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Date : 20120523

Dossier : IMM-7164-11

Référence : 2012 CF 618

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 23 mai 2012

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

Demandeur

 

et

 

 

 

VINOD KUMAR RAINA

 

 

 

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Aperçu

[1]               Les contacts sexuels sont assimilés à l’agression sexuelle. En l’espèce, en ce qui a trait à un enfant, ils sont considérés comme une agression violente, comme un crime violent et grave (Bossé c R, 2005 NBCA 72, aux paragraphes 4 à 10). En matière d’immigration, il s’agit d’un crime grave de droit commun. La notion de crime grave de droit commun est assimilable à la notion de grande criminalité définie au paragraphe 36(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] (Németh c Canada, 2010 CSC 56, [2010] 3 SCR 281, aux paragraphes 7, 44, 45 et 120; Naranjo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1127, au paragraphe 8).

 

II. Introduction

[2]               La Cour suprême du Canada a statué que l’agression sexuelle constitue un crime grave (R c Find, 2001 CSC 32, [2001] 1 RCS 863, au paragraphe 88; R c Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 RCS 353, au paragraphe 222; Canadian Newspapers Co c Canada (Procureur général), [1998] 2 RCS 122, au paragraphe 19).

 

[3]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a commis une erreur en se servant d’un critère établi expressément en lien avec l’article 36 de la LIPR par la Cour d’appel fédérale, alors que la question portait sur l’exclusion, et non sur l’interdiction de territoire (Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 RCF 164, aux paragraphes 37 à 46). Les deux notions ne sont pas interchangeables.

 

[4]               Dans l’arrêt Jayasekara, précité, la Cour d’appel fédérale a tranché qu’un facteur pertinent à considérer était la question de savoir si la plupart des ressorts considéreraient l’acte en question comme un crime grave (Jayasekara, aux paragraphes 38, 50 à 52 et 54).

 

III. La procédure judiciaire

[5]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR, à l’encontre de la décision rendue le 2 juin 2011 par la Commission, dans laquelle elle a rejeté la demande d’asile au Canada du demandeur. La Commission a conclu que le défendeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention suivant l’article 96 de la Loi, ni celle de personne à protéger suivant l’article 97 de la Loi, parce que son compte rendu des circonstances l’ayant amené à fuir son pays d’origine, l’Inde, n’était pas suffisamment crédible. Toutefois, en ce qui a trait à cette décision, l’aspect de la crédibilité n’est pas contesté devant la Cour fédérale. La question en litige consiste plutôt à établir si la Commission a tranché avec justesse la question de savoir si le défendeur devait se voir refuser l’asile au Canada en raison de ses antécédents criminels. La Commission a conclu que le défendeur n’était pas exclu de la protection accordée aux réfugiés. C’est cet aspect précis de la décision que le ministre demandeur conteste.

 

IV. Le contexte

[6]               C’est la deuxième fois que le défendeur, M. Vinod Kumar Raina, se présente devant la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une décision relative à sa demande d’asile. Le 4 novembre 2009, dans la décision Raina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 19, 382 FTR 135 [Raina 1], la Commission a d’abord établi que M. Raina n’avait pas droit à l’asile au Canada au motif qu’il était visé par l’exclusion prévue à l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137, RT Can 1969 no 6 [la Convention]. Puis, lors d’un contrôle judiciaire, la Cour fédérale a infirmé cette décision, parce que la Commission n’avait pas appliqué le critère approprié dans son analyse relative à l’alinéa 1Fb).

 

[7]               M. Raina a fondé sa demande d’asile sur les circonstances qui suivent.

 

[8]               M. Raina est un citoyen de l’Inde. Il est arrivé au Canada en octobre 2006 et a demandé l’asile au motif qu’il avait été harcelé, menacé et torturé par les forces policières dans l’État de Jammu-et-Cachemire. Ces problèmes l’avaient déjà amené à fuir l’Inde pour la Nouvelle-Zélande en 1999. En 2001, alors qu’il se trouvait toujours en Nouvelle-Zélande, M. Raina a été déclaré coupable d’avoir eu des rapports sexuels avec une jeune fille âgée entre 12 et 16 ans ou d’avoir commis des actes indécents à son égard, infraction décrite à l’alinéa 134A(2)a) du New Zealand Crimes Act de 1961 [NZ], 1961/43 [le NZCA]. M. Raina a purgé une peine d’emprisonnement de 18 mois, puis il a été expulsé vers son pays d’origine, l’Inde, en juillet 2003.

                                                      

[9]               À son retour en Inde, des agents l’ont détenu et interrogé à l’aéroport, pour ensuite le laisser partir moyennant certaines conditions. Le défendeur a expliqué que, par la suite, il n’avait connu aucun problème entre 2003 et 2006.

 

[10]           Dès janvier 2006, cependant, les problèmes de M. Raina ont ressurgi. À cette date, des moudjahidines sont entrés dans le petit magasin de vivres exploité par M. Raina et y ont pris des articles sans payer. Ils ont averti M. Raina qu’il devait servir gratuitement d’autres membres de leur organisation, puis ils ont menacé de le tuer s’il portait plainte à la police.

 

[11]           Le lendemain, la police a effectué une descente dans la maison de M. Raina, et l’a arrêté puis détenu. Les policiers l’ont également interrogé au sujet de ses liens possibles avec un groupe extrémiste. Ils ont accusé M. Raina de protéger et d’aider des militants. Six jours plus tard, le père de M. Raina a versé un pot-de-vin aux policiers, et M. Raina a été libéré. Il devait toutefois se présenter tous les mois à la police, et on lui a interdit de quitter l’État de Jammu-et-Cachemire.

 

[12]           En juin 2006, alors qu’il se présentait à la police comme chaque mois, M. Raina s’est fait demander de témoigner contre des militants. Effrayé, il s’est enfui de chez lui pour se cacher dans le Penjab pendant un mois. En juillet 2006, il est déménagé à Delhi, où il est resté jusqu’en octobre 2006, date à laquelle il est parti pour le Canada. M. Raina est arrivé au Canada le 21 octobre 2006 et a demandé l’asile le 26 février 2007.

 

[13]           Dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP], M. Raina a mentionné sa déclaration de culpabilité en Nouvelle-Zélande. Pour le crime en question, il avait été condamné à une peine d’emprisonnement de 30 mois, dont il avait purgé 18 mois avant d’être expulsé en Inde. M. Raina avait également été accusé d’une infraction plus grave commise dans le cadre du même incident, soit le crime d’avoir eu des rapports sexuels avec une personne de sexe féminin âgée entre 12 et 16 ans, mais il avait été acquitté à cet égard.

 

[14]           À la dernière audience tenue devant la Commission, M. Raina a soutenu avoir été injustement déclaré coupable. Il a expliqué les circonstances entourant sa déclaration de culpabilité, à savoir qu’il avait embrassé sur la joue une personne de 14 ans apparentée à son épouse. Cette jeune fille, Mlle Moetu, lui aurait demandé un soir de l’emmener dîner et de lui acheter des cigarettes. M. Raina avait accepté et, à la fin de la soirée, il l’avait embrassée sur la joue. Ce baiser, qui était un [traduction] « baiser culturel », constituait la façon habituelle de dire au revoir à quelqu’un de sa famille. Le lendemain matin, il avait été arrêté par la police et accusé d’avoir eu des rapports sexuels avec une personne de sexe féminin âgée de 12 à 16 ans ou d’avoir commis des actes indécents à son égard. La jeune fille avait offert de retirer sa plainte en échange d’argent; toutefois, on avait conseillé à M. Raina de plaider non coupable, et il avait subi son procès. Un jury l’avait déclaré coupable d’avoir commis des actes indécents à l’égard d’une jeune fille âgée entre 12 et 16 ans, mais l’avait acquitté du crime plus grave des rapports sexuels.

 

V. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[15]           La Commission a appliqué une combinaison des deux premiers critères énoncés dans la décision Hill c Canada (1987), 73 NR 315, [1987] ACF No 47 (QL/Lexis), pour déterminer si le crime commis par M. Raina était un crime grave de droit commun (Hill, au paragraphe 16).

 

[16]           La Commission a souligné que M. Raina avait été accusé aux termes du paragraphe 134(2) du NZCA, où il est question de [traduction] « rapports sexuels avec une fille âgée entre 12 et 16 ans ou d’actes indécents commis à son égard ».

 

[17]           La Commission a conclu que le NZCA réunissait en une seule trois infractions définies séparément dans le droit criminel canadien : les agressions sexuelles définies au paragraphe 265(2) du Code criminel, les contacts sexuels au sens de l’article 151 du Code criminel et les infractions tendant à corrompre les mœurs, telles que définies aux articles 163 à 171 du Code criminel.

 

[18]           Par conséquent, la Commission a ensuite appliqué le second critère de l’arrêt Hill, précité, qui énonce que la Commission doit examiner la preuve pour déterminer si « les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères » (Hill, au paragraphe 16).

 

[19]           La Commission a conclu qu’il y avait trois versions des incidents ayant mené à la déclaration de culpabilité de M. Raina. D’abord, la version de M. Raina, où celui-ci a déclaré qu’il avait embrassé Mlle Moetu sur la joue, qu’il s’agissait d’un baiser culturel et qu’il n’y avait aucune intention derrière cela. Ensuite, une lettre de l’avocat criminaliste de M. Raina décrivant l’incident comme étant plus grave que ne l’avait affirmé son client (contrairement aux déclarations d’origine), c’est-à-dire comme une agression impliquant baisers et attouchements. Et enfin, la déclaration de Mlle Moetu, selon laquelle M. Raina l’avait embrassée et touchée partout.

 

[20]           La Commission a établi que la déclaration de culpabilité de M. Raina en Nouvelle-Zélande constituait une preuve convaincante qu’un crime avait été commis, qu’il y avait des motifs suffisants de croire qu’il avait embrassé et touché à des fins d’ordre sexuel une fille âgée entre 14 et 16 ans, et que le baiser en question n’était pas un [traduction] « baiser culturel ».

 

[21]           La Commission a ensuite conclu que le crime commis par M. Raina était un crime grave de droit commun, et a apprécié les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara, précité. La Commission a pris acte du fait que les contacts sexuels constituaient un acte odieux. Elle a souligné qu’ils pouvaient faire l’objet de poursuites au Canada par voie de mise en accusation ou de procédure sommaire, et a conclu que, bien que les contacts sexuels soient toujours un crime, elle avait noté que la peine imposée à M. Raina était d’une durée de 30 mois. La Commission a en outre conclu qu’elle était incapable de tirer de la peine infligée des conclusions quant à la gravité de l’incident, faute d’éléments de preuve faisant état des pratiques de détermination des peines en Nouvelle-Zélande. La Commission a ensuite analysé la jurisprudence canadienne portant sur les contacts sexuels, et elle a mentionné plusieurs cas où des individus s’étaient vu infliger une peine d’emprisonnement allant de deux à neuf mois pour des infractions telles que le fait d’avoir touché et embrassé une fille de 14 ans, à quatre ans pour une agression sexuelle à l’encontre de fillettes âgées entre 5 et 8 ans. À l’issue de cette analyse, la Commission a conclu que, si le crime de M. Raina avait été commis au Canada, il n’aurait vraisemblablement pas reçu une peine de 30 mois d’emprisonnement.

 

[22]           La Commission a souligné que le jeune âge de la victime était une circonstance aggravante. Cependant, elle a conclu que les circonstances du crime commis par M. Raina ne faisaient pas en sorte qu’il atteigne le niveau d’un crime grave de droit commun. En conséquence, M. Raina n’était pas exclu de la protection des réfugiés au Canada aux termes de l’alinéa 1Fb) de la Convention.

 

[23]           La Commission s’est ensuite penchée sur la question de savoir si M. Raina satisfaisait aux critères d’obtention de l’asile au Canada, et elle a conclu qu’il n’était pas suffisamment crédible pour établir l’existence d’une crainte de persécution raisonnable. La Commission a conclu, en se fondant sur le témoignage de M. Raina, que ni la police ni les militants ne s’intéressaient à lui. Par conséquent, la Commission a décidé que M. Raina n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

VI. Question en litige

[24]           La décision de la Commission, selon laquelle M. Raina n’était pas exclu de la protection des réfugiés du fait de l’absence de raisons sérieuses de penser qu’il avait commis un crime grave de droit commun, était-elle raisonnable?

 

VII. La norme de contrôle

[25]           Le ministre a fait valoir que la question de savoir si le crime de M. Raina atteignait le niveau d’un crime grave de droit commun était une question de droit ayant une importance générale pour le régime juridique. Elle est par conséquent susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982; Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 RCS 84, au paragraphe 20; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 50 et 60; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 SCC 12, [2009] 1 SCR 339, au paragraphe 44; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ammar, 2011 CF 1094, aux paragraphes 11 et 12).

 

[26]           M. Raina a soutenu que la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 47, 53, 55 et 62; Khosa, précité; Jayasekara, précité, aux paragraphes 14 et 56). La Commission est un tribunal spécialisé, et les questions de fait relèvent de sa compétence. Qui plus est, la Commission a le droit de décider de la pondération à accorder à chacun des éléments de preuve, et la Cour ne devrait pas substituer ses propres conclusions à celles de la Commission.

 

VIII. Analyse

[27]           En ce qui a trait aux arguments de M. Raina, il importe de noter que, malgré que le ministre lui ait demandé de produire les documents officiels relatifs à sa déclaration de culpabilité en Nouvelle‑Zélande, M. Raina ne l’a pas fait. Le témoignage de M. Raina à propos de son crime était incohérent, et il a été jugé non crédible par la Commission; par conséquent, la Commission a commis une erreur en se fondant sur le témoignage de M. Raina lors de son analyse.

 

[28]           La Commission a analysé le titre de l’article 134 du NZCA, plutôt que la disposition proprement dite en vertu de laquelle M. Raina avait été inculpé.

 

[29]           Le fait de décider qu’une personne est exclue de la protection des réfugiés, en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention, ne revient pas à établir qu’elle est coupable d’un crime en fonction de la norme hors de tout doute raisonnable applicable en droit criminel. Le ministre n’a pas à prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de M. Raina. Le fardeau de la preuve se limite à démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de croire que M. Raina a commis un crime grave de droit commun (Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, au paragraphe 23). Cette norme exige davantage que de simples soupçons, mais reste moins stricte que la prépondérance des probabilités (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 RCS 100, au paragraphe 114).

 

[30]           La loi impose une présomption de gravité dans le cas d’un crime passible, au Canada, d’une peine d’emprisonnement de plus de dix ans (Chan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 390 (CA), au paragraphe 9; Jayasekara, précité, aux paragraphes 40, 43, 44 et 48).

 

[31]           La Cour suprême a tranché, dans le contexte de la Loi sur l’extradition, LC 1999, c 18, qu’un crime passible d’une peine d’emprisonnement d’au moins dix ans est un crime grave de droit commun (Németh, précité, au paragraphe 120). La notion d’un crime grave de droit commun peut être assimilée à celle de grande criminalité, telle que définie au paragraphe 36(1) de la LIPR (Németh, précité, aux paragraphes 7, 44, 45 et 120; Naranjo, précitée, au paragraphe 8).

 

[32]           Au Canada, les infractions mixtes sont traitées comme des infractions punissables par voie de mise en accusation, sauf si la Couronne choisit la procédure sommaire comme mode de poursuite. La Commission devait d’abord déterminer s’il existait, en l’espèce, une présomption de crime grave de droit commun avant d’examiner s’il y avait des circonstances atténuantes. C’est au demandeur qu’incombe la responsabilité de présenter des éléments de preuve démontrant des circonstances atténuantes.

 

[33]           La Commission a commis une erreur en ne cherchant pas à déterminer si un crime passible au Canada d’une peine d’emprisonnement d’au moins dix ans constituait un crime grave de droit commun. La Commission a commis une erreur en concluant que, parce que l’infraction canadienne relative aux contacts sexuels était une infraction mixte, elle pouvait être considérée comme étant sans gravité. La Commission a aussi commis une erreur en déterminant qu’il fallait considérer différemment la gravité d’un crime selon qu’on se trouve dans le contexte d’une exclusion ou d’une analyse relative à l’interdiction de territoire.

 

[34]           Lors d’une décision précédente dans la même affaire, un autre tribunal de la Commission avait conclu que les actes de M. Raina étaient des contacts sexuels au sens de l’article 151 du Code criminel. La Cour avait annulé cette décision, parce que la Commission avait omis d’appliquer l’un des trois critères établis dans l’arrêt Hill, précité (il était également fait référence à la décision Raina 1, précitée, aux paragraphes 9 à 11).

 

[35]           Dans la décision soumise au présent contrôle, la Commission a appliqué le second critère énoncé dans l’arrêt Hill, précité. Toutefois, elle n’avait aucune preuve crédible sur laquelle s’appuyer lorsqu’elle a employé le critère de Hill. La seule preuve produite relativement à la déclaration de culpabilité de M. Raina était son témoignage changeant et jugé non crédible par la Commission.

 

[36]           La conclusion de la Commission selon laquelle aucun élément de preuve n’avait été soumis relativement au sens du mot « agression » en Nouvelle-Zélande nécessite un examen. La signification de ce mot est tout à fait claire; on peut la trouver dans Le Petit Robert. Il était superflu que la Commission produise un élément de preuve concernant son interprétation en droit néo‑zélandais. Le ministre allègue pour sa part que l’infraction dont a été accusé M. Raina prévoit tous les types d’agressions sexuelles à l’encontre d’une jeune fille âgée entre 12 et 16 ans, à l’exception des rapports sexuels. En conséquence, les faits particuliers de l’affaire peuvent être très divers. Compte tenu de l’absence d’une preuve crédible permettant d’établir les faits à l’origine des accusations, la Commission a commis une erreur dans son application du second critère de l’arrêt Hill, précité.

 

[37]           Les éléments de l’interdiction relative aux contacts à des fins d’ordre sexuel criminalisent tous les deux une large gamme de comportements à l’égard d’un enfant; en soi, cela nécessite une appréciation de nature particulière.

 

[38]           Le ministre a clairement demandé à M. Raina de présenter à la Commission des documents relatifs à sa déclaration de culpabilité. M. Raina n’a jamais expliqué pourquoi il avait omis de le faire.

 

[39]           Le mot « agression » implique de la violence, une attaque ou de l’agressivité. Selon la jurisprudence canadienne, des contacts sexuels en l’absence de consentement équivalent à une agression et sont considérés comme de la violence (Bossé, précité, aux paragraphes 14 et 15).

 

 

[40]           Au Canada, les contacts sexuels sont assimilés à une agression sexuelle et sont considérés comme un crime grave et violent, même lorsqu’aucune force réelle n’a été utilisée (Bossé, précité, aux paragraphes 14 et 15). Même si la force n’a pas été employée lors d’une agression sexuelle, celle-ci est toujours considérée violente, car il n’y a pas eu consentement de la part de la victime (R. c Daigle, [1998] 1 RCS 1220, au paragraphe 25).

 

[41]           La Cour suprême a tranché que l’agression sexuelle était un crime grave (Find, précité; Grant, précité; Canadian Newspapers, précité).

 

[42]           La Cour a déjà statué qu’embrasser une personne mineure équivalait, au Canada, à avoir des contacts sexuels, et que cet acte était un crime grave aux termes de l’alinéa 1Fb) de la Convention. (Roberts c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 632, 390 FTR 241, aux paragraphes 6 et 31). En l’espèce, M. Raina a lui-même admis avoir fait encore plus que cela lorsqu’il a reconnu avoir touché l’enfant.

 

[43]           La Commission n’a pas tenu compte du fait que M. Raina avait abusé de la confiance de sa victime; elle a omis d’examiner s’il existait une présomption de crime grave avant d’apprécier les circonstances atténuantes ou aggravantes; et elle a omis d’inférer que la victime avait subi un préjudice psychologique du fait qu’elle était mineure. En elles-mêmes, ces omissions sont suffisantes pour constituer des motifs de contrôle judiciaire.

 

[44]           La Commission n’a pas appliqué le critère énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jeyasakara, précité, en omettant de tenir compte des éléments essentiels du crime. La Commission s’est fondée à tort sur la version des événements de M. Raina, qui n’a été étayée par aucune preuve, ni même par son propre témoignage subséquent.

 

 

[45]           La Commission a eu tort d’utiliser le critère élaboré par la Cour d’appel fédérale relativement à l’article 36 de la LIPR, alors qu’il était question d’exclusion, et non d’interdiction de territoire (Jayasekara, précité, aux paragraphes 37 à 46). Les deux notions ne sont pas interchangeables.

 

[46]           Dans l’arrêt Jayasekara, précité, aux paragraphes 38, 50 à 52 et 54, la Cour d’appel fédérale a établi qu’un élément pertinent à considérer était la question de savoir si la plupart des ressorts considéreraient l’acte en question comme un crime grave.

 

[47]           Le droit canadien considère les contacts sexuels comme un crime grave. Cinq éléments de cette infraction concourent à ce qu’elle soit considérée comme un crime grave. Premièrement, les contacts sexuels portent atteinte à l’intégrité sexuelle des victimes de moins de 16 ans; au Canada, ils sont considérés comme un crime odieux (R c Oldford, 2009 NLTD 124, 288 Nfld & PEIR 203, au paragraphe 13). Deuxièmement, les contacts sexuels constituent un acte de grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR). Troisièmement, bien que cette infraction soit punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité, elle est quand même considérée comme une infraction grave. En effet, pour cette infraction, la peine d’emprisonnement maximale encourue par une personne poursuivie par voie de déclaration sommaire de culpabilité est d’une durée de 18 mois, soit le triple de la peine d’emprisonnement prévue pour toutes les autres infractions punissables selon le même mode de poursuite (Code criminel, au paragraphe 787(1)). Quatrièmement, à la différence de la grande majorité des infractions prévues au Code criminel, l’article 151 prescrit une peine minimale d’emprisonnement. Enfin, cinquièmement, les contacts sexuels sont une infraction désignée au titre de la banque nationale de données génétiques aux fins d’analyse. Tous ces facteurs démontrent que le législateur considère ce crime comme un crime grave.

 

[48]           Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire du demandeur sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7164-11

 

INTITULÉ :                                      le ministre de la citoyenneté et de l’Immigration

 

                                                            c

 

                                                            Vinod Kumar Raina

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 22 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS:                      Le 23 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Greg George

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sherif R. Ashamalla

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Sherif R. Ashamalla

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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