Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court



Date : 20120524

Dossier : T-1875-11

Référence : 2012 CF 637

[Traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2012

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

Entre :

 

GORDON A. LIVELY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

Le procureur général du Canada

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           Motifs du jugement et jugement

 

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles [la Section d'appel] confirmant la décision par laquelle la Commission nationale des libérations conditionnelles [la Commission] a refusé d'accorder au demandeur la semi-liberté et la libération conditionnelle totale. La Commission a conclu que sa mise en liberté à ce moment-ci constituerait un risque trop grand pour la sécurité du public et la Section d'appel a confirmé que la décision de la Commission était fondée sur suffisamment de renseignements pertinents, fiables et convaincants et qu'elle était raisonnable et conforme aux critères prélibératoires énoncés dans la loi et les politiques de la Commission.

I.          Les faits

[2]               Le demandeur, Gordon Allison Lively, est un homme de 41 ans détenu à l'établissement de Springhill, à Springhill (Nouvelle‑Écosse).

[3]               Le demandeur purge actuellement sa deuxième peine fédérale, soit une peine totale d'emprisonnement de six ans et six mois pour possession de substances énumérées aux annexes I, II et III en vue d’en faire le trafic, pour entrave à un fonctionnaire public ou à un agent de la paix, vol et omissions de respecter des engagements et de se présenter devant le tribunal.

[4]               La date du début de la peine du demandeur est le 11 février 2008. Sa date de libération d’office est le 11 juin 2012 et la date d'expiration du mandat applicable est le 10 août 2014.

[5]               La dernière demande de semi-liberté et de libération conditionnelle totale présentée par le demandeur remonte au 20 octobre 2010. La Commission a reçu la demande le 2 novembre 2010 et l'audience était prévue pour le 19 avril 2011.

[6]               Avant l'audience, le 24 mars 2011 et le 29 mars 2011, le demandeur a signé des Déclarations sur les garanties procédurales dans lesquelles il reconnaissait avoir reçu les renseignements énumérés dans deux Mises à jour de liste de vérification des renseignements à communiquer. Ces mises à jour s'ajoutaient à la Liste initiale de vérification des renseignements à communiquer que le demandeur avait reconnu avoir reçue dans une Déclaration sur les garanties procédurales datée du 16 novembre 2009. Ensemble, la Liste initiale de vérification des renseignements à communiquer et les Mises à jour de la liste de vérification des renseignements à communiquer constituaient les documents présentés à la Commission lors de l'audience du demandeur le 19 avril 2011.

[7]               Une liste de vérification des garanties procédurales concernant les audiences a également été remplie par l'agent de l'audience, informant le demandeur qu'il avait reçu une lettre d'appui datée du 14 avril 2011, mais que cette lettre ne pouvait lui être transmise avant le délai prescrit d'au moins 15 jours avant l'audience. Avisé de la lettre d'appui, le demandeur a quand même choisi de ne pas demander d'ajournement et l'audience a eu lieu comme prévu le 19 avril 2011.

II.        Décisions contestées

[8]               La Commission a refusé la demande de semi-liberté et de libération conditionnelle totale, concluant qu’une mise en liberté à ce moment‑ci constituerait un risque trop grand pour la sécurité du public. Parmi les nombreux facteurs pris en compte, je souligne les observations suivantes de la Commission (motifs de la Commission, dossier du demandeur [le DD], aux pages 5 à 8) :

[traduction]

[...] Vous avez fait l'objet d'examens et de traitements parce que votre comportement envers vos pairs était destructif et agressif et vous avez vécu pendant cinq ans dans l'unité de modification du comportement du Nova Scotia Hospital. Le pronostic final était « mauvais et il a été recommandé que le système judiciaire soit saisi de toute activité antisociale future [...] ». [...]

Le renseignement de sécurité de l'établissement signale de nombreux incidents de mauvais comportements, allant de commentaires inappropriés à l’égard des membres du personnel à la participation au commerce illicite du tabac. [...] lorsqu'on vous a fait savoir que vous seriez dirigé vers des services de counseling psychologique si vous obteniez une semi‑liberté, vous avez indiqué clairement que vous n’y participeriez qu'à certaines conditions. [...]

Votre équipe de gestion des cas indique que votre risque de récidive avec violence est faible. Cependant, votre risque de récidive en général dans le cadre d’une mise en liberté est moyen ou élevé. Votre attitude et votre capacité d'introspection continuent d'être préoccupantes et vous continuez à refuser de participer au counseling dont vous avez besoin. Votre équipe de gestion des cas, les autorités policières locales, le superviseur dans la collectivité et une maison de transition ont tous retiré leur appui à l'égard d’une mise en liberté anticipée à ce moment‑ci, quelle qu’elle soit, et par conséquent, la recommandation dont la Commission est saisie est de refuser les deux. [...]

[...] Vous vous êtes empressé de souligner que votre participation au commerce du tabac n'était pas exacte, mais vous reconnaissez avoir fumé dans le passé. [...]

Tout au long de l'audience, vous avez continué de mettre l'accent sur les frustrations qui persistent avec votre équipe de gestion des cas. Vous estimez qu'une infraction sexuelle passée à titre de délinquant adolescent est regrettable, mais qu'il s'agit d'une chose que vous ne souhaitez pas examiner au moyen d'une évaluation. Vous avez dit clairement que si vous étiez tenu de travailler avec un psychologue, cela serait pour les facteurs de stress actuels. Vous vous êtes dit très grandement préoccupé par toute autre exploration de vos traumatismes passés vécus à l’adolescence. [...]

Lorsqu'elle évalue votre cas en fonction des critères prélibératoires, la Commission garde à l'esprit vos infractions courantes et, plus particulièrement, la sous-culture de la drogue dans laquelle vous avez été plongé. La toxicomanie est une dynamique directement liée à vos antécédents d'infractions. Vous y avez souvent recouru comme mécanisme d'adaptation afin d'évacuer les traumatismes passés. Pendant votre incarcération, vous avez eu un comportement impulsif et agressif qui ne saurait être attribué uniquement à la frustration, mais également à l’absence de stratégies et de compétences d'adaptation.

Vous avez fait certains progrès, mais les changements sont récents. Vous êtes impatient et vous ne croyez pas que d'autres interventions ou préparations de cas sont nécessaires. La Commission est convaincue que vous ferez ce qui est nécessaire, mais uniquement à la condition que vous ne retourniez pas en arrière pour examiner les questions de traumatismes passés. Malheureusement, ces questions sont jugées être à la base de votre résistance actuelle à quelque autre traitement global qui vous aiderait grandement. Vous n'avez pas non plus un plan de mise en liberté exhaustif qui comprend un réseau de soutien en santé mentale. Vu tout ce qui précède, la Commission conclut qu’une mise en liberté à ce moment‑ci constituerait un trop grand risque pour la sécurité du public. En conséquence, la semi‑liberté et la libération conditionnelle totale sont refusées.

[9]               Le demandeur a présenté un formulaire d'appel et une lettre d'accompagnement datés du 30 mai 2011 qui énoncent les quatre motifs d'appel (affidavit de Maureen Carpenter, pièce F, aux pages 29 et 30). Le demandeur a ensuite déposé des observations écrites dans lesquelles étaient ajoutés de [traduction] « nouveaux éléments de preuve » consistant en une évaluation psychologique datée du 20 mai 2011, un grief daté du 9 mai 2011 visant le délai nécessaire pour obtenir un rapport psychologique et une note au dossier datée du 27 mai 2011 provenant de l'équipe de gestion des cas indiquant qu'il ne lui était pas nécessaire de suivre aucun nouveau programme institutionnel à ce moment‑ci.

[10]           Le 11 octobre 2011, la Section d'appel a confirmé la décision de la Commission. Dans ses motifs, la Section d'appel a commencé par expliquer son rôle (motifs de la Section d'appel, DD, à la page 9) :

[S]’assurer que la Commission s’est conformée à la loi et à ses politiques, qu’elle a respecté les règles de justice fondamentale et que ses décisions sont basées sur des renseignements pertinents et fiables. [...]

[S]’assurer qu’il [le processus décisionnel] a été équitable et que les garanties procédurales ont été respectées.

[R]éévaluer la question du risque de récidive et substituer son jugement à celui des commissaires qui ont étudié le cas.  Cependant, elle exercera cette compétence seulement si elle en conclut que la décision est sans fondement et n’a pas été appuyée par de l’information pertinente et fiable au moment où la décision a été prise.

[11]           La Section d'appel a ensuite exposé les arguments du demandeur :

(1)      La Commission a commis une erreur de droit lorsqu'elle a pris en compte une condamnation pour une agression sexuelle que le demandeur a commise lorsqu'il était mineur.

(2)      La Commission a fondé sa décision sur des renseignements erronés et/ou incomplets lorsqu'elle a pris en compte sa participation alléguée dans le commerce illicite du tabac au sein de l'établissement.

(3)      La Commission n’a pas respecté ou a omis d'appliquer sa propre politique lorsqu'elle a effectué l'examen de son cas sans une évaluation psychologique récente.

[12]           Concernant les arguments susmentionnés, la Section d'appel a conclu comme suit :

(1)      La Commission n'a pas commis d'erreur de droit en prenant en compte des renseignements relatifs à des infractions qui remontent à l'adolescence puisque cette prise en compte est compatible avec l'alinéa 101b) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch 20 [la LSCMLSC], selon lequel la Commission « [...] est tenue de prendre en compte tous les renseignements à sa disposition qui sont pertinents au cas (sic)  [...] ».

(2)      La Commission n'a pas fondé sa décision sur des renseignements erronés et/ou incomplets. Le Service correctionnel du Canada [le SCC] a jugé que les allégations concernant la participation du demandeur au commerce illicite du tabac au sein de l'établissement étaient une information fiable. La Commission a souligné les objections du demandeur à l'égard de cette allégation et les renseignements ne constituaient pas un facteur déterminant dans la décision de la Commission.

(3)      La Commission a respecté ses propres politiques et n'a pas omis de les appliquer. Comme cela a été expliqué à l'audience, une évaluation psychologique n'a pas été effectuée en l’espèce parce que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères donnant lieu à une telle évaluation. La Section d'appel a ajouté qu'elle ne pouvait pas prendre en compte l'évaluation psychologique présentée par le demandeur dans le cadre de son appel parce que la Commission ne disposait pas de cette information au moment de l'audience.

[13]           La Section d'appel a conclu que la décision de la Commission était raisonnable, conforme aux critères prélibératoires énoncés dans la loi et les politiques de la Commission et que la décision était fondée sur suffisamment de renseignements fiables et convaincants.

III.       Les thèses des parties

[14]           Le demandeur a soulevé quatre questions. Premièrement, il allègue que la prise en compte de son dossier du tribunal pour adolescents par la Commission et la Section d'appel était contraire à l'article 119 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, LC 2002, ch 1 [la LSJPA]. Dans une lettre datée du 16 avril 2012, l'avocat du demandeur a informé la Cour que ce premier motif serait abandonné, compte tenu des arguments soulevés par le défendeur dans ses observations écrites. Deuxièmement, les allégations selon lesquelles le demandeur participait au commerce illicite du tabac au sein de l'établissement n'étant pas corroborées par des éléments de preuve fiables ou convaincants, le fait que la Commission se soit fondée sur ces allégations était contraire aux articles 7 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, ch 11 [LRC (1985), appendice II, no 44] [la Charte], et aux principes énoncés par la Cour suprême dans l'arrêt Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75, 132 DLR (4th) 56 [Mooring]. Troisièmement, il allègue que la Commission n’a pas respecté l'alinéa 30d) de la Directive du commissaire en vertu de la LSCMLSC parce qu’elle n’a pas demandé ni pris en compte l'évaluation psychologique la plus récente. En conséquence, la Commission n’a également pas pris en compte tous les renseignements comme le prescrit l'alinéa 101b) de la LSCMLSC. Enfin, le demandeur soutient que la Section d'appel a commis une erreur en concluant qu'elle ne pouvait pas tenir compte de l'évaluation psychologique datée du 20 mai 2011 dont ne disposait pas la Commission.

[15]           Pour sa part, le défendeur soutient que la Commission a à juste titre tenu compte des allégations faites à l'encontre du demandeur, qu'elle a jugées fiables, que la décision de la Commission de ne pas demander une évaluation psychologique respectait les dispositions de la loi habilitante et des politiques et que la Section d'appel a eu raison de décider de ne pas tenir compte de la nouvelle évaluation psychologique et autres renseignements, puisqu’ils n’avaient pas été présentés à la Commission. Le défendeur fait valoir que l'audience de libération conditionnelle du demandeur était équitable du point de vue procédural, qu’elle s'est déroulée conformément aux principes de justice fondamentale et qu'elle a respecté les droits du demandeur garantis par la Charte. Les décisions de la Commission et de la Section d'appel étaient raisonnables et étayées en fait et en droit.

IV.       Les questions en litige

[16]           Le demandeur soulève maintenant les trois questions suivantes :

                         A.     La Commission a-t-elle commis une erreur en soulignant les allégations selon lesquelles le demandeur participait au commerce illicite du tabac au sein de l'établissement?

                          B.     La décision de la Commission de ne pas demander une évaluation psychologique était-elle contraire à la LSCMLSC et aux politiques connexes?

                          C.     La Section d'appel a-t-elle commis une erreur en concluant qu'elle ne pouvait pas prendre en compte la nouvelle évaluation psychologique et d'autres renseignements qui n'avaient pas été présentés à la Commission?

 

V.        La norme de contrôle

[17]           Bien que la Cour soit saisie d’un contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel, laquelle a confirmé une décision de la Commission, la Cour doit également veiller à ce que la décision de la Commission soit conforme à la loi (Cotterell c Canada (Procureur général), 2012 CF 302, [2012] ACF 339; TC c Canada (Procureur général), 2005 CF 1610, [2005] ACF 2163, au paragraphe 18; Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, [2002] ACF 1386, aux paragraphes 8 à 10). Par conséquent, puisque la deuxième question conteste l’interprétation faite par la Section d'appel de l'interprétation de la LSCMLSC et de la LSJPA, je conviens avec le défendeur que la norme de contrôle applicable est la norme de la décision raisonnable (Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, [2011] 1 RCS 160, au paragraphe 26 [Alliance Pipeline]). Cependant, la Cour s'assurera néanmoins que le processus décisionnel de la Commission était lui-même conforme à la loi étant donné qu’il concerne une violation possible de la LSJPA ou de la LSCMLSC et de ses politiques.

[18]           S’agissant des première et troisième questions, les parties conviennent toutes deux que la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte. La première question soulève des questions relatives à l'équité procédurale et aux droits garantis par la Charte, tandis que la troisième question est une question générale de droit concernant de nouveaux éléments de preuve en appel (Alliance Pipeline, ci-dessus, au paragraphe 26).

VI.       Analyse

A. La Commission a-t-elle commis une erreur en soulignant les allégations selon lesquelles le demandeur participait au commerce illicite du tabac au sein de l'établissement?

[19]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit en se fondant sur des éléments de preuve établissant qu’il participait au commerce illicite du tabac au sein de l'établissement alors qu'à son avis, il n'existait aucun fondement prouvant qu'ils étaient fiables ou pertinents. Sans autre explication, il prétend que la Commission a ainsi agi en contravention de l'article 7 et du paragraphe 24(2) de la Charte et des principes énoncés par la Cour suprême dans l'arrêt Mooring, ci-dessus, aux paragraphes 35 à 39.

[20]           Dans ses motifs, la Commission fait ainsi état de ces éléments : [traduction] « Le renseignement de sécurité de l'établissement signale de nombreux incidents de mauvais comportements, allant de commentaires inappropriés à l’égard des membres du personnel à la participation au commerce illicite du tabac. » (Motifs de la Commission, DD, à la page 6.) La Section d'appel était convaincue que la Commission n'avait pas fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets, qu'elle avait simplement tenu compte des éléments versés au dossier portant que le demandeur participait au commerce illicite du tabac et que le SCC jugeait ces renseignements comme étant fiables et que de toute façon, ces renseignements n'étaient pas un facteur déterminant de la décision de la Commission (motifs de la Section d'appel, DD, à la page 11).

[21]           Après avoir examiné avec soin les motifs de la Commission, je ne vois aucune erreur dans la conclusion de la Section d'appel selon laquelle les renseignements auxquels le demandeur s'oppose ne constituaient pas un facteur déterminant dans la décision de la Commission. De plus, la Cour confirme qu’il est vrai que la Commission doit prendre en compte tous les éléments de preuve que le SCC lui fournit (voir le paragraphe 25(1) et l'alinéa 101b) de la LSCMLSC), mais il ne lui appartient pas de vérifier l’exactitude des éléments recueillis par le SCC. Par conséquent, toute objection que peut avoir le demandeur quant à l'exactitude de ces éléments de preuve devrait être présentée au SCC conformément à l'article 24 de la LSCMLSC (ASR c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2002 CFPI 741, [2002] ACF 978, aux paragraphes 20 et 21).

[22]           Le demandeur a été mis au courant des éléments figurant dans la mise à jour du renseignement de sécurité de l'établissement par le biais de la Liste initiale de vérification des renseignements à communiquer et les Mises à jour de la liste de vérification des renseignements à communiquer. Il savait que la Commission disposerait de ces renseignements et il a eu l'occasion de contester leur véracité. Il n'a pas demandé au SCC de corriger les renseignements conformément au paragraphe 24(2) de la LSCMLSC. Il a plutôt choisi d'informer la Commission de ses objections et celle-ci les a reconnues dans ses motifs : [traduction] « Vous vous êtes empressé de souligner que votre participation au commerce du tabac n'était pas exacte, mais vous reconnaissez avoir fumé dans le passé » (motifs de la Commission, DD, à la page 7). En conséquence, je n'ai trouvé aucun élément de preuve indiquant que la Commission n'a pas respecté son « obligation d'agir équitablement » ainsi que la décrit la Cour suprême dans l'arrêt Mooring, ci-dessus, aux paragraphes 35 à 39.

B.         La décision de la Commission de ne pas demander une évaluation psychologique était-elle contraire à la LSCMLSC et aux politiques connexes?

[23]           Le demandeur allègue que la Commission n’a pas respecté l'alinéa 30d) de la Directive du commissaire no 712-1, intitulée « Processus de décision prélibératoire », adoptée en vertu des articles 97 et 98 de la LSCMLSC. Selon l'alinéa 30d), une fois qu'il est déterminé que le cas d’un délinquant fera l'objet d'un examen, l'agent de libération conditionnelle en établissement ou l'intervenant de première ligne demandera une évaluation psychologique, si nécessaire. Le demandeur fait valoir qu'une évaluation psychologique est nécessaire dans le cas d'une demande de semi‑liberté ou de libération conditionnelle totale.

[24]           Comme l’indique l'article 97, les Directives du commissaire sont des règles concernant la gestion du SCC, les questions décrites dans les principes directeurs énumérées à l'article 4 et toute autre mesure d'application de la partie I de la LSCMLSC (Système correctionnel) et des règlements. Le défendeur est d'avis que les directives en matière de politiques qui sont mieux à même de guider la Commission se trouvent dans le Manuel des politiques de la Commission nationale des libérations conditionnelles [les Politiques de la Commission] et non dans les Directives du commissaire. Le défendeur renvoie à l’article 2.3 des Politiques de la Commission, lequel dispose :

Évaluations psychologiques

 

3. Des évaluations psychologiques au sujet d'un délinquant peuvent avoir lieu à divers moments de l'exécution de la peine. La nécessité d'une évaluation psychologique sera déterminée par les caractéristiques du comportement du délinquant, ses antécédents criminels et les caractéristiques de l'infraction.

 

[...]

 

B. Évaluations psychologiques prélibératoires

 

Exigences

 

[...]

 

Critères de renvoi obligatoire - tous les autres délinquants

 

a. violence persistante;


b. violence gratuite;


c. renvoi en vue du maintien en incarcération;


d. examens relatifs à la mise en liberté sous condition des délinquants condamnés à une peine d'une durée indéterminée ou à l'emprisonnement à perpétuité;


e. délinquants sexuels à risque élevé - deux condamnations ou plus pour crimes sexuels, absence ou abandon de traitement, excitation déviante selon les tests phallométriques (paraphilie), utilisation d'une arme.

Psychological Assessments

 

3. Psychological assessments may be completed for an offender at several points of the sentence. The need for a psychological assessment will be determined by behavioral characteristics of offenders, their criminal history, and features of the offence.

 

 

 

[...]

 

B. Pre-Release Psychological Assessments

 

Requirements

 

[...]

 

Mandatory Referral Criteria - All Other Offenders

 

a. persistent violence;


b. gratuitous violence;


c. referrals for detention;

 


d. conditional release reviews for offenders with indeterminate or life sentences;

 

 

 

 

e. high risk sex offenders - those with two or more sexually related convictions; untreated or drop out; deviant arousal from phallometry (paraphilia); use of a weapon.

 

[25]           Ainsi, selon les Politiques de la Commission, une évaluation psychologique n'était pas nécessaire puisque le demandeur n'était visé par aucun critère de renvoi obligatoire énuméré ci‑dessus.

[26]           Même si la Directive du commissaire no 712-1 devait s'appliquer, le paragraphe 30d) prévoit qu’il revient à l'agent de libération conditionnelle en établissement ou à l'intervenant de première ligne de demander une évaluation psychologique et non à la Commission. Plus important encore, il ressort d'un examen de la Directive du commissaire qu'elle contient essentiellement les mêmes critères d'évaluation psychologique obligatoire que ceux qui se trouvent dans les Politiques de la Commission et la décision n'aurait donc pas été différente en l'espèce :

ÉVALUATIONS PSYCHOLOGIQUES

 

[...]

 

Critères d'aiguillage obligatoire des délinquants

 

60. Une évaluation psychologique est obligatoire lorsque le délinquant satisfait à un ou plusieurs des critères suivants :

 

a. violence persistante (trois condamnations ou plus pour une infraction visée à l'annexe I de la LSCMLC);

 

b. violence gratuite;

 

c. renvoi en vue d'un examen de maintien en incarcération;

 

d. examens de cas visant la mise en liberté sous condition de délinquants purgeant une peine d'emprisonnement à perpétuité ou d'une durée indéterminée;

 

e. délinquants sexuels qui présentent un risque élevé selon leurs résultats à l'Évaluation spécialisée des délinquants sexuels ou qui n'ont bénéficié d'aucun traitement ou ont abandonné leur programme de traitement. Si un délinquant satisfait aux critères de l'administration de l'Évaluation spécialisée des délinquants sexuels, énoncés dans la DC 705-5, et qu'elle ne lui a pas été administrée, il doit être soumis à une telle évaluation avant que son cas soit présenté à la Commission nationale des libérations conditionnelles en vue d'une éventuelle mise en liberté sous condition.

 

f. délinquants purgeant une peine d'emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier ou au deuxième degré.

PSYCHOLOGICAL ASSESSMENTS

 

[...]

 

Mandatory Referral Criteria for Offenders

 

60. A psychological assessment is mandatory for offenders who meet any of the following criteria:

 

 

a. persistent violence (three or more convictions for a Schedule I offence);

 

 

b. gratuitous violence;

 

c. referrals for detention;

 

 

d. conditional release reviews for offenders with indeterminate or life sentences;

 

 

 

 

e. sex offenders who were identified as being high risk in the Specialized Sex Offender Assessment or those who remain untreated or dropped out of programs. If an offender met the criteria for Specialized Sex Offender Assessments as per CD 705-5 and one was not completed, the offender must be assessed prior to referral to the NPB for consideration of conditional release;

 

 

 

 

 

 

 

 

f. offenders serving a life sentence for first or second degree murder.

[27]           Enfin, en ce qui concerne l’argument du demandeur portant que la Commission n’a pas respecté l'exigence prévue à l'alinéa 101b) selon lequel elle est tenue « de prendre en compte tous les renseignements à sa disposition qui sont pertinents au cas (sic) », je dirai simplement que cette disposition n'impose pas à la Commission l’obligation d'exiger une évaluation psychologique ni l’obligation de reporter une audience jusqu’à ce que les renseignements puissent être accessibles. Comme les documents le révèlent, le demandeur était en voie d'obtenir une évaluation psychologique. En fait, il a déposé un grief en raison du retard à obtenir le rapport. Il incombait au demandeur de demander une remise, car il savait qu'il était sur le point d’obtenir une évaluation psychologique. Je conclus donc que la décision de la Commission, dans la mesure où elle concerne l'évaluation psychologique, respectait pleinement les exigences de la LSCMLSC et les politiques connexes. À l'audience, l'avocat du demandeur a modifié son argument en indiquant que l'équipe de gestion des cas aurait dû demander le rapport psychologique. L’examen du rapport de l'équipe de gestion des cas indique que l'équipe savait que le demandeur avait demandé un soutien psychologique et qu'il y avait eu un changement de psychologue à la suite du transfert du demandeur vers un autre établissement.

[28]           De plus, le rapport indique que les sessions avec le nouveau psychologue ont donné lieu à un conflit de personnalités et que le demandeur a déclaré qu'il ne consulterait pas de psychologue si la semi‑liberté lui était accordée. En conséquence, l'équipe de gestion des cas a transmis à la Commission les renseignements qu'elle croyait exacts, à jour et les plus complets possible. Compte tenu de ces faits, il n'était pas nécessaire de demander un rapport psychologique et rien n’obligeait à le faire.

C.  La Section d'appel a-t-elle commis une erreur en concluant qu'elle ne pouvait pas prendre en compte la nouvelle évaluation psychologique et d'autres renseignements qui n'avaient pas été présentés à la Commission?

[29]           Le demandeur invoque aussi l'alinéa 101b) au soutien de son argument concernant la décision de la Section d'appel de ne pas prendre en compte l'évaluation psychologique et autres renseignements obtenus après l'audience devant la Commission, mais néanmoins présentés à la Section d'appel. Le demandeur soutient qu'il incombait à la Section d'appel de tenir compte de ces autres renseignements, lesquels auraient dû être présentés à la Commission en première instance, et de veiller à ce que ces renseignements soient dûment pris en compte.

[30]           En examinant cette question, me viennent à l'esprit les propos tenus par mon collègue le juge Michel Beaudry dans Aney c Canada (Procureur général), 2005 CF 182, [2005] ACF 228, au paragraphe 29,: « Compte tenu de l'arrêt Cartier, précité, lorsque la Section d'appel a confirmé une décision de la [Commission], la Cour ne doit pas commencer par une analyse de la décision de la Section d'appel; elle doit d'abord analyser la décision de la [Commission] et décider de sa légitimité. Si la Cour conclut que la décision de la Commission est légitime, il est inutile d'examiner la décision de la Section d'appel. » En l'espèce, j'ai confirmé que la Commission n'avait commis aucune erreur en entreprenant son analyse des risques et que sa décision était conforme à la loi.

[31]           La compétence de la Section d'appel, telle qu'elle est expliquée dans sa décision, consiste à « réévaluer la question du risque de récidive et substituer son jugement à celui des commissaires qui ont étudié le cas. Cependant, elle exercera cette compétence seulement si elle en conclut que la décision est sans fondement et n’a pas été appuyée par de l’information pertinente et fiable au moment où la décision a été prise » (motifs de la Section d'appel, DD, à la page 9). Par conséquent, la Section d'appel n'a commis aucune erreur en ne prenant pas en compte l'évaluation psychologique et les autres renseignements. Elle a pris sa décision en tenant compte des renseignements présentés à la Commission, comme elle était tenue de le faire. En outre, le demandeur n'a pas déposé de demande visant à faire admettre les nouveaux éléments de preuve et il a uniquement invoqué la nouvelle évaluation psychologique et d’autres renseignements ajoutés à ses observations écrites présentées à la Section d'appel. En conséquence, je conclus que la Section d'appel a agi comme elle devait le faire.

[32]           À l'audience, l'avocat du demandeur a modifié de vive voix les mesures de réparation demandées comme suit :

- la tenue d’une audience de libération conditionnelle accélérée devant un comité de commissaires différents;

-      une déclaration portant que les décisions de la Commission et de la Section d'appel ont été prises sans avoir suffisamment d'éléments de preuve;

- une ordonnance de semi‑liberté prononcée par la Cour.

[33]           L'avocat du défendeur s'est opposé à cette demande, soutenant que la preuve n'appuie pas de telles mesures de réparation et que la Cour n'est pas compétente pour accorder certaines des mesures demandées. Pour les motifs susmentionnés, je suis d'accord.

[34]           L'avocat du défendeur a informé la Cour que son client ne réclamait pas les dépens si la Cour souscrivait à son opinion. Aucuns dépens ne seront adjugés.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucuns dépens ne seront adjugés.

 

                                                                                                                 « Simon Noël »

juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1875-11

 

Intitulé :                                      GORDON A. LIVELY c Procureur général du Canada

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

Date de l'audience :             Le 16 mai 2012

 

 

Motifs du jugement

et jugement :                            le juge NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 24 mai 2012

 

 

Comparutions :

 

Robert M. Gregan

 

Pour le demandeur

 

W. Dean Smith

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aide juridique de la Nouvelle‑Écosse

Amherst (Nouvelle-Écosse)

 

Pour le demandeur

 

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.