Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120704

Dossier : IMM-8554-11

Référence : 2012 CF 848

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

ENAS ALHOKBEE, RAIAN ALHOKBEE,

ANIS AL TEWNEH et

KAMELIA AL ATAWNEH

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), rendue en date du 8 novembre 2011, selon laquelle les demandeurs n’ont ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

 

Les faits

 

[2]               Les demandeurs – la demanderesse principale, Enas Alhokbee (la demanderesse), et ses trois enfants, Anis Al Atawneh, Kamelia Al Atawneh et Raian Alhokbee – sont une famille de citoyens arabes d’Israël. La demanderesse affirme qu’elle a été élevée par un père musulman strict dans une maison où régnait la violence. Son père a arrangé son mariage avec Kamal Al Alawneh lorsqu’elle avait 20 ans. Le couple a eu deux enfants avant de divorcer en 2003.

 

[3]               Après le divorce, la demanderesse est retournée vivre chez ses parents avec ses enfants. Son père s’est livré à de la violence physique et psychologique à son endroit parce qu’elle était une mère seule et que sa façon de s’habiller et son comportement contrevenaient aux normes musulmanes. Elle a quitté la maison de ses parents sans la permission de son père pour fuir la violence. Son père a juré de la tuer si elle ne retournait pas habiter avec lui.

 

[4]               Entre 2005 et 2009, la demanderesse a habité dans neuf appartements différents situés dans cinq villes afin d’échapper à son père et à d’autres membres de sa famille. En 2007, elle a donné naissance à son troisième enfant sans être mariée, car la famille du père refusait de laisser celui‑ci épouser une femme avec des enfants nés d’un mariage antérieur. Le beau‑frère de la demanderesse a dit au père de celle‑ci qu’elle avait eu un enfant hors mariage parce qu’il était en colère contre la sœur de la demanderesse qui l’avait quitté à cause de son comportement violent. La demanderesse affirme que, dans la culture musulmane, il est honteux d’avoir un enfant hors mariage.

 

[5]               Les demandeurs ont quitté Israël pour le Canada le 29 novembre 2009 et ont demandé l’asile le 1er décembre suivant. La sœur de la demanderesse est aussi venue au Canada avec ses enfants. Ils ont demandé l’asile en février 2011 et l’ont obtenu le 28 décembre 2011.

 

[6]               La demanderesse affirme qu’elle craint de retourner en Israël parce qu’elle sera victime d’un « crime d’honneur » commis par son père ou d’autres membres de sa famille. Elle affirme également qu’elle s’est convertie au christianisme depuis son arrivée au Canada.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

 

[7]               La Commission a décrit les allégations de la demanderesse et a souligné que celle‑ci avait produit, à l’audience, une lettre indiquant qu’elle s’était « convertie au christianisme » depuis son arrivée au Canada. Elle a fait remarquer que la demanderesse n’avait pas fourni de détails au sujet de ses croyances religieuses à l’audience, ni établi un lien entre ces croyances et ses craintes concernant ce qui pourrait arriver à son retour en Israël.

 

[8]               La Commission a accepté la preuve de la demanderesse concernant la crainte que lui inspirait sa famille et le risque que celle‑ci la punisse ou la tue à son retour en Israël. Ainsi, elle a estimé que sa crainte subjective était crédible et était étayée par la preuve documentaire relative au problème des crimes d’honneur dans les collectivités arabes d’Israël. Elle a toutefois conclu que les demandes d’asile devaient être rejetées en raison de la possibilité d’obtenir la protection de l’État.

 

[9]               La Commission n’a pas jugé crédible la preuve de la demanderesse concernant ses tentatives d’obtenir la protection de l’État. Elle a souligné que la demanderesse avait dit dans son témoignage qu’elle avait dénoncé son père à la police en 2006, mais qu’elle avait ensuite retiré sa plainte.

 

[10]           La Commission a passé en revue les principes applicables pour déterminer si la protection de l’État existait et a examiné la preuve documentaire générale sur Israël. Elle a relevé certains cas de discrimination concernant des chrétiens évangéliques, mais a fait remarquer à nouveau que la demanderesse n’avait pas parlé de persécution fondée sur sa conversion au christianisme.

 

[11]           La Commission a estimé que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État. Elle a mentionné que la protection avait été offerte immédiatement à la demanderesse la seule fois où elle s’était adressée à la police, mais qu’elle avait retiré sa plainte. Elle a reconnu les raisons culturelles que la demanderesse a données pour expliquer le retrait de sa plainte, mais a jugé que cela ne démontrait pas une absence de protection de l’État.

 

[12]           Les demandes des demandeurs ont donc été rejetées.

 

La norme de contrôle et la question en litige

 

[13]           La question en litige en l’espèce consiste à déterminer si l’analyse de la protection de l’État effectuée par la Commission était raisonnable : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

Analyse

 

[14]           Les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pris en considération que certains éléments de la preuve documentaire sur la protection offerte contre les crimes d’honneur en Israël et qu’en fait elle a déformé cette preuve. À mon avis, la Commission a traité la preuve sur la protection de l’État de manière raisonnable.

 

[15]           L’élément déterminant au regard de l’asile était la possibilité d’obtenir la protection de l’État. La Commission a convenu que la demanderesse craignait d’être victime d’un crime d’honneur commis par son père ou d’autres membres de sa famille, que, selon la preuve documentaire, les crimes d’honneur constituaient un problème grave en Israël et que, par conséquent, la crainte de la demanderesse était fondée, subjectivement et objectivement.

 

[16]           La Commission a constaté que la protection avait été immédiatement offerte à la demanderesse la seule fois où elle s’était adressée à la police, mais qu’elle avait retiré sa plainte. Elle a dit au paragraphe 53:

La [demanderesse] a justifié le retrait de sa plainte en expliquant que l’arrestation de son père lui aurait occasionné des problèmes encore plus graves de la part des frères de son père et des membres de la famille élargie. Cette explication reflète une tradition de sa culture bédouine, mais elle n’est pas la preuve d’une absence de protection de l’État.

 

[17]           Cet extrait ne résume pas correctement l’explication donnée par la demanderesse pour justifier le retrait de sa plainte. La demanderesse n’a pas affirmé qu’elle aurait des « problèmes encore plus graves », mais que son père avait dit clairement qu’il pourrait facilement ordonner à un autre membre de la famille de la tuer; elle ne serait donc pas protégée si son père était arrêté – en fait, elle courrait un plus grand danger.

 

[18]           La façon dont la Commission a interprété une lettre de soutien du centre municipal pour les victimes de violence familiale de Haïfa est également contestée. La Commission affirme que, bien que la lettre recommande que les demandeurs quittent Israël, elle « n’abordait pas précisément les raisons pour lesquelles la demandeure d’asile ne pouvait pas obtenir la protection de l’État en Israël par l’entremise de la police et des cours pénales ». La lettre indiquait cependant :

[traduction] Inas a dit également que ses cousins avaient été arrêtés dans le passé pour des actes criminels et qu’ils ne se préoccupaient donc pas des conséquences de nature pénale qu’ils pourraient subir s’ils s’en prenaient à elle. En outre, elle a mentionné un certain nombre d’incidents survenus dans sa famille, au cours desquels des femmes ont été tuées à cause d’un comportement qui avait déshonoré la famille. À la lumière de son récit, il semble que la seule façon pour eux d’être en sécurité de façon durable est de quitter Israël et de se construire une nouvelle vie dans un autre pays. Il est essentiel qu’ils partent à l’étranger parce que, Israël étant un très petit pays, il est impossible de trouver un endroit où elle pourrait vivre en sécurité et en paix avec ses enfants pendant longtemps.

 

 

[19]           À mon avis, la Commission a interprété la lettre de manière raisonnable et lui a accordé un poids raisonnable. Le droit relatif à la protection de l’État est clair. La présomption de protection de l’État doit être réfutée par une preuve claire et convaincante selon la prépondérance des probabilités.

 

[20]           Dans un État démocratique comme Israël où il y a une force policière professionnelle et une magistrature indépendante, il faut davantage qu’une simple visite à la police – au cours de laquelle celle‑ci a accepté de prendre des mesures qui auraient été adéquates – pour réfuter la présomption : Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636.

 

[21]           La Commission a fait remarquer que le conseil de la demanderesse avait cité Pearson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 981, où une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avait été annulée parce que l’agente n’avait pas déterminé si, malgré l’absence générale d’une protection de l’État adéquate, la demanderesse avait été incapable de demander la protection en raison de sa situation. La Commission a indiqué qu’elle n’avait pas une compétence générale en matière humanitaire et qu’une distinction pouvait être faite avec Pearson parce que, dans cette affaire, la demanderesse avait demandé la protection de la police de 30 à 40 fois.

 

[22]           La demanderesse s’appuie également sur Jabbour c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 831, où la conclusion de protection de l’État de la Commission a été annulée parce que celle‑ci n’avait pas tenu compte de certains éléments de preuve qui lui avaient été présentés. Étant donné qu’il est bien établi qu’un tribunal ne peut pas choisir les éléments de preuve qu’il prendra en considération, il est difficile de voir de quelle façon Jabbour étaye la thèse de la demanderesse. Dans cette affaire, la police avait refusé de protéger la demanderesse si celle‑ci n’acceptait pas d’agir comme informatrice. Le juge Mandamin a conclu, à juste titre à mon avis, qu’une conclusion de protection de l’État était déraisonnable.

 

[23]           En l’espèce, la Commission s’est référée aux rapports sur le pays, à la RDI et à la preuve particulière dont elle disposait. Les conclusions qu’elle a tirées sur la foi de cette preuve étaient raisonnables.

 

[24]           La Commission disposait d’éléments de preuve qui étayaient sa conclusion selon laquelle la protection de l’État pouvait être obtenue. Ses conclusions satisfont parfaitement aux critères des issues logiques fondées sur le droit et la preuve.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée à des fins de certification et aucune n’est soulevée.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8554-11

 

INTITULÉ :                                      ENAS ALHOKBEE, RAIAN ALHOKBEE, ANIS AL TEWNEH et KAMELIA AL ATAWNEH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 7 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 4 juillet 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Phillip Trotter

 

                            POUR LES DEMANDEURS

 

Kevin Doyle

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Phillip J.L. Trotter

Avocat

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.