadre de l’appel, au motif qu’il ne lui a pas permis de prendre connaissance de la réponse de Greg Blain ni d’y répliquer. Le demandeur soulève aussi la question du délai anormal.

 

[93]           L’appel contre l’élection a manifestement une incidence sur les droits et prérogatives du demandeur en tant que membre de la bande et candidat au poste de chef. Par conséquent, le décideur était tenu envers lui de l’obligation d’équité procédurale. Voir Ross c Canada (Affaires indiennes et du Nord), 2007 CF 499, paragraphe 38; et Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, paragraphe 14.

 

[94]           Le contenu de l’obligation d’équité procédurale varie selon le contexte de l’affaire; voir Knight c Indian Head School Division No 19, [1990] 1 RCS 653, paragraphe 46. Les facteurs à prendre en considération pour déterminer ce contenu sont énoncés aux paragraphes 23 à 27 de Baker, précité. Ce sont :

1)      la nature de la décision et le processus suivi pour y parvenir;

2)      la nature du régime législatif applicable et les termes de la loi dans le cadre de laquelle agit le décideur;

3)      l’effet de la décision sur la personne visée;

4)      les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

5)      la retenue à exercer à l’égard des choix procéduraux du décideur.

 

[95]           La procédure de recours administratif est très différente de la procédure judiciaire et comporte l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire considérable (Baker, précité, paragraphes 23 et 31; et Esquega, précitée, paragraphe 68). Le Règlement prévoit certaines mesures procédurales, mais pas la communication des réponses à l’appelant (article 12 du Règlement; voir aussi Baker, ci‑dessus, paragraphe 31). La décision en cause est importante pour les candidats, étant donné qu’elle concerne leur aptitude à participer au gouvernement de la bande (voir Baker, précité, paragraphe 25; et Esquega, également précitée, paragraphe 71).

 

[96]           Je conclus qu’aucun élément du rapport sénatorial – cité par le demandeur – n’est propre à susciter l’attente que le ministre suive une procédure différente de celle que prévoient la Loi sur les Indiens et le Règlement, et qu’applique normalement le MAINC. Il n’a pas été fait de promesses au demandeur (voir Baker, précité, paragraphe 26; et Girard c Canada, [1994] ACF no 420, 79 FTR 219, paragraphes 28 et 29). La déclaration du délégué du ministre qu’on trouve dans le rapport sénatorial ne fait que réaffirmer les garanties procédurales que prévoit déjà le Règlement (voir la page 27 de ce rapport). Enfin, il est important de respecter l’expertise du ministre et les choix procéduraux qu’exprime la politique du ministère (voir Baker, précité, paragraphe 27). Les choix procéduraux du MAINC concernant les appels de cette nature sont axés sur les objectifs de l’équité et de l’efficacité.

 

[97]           En conséquence, je conclus que l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur se situait entre le bas et le milieu de l’échelle.

 

[98]           Le demandeur s’appuie dans une large mesure sur Esquega, précitée, pour affirmer qu’on aurait dû lui communiquer la réponse du chef Blain pour qu’il puisse y répliquer; cependant, les faits de la présente espèce sont différents de ceux de l’affaire Esquega. Dans celle‑ci, c’étaient les observations des appelants qui n’avaient pas été communiquées aux intimés, en violation du paragraphe 12(2) du Règlement (voir les paragraphes 69 et 79 d’Esquega).

[99]           Étant donné que, en l’occurrence, les observations de M. Greg Blain ne soulevaient pas de nouvelles questions et ne faisaient que répondre aux allégations de M. Cameron, que l’article 12 du Règlement ne prévoit pas la communication des écritures, que rien ne justifiait une attente légitime de communication et que la procédure d’appel doit être expéditive, je conclus que l’équité procédurale n’exigeait pas que le ministre communiquât au demandeur la réponse de M. Blain.

 

[100]       Enfin, concernant la question du délai anormal, le MAINC fait valoir qu’il n’est pas fait mention de ce motif de contrôle dans l’avis de demande et que, par conséquent,  l’alinéa 301e) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, interdit au demandeur de l’invoquer. En effet, comme l’explique le juge Kelen au paragraphe 45 de Conseil national des femmes métisses c Canada (Procureur général), 2005 CF 230, le demandeur ne peut invoquer de motifs de contrôle qui ne figurent pas dans l’avis de demande ni dans les affidavits produits à l’appui. Cette règle a pour objet d’éviter qu’il soit porté préjudice aux défendeurs; voir AstraZeneca AB c Apotex Inc, 2006 CF 7, paragraphe 19.

 

[101]       Dans la présente espèce, le ministre défendeur ne semble pas avoir subi de préjudice, puisqu’il a avancé des arguments convaincants à l’encontre de la plupart des allégations du demandeur. Quoi qu’il en soit, un délai de sept mois ne peut selon moi être considéré comme anormal; voir Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, paragraphes 101, 102, 104, 115 et 121. Ce délai n’a rien enlevé à l’équité de la procédure, et le ministre a administré l’appel de bonne foi.

 

[102]       Je conclus de ce qui précède que le ministre n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur.

 

CONCLUSIONS

 

[103]       Concernant la demande T‑1401‑11, la Cour conclut, pour les motifs dont l’exposé précède, que le conseil de la Bande indienne d’Ashcroft a outrepassé sa compétence et a dérogé au principe de la primauté du droit en refusant d’appliquer les Règles d’appartenance de la bande et en enfreignant ainsi l’article 10 de la Loi sur les Indiens. Le manquement à ses responsabilités dudit conseil, qui est le gouvernement élu de la Bande indienne d’Ashcroft, pourrait avoir eu et pourrait continuer d’avoir un effet défavorable sur l’administration de cette dernière, notamment sur l’organisation des élections de son chef et de ses conseillers. La Cour prononcera un jugement déclaratoire et une ordonnance de mandamus pour régler ce problème.

 

[104]       La prochaine élection prévue sera reportée en attendant la révision de la liste de la bande. Le chef et le conseil actuels resteront en fonction dans l’intervalle. Ils devront prendre de bonne foi les mesures nécessaires pour constituer le comité d’appartenance et réviser la liste de la bande en conformité avec les Règles d’appartenance de cette dernière. La Cour restera saisie de la présente demande jusqu’à l’issue de ce processus, afin de permettre aux parties de former toutes requêtes qui se révéleraient nécessaires pour obtenir des éclaircissements sur les ordonnances que je vais prononcer; voir le paragraphe 19 de Doucet‑Boudreau c Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62.

 

[105]       Pour ce qui est de la demande T‑435‑11, la Cour conclut que la décision de la déléguée était déraisonnable aux motifs qu’elle n’était pas fondée en fait ni en droit, qu’elle n’était pas justifiée, et que le processus y ayant mené manquait de transparence et d’intelligibilité; voir le paragraphe 47 de Dunsmuir, précité, ainsi que Keeper et Hudson, également précitées. Cependant, comptant que la bande prendra les mesures nécessaires pour régler le problème sous‑jacent de la liste de ses membres conformément au jugement déclaratoire et à l’ordonnance tranchant la demande T‑1401‑11, je ne vois aucune raison de renvoyer l’affaire devant le ministre pour réexamen ni de prononcer contre lui une ordonnance de mandamus. La charge de résoudre ce problème pèse sur la bande et non sur le ministre.

 

[106]       Les deux demandes de contrôle judiciaire, qui feront chacune l’objet d’un jugement distinct, sont donc accueillies.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑435‑11

 

INTITULÉ :                                      RAYMOND CAMERON

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN, GREG BLAIN, EARL BLAIN ET ANGELINE THORNE

 

DOSSIER :                                        T‑1401‑11

 

INTITULÉ :                                      RAYMOND CAMERON

 

                                                            et

                                                           

                                                            LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE                                                                                               D’Ashcroft, Greg Blain en sa qualité de                                                                  chef de la bande indienne d’ashcroft,                                                                     Earl Blain EN SA QUALITÉ DE CONSEILLER                                                                   DE LA BANDE INDIENNE D’ASHCROFT ET

                                                            Angeline Thorne EN SA QUALITÉ DE                                                                    CONSEILLÈRE DE LA BANDE INDIENNE       D’ASHCROFT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 16 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rosanne Kyle

Elin Sigurdson

Janes Freedman

 

POUR LE DEMANDEUR

(Raymond Cameron)

 

F. Matthew Kirchner

Kate Bloomfield

 

POUR LES DÉFENDEURS

Greg Blain et Earl Blain

Shelan Miller

POUR LE DÉFENDEUR

ministre des Affaires indiennes

et du Nord canadien

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ROSANNE KYLE

ELIN SIGURDSON

JANES FREEDMAN

Kyle Law Corporation

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

(Raymond Cameron)

F. MATTHEW KIRCHNER

KATE BLOOMFIELD

Ratcliff & Company, s.r.l.

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

Greg Blain et Earl Blain

 

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

ministre des Affaires indiennes

et du Nord canadien

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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