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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date : 20120705


Dossier : IMM‑3702‑11

Référence : 2012 CF 854

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2012

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

 

SHOUPENG WEI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 9 mai 2011, qui a statué que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la Loi et qu’il n’avait pas non plus qualité de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

[2]               Cette conclusion était fondée sur la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’existait pas une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté pour pratique de sa religion et participation au culte dans une église chrétienne s’il était renvoyé à son domicile dans la province chinoise du Fujian.

 

[3]               Le demandeur demande à la Cour de délivrer un bref de certiorari cassant la décision de la Commission et un bref de mandamus obligeant cette dernière à lui accorder une nouvelle audience.

 

Contexte

 

[4]               Le demandeur, Shoupeng Wei, un citoyen de la République populaire de Chine (Chine), vit dans la province du Fujian et il pratique la religion chrétienne. Il est marié et père d’un fils et d’une fille. Les membres de sa famille sont demeurés en Chine.

 

[5]               En juin 2005, la santé du demandeur a commencé à se détériorer. Il a consulté des médecins, mais ces derniers ont été incapables de découvrir de quelle maladie il souffrait. Le demandeur s’est confié à son ami Liu Zhong, qui lui a parlé de la foi chrétienne. Après que le demandeur et son ami eurent prié pour sa guérison, l’état de santé du demandeur a commencé à s’améliorer.

 

[6]               Le 7 août 2005, le demandeur a participé pour la première fois à un office religieux d’une église clandestine. Les membres de cette église, environ 13 personnes, se réunissaient secrètement aux domiciles de deux des fidèles. Au cours de l’office, des guetteurs surveillaient la venue potentielle de membres du bureau de la sécurité publique (BSP). Le 26 février 2006, le demandeur a été baptisé et, le mois suivant, il a recruté son ami Chen Jin.

 

[7]               Le 13 avril 2006, l’office qui était célébré par l’église clandestine a été interrompu par un guetteur qui annonçait l’arrivée de membres du BSP. Craignant d’être arrêté, le demandeur s’est caché dans la maison de sa belle‑sœur. Deux jours plus tard, des membres du BSP ont effectué une perquisition à la maison du demandeur. Ils ont dit à sa femme qu’ils étaient au courant de ses activités religieuses illégales et se sont informés au sujet de ses allées et venues. La femme du demandeur leur a affirmé qu’elle ne savait rien à ce sujet. Le BSP lui a fait savoir que le demandeur devait se rendre immédiatement et il a exigé que sa femme leur transmette tout renseignement qu’elle obtenait à son sujet. Le 18 avril 2006, le demandeur a appris que trois membres de son église clandestine avaient été arrêtés au cours de la descente du BSP.

 

[8]               Après avoir vécu neuf mois dans la clandestinité, le demandeur a trouvé un passeur avec l’aide de sa belle‑sœur. Celui-ci lui a fourni un visa canadien et l’a accompagné jusqu’au Canada. Le 13 janvier 2007, le demandeur est arrivé au Canada. Il y a demandé l’asile le 26 janvier 2007.

 

[9]               Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) daté de mars 2007, le demandeur a déclaré que le BSP était encore à sa recherche et que des membres de cette organisation s’étaient rendus à son domicile à plusieurs reprises. De plus, selon le demandeur, les trois membres de son église clandestine qui avaient été arrêtés demeuraient en détention dans l’attente du prononcé de leur peine.

 

[10]           La demande d’asile du demandeur avait déjà été instruite par un autre tribunal de la Section de la protection des réfugiés. Le tribunal avait rejeté la demande pour non‑crédibilité. Lors du contrôle judiciaire, le juge Michel Beaudry a annulé cette décision parce qu’il estimait que la Commission avait commis deux erreurs susceptibles de révision qui étaient au cœur de la demande du demandeur (voir Wei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 694, [2010] ACF no 832).

 

[11]           La nouvelle audience relative à la demande d’asile du demandeur a eu lieu le 25 janvier et le 27 avril 2011.

 

Décision de la Commission

 

[12]           La Commission a rendu publique sa décision le 9 mai 2011. Il est à noter que la décision faisait suite à une nouvelle audience, comme l’avait ordonné la Cour fédérale dans Wei, ci-dessus.

 

[13]           La Commission a abordé deux questions principales dans sa décision : la crédibilité du demandeur et la question de savoir s’il existait une possibilité véritable que le demandeur soit persécuté s’il pratiquait la religion chrétienne dans la province du Fujian. L’évaluation qu’a faite la Commission relativement à ces deux questions est décrite ci‑après. Cependant, l’évaluation de la crédibilité du demandeur par la Commission n’a pas été contestée en l’espèce. La présente demande porte uniquement sur l’évaluation qu’a effectuée la Commission relativement à la seconde question.

 

Crédibilité

 

[14]           La Commission a d’abord reconnu que la preuve établissait que le demandeur était bien un citoyen de la Chine. La Commission a souligné qu’elle avait tenu compte de l’âge, des études et des antécédents du demandeur pour évaluer sa crédibilité. Elle a pris en compte son niveau d’études (cinquième année du cours primaire), les difficultés que comporte la participation à une audience et la tension qu’entraîne l’obligation de communiquer par l’intermédiaire d’un interprète. Reconnaissant l’existence de ces obstacles, la Commission a expliqué qu’elle avait accordé au demandeur de nombreuses possibilités de répondre aux questions tout au long de l’audience.

 

[15]           La Commission a constaté que le demandeur témoignait fréquemment « de façon vague, évasive et confuse » sur des aspects importants de sa demande d’asile. De plus, elle a estimé que le témoignage du demandeur était « changeant, incohérent et vague ». La Commission a aussi établi que d’importants détails portant sur des questions clés de sa demande d’asile avaient été omis dans son FRP et l’exposé circonstancié qui y est joint.

 

[16]           La Commission a estimé que la question de la crédibilité était déterminante en l’espèce et, plus précisément, la crédibilité qui se dégageait de l’exposé circonstancié joint au FRP du demandeur de même que celle se dégageant de son témoignage de vive voix relativement à son appartenance à une église clandestine et ses démêlés avec le BSP.

 

[17]           Pour arriver à cette conclusion défavorable sur la crédibilité du demandeur, la Commission a tiré des inférences défavorables de son témoignage et de ses observations sur les points suivants :

            1.         L’information que l’ami du demandeur lui avait transmise au sujet du christianisme.

            2.         La maladie du demandeur.

            3.         Les débuts de la participation du demandeur aux activités de l’église clandestine.

            4.         Le fait que des membres du BSP soient à la recherche du demandeur.

            5.         La descente du BSP dans un des lieux de culte de l’église.

            6.         Les répercussions de la situation sur les membres de la famille du demandeur en Chine.

            7.         L’avis de mise en liberté, la carte de visite de la prison et la copie du prononcé de la peine.

 

[18]           La Commission a souligné que le demandeur n’avait pas répondu lorsqu’il a été interrogé sur les sujets qu’il avait abordés avec l’ami de qui il a entendu parler pour la première fois du christianisme. Cependant, lorsqu’il lui a été demandé de confirmer des réponses figurant dans son FRP, le demandeur a répondu par l’affirmative. La Commission a tiré une inférence défavorable de l’incapacité du demandeur de se souvenir avec précision de renseignements sur une expérience qui avait changé sa vie.

 

[19]           Deuxièmement, la Commission a constaté une incohérence entre les renseignements fournis au sujet de la maladie alléguée du demandeur. Dans son FRP, il a déclaré qu’il souffrait d’un mal non diagnostiqué alors qu’il est précisé dans les documents médicaux annexés à sa demande qu’il souffrait de gastrite. Tenant compte du niveau d’études du demandeur, la Commission a demandé à ce dernier s’il comprenait le sens du mot diagnostic. La Commission a constaté que le demandeur avait fourni une définition claire de ce terme et qu’il semblait aussi connaître d’autres termes médicaux. La Commission en a donc conclu que le demandeur n’avait pas fourni une explication raisonnable pour justifier la contradiction entre le contenu de son FRP et la preuve documentaire.

 

[20]           Se reportant au mois d’août 2005, soit lorsque le demandeur a commencé à participer aux offices de l’église clandestine, la Commission a demandé au demandeur s’il était conscient des répercussions de sa participation aux activités de cette église. Le demandeur a répondu qu’il n’avait pas réfléchi aux répercussions à l’époque et que son ami ne lui avait pas parlé de l’existence de quelque problème que ce soit. La Commission a aussi interrogé le demandeur au sujet d’autres événements importants qui s’étaient produits dans sa famille au cours de cette période. Après avoir tenté d’obtenir des réponses claires à plusieurs questions exploratoires, la Commission a finalement demandé au demandeur de parler du décès de son père (juillet 2005) et de la naissance de son fils (août 2005). Le demandeur est devenu émotif au moment où il a été interrogé au sujet de son père et il a confirmé par la suite que le christianisme l’avait aidé à accepter son décès. Interrogé sur les motifs pour lesquels il n’avait pas mentionné ce fait dans son FRP, le demandeur a expliqué que le consultant ne lui avait pas posé de questions à ce sujet. La Commission a estimé que l’incapacité du demandeur de se rappeler d’importants événements émouvants de sa vie et de les relier à sa conversion au christianisme n’était pas raisonnable. De plus, son incapacité de reconnaître et de décrire les risques associés à la participation à une activité prétendument illégale a amené la Commission à douter de sa crainte de l’agent de persécution.

 

[21]           La Commission a aussi constaté l’existence d’incohérences dans les réponses du demandeur à des questions concernant les recherches entreprises par le BSP pour le retrouver. Il s’agit notamment de déclarations contradictoires dans son FRP et au cours de son témoignage de vive voix sur la perquisition du BSP à son domicile et sur le fait que les agents de ce dernier auraient montré un mandat d’arrestation à sa femme.

 

[22]           La Commission a ensuite mis en doute la véracité de la description de la descente du BSP dans les locaux de l’église clandestine. La Commission a demandé au demandeur de fournir plus de renseignements au sujet des événements survenus le soir où le guetteur avait averti les fidèles que des membres du BSP s’approchaient des lieux. La Commission a pris note du fait que le demandeur n’avait vu personne le suivre, n’avait entendu personne l’appeler et qu’il n’avait ni vu de lumières clignoter ni entendu de sirènes. Interrogé au sujet de la possibilité que le guetteur ait pu commettre une erreur, le demandeur a répondu par l’affirmative. De plus, contrairement au témoignage du demandeur, son FRP ne précisait pas que le BSP avait informé sa femme de la descente dans les locaux de l’église. La Commission a donc mis en doute la version que donnait le demandeur de la descente du BSP dans les locaux de l’église.

 

[23]           La Commission a aussi examiné les répercussions alléguées pour les membres de la famille du demandeur en Chine. À l’audience, le demandeur a déclaré que les membres du BSP étaient allés régulièrement rencontrer sa femme, la dernière fois le 15 janvier 2011. Le demandeur a ajouté que, lors de ces visites, les membres du BSP menaçaient sa femme en disant qu’ils la poursuivraient si elle cachait des renseignements. De plus, les voisins auraient ri de sa femme à cause des visites fréquentes de membres du BSP chez elle et ses enfants auraient reçu [traduction] « des commentaires de la part de camarades de classe ». Cependant, la Commission a souligné qu’aucune mesure n’avait encore été prise contre la femme du demandeur et que ses enfants fréquentaient encore l’école. Cet intérêt restreint du BSP à l’égard de sa famille ne correspond pas à la preuve documentaire selon laquelle les représailles contre les membres de la famille sont fréquentes lorsque le BSP ne peut interroger ou détenir des personnes qu’il recherche.

 

[24]           Enfin, la Commission a examiné les copies de l’avis de mise en liberté, de la carte de visite de prison et du prononcé de la peine de personnes associées à l’église clandestine du demandeur. La Commission a constaté que ces documents n’étaient pas des originaux, qu’ils étaient de qualité médiocre et qu’ils n’étaient pas notariés. La Commission a aussi souligné que la preuve documentaire révélait que même si les faux passeports chinois sont rares, il faut présumer que les autres documents sont des faux, à moins de preuve du contraire. De plus, ces arrestations alléguées n’ont pas été mentionnées dans les rapports nationaux sur la Chine pour 2006, 2007 ou 2009. La Commission a donc accordé peu de valeur probante à ces documents.

 

Possibilité sérieuse de persécution

 

[25]           Après avoir évalué la crédibilité du demandeur, la Commission a cherché à savoir s’il existait une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté parce qu’il pratiquait la religion chrétienne dans la province du Fujian. Dans son examen de cette question, la Commission a d’abord vérifié l’identité du demandeur et a trouvé suffisamment d’éléments de preuve qui lui ont permis de conclure qu’il est chrétien.

 

[26]           La Commission a ensuite cité le rapport national selon lequel les chrétiens de la province du Fujian [traduction] « bénéficient de l’une des politiques les plus libérales en matière de liberté de religieuse en Chine ». La Commission a dit avoir passé en revue toute la preuve documentaire soumise et n’avoir rien lu sur des arrestations ou la persécution de chrétiens dans la province du Fujian dans les rapports de 2005 à 2009. La Commission a souligné cependant que tous les cas de persécution et d’oppression pour des motifs religieux ne sont pas signalés; par contre, il n’existait aucun élément de preuve convaincant d’arrestations ou d’incidents récents dans la province du Fujian. Le seul document relatif à la destruction d’églises dans la province du Fujian n’énonçait pas de motifs justifiant ces destructions ni aucun détail à propos de ce qui s’est produit et du moment où elles ont eu lieu. Par conséquent, la Commission n’a accordé aucune valeur probante à ce document comme preuve de la persécution de membres d’églises clandestines. Enfin, la Commission a fait état d’une preuve documentaire expliquant que seuls les rassemblements de plus de 40 personnes doivent être enregistrés auprès du gouvernement.

 

[27]           Après avoir pris en compte la description faite par le demandeur du petit nombre de fidèles appartenant à cette église clandestine, l’absence d’éléments de preuve confirmant l’existence d’une persécution religieuse dans la province du Fujian de même que le FRP et le témoignage du demandeur, la Commission a estimé que, selon la prépondérance des probabilités, l’église clandestine en question n’avait jamais fait l’objet d’une descente. Elle a donc conclu que le demandeur n’était pas recherché par le BSP pour cette raison. De plus, la Commission a estimé qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s’il retournait chez lui et qu’il cherchait à pratiquer la religion chrétienne dans l’église de son choix.

 

[28]           Pour ces motifs, la Commission a refusé la demande d’asile du demandeur qui souhaitait que lui soit reconnue la qualité de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger.

 

[29]           Le demandeur demande à la Cour de se prononcer sur les questions suivantes :

            1.         La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur pourrait retourner dans la province du Fujian, en Chine, pour continuer à y pratiquer la religion chrétienne est-elle raisonnable?

 

[30]           Je reformulerais comme suit les questions en jeu :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la preuve et, plus précisément, dans son évaluation du risque objectif auquel le demandeur serait exposé s’il retournait dans la province du Fujian et y pratiquait ouvertement sa religion?

 

Observations écrites du demandeur

 

[31]           La présente demande porte sur l’évaluation par la Commission du risque objectif que doit affronter le demandeur dans la province du Fujian.

 

[32]           Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur dans ses conclusions sur la composante de risque objectif de sa demande d’asile. Cette erreur proviendrait de la conclusion déraisonnable de la Commission selon laquelle il n’existait pas d’éléments de preuve d’arrestations ou de persécutions pour des motifs religieux dans la province du Fujian. Plus précisément, la Commission aurait omis de tenir compte des éléments de preuve montrant que des maisons‑églises avaient été détruites dans cette province. La Commission a reconnu l’existence de ces éléments de preuve, mais a refusé de leur accorder une valeur probante étant donné qu’elle a jugé inadéquates les données concernant ces destructions pouvant expliquer ce qui s’est produit et le moment où elles ont eu lieu. Le demandeur soutient que la Commission a agi de façon déraisonnable en refusant de considérer ces éléments de preuve comme la démonstration de l’existence d’une persécution religieuse dans la province du Fujian.

 

[33]           Selon le demandeur, le titre du document fournit le contexte de la destruction d’églises installées dans des maisons dans la province du Fujian. De plus, selon le demandeur, la Commission a commis une erreur en s’appuyant sur le rapport de la China Aid Association (CAA) pour 2010. En effet, les destructions ont été mentionnées dans le rapport 2007 de la CAA.

 

[34]           En résumé, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en refusant de tenir compte de la preuve documentaire de la destruction d’églises chrétiennes dans la province du Fujian. À l’appui de ses allégations, le demandeur invoque la décision Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 65, [2011] ACF no 74, dans laquelle la Cour a établi, selon le demandeur, que la destruction de maisons‑églises dans la province du Fujian porte atteinte au droit à la liberté de religion.

 

Observations écrites du défendeur

 

[35]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle des questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable.

 

[36]           Le défendeur allègue que dans les cas de demande d’asile, il incombe aux demandeurs de démontrer qu’ils craignent avec raison d’être persécutés. En l’espèce, les observations du demandeur concernent l’évaluation de la preuve qu’a effectuée la Commission.

 

[37]           Dans sa décision, la Commission a tenu compte de la preuve documentaire, mais elle a jugé que cette dernière ne constituait pas une preuve convaincante d’arrestations ou de persécutions récentes de chrétiens dans la province du Fujian. La Commission a pris connaissance à la fois du rapport 2007 de la CAA et de la décision Liang, ci-dessus. Cependant, des éléments de preuve plus récents ne faisaient pas état de destructions d’églises dans la province du Fujian. Si ces incidents s’étaient poursuivis dans cette province, ils auraient probablement été mentionnés dans les rapports récents.

 

[38]           En résumé, le défendeur soutient que la décision de la Commission était raisonnable.

 

Analyse et décision

 

[39]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable à une question donnée, le tribunal chargé du contrôle d’une décision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[40]           Il est bien établi par la jurisprudence que le traitement des éléments de preuve est une question de fait qui relève de l’expertise de la Commission. En ce qui concerne la question de savoir si la Commission a laissé de côté des éléments de preuve importants ou a nié à tort la valeur probante de certains documents, la norme de contrôle applicable est donc celle de la raisonnabilité (voir Dunsmuir, ci-dessus, aux paragraphes 51 et 53; Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1274, [2010] ACF no 1577, au paragraphe 13; et Shu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 958, [2011] ACF no 1174, au paragraphe 21).

 

[41]           Dans son examen de la décision de la Commission selon le critère de la raisonnabilité, la Cour ne doit intervenir que si la Commission n’a pas pris une décision justifiée, si elle n’a pas suivi un processus décisionnel transparent et intelligible et si ses décisions n’appartenaient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve dont elle disposait (voir Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, au paragraphe 59). Comme la Cour suprême l’a établi dans l’arrêt Khosa, ci-dessus, il ne revient pas aux cours de révision de substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue et elles n’ont pas non plus à soupeser à nouveau les éléments de preuve (aux paragraphes 59 et 61).

 

[42]           Deuxième question

            La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la preuve et, plus précisément, dans son évaluation du risque objectif auquel le demandeur serait exposé s’il retournait dans la province du Fujian et y pratiquait ouvertement sa religion?

            En l’espèce, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur dans son évaluation du risque objectif auquel le demandeur serait exposé s’il retournait dans la province du Fujian et y pratiquait ouvertement la religion chrétienne. La tâche qui incombe à la Cour, soit l’évaluation de cette question, a été expliquée récemment par le juge Robert Mainville dans Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 349, [2010] ACF no 409, au paragraphe 22 :

Quant aux conditions dans lesquelles on exerce la foi chrétienne dans les petites églises‑maisons en Chine, il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la documentation disponible sur les conditions qui règnent dans ce pays. La Cour doit plutôt s’assurer que le tribunal a vérifié si le demandeur risque d’être persécuté sur le plan religieux s’il est renvoyé en Chine et, ensuite, si les conclusions du tribunal à cet égard sont raisonnables, c’est‑à‑dire qu’elles appartiennent aux issues possibles acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit.

 

[43]           À l’appui de son argument, le demandeur s’appuie sur le traitement qu’a fait la Commission de la preuve décrivant les arrestations ou les persécutions dans la province du Fujian.

 

[44]           Dans sa décision, la Commission a déclaré avoir passé en revue toute la preuve documentaire présentée à l’appui de la demande d’asile du demandeur. Elle a cité un certain nombre de documents et a souligné le degré variable de la liberté religieuse en Chine. En ce qui concerne la province d’origine du demandeur, la Commission n’a vu dans aucun des rapports de 2005 à 2009 de mention d’arrestations ou de persécutions de chrétiens dans la province du Fujian. Néanmoins, elle a reconnu que les cas de persécution et d’oppression religieuses en Chine ne sont pas tous déclarés. Cependant, la Commission n’a trouvé dans l’ensemble des documents présenté aucune preuve convaincante d’arrestations ou d’incidents récents dans la province du Fujian.

 

[45]           Selon le demandeur, la Commission a commis des erreurs dans son traitement des documents suivants :

            1.         RDI12.5 : Chine : Information sur les descentes dans les maisons‑églises protestantes; fréquence et lieu des descentes (2005‑2007), réponse à une demande d’information 12.5, CHN102492.EF. 22 juin 2007; et

            2.         RDI12.10 : Annual Report of Persecution by the Government on Christian House Churches Within Mainland China : January 2009 – December 2009, réponse à une demande d’information 12.10, CAA. Janvier 2010.

 

[46]           Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur en n’accordant aucune valeur au document RDI12.5 uniquement parce que le rapport ne mentionnait pas les motifs justifiant les destructions des maisons‑églises ni aucun détail à propos de ce qui s’est produit et du moment où elles ont eu lieu. Le demandeur allègue que le titre du document à lui seul fournit le contexte, soit la destruction de maisons‑églises dans la province du Fujian. De plus, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne trouvant aucune mention de destruction de maisons‑églises de la province du Fujian dans le document RDI12.10. En effet, le titre du rapport et son incorporation sous la rubrique de la religion dans sa propre documentation sur le pays montre l’absence de fondement de l’hypothèse de la Commission selon laquelle les maisons‑églises peuvent avoir été détruites à cause de problèmes de zonage, de planification ou de délivrance de permis. De plus, même si la destruction de maisons‑églises dans la province du Fujian n’a pas été mentionnée dans le document RDI12.10, elle l’a été dans le rapport antérieur, soit le RDI12.5.

 

[47]           Il faut prendre connaissance de ces documents afin de valider les allégations du demandeur. Cependant, il est important de se rappeler que le rôle de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau la preuve et de substituer son propre point de vue à celui de la Commission (voir Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 677, [2009] ACF no 1391, au paragraphe 23; et Yao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 902, [2011] A.C.F. no 1129, au paragraphe 18). Comme je l’ai expliqué dans la décision Yao, ci-dessus, « la Commission a la prérogative de privilégier certains éléments de preuve par rapport à d’autres » (au paragraphe 18).

 

[48]           Dans le document RDI12.5, il était précisé qu’après l’adoption, en mars 2005, du règlement sur les affaires religieuses de la Chine, des mesures de répression avaient été prises contre les maisons‑églises de certaines régions du pays. Selon le document, les descentes visaient surtout les grandes maisons‑églises; cependant, les petites réunions regroupant une poignée de fidèles étaient aussi ciblées dans certaines régions. Des arrestations étaient signalées dans plusieurs provinces, mais le traitement des maisons‑églises par les représentants gouvernementaux variait beaucoup d’une région à l’autre. Selon le document, « des sources [avaient] aussi signalé la destruction de maisons‑églises ». Ce renseignement était fondé sur le document de la CAA intitulé Annual Report on Persecution of Chinese House Churches by Province : From January 2006 to December 2006. Le seul incident signalé pour la province du Fujian dans ce dernier rapport était la destruction d’une maison‑église à Pingtan en 2006.

 

[49]           Dans le rapport RDI12.10, la CAA soulignait que le gouvernement chinois s’adonnait à une persécution plus musclée et plus stratégique des chrétiens du mouvement des maisons‑églises en 2009, modifiant sa politique de façon à interrompre les offices religieux et à punir sévèrement les dirigeants de ces églises clandestines (pages 8 et 11). Comme au cours des années précédentes, la persécution des chrétiens et des églises visait principalement le mouvement des maisons‑églises et elle était plus marquée dans les régions urbaines que dans les régions rurales (pages 9 et 11). Le gouvernement a commencé à obliger les églises à cesser les rassemblements, notamment en détruisant les immeubles (page 12). Des incidents de persécution ont été signalés dans de nombreuses provinces et municipalités; cependant, aucun n’était mentionné pour la province du Fujian (pages 30 et 31).

 

[50]           Dans son examen de la preuve documentaire sur la Chine dont elle était saisie, la Commission a souligné que peu d’arrestations ou d’incidents récents de persécution de chrétiens étaient signalés dans la province du Fujian. La Commission a reconnu que des rapports avaient fait état de la destruction de maisons‑églises de la province du Fujian dans le document RDI12.5, mais elle a refusé d’accorder une valeur probante à ce document parce qu’il ne mentionnait pas les motifs des destructions et qu’aucun détail n’était fourni à propos de ce qui s’était produit et du moment où les destructions avaient eu lieu. La Commission a estimé que la destruction de ces maisons‑églises aurait donc pu être liée à « des questions de zonage, de planification ou de permis ». La Commission a aussi souligné qu’il n’avait pas été question de la destruction de maisons‑églises de la province du Fujian dans le plus récent rapport de la CAA pour 2009 (c.‑à‑d. le document RDI12.10).

 

[51]           Bien que le rapport 2006 de la CAA n’ait fourni aucun renseignement précis sur la destruction d’une maison‑église dans la province du Fujian en 2006, j’estime que les interrogations de la Commission sur les motifs de cet incident laissent quelque peu songeur. La proximité dans le temps entre l’incident et l’adoption par la Chine du règlement sur les affaires religieuses en 2005, de même que le grand nombre d’autres incidents signalés dans l’ensemble du pays à l’époque, tous mentionnés dans la preuve documentaire déposée devant la Commission, donnent à penser que la destruction de cette maison‑église a été plus probablement causée par la persécution religieuse que par des « questions de zonage, de planification ou de permis ». Néanmoins, la Commission a tenu compte d’éléments de preuve plus récents, y compris le document RDI12.10, qui signalait des incidents de persécution en 2009, mais elle n’y a trouvé aucune preuve d’incidents récents dans la province du Fujian.

 

[52]           Il importe de souligner que le demandeur invoque l’examen par la Commission de seulement deux documents. Or, en plus de ces rapports, la Commission a aussi fait état de nombreux autres documents pour établir qu’il n’existait pas de preuve de persécutions religieuses récentes dans la province du Fujian. Comme dans Yu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 310, [2010] ACF no 363, la Commission a souligné à la fois le manque de preuve documentaire au sujet de la persécution religieuse dans la province du Fujian et le fait que certains facteurs qui entraînaient un risque plus grand ne se retrouvaient pas dans la situation du demandeur (paragraphe 34).

 

[53]           J’estime donc que, dans son ensemble, la remise en question par la Commission des modalités de l’incident de 2006 ne rend pas sa décision déraisonnable. En effet, la Commission a effectué une évaluation détaillée de la documentation existante et a fourni des motifs raisonnables à l’appui de ses conclusions. Je ne crois pas que la Commission a choisi des éléments de preuve pour étayer sa décision défavorable; en fait, elle a plutôt justifié adéquatement son rejet des éléments de preuve plus anciens. Comme dans la décision Yu, ci-dessus, l’absence de rapports sur des descentes dans des maisons‑églises de la province du Fujian peut raisonnablement mener à la conclusion que la maison‑église du demandeur n’a jamais fait l’objet d’une descente (paragraphe 32).

 

[54]           Je conclus que la décision de la Commission, examinée dans son ensemble, appartient aux issues possibles acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit. Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

[55]           Aucune des parties n’a souhaité faire certifier une question grave de portée générale.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3702‑11

 

INTITULÉ :                                      SHOUPENG WEI

 

                                                            ‑ et ‑

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 9 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            le juge O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                     le 5 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

POUR LE DEMANDEUR

 

Nadine Silverman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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