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Date : 20120706

Dossier : IMM-8585-11

Référence : 2012 CF 862

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

YAN PING KE

 

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse a présenté une demande d’asile au Canada, affirmant qu’elle est une citoyenne de la Chine et qu’elle craint d’être persécutée parce qu’elle est de religion catholique romaine. Sa demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié parce qu’elle n’avait pas établi son identité. La Commission a statué en outre que, même si elle avait établi son identité, la demanderesse ne risquait pas d’être persécutée en Chine. La demanderesse conteste ces deux conclusions.

 

LE CONTEXTE ET L’EXPOSÉ CIRCONSTANCIÉ DE LA DEMANDERESSE

[2]               La demanderesse a fait une dépression à la suite de la mort de son père en novembre 2008. Sa mère lui a parlé du christianisme en mars 2009 et l’a amenée dans une église catholique clandestine. La demanderesse a fréquenté cette église jusqu’à ce que, selon ce qu’elle affirme, des agents du Bureau de la sécurité publique (BSP) y fassent une descente le 7 juin 2009.

 

[3]               Ce jour‑là, deux guetteurs ont téléphoné au chef de l’église et lui ont dit que les agents du BSP s’approchaient de l’avant de l’immeuble. Le chef a dit aux membres de sortir de l’église par la porte arrière. La demanderesse et sa mère se sont enfuies et se sont cachées chez un membre de leur famille. Pendant qu’elles se trouvaient à cet endroit, la demanderesse a appris que le BSP avait fouillé sa maison. Après avoir appris que certains des autres membres de l’église avaient été arrêtés, la famille de la demanderesse a décidé que celle‑ci devait quitter la Chine. La demanderesse a payé un passeur pour qu’il la conduise au Canada, où elle est arrivée le 22 août 2009. Elle a demandé l’asile le 29 septembre suivant.

 

[4]               La demanderesse a reçu une lettre datée du 14 octobre 2010 lui demandant de fournir à la Commission l’original de sa carte d’identité de résident (CIR) délivrée en Chine [traduction] « parce que l’identité est un aspect important de votre demande d’asile ». La demanderesse a produit une CIR qui aurait été délivrée en 2003, ainsi qu’une deuxième CIR délivrée en 2006. Elle a aussi remis à la Commission une carte d’enregistrement du ménage (hukou) qui lui avait été délivrée en 2008. 

 

[5]               Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a photographié la demanderesse (photo de CIC) lorsqu’elle a demandé l’asile. Quelque temps avant l’audience, un agent du tribunal a préparé un document (page de comparaison), ci‑joint à l’annexe A, montrant côte à côte un agrandissement de la photo de CIC et un agrandissement de la photo figurant sur la CIR de 2006. L’agent du tribunal a écrit sur la page de comparaison : [traduction] « La photo pourrait poser problème. » La Commission n’a pas remis la page de comparaison à la demanderesse avant le premier jour de l’audience.

 

[6]               La Commission a instruit la demande d’asile de la demanderesse au cours de trois séances. Lors de la première séance le 14 février 2011, elle a déclaré que l’identité de la demanderesse était un sujet de préoccupation. La conseil de la demanderesse et la Commission ont eu l’échange suivant :

[traduction]

La conseil :                  Je veux juste confirmer que vous avez bien la carte d’identité de résident de Mme Ke; est‑ce exact?

La Commission :         Oui.

La conseil :                  Et je suppose qu’il n’y a aucun problème avec cette carte. Je n’ai pas entendu le contraire.

La Commission :         D’accord…

La conseil :                  Aucun problème n’a été relevé, c’est ce que je demande.

La Commission :         Aucun à première vue, mais je poserai des questions sur cette carte.

La conseil :                  Bien. Je veux seulement savoir s’il y a quelque chose dont je dois être mise au courant.

La Commission :         Nous commencerons par votre identité, puis, probablement sur la foi de ces questions, nous déterminerons si je continue ou non.

 

[7]               Plus tard, la Commission a déclaré qu’elle disposait de la CIR de la demanderesse et des photos de CIC et que la demanderesse et sa conseil avaient été mises au courant de la page de comparaison. Elle a posé à la demanderesse plusieurs questions sur son apparence. La demanderesse y a répondu, puis l’échange suivant a eu lieu entre sa conseil et le commissaire au sujet de la page de comparaison :

[traduction]

La conseil :                   Excusez‑moi, Monsieur le commissaire, le… s’agit-il de vos notes ou de celles de Citoyenneté et Immigration Canada?

La Commission :         Il s’agit en fait des notes de la Commission.

La conseil :                  Bien, je… mais est-ce… est‑ce après l’examen de la carte? Parce que j’ai demandé au début de l’audience s’il y avait un problème avec celle‑ci.

La Commission :         Pas avec la carte, mais avec… J’ai dit que j’allais examiner…

La conseil :                  Oui, mais j’ai demandé précisément s’il y avait un problème au regard de la carte, de son authenticité.

La Commission :         Seulement avec la carte. Je ne sais pas si elle est authentique et si la demandeure d’asile est cette personne ou non. Je n’allais pas en parler puisque je n’ai même pas examiné la carte.

La conseil :                  Non, mais j’ai demandé précisément…

La Commission :         D’accord, je n’allais pas dire qu’il y avait un problème.

La conseil :                  Mais il y en a un; il est indiqué ici que la photo pourrait poser problème. Donc, je vous ai demandé s’il y avait un problème au début de l’audience.

La Commission :         Avec la carte.

La conseil :                  Oui, il s’agit de la carte d’identité de résident.

La Commission :         Oui. La carte ne pose peut‑être pas problème; cette photo et la carte pourraient poser problème. Je n’étais donc pas disposé à parler…

La conseil :                  D’accord, permettez‑moi de vous dire, malgré tout le respect que je vous dois, que vous coupez les cheveux en quatre parce qu’il s’agit de la question et de la carte.

La Commission :         Non, je n’ai pas… non, parce que je n’étais pas disposé à parler de l’authenticité de la carte jusqu’à ce que j’entende son témoignage. Il aurait pu…

 

[8]               La conseil a affirmé qu’elle aurait dû être informée au sujet de la page de comparaison. Selon elle, la demande d’asile de la demanderesse devrait être entendue par un nouveau tribunal parce que la Commission a porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale lorsqu’elle a dit que la CIR ne posait pas problème, puis a interrogé la demanderesse à ce sujet. La Commission a suspendu l’audience en raison des préoccupations de la conseil, après quoi celle‑ci a demandé un ajournement afin de déterminer ce qu’il fallait faire au regard de la page de comparaison et de la question de l’identité. La Commission a accordé l’ajournement.

 

[9]               Avant la deuxième séance, la conseil a écrit à la Commission pour demander qu’une nouvelle audience ait lieu relativement à sa demande. Elle a dit que la Commission avait porté atteinte au droit de sa cliente à l’équité procédurale et qu’il existait une crainte de partialité en raison du défaut de la Commission de divulguer la page de comparaison. Elle soutenait également que la Commission n’était plus une partie neutre, mais qu’elle était devenue l’adversaire de la demanderesse.

 

[10]           Lors de la deuxième séance le 6 juin 2011, la Commission a rejeté la demande de nouvelle audience de la demanderesse. Une décision a été rendue oralement et une décision écrite en bonne et due forme a suivi. Des éléments de preuve et des observations additionnels ont été présentés à la Commission relativement à l’identité de la demanderesse. La Commission a ensuite ajourné l’audience.

 

[11]           Après la deuxième séance, la Commission a transmis la CIR de 2006 et le hukou au laboratoire judiciaire de la GRC à des fins d’analyse, avec l’accord de la demanderesse. La GRC a indiqué que les résultats des analyses étaient peu concluants au regard de l’authenticité de ces documents parce qu’elle ne disposait pas de spécimens authentiques avec lesquels les comparer. Elle a indiqué également que la CIR de 2006 était bien imprimée, que ses caractéristiques de sécurité étaient de bonne qualité et qu’elle ne semblait pas avoir été altérée.

 

[12]           Lors de la troisième séance le 17 octobre 2011, la Commission a entendu les observations de la demanderesse sur le rapport de la GRC. Elle a aussi entendu son témoignage et ses observations sur le fondement de sa demande d’asile. Après cette séance, la Commission a examiné la demande d’asile de la demanderesse et l’a rejetée. Les différentes décisions et conclusions de la Commission sont résumées ci‑après.

 

            La requête visant à obtenir une nouvelle audience

[13]           La Commission a répété, dans sa décision écrite, les motifs qu’elle avait donnés oralement pour rejeter la demande de nouvelle audience de la demanderesse. Elle a rejeté la requête de la demanderesse, concluant qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’avait été commis pour les motifs qui suivent. La demanderesse avait été informée que la question de l’identité était en litige grâce au formulaire d’examen initial qui lui avait été remis avant l’audience. Elle avait également les deux photos qui figuraient sur la page de comparaison et que la Commission avait examinées. Même si la conseil avait demandé si la CIR posait problème et que la Commission avait répondu non, aucun manquement à l’équité procédurale n’a découlé de cet échange. Lorsqu’elle a dit qu’il n’y avait pas de problème, la Commission parlait de l’authenticité de la CIR. Les questions posées à l’audience visaient à déterminer si la demanderesse était réellement la personne qui apparaissait sur la photo de la CIR. En outre, l’ajournement entre la première et la deuxième séances a permis à la demanderesse d’obtenir des papiers d’identité additionnels et de se préparer en vue de répondre aux questions soulevées lors de la première séance.

 

[14]           La Commission a rejeté l’allégation de partialité de la demanderesse. Elle a indiqué qu’elle n’avait pas préparé elle‑même la page de comparaison et qu’elle n’avait aucune idée préconçue au sujet de l’affaire. Appliquant le critère énoncé dans Committee for Justice and Liberty et al c Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, elle a conclu qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas que, selon toute vraisemblance, la Commission, consciemment ou non, rendrait une décision injuste.

 

            L’identité

[15]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger parce qu’elle n’avait pas établi son identité. Elle a indiqué que, selon son témoignage, la demanderesse était une citoyenne de la Chine, mais qu’elle n’avait pas établi son identité. La demanderesse ne ressemblait pas à la personne figurant sur la photo de sa CIR et son témoignage concernant ses autres papiers d’identité était incompatible avec les documents eux‑mêmes et avec les autres éléments de preuve documentaire qui avaient été présentés à la Commission.

 

[16]           La Commission était notamment préoccupée, au regard de l’apparence de la demanderesse, par le fait qu’elle n’avait pas de grain de beauté sur la joue droite sur la photo de la CIR, alors qu’elle en avait un sur la photo de CIC et selon les notes prises par CIC au point d’entrée. La Commission a rejeté l’explication de la demanderesse selon laquelle le grain de beauté était apparu après que la photo de la CIR eut été prise.

 

[17]           La Commission a constaté aussi que la forme des paupières de la demanderesse et la longueur de son visage étaient différentes sur les deux photos. La demanderesse a dit que ses yeux avaient toujours été les mêmes et que son visage était plus long parce qu’elle avait pris du poids. Or, selon la Commission, le visage d’une personne qui prend du poids devient plus large, pas plus long. Elle a rejeté l’explication de la demanderesse. Les différences entre la photo de la CIR et la photo de CIC étaient importantes et ont amené la Commission à conclure que la personne sur la photo de la CIR n’était pas la demanderesse.

 

[18]           Le certificat de graduation que la demanderesse avait produit n’était pas utile pour établir son identité. La Commission a constaté que la page renfermant les renseignements personnels de la demanderesse avait été détachée, ce qui l’empêchait de conclure que le contenu du certificat était joint à cette page à l’origine. Le fait que la demanderesse pouvait parler le putian – un dialecte régional propre à la province du Fujian – ne confirmait pas son identité. Cela établissait seulement qu’elle venait de la province du Fujian, non qu’elle était bien qui elle disait. Plusieurs photos produites par la demanderesse n’établissaient pas non plus son identité. La Commission a conclu qu’il pouvait s’agir de photos de la demanderesse, sans toutefois être des photos de la personne décrite dans son FRP.

 

[19]           La demanderesse a déclaré dans son témoignage que son amie lui avait apporté le certificat de graduation et les photos. La Commission a cependant fait remarquer qu’elle ne disposait d’aucune preuve de l’amie permettant de savoir comment ou quand celle‑ci avait apporté ces documents au Canada. Le fait que la demanderesse n’avait pas produit une preuve établissant comment elle les avait obtenus a amené la Commission à tirer une conclusion défavorable.

 

[20]           La Commission a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau de produire une preuve crédible ou digne de foi suffisante pour établir son identité, de sorte que sa demande d’asile devait être rejetée. Cependant, subsidiairement à cette conclusion, la Commission a examiné le fondement de la demande d’asile de la demanderesse.

 

            La crédibilité

[21]           Le témoignage de la demanderesse et la preuve documentaire présentée à la Commission ne concordaient pas. En conséquence, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas produit une preuve crédible et digne de foi suffisante démontrant qu’elle était recherchée en Chine.

 

[22]           Selon la Commission, le comportement de la demanderesse était incompatible avec sa crainte que le BSP soit à sa recherche et qu’elle soit en danger parce qu’elle est chrétienne. Elle a déclaré dans son témoignage qu’elle s’était fait envoyer par la poste des documents sur lesquels figuraient son nom et son adresse, ainsi que ceux de sa tante. Elle a déclaré dans son témoignage que le BSP la recherchait lorsqu’elle s’était fait envoyer les documents. Un rapport du département d’État des États‑Unis indiquait que les autorités chinoises contrôlent le courrier. Selon la Réponse à une demande d’information CHN103133.EF de CIC (RDI), les autorités sont capables de suivre la trace des fugitifs.

 

[23]           En se faisant envoyer du courrier alors qu’elle était recherchée par le BSP, la demanderesse a mis sa mère et sa tante en danger parce qu’elles aidaient une fugitive. Elle risquait également de voir ses papiers d’identité être confisqués par les autorités chinoises, ce qui aurait affaibli sa demande d’asile. Il n’était pas raisonnable que la demanderesse, qui bénéficiait de l’aide d’un consultant en immigration et d’un avocat, n’ait pas trouvé un moyen d’obtenir ses documents sans mettre sa famille en danger. La demanderesse avait aussi fait courir un risque à son amie en lui demandant d’apporter des documents de la Chine au Canada. Ce comportement n’étant pas compatible avez sa présumée crainte du BSP, la Commission a conclu que la demanderesse n’était pas crédible.

 

[24]           La Commission a conclu également que la demanderesse n’était pas crédible parce qu’elle n’avait pas produit une copie d’une assignation ou d’un mandat d’arrestation qui aurait démontré que le BSP était à sa recherche. Elle a déclaré dans son témoignage que le BSP lui avait montré une assignation lorsque des agents étaient allés chez elle en 2009; elle a toutefois omis ce détail dans son FRP. La demanderesse a expliqué cette omission en disant qu’elle ne savait pas qu’elle devait fournir beaucoup de détails. La Commission a rejeté cette explication parce que la demanderesse avait donné des détails au sujet de la fouille de sa maison et des allégations formulées à son endroit.

 

[25]           La Commission disposait d’autres éléments de preuve démontrant qu’une assignation n’est pas systématiquement utilisée en Chine, mais la RDI CHN42444.EF indiquait que des exemplaires des assignations sont remis aux membres de la famille ou à des voisins lorsque le BSP est incapable de trouver une personne qu’il recherche. La demanderesse avait déclaré dans son témoignage que ses grands‑parents habitaient à côté de chez elle et que le BSP ne leur avait pas laissé un exemplaire d’une assignation. Selon la Commission, la demanderesse n’était pas crédible puisque, selon la procédure établie, le BSP aurait dû laisser un tel exemplaire à ses grands‑parents.

 

[26]           Enfin, le récit de la demanderesse concernant une descente qui aurait eu lieu à son église en 2009 n’était pas crédible parce qu’il n’était pas compatible avec la preuve documentaire démontrant que le risque que les chrétiens couraient dans la province du Fujian était faible.

 

            Le risque dans la province du Fujian

[27]           La Commission croyait que la demanderesse était catholique, mais elle a conclu qu’elle n’était pas exposée au risque de persécution dans la province du Fujian.

[28]           Selon un rapport du Home Office du Royaume-Uni, les groupes religieux non agréés font l’objet de mesures punitives et coercitives de la part de l’État et le gouvernement chinois permet le prosélytisme dans les lieux de culte agréés et en privé, mais non en public. Selon la RDI CHN102492.EF, le traitement des maisons‑églises varie d’une région à l’autre. Pour ce qui est de la province du Fujian, la Commission disposait de renseignements allant en sens divers. Le président de la Cardinal Kung Foundation a affirmé que la province du Fujian était l’une des pires provinces en matière de persécution à l’égard des catholiques. La Commission a constaté que cette déclaration n’était pas étayée par des exemples précis. Le secrétaire exécutif du Hong Kong Christian Council a indiqué que les autorités de la province du Fujian avaient permis à des évêques catholiques non officiels d’exercer leurs activités librement. De plus, un rapport de la China Aid Association révélait que les chefs religieux et les membres des églises étaient parfois punis sévèrement. Selon la RDI CHN103500.EF cependant, l’hostilité envers le christianisme en Chine est en décroissance et les cas de persécution constituent des exceptions à la règle. D’autres documents dont disposait la Commission donnaient différents points de vue sur la persécution des chrétiens en Chine. La Commission a conclu que, si des membres d’églises catholiques clandestines avaient été arrêtés ou persécutés en Chine, ces cas auraient été documentés. Or, aucune arrestation n’avait été répertoriée, de sorte que la Commission a conclu que les autorités de la province du Fujian ne voyaient aucun intérêt à persécuter les membres réguliers des églises clandestines.

 

[29]           La demanderesse a déclaré dans son témoignage qu’elle ne pourrait pas prier ni célébrer ou répandre le christianisme si elle retournait dans la province du Fujian. La Commission a souligné que la demanderesse avait déployé peu d’efforts en matière de prosélytisme en Chine et qu’elle pourrait répandre le christianisme comme elle le voudrait si elle retournait dans la province du Fujian. Elle a souligné également que la demanderesse était un membre régulier d’une église clandestine. Or, seuls les dirigeants ou les membres bien en vue étaient exposés au risque de persécution. La demanderesse serait donc en mesure de pratiquer le christianisme comme elle le voudrait.

            Conclusion

[30]           La Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse parce que celle‑ci n’avait pas établi son identité. Elle a ajouté que, même si elle l’avait fait, elle n’était pas exposée au risque de persécution en Chine. En outre, sa demande d’asile n’avait pas un minimum de fondement, de sorte que la Commission a conclu qu’elle n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

Les questions en litige

[31]           La demanderesse soulève quatre questions dans son mémoire des faits et du droit :

1.      La Commission a‑t‑elle porté atteinte à son droit à l’équité procédurale?

2.      La Commission était-elle partiale?

3.      La détermination des risques faite par la Commission était‑elle raisonnable?

4.      La Commission a-t-elle appliqué un critère inapproprié au regard de la persécution?

 

[32]           Les deux premières questions, qui concernent l’équité procédurale, ont été le principal sujet des observations orales de la demanderesse. J’en traiterai ensemble.

 

[33]           Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique relativement à tout manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte. Je suis aussi de cet avis. Une allégation selon laquelle la Commission a omis de divulguer un document ou de soulever une question a une incidence sur la possibilité du demandeur de répondre à ce document ou à cette question. Dans Worthington c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 626, aux paragraphes 42 à 45, le juge O’Keefe a statué que cette question est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte. Dans Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, la Cour d’appel fédérale a affirmé au paragraphe 53 que « [l]a question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation ».

 

[34]           Dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, la Cour suprême du Canada a approuvé le critère suivant concernant la partialité, lequel avait d’abord été formulé dans Committee for Justice and Liberty, ci‑dessus, à la page 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [Le] critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

 

[35]           La question de savoir s’il existe une crainte de partialité est une question de fait relevant de la compétence de la cour de révision, qui n’a pas à faire preuve de déférence envers la Commission : Luzbet c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 923, au paragraphe 5.

 

[36]           En conséquence, la norme de la décision correcte s’appliquera aux questions d’équité procédurale, aucune déférence n’étant démontrée à l’égard des décisions de la Commission. Les autres questions sont assujetties à la norme de la raisonnabilité et la Commission doit être l’objet de déférence.

 

ANALYSE

1.  La Commission a‑t‑elle porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale?

[37]           La demanderesse soutient que la Commission a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale parce qu’elle n’a pas divulgué la page de comparaison avant l’audience et qu’elle ne l’a pas informée que la CIR posait problème. Elle rappelle l’échange initial avec le commissaire qui, lorsque la question lui a été posée, a répondu qu’il n’y avait aucun problème relativement à la CIR, puis a commencé à l’interroger à ce sujet. Elle soutient que la Commission avait l’obligation de l’informer clairement de la situation afin qu’elle puisse savoir ce qu’on entend faire valoir contre elle et préparer sa réponse.

 

[38]           La demanderesse soutient également que l’ajournement, qui n’a été accordé qu’après qu’elle se fut opposée à la manière dont la Commission procédait, n’était pas suffisant pour réparer le manquement à l’équité procédurale. Elle fait valoir que le défaut de la Commission de divulguer la page de comparaison montre que la Commission avait un parti pris contre elle. Elle a donc droit à une nouvelle audience.

 

[39]           Le défendeur n’admet pas qu’il y a eu manquement, mais il fait valoir que, même s’il aurait peut‑être été préférable que la Commission divulgue la page de comparaison avant l’audience, tout manquement à l’équité procédurale découlant du défaut de le faire était minime et a été réparé par l’ajournement. Il fait valoir en outre que l’allégation de partialité repose sur de simples conjectures et n’est pas suffisante pour réfuter la présomption d’impartialité et que la demanderesse n’a pas démontré qu’il existait une réelle probabilité de partialité.

 

[40]           Le paragraphe 29(2) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, prévoit que, « [p]our utiliser un document à l’audience, la Section en transmet une copie aux parties ». Une partie qui souhaite utiliser un document a la même obligation. Il est intéressant de noter que l’article 30 des Règles prévoit que la partie qui ne se conforme pas à l’article 29 des Règles ne peut utiliser le document en cause à l’audience, sauf autorisation de la Section. Pour décider si elle autorise l’utilisation du document, la Section doit prendre en considération « tout élément pertinent », notamment : « a) la pertinence et la valeur probante du document; b) toute preuve nouvelle qu’il apporte; c) si la partie aurait pu, en faisant des efforts raisonnables, le transmettre selon la règle 29 ». Aucune disposition parallèle n’interdit à la Section d’utiliser un document qu’elle n’a pas divulgué. Par conséquent, les incidences de ce défaut doivent être déterminées à l’aide des principes de la common law relatifs à l’obligation d’équité et à la justice naturelle.

 

[41]           Dans un sens très technique, on pourrait dire que la Commission utilise la page de comparaison à l’audience. Ce document n’était cependant pas beaucoup plus qu’un assemblage de photos qui se trouvaient déjà dans le dossier de la Commission et qui avaient été fournies à la demanderesse. Tout ce que la page de comparaison faisait, c’était mettre les photos côte à côte et attirer l’attention de la Commission sur la différence frappante entre elles. En outre, la demanderesse avait été avisée avant l’audience que son identité était en cause.

 

[42]           Je suis incapable de conclure que la Commission a induit la conseil en erreur par sa réponse initiale. La conseil a dit : [traduction] « [J]e suppose qu’il n’y a aucun problème avec cette carte. » C’est différent que de demander si des problèmes sont suscités par la carte. À mon avis, le premier énoncé vise raisonnablement à savoir si l’authenticité de la CIR pose problème – et c’est ce que le commissaire a compris. Quoi qu’il en soit, le commissaire a dit très clairement à la demanderesse et à sa conseil que l’identité était en cause et qu’il poserait des questions [traduction] « sur » la CIR. C’est exactement ce qu’il a fait lorsqu’il a posé des questions afin d’éclaircir les différences qu’il avait relevées entre l’apparence physique de la demanderesse, la photo de la CIR et la photo de CIC.

 

[43]           Quoi qu’il en soit, après que la question des photos a été soulevée lors de la première séance, la Commission a accordé un ajournement de près de quatre mois, un délai suffisant pour réparer tout préjudice découlant de la divulgation tardive. Dans le contexte du droit pénal, où les mesures de protection procédurales sont plus importantes que dans le contexte de l’immigration, une divulgation complète et un ajournement sont les réparations appropriées pour ce type d’erreur : voir R c Bjelland, 2009 CSC 38, aux paragraphes 37 et 38. La Cour a statué également qu’une divulgation complète et un ajournement constituaient une réponse appropriée à une divulgation tardive ou limitée : voir Mendez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1150.

 

[44]           L’article 106 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, prévoit que la Commission doit prendre en compte les documents établissant l’identité d’un demandeur. La Commission aurait commis une erreur si elle n’avait pas pris en considération les deux photos dont elle disposait. Elle a remédié à toute erreur concernant son défaut de divulguer la page de comparaison et il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

 

[45]           Je conviens avec le défendeur que l’allégation de partialité de la demanderesse repose sur de pures conjectures et n’est pas suffisante pour réfuter la présomption d’impartialité. La demanderesse n’a pas fait la preuve d’une réelle probabilité de partialité ou d’une crainte raisonnable de partialité.

 

2.  La détermination des risques faite par la Commission était‑elle raisonnable?

[46]           On prétend que la Commission a tiré une conclusion hypothétique du fait que la demanderesse s’était fait expédier des documents par la poste. La demanderesse affirme que, si la preuve démontrait que les autorités contrôlent le courrier en Chine, elle n’établissait pas que les fonctionnaires des postes avaient accès à la base de données du gouvernement concernant les criminels recherchés. Les personnes traitant le courrier ne savaient pas que la demanderesse était recherchée par le BSP. Comme la conclusion selon laquelle le BSP n’était pas à sa recherche était fondée sur cette hypothèse, elle n’était pas raisonnable.

 

[47]           En outre, la demanderesse soutient que la Commission a tiré une conclusion déraisonnable de sa déclaration selon laquelle le BSP n’avait pas laissé une assignation à ses grands‑parents. Il ressortait de la preuve dont disposait la Commission que la pratique du BSP au regard des assignations n’est pas uniforme et que le BSP ne se conforme pas toujours parfaitement à la loi. La Commission a commis une erreur en concluant que le BSP aurait laissé une assignation, alors que la preuve documentaire démontrait seulement qu’il pouvait le faire. La demanderesse affirme que son récit concordait avec la preuve documentaire qui avait été présentée à la Commission. Elle dit que celle‑ci a omis de tenir compte d’éléments de preuve importants qui contredisaient ses conclusions. En conséquence, sa demande d’asile doit être renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen.

 

[48]           Étant donné que la Commission a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas établi son identité, le caractère raisonnable de la détermination des risques ne peut avoir une incidence sur l’issue. J’ai toutefois conclu que la détermination des risques était raisonnable. Je souscris aux observations du défendeur et je les fais miennes.

 

[49]           La Commission a raisonnablement conclu qu’il était déraisonnable que la demanderesse ait fait en sorte que des documents lui soient expédiés par la poste à son propre nom alors qu’elle était une fugitive recherchée. La Cour a confirmé des conclusions de ce genre dans le passé : voir Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1235, aux paragraphes 19 et 69. Il ressortait de la preuve documentaire que les autorités contrôlent le courrier en Chine, de sorte qu’il était raisonnable que la Commission conclue que la conduite de la demanderesse était incompatible avec le risque auquel elle disait être exposée. La Commission a reconnu que la preuve dont elle disposait concernant les assignations allait en sens divers. Elle avait toutefois le droit de soupeser la preuve et de préférer certains rapports à d’autres.

 

            3.  La Commission a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de la persécution?

[50]           La demanderesse soutient que la Commission a appliqué un critère relatif à la persécution qui était trop rigoureux lorsqu’elle a conclu qu’elle n’était pas en danger parce qu’elle n’était pas susceptible d’être arrêtée ou détenue. La Cour a établi dans Fosu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1813, que la persécution peut prendre la forme d’une interdiction de pratiquer sa religion en public ou en privé. La demanderesse fait valoir que la norme que la Commission aurait dû appliquer consistait à se demander si elle pourrait pratiquer le christianisme en toute liberté en Chine; si elle avait appliqué ce critère, elle aurait conclu que la demanderesse est véritablement exposée à un risque de persécution en Chine.

 

[51]           Les prétentions de la demanderesse ont déjà été avancées dans le passé. Le juge en chef Lutfy a dit ce qui suit au sujet de prétentions similaires dans Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 960, au paragraphe 11 :

La demanderesse se fonde sur le principe selon lequel la liberté de religion comprend aussi la liberté de manifester sa religion en public et selon lequel l’interdiction de montrer publiquement ses croyances religieuses peut constituer de la persécution : Fosu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1813 (QL) (1re inst.), (QL) Husseini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 177, et Appellant S395/2002 c. Minister for Immigration and Multicultural Affairs, [2003] HCA 71, une décision de la Haute Cour de l’Australie. À mon avis, l’agent d’immigration pouvait conclure que les faits n’étaient pas suffisants en l’espèce pour que ce principe s’applique à la demanderesse. Si je comprends bien sa décision, l’agent d’immigration n’était pas convaincu que la situation personnelle de la demanderesse satisfaisait au critère mentionné dans la preuve documentaire concernant les risques que courent les catholiques qui pratiquent leur religion publiquement ou clandestinement dans la province du Fujian.

 

[52]           En l’espèce, la demanderesse a déclaré dans son témoignage qu’elle voulait répandre le christianisme et il ressortait de la preuve présentée à la Commission qu’il n’est pas interdit dans la province du Fujian de répandre le christianisme dans les maisons et dans les lieux de culte privés. Même si la Cour aurait pu parvenir à une conclusion différente, il n’était pas déraisonnable que la Commission conclue, comme elle l’a fait, que la demanderesse pourrait pratiquer sa religion comme elle semble le vouloir si elle retournait dans la province du Fujian.

 

CONCLUSION

[53]           Pour ces motifs, la présente demande est rejetée. Il n’y a eu aucun manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale. La décision de la Commission était raisonnable. J’ajouterais que, selon mon examen des deux photos figurant sur la page de comparaison, une conclusion selon laquelle il s’agissait de la même personne aurait bien pu être jugée déraisonnable.

 

[54]           Aucune des parties n’a proposé une question à des fins de certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

              « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


Annexe A des motifs du jugement et du jugement

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8585-11

 

INTITULÉ :                                      YAN PING KE c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 20 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 6 juillet 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

 

                            POUR LA DEMANDERESSE

Christopher Ezrin

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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