Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120628

Dossier : IMM‑6146‑11

Référence : 2012 CF 831

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

FEHIM DELOSEVIC

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision d’un agent principal d’immigration de rejeter la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur. L’agent a conclu que M. Delosevic ne subirait pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’il retournait au Monténégro. 

 

Le contexte

[2]               En 1989, M. Delosevic a quitté le Monténégro pour se rendre aux États‑Unis, où il a demandé l’asile à cause de difficultés avec les Serbes en Yougoslavie. Il a épousé une citoyenne américaine et le couple a eu deux filles. Il s’est désisté de sa demande d’asile aux États‑Unis et une demande de parrainage a plutôt été déposée. Toutefois, cette demande n’a jamais été menée à bien et, en 2007, il a été expulsé vers le Monténégro. Depuis ce temps, son épouse a fait la connaissance d’un autre homme et le demandeur est maintenant légalement séparé d’elle.

 

[3]               M. Delosevic est arrivé au Canada le 22 mars 2008 et a demandé l’asile. Au soutien de sa demande, il a dit qu’il avait été impliqué dans une altercation avec un haut gradé de la police en février 2008 et qu’il avait été forcé de vivre dans la clandestinité.

 

[4]               En janvier 2009, ses filles l’ont rejoint au Canada, où elles ont demandé l’asile à l’égard des États‑Unis. En septembre 2009, elles ont retiré leurs demandes et sont retournées vivre avec leur mère.

 

[5]               Le 14 juillet 2010, la Section de la protection des réfugiés a statué que M. Delosevic n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger, parce qu’elle avait des doutes au sujet de sa crédibilité. La Cour a rejeté la demande d’autorisation de M. Delosevic le 16 novembre 2010. Le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en cause en l’espèce. Une décision défavorable a été rendue relativement à l’ERAR et la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée.

 

[6]               L’agent a examiné l’établissement du demandeur au Canada, l’intérêt supérieur de ses filles et la situation du Monténégro et a conclu qu’il n’existait pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. La question qui se pose en l’espèce concerne la manière dont l’agent a examiné l’intérêt supérieur des deux enfants du demandeur vivant aux États‑Unis.

 

[7]               L’agent a reconnu que le demandeur avait deux filles nées aux États‑Unis, âgées de 11 et de 9 ans, et qu’il alléguait que son ex‑femme comptait sur lui pour subvenir à leurs besoins. Il a constaté qu’aucun renseignement sur la manière dont le demandeur subvenait aux besoins financiers de ses filles n’avait été produit et qu’on ne savait rien de la nature et de la fréquence des communications entre lui et ses filles depuis leur retour aux États‑Unis. Le demandeur a affirmé qu’il serait plus facile pour ses filles de lui rendre visite au Canada, mais l’agent a dit que l’on n’avait pas expliqué comment celles‑ci, qui sont encore mineures, se rendraient au Canada ou seraient autorisées à le faire par leur mère.

 

[8]               L’agent a écrit qu’il avait tiré une conclusion défavorable – bien que non déterminante – parce que ni l’ex‑femme du demandeur, ni ses filles n’avaient produit une preuve au soutien de sa demande. Il a finalement conclu que la preuve n’indiquait pas que l’intérêt supérieur de ses filles serait touché de telle sorte qu’une dispense était justifiée.

 

Les questions en litige

[9]               Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.      L’agent a‑t‑il commis une erreur au regard de l’intérêt supérieur de ses filles américaines?

 

2.      L’agent a‑t‑il commis une erreur en tirant des conclusions défavorables de l’absence de preuve?

 

3.       L’agent a‑t‑il commis une erreur en s’appuyant sur des hypothèses défavorables relativement aux affirmations du demandeur?

 

Analyse

            L’intérêt supérieur des enfants

[10]           On fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte des déclarations faites par le demandeur au sujet de l’intérêt supérieur de ses enfants, plus particulièrement les suivantes : (1) son ex‑femme compte beaucoup sur lui pour leur subsistance et elle est aux prises avec des difficultés financières; (2) s’il doit quitter le Canada, il ne verra pas ses filles car il sera occupé à déployer des efforts considérables pour survivre; (3) il sera au chômage chronique au Monténégro. Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de ces déclarations.

 

[11]           Subsidiairement, le demandeur soutient que, si l’agent avait pris en compte ces déclarations mais qu’il n’y avait pas ajouté foi, l’équité exigeait qu’on lui propose une entrevue et qu’il ait la possibilité de dissiper les doutes de l’agent.

 

[12]           De plus, le demandeur affirme que l’agent a commis une erreur en n’appréciant pas son établissement et ses difficultés économiques en tant que facteurs ayant une incidence sur ses filles.

 

[13]           Je ne suis pas convaincu que les déclarations du demandeur n’ont pas été prises en compte. Toutes ces déclarations sont mentionnées et analysées dans la décision de l’agent; celui‑ci ne leur a tout simplement pas accordé le poids que le demandeur aurait voulu.

 

[14]           L’agent a déclaré qu’il s’attendait à disposer d’une preuve de l’ex‑femme et des enfants confirmant les déclarations du demandeur. Il lui était loisible de tirer une conclusion défavorable de cette absence de preuve étant donné qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’une telle preuve soit produite : Ma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 509, et Rojas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF  849, au paragraphe 6.

 

[15]           En ce qui concerne la déclaration du demandeur selon laquelle il sera au chômage chronique au Monténégro, l’agent l’a clairement prise en compte lorsqu’il l’a appréciée eu égard au fait que le demandeur avait travaillé comme ouvrier qualifié entre 2007 et 2008 et que les compétences et l’expérience qu’il avait acquises au Canada seraient utiles au Monténégro.

 

[16]           L’agent a dit ce qui suit lorsqu’il a apprécié l’intérêt supérieur des enfants : [traduction] « Le demandeur soutient qu’il est plus facile pour [les enfants] de venir au Canada, mais il n’a pas indiqué comment ses filles – qui sont toujours mineures – viendront au Canada ou qu’elles seront autorisées à le faire par leur mère. » Le demandeur fait valoir que cette déclaration est abusive car les enfants lui ont rendu visite en 2009 – elles étaient alors parties de la Floride pour venir habiter avec lui.

 

[17]           Je ne suis pas convaincu que la déclaration de l’agent était abusive ou déraisonnable. L’agent savait très certainement que les filles avaient déjà rendu visite à leur père – ce fait est mentionné tout juste avant les propos qui sont contestés. Toutefois, il ressort également clairement du dossier que le voyage a eu lieu deux ans plus tôt, que les filles ont demandé l’asile au Canada – des demandes qui ont été retirées depuis lors – et qu’elles sont retournées vivre avec leur mère. En résumé, les circonstances ont changé. En l’absence de preuve de la mère des enfants qui se trouve en Floride, rien n’indique que celle‑ci serait disposée à laisser ses filles rendre visite à leur père au Canada ou de quelle façon elles le feraient, à moins qu’elle n’accepte de les accompagner. Ces observations et la minceur de la preuve corroborant les déclarations du demandeur sont pertinentes et la conclusion n’est pas abusive.

 

Les conclusions défavorables

[18]           Le demandeur prétend que son conseil était incompétent et qu’il ne s’est pas rendu compte qu’il fallait présenter une demande complète ou même faire des observations. Il soutient qu’il était déraisonnable que l’agent tire une conclusion défavorable du fait qu’il n’avait pas fourni de renseignements alors qu’il avait agi sur la recommandation de son conseil : Kassa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 801 [Kassa].

 

[19]           À mon avis, l’affaire Kassa est différente de la présente espèce. Dans cette affaire, le demandeur avait témoigné dans deux instances relatives à une revendication du statut de réfugié et, sur la recommandation de son conseil, il n’avait pas témoigné dans le cadre de la troisième. Une conclusion défavorable avait été tirée en conséquence. En l’espèce, le demandeur n’a pas présenté, dans les instances antérieures, une preuve crédible qui aurait étayé sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Plus important encore, il n’a produit aucune preuve permettant de croire que sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire aurait été accueillie si son conseil avait été plus compétent. Je fais mien le raisonnement exposé par la juge Dawson au paragraphe 54 de Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 646 [Ahmad], où elle a statué qu’elle ne disposait d’aucuns éléments de preuve qui auraient « probablement eu [une] incidence sur l’issue de la demande s’ils avaient été porté[s] à la connaissance de l’agente ».

 

Les hypothèses

[20]           On soutient que l’agent s’est appuyé sur des hypothèses lorsqu’il a conclu que le demandeur ne serait pas au chômage ou ne subirait pas de difficultés économiques, que les compétences qu’il avait acquises au Canada étaient transférables et que sa famille l’aiderait à se réintégrer. Selon le demandeur, l’agent a commis une erreur en tirant ces conclusions parce qu’elles n’étaient pas étayées par la preuve.

 

[21]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’agent a fondé ces conclusions sur la preuve dont il disposait. L’agent a mentionné que le demandeur travaillait à son propre compte dans l’industrie de la construction au Monténégro lorsqu’il avait vécu dans ce pays entre 2007 et 2008, que la preuve n’indiquait pas que ses compétences ne seraient plus requises dans ce pays, qu’il avait continué à travailler dans le même secteur au Canada, qu’il connaissait la langue et la culture du Monténégro et que les membres de sa famille vivant dans ce pays l’aideraient à se réintégrer. La preuve indiquait assurément que le demandeur s’était déjà réintégré au Monténégro dans le passé. Rien ne permettait de croire qu’il ne pourrait pas le faire à nouveau.

 

Conclusion

[22]           Pour ces motifs, la présente demande est rejetée. La décision était raisonnable et l’agent n’a commis aucune erreur de droit en y parvenant. Il n’y a aucune question à certifier au regard des faits et du fondement de la présente décision.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6146‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  FEHIM DELOSEVIC c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 15 mai 2012 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 28 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Balquees Mihirig

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.