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Date : 20120615

Dossier : IMM‑7256‑11

Référence : 2012 CF 761

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

ZSOLT MATTE, ERZSEBET ILONA KEREKES, VIVIEN MATE et

ZSOLT MATE FILS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision datée du 6 septembre 2011 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR), de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, a refusé la demande présentée par les demandeurs en vue de se voir reconnaître la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

CONTEXTE

[2]               Le demandeur et sa conjointe de fait, la demanderesse, sont des citoyens de la Hongrie. Les demandeurs secondaires sont leur fils Zsolt, qui est âgé de vingt ans, et leur fille Vivien, âgée de dix‑huit ans. Les demandeurs secondaires sont également des citoyens hongrois. Tous les demandeurs sont des Roms.

Exposé circonstancié initial

[3]               Après avoir demandé l’asile au Canada, les demandeurs ont soumis des formulaires de renseignements personnels (FRP) le 1er juin 2009. Ils ont soumis le 17 juin 2009 un unique exposé circonstancié, qui relatait la vision des faits du demandeur (l’exposé circonstancié initial). Cet exposé circonstancié décrivait de quelle façon les demandeurs secondaires avaient été victimes de discrimination à l’école, où les enseignants et leurs camarades de classe voulaient les pousser à abonner les études. L’exposé circonstancié initial expliquait également que Zsolt souhaitait se trouver du travail comme serveur, mais que les gens lui disaient qu’il ne pourrait jamais se faire embaucher comme serveur parce que personne ne voulait être servi par un Rom.

[4]               Les demandeurs se sont présentés au Centre de protection des droits des Roms (le CPDR) pour se plaindre de la discrimination dont les demandeurs secondaires avaient fait l’objet à l’école. L’intervenant leur a expliqué que le CPDR allait s’occuper du problème et écrirait une lettre, mais les demandeurs n’ont jamais obtenu de copie de cette lettre et la situation des demandeurs secondaires est demeurée inchangée à l’école. On ne permettait pas aux demandeurs secondaires de se changer dans les mêmes vestiaires que les autres enfants lors des cours d’éducation physique. Si des enfants qui n’étaient pas des Roms perdaient des effets personnels, les demandeurs secondaires étaient toujours soupçonnés de vol. Le nom de Vivien a même été choisi comme prénom le moins populaire de sa classe.

[5]               En janvier 2008, un ami du demandeur a été attaqué par des skinheads. Ceux‑ci ont obligé la voiture de l’ami en question à quitter la route, le tuant ainsi que son fils. Même si des personnes avaient été témoins de l’incident, la police a refusé d’enquêter et a conclu qu’il s’agissait d’un simple accident.

[6]               En février 2009, les demandeurs ont été attaqués par des skinheads pendant qu’ils faisaient leur épicerie. Les skinheads ont jeté le demandeur au sol et l’ont forcé, ainsi que les demandeurs secondaires, à s’agenouiller pour ensuite les gifler. Un chauffeur d’autobus qui passait par là est intervenu et a amené les demandeurs au poste de police pour signaler l’agression. Au lieu de faire enquête, les policiers ont interrogé le demandeur pour savoir ce qu’ils avaient fait pour provoquer l’agression. Les policiers n’ont pas accepté le signalement des demandeurs, et ce, même si le demandeur et Zsolt avaient des blessures visibles.

[7]               L’agression de février 2009 a incité les demandeurs à quitter la Hongrie pour venir au Canada parce qu’ils estimaient qu’ils ne pouvaient compter sur une aide efficace de la police. La situation à laquelle ils étaient confrontés à Budapest, où ils vivaient, était mauvaise et ils croyaient que la situation serait aussi mauvaise, sinon pire, ailleurs en Hongrie.

Exposés circonstanciés modifiés

[8]               Après avoir soumis leur exposé circonstancié initial, les demandeurs ont présenté le 1er décembre 2010 de nouveaux exposés circonstanciés pour le demandeur, la demanderesse et Zsolt (les exposés circonstanciés modifiés).

[9]               L’exposé circonstancié modifié du demandeur (l’exposé circonstancié 1) expliquait que le demandeur avait, depuis sa plus tendre enfance, été victime de préjugés en Hongrie parce qu’il est un Rom. Il avait dû quitter son emploi comme constructeur de ponts en février 1997 en raison de cette discrimination.

[10]           L’exposé circonstancié 1 expliquait également que des membres de la Garde hongroise –organisation nationaliste hongroise – avaient provoqué en janvier 2009 la sortie de route du véhicule du cousin du demandeur. Son cousin et le fils de ce dernier avaient trouvé la mort dans cet accident. Malgré le fait que des témoins avaient parlé aux policiers, ces derniers ne les avaient pas crus et avaient déclaré qu’il s’agissait d’un simple accident. Il a été question de cet incident sur Internet, mais aucun témoin n’a pas pris la parole pour raconter ce qu’il savait.

[11]           Il était également question de l’agression de février 2009 dans l’exposé circonstancié 1. Dans cette version, le demandeur expliquait qu’un des skinheads qui l’avait attaqué lui avait tordu le bras et l’avait frappé. Les skinheads avaient forcé la demanderesse à s’agenouiller en lui tirant les cheveux et ils avaient giflé Zsolt pour qu’il arrête de verser des [traduction] « larmes de Rom ». Les skinheads ont obligé les demandeurs à leur présenter des excuses parce qu’ils les rendaient nerveux étant donné qu’ils étaient visiblement des Roms. Malgré le fait qu’il soit intervenu et qu’il ait amené les demandeurs au poste de police, le chauffeur d’autobus a refusé de témoigner pour les demandeurs. Au poste de police, un agent leur a demandé ce qu’ils avaient fait pour provoquer cette agression. D’autres agents ont accusé les demandeurs de mentir et les ont qualifiés de sales Tziganes.

[12]           Le 26 mars 2009, le demandeur a été attaqué dans un tramway par plusieurs membres de la Garde hongroise. L’un d’entre eux a saisi le demandeur par le bras et l’a battu. Le demandeur a réussi à se libérer et a couru jusqu’à une gare de train où il a pu se fondre dans la foule.

[13]           Dans son exposé circonstancié modifié (exposé circonstancié 2), la demanderesse a expliqué qu’elle avait fait l’objet de discrimination à l’école. Les violences dont elle avait été victime enfant étaient si graves qu’elle avait même envisagé le suicide. La demanderesse a expliqué qu’elle n’avait pu continuer ses études parce que les établissements d’enseignement la rejetaient parce qu’elle était une Rome. Même si elle avait obtenu un emploi dans une usine de vêtements, d’autres travailleuses avaient endommagé sa machine à coudre. Elle avait par la suite obtenu un emploi comme nettoyeuse de tramways, mais ses collègues de travail lui volaient souvent de l’argent et refusaient d’utiliser l’équipement de nettoyage que la demanderesse avait touché.

[14]           Les demandeurs secondaires ne pouvaient pratiquer de sports à l’école parce qu’ils étaient des Roms. Zsolt est devenu serveur, mais on lui avait dit qu’il ne pourrait jamais obtenir un emploi dans ce métier.

[15]           Le récit que la demanderesse a fait de l’agression de février 2009 dans l’exposé circonstancié 2 était identique à celui qu’avait fait le demandeur dans l’exposé circonstancié 1.

[16]           L’exposé circonstancié modifié de Zsolt (exposé circonstancié 3) relatait qu’on se moquait de lui à l’école primaire parce qu’il était un Rom. Une fois, trois autres étudiants avaient uriné sur lui lors d’une sortie scolaire. Il a expliqué que Vivien se faisait souvent battre à l’école et qu’il ne pouvait la protéger. Après que Zsolt eut commencé à fréquenter une fille qui n’était pas une Rome à l’école, cette dernière a été harcelée parce que Zsolt était un Rom, ce qui les a amenés à rompre. Zsolt a expliqué qu’au cours de l’agression de février 2009, il avait vu quatre skinheads battre le demandeur. Il a également expliqué qu’avant l’agression de 2009, des skinheads avaient forcé le véhicule de son cousin et du père de son cousin à quitter la route et que ces derniers avaient trouvé la mort.

Historique des procédures

[17]           Les demandeurs sont arrivés au Canada le 3 mai 2009 et ont demandé l’asile le lendemain. La SPR a joint les quatre demandes en application du paragraphe 49(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 (les Règles) et a désigné le demandeur comme représentant de Vivien parce qu’elle était mineure à l’époque. La SPR a entendu les demandes d’asile des demandeurs au cours de trois séances qui ont eu lieu respectivement les 25 janvier 2011, 28 avril 2011 et 4 juillet 2011.

[18]           Lors de la première séance, les demandeurs ont affirmé que leurs FRP et leurs exposés circonstanciés étaient complets, véridiques et exacts. Le demandeur a également témoigné lors de cette séance. À la fin de la première séance, les demandeurs ont présenté une requête visant à faire radier du dossier l’exposé circonstancié initial parce qu’il nuisait à leur demande. Ils ont expliqué que le demandeur avait parlé à une interprète (Farkas) et que celle‑ci avait consigné les réponses du demandeur en anglais et les avaient incluses dans l’exposé circonstancié initial. Farkas avait commis des erreurs dans son interprétation et ses erreurs nuisaient à la cause des demandeurs. La SPR a ajourné la séance pour décider si elle devait exclure ou non l’exposé circonstancié initial. Elle a invité les demandeurs à soumettre une lettre du Centre communautaire rom (CCR) de Toronto – où ils affirmaient avoir rencontré Farkas – pour démontrer qu’ils s’étaient plaints de la qualité de l’interprétation de Farkas.

[19]           Lors de la deuxième séance tenue le 28 avril 2011, la SPR a signalé qu’elle avait reçu une lettre du CCR dans laquelle l’organisme expliquait qu’il ne pouvait communiquer les coordonnées de Farkas aux demandeurs. La SPR a expliqué aux demandeurs qu’elle avait décidé de ne pas exclure l’exposé circonstancié initial.

[20]           La SPR a examiné les demandes d’asile des demandeurs après la troisième séance, qui a eu lieu le 4 juillet 2011. Elle a rejeté leur demande d’asile le 6 septembre 2011 et a avisé les demandeurs de sa décision le 27 septembre 2011.

DÉCISION CONTRÔLÉE

[21]           La SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs parce qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Elle a également conclu qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés en Hongrie en raison de leurs origines ethniques romes.

Requête en radiation

[22]           La SPR a rejeté la requête présentée par les demandeurs en vue de faire radier du dossier l’exposé circonstancié initial. Elle a jugé que l’explication qu’ils avaient fournie sur la façon dont leurs FRP et leur exposé circonstancié initial avaient été créés n’était pas crédible.

[23]           Lors de la première séance, les demandeurs ont expliqué à la SPR que la traduction de l’exposé circonstancié initial présentait des problèmes et que les erreurs de traduction leur causeraient un préjudice indu. L’avocat des demandeurs a expliqué que Farkas s’était présentée à son cabinet et que les demandeurs la lui avaient présentée comme étant une amie. Ils ont également expliqué à l’avocat que le CCR leur avait recommandé Farkas comme traductrice. Malgré toutes ses bonnes intentions, Farkas et les demandeurs ne se comprenaient pas, comme il est devenu évident au cours de leurs échanges. Le demandeur a toutefois affirmé qu’il comprenait Farkas.

[24]           Les demandeurs ont également expliqué que, comme elle avait déménagé, ils n’avaient pas réussi à communiquer avec elle après avoir découvert les erreurs que contenait la traduction. Ils ont été expliqués que le CCR n’avait pas été en mesure de leur communiquer le numéro de téléphone actuel de Farkas. Dans sa lettre, le CCR expliquait [traduction] « Nous n’avons aucun contact avec Farkas et nous ne la connaissons pas ». Les demandeurs ont expliqué qu’ils avaient rencontré Farkas au CCR au moment où elle quittait les bureaux de l’organisme, mais qu’ils ignoraient si elle y travaillait. La SPR a conclu que l’explication des demandeurs était déraisonnable parce qu’elle contredisait la lettre du CCR.

[25]           La SPR a également conclu que les demandeurs ne pouvaient avoir rencontré Farkas au CCR. La lettre du CCR indiquait que les demandeurs avaient offert leurs services à l’organisme en tant que bénévoles vers février 2010. Or, les demandeurs ont soumis leur exposé circonstancié initial en juin 2009, après l’avoir rempli avec l’aide de Farkas. La SPR a conclu qu’il était impossible que le demandeur ait rencontré Farkas au CCR en 2009, étant donné qu’il n’avait commencé à fréquenter le CCR qu’en 2010.

[26]           La SPR a affirmé qu’elle n’avait aucune raison de croire que Farkas n’aurait pas consigné par écrit ce que les demandeurs lui avaient dit. Farkas a expliqué à l’avocat des demandeurs qu’elle était l’amie de ces derniers, ce qui permet de penser qu’elle aurait probablement consigné fidèlement par écrit ce qu’ils lui disaient. Les demandeurs ont également signé l’exposé circonstancié initial, indiquant ainsi que les déclarations qu’il contenait étaient bien les leurs. La déclaration qu’ils ont signée dans leur FRP mentionnait que les formulaires et les pièces jointes leur avaient été interprétés. Farkas a également signé, dans les FRP des demandeurs, les déclarations selon lesquelles elle avait interprété fidèlement les FRP et tout document qui y était joint. La SPR a reçu l’exposé circonstancié initial deux semaines après les FRP, mais elle a estimé que Farkas aurait probablement suivi la même procédure que dans le cas des FRP.

Bien‑fondé des demandes d’asile

[27]           Après avoir examiné la requête en radiation de l’exposé circonstancié initial des demandeurs, la SPR s’est penchée sur le bien‑fondé de leurs demandes d’asile. Elle a conclu que les demandeurs avaient établi leur identité et leur citoyenneté par leur témoignage et par les preuves documentaires qu’ils avaient soumises.

Crédibilité

[28]           La SPR a conclu que la preuve présentée par les demandeurs n’était pas crédible parce qu’il y avait des contradictions entre leur témoignage, leur exposé circonstancié initial, leurs exposés circonstanciés modifiés et le formulaire IMM 5611 (notes prises au point d’entrée par le demandeur à son arrivée au Canada).

[29]           Premièrement, le témoignage des demandeurs suivant lesquels leur cousin avait trouvé la mort après une sortie de route provoquée par des skinheads n’était pas fiable. L’exposé narratif 1 expliquait qu’on avait forcé la voiture à bord de laquelle se trouvaient le cousin en question et son fils à quitter la route en janvier 2009. L’exposé circonstancié initial faisait remonter cet événement à janvier 2008 et indiquait que c’était l’ami du demandeur et le fils de cet ami qui avaient été tués. On pouvait donc raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur sache si c’était son ami ou son cousin qui avait été tué.

[30]           Avant l’audience, le demandeur avait parlé à Mme Judith Pilowsky, une psychologue exerçant sa profession à Toronto, qui a produit un rapport que le demandeur a soumis à la SPR (le rapport de Mme Pilowsky). Dans ce document, Mme Pilowsky affirmait que le demandeur éprouvait de la peur lorsqu’il voyait une voiture semblable à celle qui avait été impliquée dans l’accident au cours duquel son cousin avait trouvé la mort. Comme il n’avait pas été témoin de cet accident, la SPR a expliqué qu’elle n’arrivait pas à comprendre comment le demandeur pouvait éprouver de la crainte lorsqu’il voyait ce genre de voiture.

[31]           L’exposé circonstancié initial expliquait que la police hongroise avait réagi à l’attentat de 2009 en le considérant comme un simple accident malgré le fait que des personnes avaient été témoins de ce qui s’était produit. L’exposé circonstancié 1 indiquait que les policiers avaient déclaré qu’il s’agissait d’un simple accident parce qu’ils n’avaient pas ajouté foi aux déclarations des témoins. Lors de l’audience devant la SPR, les demandeurs ont expliqué que les témoins avaient peur de parler à la police, qui ne pouvait donc conclure qu’à un accident. Tous ces éléments de preuve sont contradictoires.

[32]           En raison de ses réserves au sujet de la crédibilité, la SPR s’attendait à ce que les demandeurs produisent des éléments de preuve corroborant leur version des faits à l’égard de l’accident. Les demandeurs n’ont toutefois pas été en mesure de soumettre des éléments de preuve documentaires démontrant que cet événement s’était déroulé comme ils l’affirmaient. La SPR a tiré une conclusion négative du défaut des demandeurs de lui présenter des éléments de preuve corroborant leur version des faits et elle a conclu que rien ne permettait de penser que cet incident avait été causé par la Garde hongroise. La SPR a conclu que l’accident de voiture de janvier 2009 ne s’était pas déroulé comme les demandeurs l’avaient relaté.

[33]           Les demandeurs affirment que Farkas est responsable des contradictions relevées à cet égard. La SPR a toutefois rejeté cette explication et a conclu que rien ne permettait de penser que Farkas ne s’était pas contentée d’écrire ce qu’on lui avait dit.

[34]           Deuxièmement, la SPR a relevé des contradictions dans le récit que les demandeurs avaient donné de l’agression de février 2009. Dans le formulaire IMM 5611, le demandeur a expliqué que des membres de la Garde hongroise avaient fait tomber les sacs d’épicerie que les demandeurs tenaient dans leurs bras, les avaient forcés à s’agenouiller et avaient craché sur eux. L’exposé circonstancié initial déclarait que les demandeurs avaient été forcés de s’agenouiller et avaient été giflés. Il expliquait également que des skinheads avaient donné des coups au demandeur lorsqu’il s’était plaint que les skinheads avaient fait tomber ses sacs d’épicerie. Dans l’exposé circonstancié 1, le demandeur a écrit que les skinheads lui avait tordu le bras et l’avait battu jusqu’à ce qu’il perde le souffle. Il a également expliqué que les skinheads avaient forcé la demanderesse à s’agenouiller en la tirant par les cheveux et qu’ils avaient giflé Zsolt. La SPR a conclu qu’il s’agissait de trois versions de l’agression dont chacune était plus grave que la précédente.

[35]           Le témoignage donné par les demandeurs au sujet des blessures qu’il avait subies au cours de l’agression de février 2009 était également contradictoire. À l’audience, le demandeur a affirmé qu’il avait été blessé à la suite des coups qu’il avait reçus et que Zsolt avait été giflé. L’exposé circonstancié initial indiquait que Zsolt et lui portaient tous les deux des blessures visibles. La SPR a rejeté l’argument des demandeurs suivant lequel les contradictions en question s’expliquaient par l’inexactitude de la traduction.

[36]           Les éléments de preuve présentés au sujet du rôle que le chauffeur d’autobus avait joué lors de l’agression étaient également contradictoires. L’exposé circonstancié initial expliquait que le chauffeur d’autobus avait quitté son autobus pour se porter au secours des demandeurs et que les policiers avaient refusé de recueillir sa déposition. Selon l’exposé circonstancié 1, le chauffeur d’autobus avait dit aux skinheads d’arrêter, à défaut de quoi il appellerait la police. À l’audience, les demandeurs ont déclaré que le chauffeur avait dit aux skinheads qu’il appellerait la police s’ils l’empêchaient de faire son travail. De plus, l’exposé circonstancié initial indiquait que les policiers avaient refusé de recueillir la déposition du chauffeur d’autobus alors que les demandeurs ont dit à l’audience que le chauffeur avait refusé de faire une déclaration. Le témoignage des demandeurs sur ce point n’était pas fiable parce qu’il renfermait des contradictions.

[37]           Lors de l’audience devant la SPR, les demandeurs ont affirmé qu’ils avaient attendu pendant des heures au poste de police après l’agression pour ensuite se faire dire par les policiers qu’ils perdaient leur temps en portant plainte. Après que la SPR leur eût demandé s’ils avaient songé à demander de l’aide, ils ont répondu qu’ils demandaient de l’aide aux trente minutes. Leur témoignage était contradictoire et avait été adapté pour démontrer qu’ils avaient déployé des efforts plus énergiques pour obtenir de l’aide de la police. Leur témoignage n’était donc également pas digne de foi sur ce point.

[38]           Les demandeurs ont également ajouté à l’audience un détail qui ne se retrouvait pas dans leur exposé circonstancié initial. Ils ont expliqué qu’ils s’étaient rendus au CPDR pour y obtenir de l’aide, mais qu’on leur avait répondu que cet organisme n’avait aucune autorité sur la police. Le demandeur a expliqué à la SPR qu’il avait mentionné ce fait à l’agent d’immigration lorsqu’il avait rempli son formulaire IMM 5611, mais que ce détail ne se retrouvait dans le formulaire. Les demandeurs ont également affirmé que l’exposé circonstancié initial était incorrect sur ce point en raison d’une erreur d’interprétation de Farkas. La SPR a conclu que le demandeur disposait des services d’une interprète lorsqu’il avait rempli son formulaire IMM 5611 et que les demandeurs ne pouvaient imputer à Farkas tous les problèmes que comportait leur preuve. Les demandeurs n’avaient pas communiqué avec Farkas pour lui permettre de répondre à leurs allégations et ils auraient dû lui offrir l’occasion de réagir avant de contester la fidélité de son interprétation.

[39]           La SPR a également relevé des contradictions dans le témoignage donné par les demandeurs au sujet de l’expérience qu’ils avaient vécue aux bureaux du CPDR en Hongrie où ils s’étaient plaints de la suite que la police avait donnée à leur agression de février 2009. La demanderesse a expliqué que le CPDR ne pouvait rien faire au sujet de la réponse de la police sans rapport officiel. Le demandeur n’a toutefois jamais dit cela. Les demandeurs n’ont par ailleurs soumis aucun document démontrant qu’ils s’étaient adressés au CPDR en vue d’obtenir de l’aide, et ce, même s’ils auraient dû être en mesure de fournir cette preuve.

[40]           La SPR a conclu que les faits entourant l’agression de février 2009 ne correspondaient pas au récit que les demandeurs en avaient fait.

[41]           Troisièmement, la SPR a constaté l’existence de contradictions dans le témoignage que le demandeur avait donné au sujet de ses études, ajoutant que ces contradictions ne pouvaient s’expliquer par l’inexactitude de la traduction de Farkas ni être imputées à l’agent d’immigration qui avait rempli le formulaire IMM 5611 pour le demandeur. Selon l’exposé circonstancié 1, le demandeur n’avait qu’une huitième année, alors que le formulaire IMM 5611 indiquait qu’il avait une dixième année, dont deux années dans une école de métiers. Lors de l’audience de la SPR, le demandeur a expliqué que le gouvernement hongrois avait payé ses études à l’école de métiers après qu’il eut perdu son emploi. L’affirmation du demandeur suivant laquelle il n’avait qu’une huitième année était une déclaration inexacte visant à exagérer le préjudice auquel les demandeurs étaient exposés en Hongrie.

Risque au sens de l’article 96

[42]           Bien qu’elle ait conclu que, dans l’ensemble, la preuve soumise par les demandeurs n’était pas fiable parce qu’elle était contradictoire, la SPR a également analysé la question de savoir si les demandeurs seraient exposés à un risque de persécution en Hongrie parce qu’ils sont des Roms. La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas exposés à un tel risque étant donné que rien de ce à quoi ils seraient confrontés n’aurait pour effet de bafouer leurs droits fondamentaux d’une manière qui constituerait une menace à leur vie.

[43]           La SPR a estimé qu’une grande partie de la preuve relative au risque auquel les demandeurs seraient exposés n’était pas fiable. Elle s’est toutefois demandé s’ils étaient exposés au risque d’être persécutés en raison de la discrimination dont ils faisaient l’objet parce qu’ils sont des Roms. Bien que le demandeur et la demanderesse aient été victimes de discrimination en Hongrie, cette discrimination n’avait pas eu une incidence importante quant à leur capacité de gagner leur vie; ils étaient tous les deux devenus des chefs de file dans leur emploi. Les demandeurs secondaires avaient fait l’objet de discrimination à l’école, mais l’accès aux études ne leur avait pas été refusé et leurs droits fondamentaux n’avaient pas été violés.

[44]           La SPR a conclu que, si elle s’était effectivement produite, l’agression de février 2009 se résumait à un incident au cours duquel on leur avait craché au visage et les avait forcés à s’agenouiller. Il ne s’agissait pas d’une agression grave, persistante ou systémique.

[45]           La SPR a fait observer que la discrimination peut devenir grave au point de constituer une menace à la vie ou de porter atteinte à des droits fondamentaux. En l’espèce, la discrimination dont le demandeur avait été victime l’avait conduit à une tentative de suicide, selon le rapport de Mme Pilowsky. Celle‑ci a diagnostiqué chez le demandeur un trouble de stress post‑traumatique. La SPR a conclu que ce diagnostic reposait sur les mêmes éléments de preuve qu’elle avait jugés peu fiables, de sorte que l’origine du trouble dont souffrait le demandeur demeurait inconnue. La SPR a également conclu que le demandeur pouvait se faire soigner en Hongrie pour ce problème.

[46]           Bien que la discrimination dont les Roms font l’objet en Hongrie soit une réalité et qu’elle se traduise souvent par une qualité de vie amoindrie dans leur cas, il ne s’ensuit pas pour autant qu’on ait affaire à une négation de droits fondamentaux qui constituerait une menace à la vie dans le cas des demandeurs.

Protection de l’État

[47]           La question déterminante dans le cas de la demande d’asile des demandeurs était celle de la protection de l’État. La SPR a examiné les règles de droit relatives à la protection de l’État en faisant tout d’abord observer que, suivant l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, il existe une présomption que la protection de l’État est suffisante. Cette présomption ne peut être réfutée que par des éléments de preuve clairs et convaincants démontrant l’incapacité de l’État d’assurer une protection (Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94). De plus, la décision Zhuravlvev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 507, nous enseigne que le défaut des structures locales d’assurer un maintien de l’ordre efficace ne peut être assimilé à une absence de protection de l’État, à moins que ces failles ne s’inscrivent dans un cadre plus large permettant de conclure à l’incapacité de l’État de protéger ses citoyens.

Expérience vécue par les demandeurs

[48]           La SPR a conclu que le témoignage donné par le demandeur au sujet des démarches qu’ils avaient entreprises pour chercher à obtenir la protection de l’État n’était pas fiable. Elle a également conclu que, même si elle acceptait que les événements en question s’étaient produits comme les demandeurs les avaient relatés, ces derniers n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Si on y ajoutait foi, la version des faits des demandeurs démontrait seulement que la police hongroise n’est pas toujours capable d’arrêter les auteurs d’actes de violence, ce qui ne suffit pas pour réfuter la présomption de la protection de l’État.

[49]           La police hongroise n’avait pas été en mesure d’arrêter les gens qui avaient agressé les demandeurs en février 2009 soit parce que le chauffeur d’autobus n’était pas disposé à faire une déposition, soit parce que la police refusait de recueillir sa déposition. Les éléments de preuve que les demandeurs ont présentés pour démontrer ce qui s’était produit lorsqu’ils avaient signalé l’incident à la police n’étaient pas fiables. L’affirmation des demandeurs suivant laquelle les policiers les avaient éconduits après cinq heures d’attente démontre seulement les failles des services de l’ordre à l’échelle locale. Les demandeurs n’ont par ailleurs pas exercé d’autres recours pour pallier le refus des policiers d’accepter leur plainte, de sorte que l’expérience qu’ils ont vécue au poste de police ne réfute pas la présomption de la protection de l’État.

[50]           Aux fins de son analyse de la protection de l’État, la SPR a accepté de considérer comme véridique le récit des faits donné par le demandeur au sujet de l’agression qui s’était produite à bord du train en mars 2009. Elle a toutefois fait observer que le demandeur ne s’était pas adressé à la police pour obtenir de l’aide après cette agression, de sorte que cette expérience ne réfutait pas la présomption de la protection de l’État. De plus, même en acceptant qu’on avait provoqué la sortie de route de la voiture du cousin et du fils du cousin du demandeur en 2009, la police n’avait d’autre choix que de conclure qu’il s’agissait d’un accident parce que les témoins n’étaient pas prêts à parler de ce qu’ils avaient vu.

[51]           Les demandeurs ont également expliqué que la mère de la demanderesse avait trouvé des graffitis anti‑roms dans l’appartement que les demandeurs occupaient en Hongrie après leur départ pour le Canada. La police a enquêté sur cet incident, mais a suspendu son enquête après que ses tentatives en vue d’identifier leur auteur se soient avérées infructueuses. Cet événement ne réfutait pas la présomption de la protection de l’État, étant donné que la police affirmait qu’elle poursuivrait son enquête si de nouveaux renseignements venaient au jour. La SPR n’était pas en mesure de conclure que la police hongroise n’était pas disposée et apte à répondre aux appels des Roms.

[52]           La SPR a conclu que l’expérience vécue par les demandeurs en Hongrie permettait de penser que la police prend des mesures lorsqu’on s’adresse à elle. Bien que la police ne soit pas toujours en mesure d’empêcher les agressions ou de résoudre les crimes lorsque la preuve est insuffisante, cette situation ne démontre pas que la protection de l’État est insuffisante.

                        Preuve documentaire

[53]           À la lumière de l’expérience vécue par les demandeurs en Hongrie, la SPR a examiné d’autres éléments de preuve qui démontraient les mesures que le gouvernement hongrois prend en vue d’améliorer la situation des Roms. La SPR a conclu que le gouvernement hongrois fait des efforts sérieux pour réduire la discrimination dont les Roms sont victimes. Bien que les progrès soient lents, des changements positifs sont en train de se produire.

[54]           La SPR a fait observer que les attitudes de la société envers les Roms devaient changer pour que la discrimination dont ils font l’objet puisse diminuer. En Hongrie, le ralentissement récent de l’économie a eu pour effet d’aggraver l’extrémisme et la discrimination dont font l’objet les Roms. Ceux‑ci se voient souvent refuser l’accès aux logements sociaux et ils sont relégués dans des locaux séparés à l’école à cause de la discrimination. Le gouvernement hongrois a toutefois déclaré la Garde hongroise illégale et la Cour suprême hongroise a confirmé cette déclaration d’illégalité. À la suite d’un rassemblement de la Garde hongroise en 2007, la police hongroise a sévi contre un grand nombre de personnes en raison de leur implication dans ce mouvement illégal. En 2008, en réponse à une vague de violence, le chef de la police nationale hongroise a augmenté le nombre de détectives affectés aux enquêtes sur les violences commises contre des Roms.

[55]           Le ministère hongrois de la Justice et de l’Application de la loi gère présentement du Réseau de lutte contre la discrimination envers les Roms. Cet organisme offre de l’aide juridique aux Roms qui sont victimes de discrimination en raison de leurs origines ethniques et il est venu en aide à plus de 7 200 personnes depuis 2004. L’Autorité pour l’égalité de traitement offre également aux Roms un mécanisme leur permettant d’obtenir directement de l’aide en cas de discrimination. Les victimes de discrimination peuvent également s’adresser à la justice pour obtenir une indemnisation.

[56]           La SPR a conclu que les demandeurs avaient accès en Hongrie à des programmes qui leur permettaient de défendre leurs droits et de lutter contre la discrimination.

[57]           La SPR a également conclu que la Hongrie ne ferme pas les yeux sur la discrimination dont les Roms sont victimes et qu’en règle générale elle ne la permet pas. Il existe des lois visant à lutter contre la discrimination envers les Roms et le ministère de l’Intégration des Roms coordonne les mesures prises par le gouvernement pour faciliter l’intégration des Roms à la société. En 2007, le gouvernement hongrois a adopté le Plan stratégique de la décennie pour l’inclusion des Roms. À l’instar d’autres groupes minoritaires en Hongrie, les Roms peuvent élire leur propre gouvernement autonome représentant la minorité rome qui s’occupe d’éducation et de culture.

[58]           Bien que le sous‑emploi soit un problème chez les Roms, le gouvernement hongrois a consacré d’importantes ressources à des programmes de perspectives d’emploi et de formation pour s’attaquer au problème. En 2008, une entreprise a été mise à l’amende pour avoir refusé d’engager des gens en raison de leurs origines ethniques romes. Les programmes gouvernementaux ont permis à de nombreux Roms de se trouver du travail.

[59]           La SPR a estimé que les progrès étaient lents en matière d’éducation, mais qu’il existait des signes encourageants d’amélioration. Les enfants roms sont souvent soumis à un régime de ségrégation dans les écoles, ce qui contribue au sous‑emploi et à la pauvreté. Il existe toutefois des programmes mis en place pour remédier au problème de la ségrégation. En 2010, la Cour suprême de la Hongrie a accordé une indemnité à des enfants qui avaient été victimes de ségrégation, ce qui démontre que le système de justice exprime sa volonté de ne plus permettre à la discrimination de se poursuivre impunément.

[60]           En ce qui concerne l’accès au logement des Roms, les autorités se sont données pour objectif de réduire le nombre de ghettos roms. Le gouvernement hongrois a mis en place un programme visant à encourager les Roms à se réinstaller dans des maisons remises à neuf dans les villes et villages situés près du lieu où ils habitent. En 2009, la Cour de Budapest a mis à l’amende le deuxième district de Budapest pour avoir évincé 40 Roms de leur logement.

[61]           En ce qui concerne les attitudes racistes répandues, la Cour suprême de la Hongrie a jugé que les stations de radio commettaient une erreur en refusant de diffuser une publicité du parti politique Jobbik qui parlait des [traduction] « crimes des Tziganes ». Cette décision démontre que les tribunaux sont prêts à confirmer le droit de tout parti politique au même temps d’antenne pour faire campagne et que les diffuseurs ne sont pas responsables du contenu.

[62]           La SPR a conclu que même s’ils étaient lents, des progrès pouvaient être constatés en Hongrie et qu’il n’y avait aucun élément de preuve clair et convaincant que la Hongrie ne serait pas raisonnablement disposée à offrir une protection suffisante à ces citoyens. Même s’il est vrai que les demandeurs ont été maltraités en Hongrie, ils disposaient de divers moyens pour réagir à ces mauvais traitements.

[63]           La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention et qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Ces conclusions ont eu pour effet de régler le sort des demandes présentées tant en vertu de l’article 96 que de l’article 97 de la Loi.

QUESTIONS EN LITIGE

[64]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans la présente demande :

a.                   La SPR a‑t‑elle commis une erreur en n’excluant pas l’exposé circonstancié initial du dossier?

b.                  La SPR a‑t‑elle commis une erreur en se fondant sur l’exposé circonstancié initial?

c.                   La SPR a‑t‑elle omis de tirer des conclusions de fait nécessaires?

d.                  La SPR a‑t‑elle motivé suffisamment sa décision?

e.                   La conclusion tirée par la SPR au sujet de la protection de l’État était‑elle déraisonnable?

f.                   La SPR a‑t‑elle appliqué le mauvais critère en ce qui concerne la protection de l’État?

NORME DE CONTRÔLE

[65]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question qui lui est soumise est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. C’est seulement lorsque cette recherche est infructueuse que la cour de révision se livre à une analyse des quatre facteurs pertinents pour l’analyse relative à la norme de contrôle.

[66]           La première question remet en cause la décision de la SPR d’admettre certains éléments de preuve. Dans l’arrêt Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, la Cour d’appel fédérale a jugé, au paragraphe 43, que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne l’admissibilité de la preuve est celle de la décision raisonnable.

[67]           La deuxième question remet en cause la décision de la SPR d’ajouter foi aux éléments de preuve documentaire soumis par les demandeurs. Il est de jurisprudence constante que la SPR possède une compétence spécialisée en matière d’appréciation de la preuve et que ses conclusions commandent la déférence. La norme de contrôle applicable à la deuxième question est celle de la décision raisonnable (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 946 (CAF) et Ched c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1338, au paragraphe 19).

[68]           En ce qui concerne les troisième et quatrième questions, la Cour suprême du Canada a récemment jugé, dans l’arrêt  Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 14, que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. Les motifs doivent plutôt « être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». La Cour doit se demander si les motifs et le dossier appuient ensemble les conclusions de la SPR (voir également Lezama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 986, au paragraphe 22, et Niyonzima c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 299, au paragraphe 24).

[69]           Dans l’arrêt Carillo, précité, la Cour d’appel fédérale a déclaré, au paragraphe 36, que la norme de contrôle applicable à une conclusion tirée au sujet de la protection de l’État était celle de la décision raisonnable. Le juge Leonard Mandamin a suivi cette approche dans la décision Lozada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 397, au paragraphe 17, tout comme le juge Danièle Tremblay‑Lamer dans la décision Chaves c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193. La norme de contrôle applicable à la cinquième question est celle de la décision raisonnable.

[70]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[71]           La norme de contrôle applicable à la sixième question est celle de la décision correcte. Dans la décision Ramotar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 362, le juge Michael Kelen a conclu, au paragraphe 12, que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique lorsque le demandeur affirme que le décideur n’a pas appliqué le bon critère. Le juge Yves de Montigny a, au paragraphe 35 de la décision Saeed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1016, déclaré que la norme de contrôle de la décision correcte est celle qui s’applique pour l’examen de l’application par la SPR du critère de la protection de l’État. Le juge Paul Crampton est arrivé à une conclusion semblable dans la décision Cosgun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 400, au paragraphe 30.

DISPOSITIONS LÉGALES

[72]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou  occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

[…]

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[73]           Les dispositions suivantes des Règles s’appliquent également à la présente instance :

5. (1) Le demandeur d’asile remplit le formulaire sur les renseignements personnels et signe et date la déclaration figurant sur le formulaire portant :

 

a) que les renseignements qu’il fournit sont complets, vrais et exacts;

 

b) qu’il sait que la déclaration a la même force et le même effet que si elle était faite sous serment.

 

[…]

 

(3) Si le demandeur d’asile remplit le formulaire sur les renseignements personnels avec l’aide d’un interprète, ce dernier signe et date la déclaration y apparaissant attestant :

 

a) qu’il maîtrise les langues ou dialectes utilisés et qu’il a pu communiquer parfaitement avec le demandeur d’asile;

 

 

 

b) qu’il a interprété pour le demandeur d’asile le formulaire rempli et tout document joint à celui‑ci;

 

c) que le demandeur d’asile lui a assuré qu’il avait bien compris ce qui avait été interprété pour lui.

 

[…]

 

6. […] (4) Pour modifier un renseignement fourni sur le formulaire sur les renseignements personnels, le demandeur d’asile transmet à la Section trois copies de toute page du formulaire qui doit être modifiée. Il date et signe chaque page ainsi modifiée et souligne la modification. Le présent paragraphe ne s’applique pas dans le cas d’une modification du choix de la langue des procédures ou de celle de l’interprétation.

 

5. (1) The claimant must complete the Personal Information Form and sign and

date the included declaration that states that

 

 

(a) the information given by the claimant is complete, true and correct; and

 

(b) the claimant knows that the declaration is of the same force and effect as if made under oath.

 

 

(3) If the claimant completes the Personal Information Form with an interpreter, the interpreter must sign and date the included declaration that states

 

 

(a) the interpreter is proficient in the languages or dialects used, and was able to communicate fully with the claimant;

 

 

(b) the completed form and all attached documents were interpreted to the claimant; and

 

 

(c) the claimant assured the interpreter that the claimant understood what was interpreted.

 

 

6. … (4) If a claimant wants to change any information given in the Personal Information Form, the claimant must provide to the

Division three copies of each page of the form to which changes have been made.

The claimant must sign and date each new page and underline the change made. This subsection does not apply to a change in the choice of language for the proceedings or the language of interpretation.

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Les demandeurs

            Refus d’exclure l’exposé circonstancié initial

 

[74]           Les demandeurs affirment que la SPR aurait dû exclure l’exposé circonstancié initial parce que ce document renferme des erreurs de traduction. En se fondant sur ce document, la SPR a violé leur droit à l’équité procédurale.

[75]           Les demandeurs ont découvert que la traduction de l’exposé circonstancié initial comportait des erreurs et ils ont soumis des exposés modifiés à la SPR. Les Règles leur reconnaissaient le droit de soumettre des exposés circonstanciés modifiés. Toutefois, la SPR a violé leur droit à l’équité procédurale en acceptant l’exposé circonstancié initial et en se fondant sur ce document pour tirer des conclusions négatives au sujet de la crédibilité.

[76]           La traduction de l’exposé circonstancié initial renfermait d’importantes erreurs, mais la SPR s’est concentrée sur des facteurs non pertinents ou secondaires pour décider de ne pas radier cet élément de preuve du dossier. Au lieu d’agir comme elle l’aurait dû, la SPR a reproché aux demandeurs de ne pas avoir réussi à retrouver Farkas. La SPR a également fait preuve d’un excès de zèle lorsqu’elle a analysé la lettre du CCR, et ce, malgré le fait qu’elle avait laissé entendre aux demandeurs que cette lettre répondrait à ses préoccupations en ce qui concerne la question de la traduction. Bien que la lettre du CCR confirme les faits pertinents, la SPR a fondé son refus de radier l’exposé circonstancié initial sur des passages non pertinents de cette lettre. La SPR n’a pas cherché à déterminer la gravité des erreurs de traduction.

Omission de tirer les conclusions de fait nécessaires

[77]           La SPR avait l’obligation de tirer des conclusions claires au sujet des faits allégués par les demandeurs, mais elle ne l’a pas fait. Sa conclusion suivant laquelle les faits relatés par les demandeurs s’étaient produits, mais pas « comme les [demandeurs] veulent me le faire croire », constitue une conclusion de fait inacceptable. La SPR a fait défaut d’accepter ou de rejeter les éléments de preuve d’une manière qui permettrait de procéder à un véritable contrôle de sa décision. Les demandeurs alléguaient qu’ils avaient été agressés par des membres de la Garde hongroise en février 2009, mais la SPR a seulement conclu que cet incident ne s’était pas déroulé comme les demandeurs le lui avaient expliqué.

[78]           La SPR n’a également pas tiré de conclusion claire au sujet de la crédibilité en ce qui concerne tous les demandeurs. La SPR aurait dû évaluer séparément la demande d’asile de Zsolt parce qu’il était un adulte au moment où elle a entendu les demandes d’asile des demandeurs.

            Insuffisance des motifs

[79]           Le défaut de la SPR de tirer les conclusions de fait nécessaires fait en sorte que ses motifs sont insuffisants. Ses motifs ne démontrent pas pourquoi elle a conclu que les incidents vécus par les demandeurs ne constituaient pas de la persécution. Sa décision est également insuffisamment motivée parce que les motifs ne permettent pas de savoir quelles normes de persécution elle a appliquées.

Conclusions déraisonnables

[80]           En concluant que les demandeurs pouvaient compter sur une protection suffisante de l’État en Hongrie, la SPR n’a retenu que les éléments de preuve qui allaient dans le sens de ses conclusions. Elle a également minimisé les éléments de preuve qui allaient à l’encontre de ses conclusions. De plus, la SPR n’a pas appliqué le bon critère en ce qui concerne la protection de l’État lorsqu’elle s’est penchée sur la volonté de la Hongrie de protéger ses citoyens plutôt que de se demander si la protection offerte par la Hongrie était suffisante. La SPR ne s’est pas demandé si les changements mis en œuvre par la Hongrie étaient sérieux, efficaces ou durables.

[81]           La SPR a également agi de façon déraisonnable en ignorant plusieurs éléments de preuve documentaires qui avaient été portés à sa connaissance. Selon Le Country Reports on Human Rights Practices for 2006: Hungary du Département d’État des États‑Unis, en Hongrie, la plupart des Roms craignent les violences policières et font l’objet d’une discrimination généralisée. Un rapport d’Amnistie internationale indique par ailleurs qu’il existe une attitude répandue de xénophobie à l’égard des Roms. De plus, un rapport du Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme intitulé UN Expert on Minority Issues Concludes Visit to Hungary with Call for Continued Efforts to Address Problems Faced by Roma Minority, révèle que la discrimination et la violence dont font l’objet les Roms persistent en Hongrie malgré les efforts déployés par l’État pour les enrayer.

[82]           La SPR n’a pas expliqué en quoi le fait que la Hongrie est une démocratie et qu’elle déploie des efforts pour intégrer les Roms était suffisant pour réfuter les éléments de preuve clairs et convaincants présentés par les demandeurs pour démontrer que la Hongrie n’était pas en mesure de les protéger.

Le défendeur

            Le refus d’exclure l’exposé circonstancié initial était raisonnable

 

[83]           La SPR n’a pas commis d’erreur en refusant d’exclure du dossier l’exposé circonstancié initial. Pour parvenir à cette décision, la SPR a relevé des contradictions importantes dans les éléments de preuve que les demandeurs avaient soumis pour démontrer que la traduction de l’exposé circonstancié initial n’était pas fidèle. Les demandeurs affirment que le CCR leur a recommandé Farkas et qu’ils avaient vu cette dernière sortir des bureaux du CCR. Lorsque la SPR leur a demandé quelles démarches ils avaient entreprises pour entrer en communication avec Farkas, les demandeurs ont répondu qu’elle avait déménagé, mais qu’ils avaient tenté de communiquer avec elle au CCR. Bien que les demandeurs affirment qu’ils aient tenté d’obtenir le numéro de téléphone de Farkas du CCR, la lettre du CCR indique que le CCR ignorait qui était Farkas et qu’il n’avait pas été en contact avec elle. Ces éléments de preuve contredisent directement le témoignage des demandeurs.

[84]           Les demandeurs affirmaient également qu’ils avaient rencontré Farkas au CCR en 2009. Toutefois, suivant la lettre du CCR, ils ne s’étaient présentés aux bureaux du CCR pour la première fois qu’en février 2010. Le demandeur a également déclaré qu’il ne s’était pas présenté aux bureaux du CCR avant 2010. La SPR a conclu avec raison que les demandeurs ne s’étaient pas présentés aux bureaux du CCR en 2009, de sorte qu’ils ne pouvaient y avoir rencontré Farkas comme ils le prétendaient.

[85]           Il était raisonnable de la part de la SPR de conclure qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve fiable démontrant que Farkas ne se serait pas contentée de consigner par écrit précisément ce que les demandeurs lui disaient. Les demandeurs ont signé des déclarations à cet effet dans leur FRP et ont déclaré que les formulaires et les pièces jointes leur avaient été traduits. Farkas a également signé la déclaration de l’interprète affirmant qu’elle avait elle‑même interprété les FRP et les pièces jointes aux demandeurs.

[86]           Il était raisonnable de la part de la SPR de refuser de radier l’exposé circonstancié initial du dossier vu l’ensemble des faits dont elle disposait.

Les conclusions tirées au sujet de la crédibilité étaient raisonnables

[87]           Suivant l’arrêt Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228 (CAF), la SPR peut tirer des conclusions négatives au sujet de la crédibilité à condition de le faire en des termes clairs et non ambigus. Dans le cas qui nous occupe, la SPR a relevé dans la preuve des demandeurs les contradictions suivantes qui l’ont amenée à conclure que la preuve que les demandeurs avaient présentée n’était pas fiable :

a.                   L’exposé circonstancié 1 indiquait que le cousin du demandeur et son fils avaient été tués dans un accident de voiture en janvier 2009, alors que, selon l’exposé circonstancié initial, c’était un ami du demandeur et le fils de cet ami qui avaient été tués en janvier 2008;

b.                  Il est indiqué dans l’exposé circonstancié 1 que la police avait considéré qu’il s’agissait d’un simple accident de voiture parce qu’elle ne croyait pas les témoins, alors que dans leur témoignage, les demandeurs ont affirmé que les personnes qui avaient été témoins de l’accident avaient peur de témoigner devant la police;

c.                   Les demandeurs ont déclaré que l’accident avait fait l’objet d’un reportage et qu’il en avait été question sur Internet, mais ils n’ont pas été en mesure de présenter des éléments de preuve documentaires démontrant à la SPR que c’était effectivement le cas;

d.                  Les demandeurs ont donné de l’agression de février 2009 des versions dont chacune était plus grave que la précédente;

e.                   Il est allégué dans l’exposé circonstancié initial que le chauffeur d’autobus avait amené les demandeurs au poste de police où les policiers avaient refusé de recueillir sa déposition, alors que dans leur témoignage, les demandeurs ont affirmé que le chauffeur d’autobus n’était pas prêt à témoigner pour eux;

f.                   Les demandeurs ont initialement déclaré qu’ils avaient attendu pendant plusieurs heures au poste de police pour ensuite changer leur version des faits pour dire qu’ils s’étaient levés pour demander de l’aide toutes les trente minutes.

 

[88]           Il est loisible à la SPR de vérifier la crédibilité d’un demandeur d’asile en comparant les différentes versions de son témoignage à divers moments du processus d’examen de sa demande d’asile. La SPR peut à bon droit tirer des conclusions négatives des contradictions qu’elle relève entre les témoignages donnés à divers moments (Eustace c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1553; RKL c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 116).

[89]           Bien que les demandeurs prétendent le contraire, la SPR a tiré des conclusions claires sur l’ensemble des éléments de preuve qui, selon elle, n’étaient pas fiables. Parce que les demandes d’asile des demandeurs reposaient sur les mêmes incidents, la SPR n’était pas tenue de tirer une conclusion distincte au sujet de la crédibilité de Zsolt. Si l’on fait exception de la discrimination dont il faisait l’objet à l’école, Zsolt n’a allégué aucun fait différent de ceux invoqués par les autres demandeurs et la SPR a accepté que ces faits s’étaient effectivement produits.

            La discrimination n’équivalait pas à de la persécution

[90]           La SPR a accepté que les demandeurs ont été maltraités en Hongrie, mais elle a conclu que ces mauvais traitements n’équivalaient pas à de la persécution étant donné que leurs droits fondamentaux n’avaient pas été violés. Il s’agit d’une conclusion que la SPR avait le droit de tirer vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait et la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de cette conclusion (Sedigheh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 147, aux paragraphes 29 à 36). Le demandeur et la demanderesse ont pu se trouver du travail et les demandeurs secondaires ont pu continuer à fréquenter l’école. Les événements que les demandeurs ont vécus ne les ont pas privés de leurs droits fondamentaux. Il s’agissait d’une conclusion raisonnable que la SPR pouvait tirer vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait.

            La conclusion tirée au sujet de la protection de l’État était raisonnable

[91]           La SPR a également tiré une conclusion raisonnable en estimant que les demandeurs pouvaient compter sur la protection de l’État en Hongrie. Cette conclusion a eu pour effet de sceller le sort de leurs demandes fondées sur les articles 96 et 97. La SPR a examiné à fond les éléments de preuve dont elle disposait au sujet des mesures prises par la Hongrie pour réagir aux crimes commis contre les Roms. La SPR a conclu que, même si les Roms continuent de faire l’objet de violences en Hongrie, le gouvernement hongrois s’est engagé à les protéger. La SPR a également conclu que les Roms pouvaient compter sur la protection de la police et sur d’autres ressources en Hongrie. Les arguments formulés par les demandeurs sur ce point reviennent à demander à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve qui avait été soumise à la SPR. Or, la Cour ne peut le faire dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (Camacho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 830, au paragraphe 10).

[92]           Suivant les demandeurs, la SPR a omis d’examiner certains des éléments de preuve documentaire dont elle disposait. Toutefois, les éléments de preuve sur lesquels la SPR s’est fondée – qui démontrent que des progrès importants ont été réalisés en Hongrie au cours des dernières années – sont plus récents que ceux invoqués par les demandeurs. Ceux‑ci peuvent signaler des éléments de preuve versés au dossier qui démontrent qu’ils ne peuvent compter sur la protection de l’État, mais la SPR a le droit de choisir les éléments de preuve qu’elle préfère dès lors qu’elle ne tire pas de conclusions factuelles qui sont arbitraires ou abusives.

L’examen des éléments de preuve sur la réponse de la police était raisonnable

[93]           La SPR a présumé que les faits allégués par les demandeurs s’étaient effectivement produits lorsqu’elle a analysé la façon dont la police hongroise avait répondu à leurs plaintes. Elle a conclu de façon raisonnable que la police hongroise était disposée et apte à répondre aux demandes d’aide des Roms. La preuve ne permettait pas de savoir avec certitude ce que la police aurait pu faire en réponse à l’accident de voiture de janvier 2009 sinon de le considérer comme un simple accident. Il était également raisonnable de la part de la SPR de conclure que la police ne pouvait rien faire de plus au sujet des graffitis dessinés dans l’appartement des demandeurs, étant donné qu’on ne pouvait en identifier l’auteur. De plus, même si la SPR a accepté que la police avait réagi comme les demandeurs l’affirmaient après l’agression de février 2009, elle a conclu de façon raisonnable qu’il ne s’agissait que d’une faille du service de police local qui ne permettait pas de réfuter la présomption de protection de l’État.

Réponse des demandeurs

[94]           Les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur en se fondant sur l’exposé circonstancié initial puisqu’ils l’ont remplacé par des exposés circonstanciés modifiés. Ils ont suivi les Règles en soumettant les documents en question avant l’audience de sorte que la SPR n’aurait pas dû leur reprocher les contradictions qu’elle avait constatées entre l’exposé circonstancié initial et les exposés circonstanciés modifiés, à défaut de quoi le droit que les Règles leur reconnaissent de procéder à des corrections est illusoire. Sinon, toute correction apportée à un FRP par un demandeur d’asile pourrait être qualifiée de contradiction.

[95]           Les demandeurs ont corrigé leur exposé circonstancié dès qu’ils se sont rendu compte des erreurs de traduction. Les erreurs de traduction de l’exposé circonstancié initial étaient en anglais de sorte qu’ils ne pouvaient s’en apercevoir qu’après les avoir fait traduire par un traducteur professionnel. Ils citent la décision Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 309, dans laquelle le juge Denis Pelletier déclare, aux paragraphes 27 et 28 :

[L]es plaintes portant sur la qualité de l’interprétation doivent être présentées à la première occasion, savoir devant la SSR, chaque fois qu’il est raisonnable de s’y attendre.

 

La question de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une plainte soit présentée est une question de fait, qui doit être déterminée dans chaque cas. Si l’interprète a de la difficulté à parler la langue du demandeur ou à se faire comprendre par lui, il est clair que la question doit être soulevée à la première occasion. Par contre, si les erreurs se trouvent dans la langue dans laquelle a lieu l’audience, que le demandeur ne comprend pas, il ne peut être raisonnable de s’attendre à ce qu’il y ait eu plainte à ce moment‑là.

 

[96]           Même si la SPR n’a pas violé le droit des demandeurs à l’équité procédurale en se fondant sur une traduction inexacte de l’exposé circonstancié initial, elle a fait preuve d’un zèle excessif en s’efforçant de découvrir des contradictions entre cet exposé circonstancié et les exposés circonstanciés modifiés. Dans la décision Malala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 94, le juge Jean‑Eudes Dubé a déclaré, au paragraphe 24 qu’« [u]n demandeur doit avoir l’occasion de s’expliquer pleinement face aux incohérences perçues ».

[97]           La SPR a également omis de tirer des conclusions de fait claires sur lesquelles elle pouvait appuyer ses conclusions au sujet de la crédibilité. Il lui était donc impossible, dans ces conditions, de tirer une conclusion raisonnable au sujet de la crédibilité.

Mémoire complémentaire du défendeur

[98]           Il était en l’espèce loisible à la SPR de rejeter l’argument des demandeurs suivant lequel Farkas avait mal traduit leur exposé circonstancié initial. Il était également loisible à la SPR de se fonder uniquement sur les contradictions relevées entre l’exposé circonstancié initial et les exposés circonstanciés modifiés pour conclure que les demandeurs n’étaient pas crédibles. Les demandeurs pouvaient, à l’époque, compter sur les services d’un avocat lorsqu’ils ont rempli leur exposé circonstancié initial et déclaré que le document leur avait été traduit. Il était loisible à la SPR de conclure que Sarkas n’était pas responsable des divergences entre les divers exposés circonstanciés.

[99]           La conclusion de la SPR suivant laquelle les Roms peuvent compter sur la protection de l’État en Hongrie était raisonnable et notre Cour a déjà confirmé des conclusions semblables par le passé.

ANALYSE

[100]       Les demandeurs invoquent trois moyens pour affirmer que la SPR a commis une erreur susceptible de révision. Je vais les examiner à tour de rôle. Je tiens à signaler d’entrée de jeu que les demandeurs ont cité très peu de précédents à l’appui de leurs arguments. Cette situation s’explique en grande partie par le fait que leurs allégations supposent une lecture particulière de la décision qui ne tient pas la route lorsqu’on lit la décision dans son ensemble.

Radiation de l’exposé circonstancié initial

[101]       Les demandeurs affirment que la SPR aurait dû radier l’exposé circonstancié initial du dossier comme ils le lui demandaient et qu’elle n’aurait pas dû se fonder sur ce document pour apprécier leur crédibilité. Ils ne citent aucun précédent à l’appui de cet argument. En fin de compte, l’allégation suivant laquelle l’exposé circonstancié initial renferme des erreurs de traduction n’est appuyée par aucun élément de preuve objectif. Les demandeurs n’ont pas été en mesure de démontrer que l’interprète avait des liens avec le CCR et leur affirmation qu’ils l’ont rencontrée au bureau du CCR en 2009 est contredite par les éléments de preuve suivant lesquels ils ne se sont présentés au plus tôt aux bureaux du CCR qu’à l’été 2010.

[102]       Parmi les éléments de preuve soumis à la SPR sur ce point, mentionnons le FRP des demandeurs dans lequel se trouvaient leurs déclarations ainsi que l’exposé circonstancié initial, les attestations des demandeurs suivant lesquelles ils étaient bien les auteurs de l’exposé circonstancié initial ainsi que la déclaration de l’interprète suivant laquelle la traduction était fidèle. D’après ces éléments de preuve, on ne peut qualifier de déraisonnable la conclusion à laquelle la SPR est arrivée en vertu de son pouvoir discrétionnaire. D’autres conclusions auraient pu être possibles, mais il ne s’ensuit pas pour autant que la SPR a agi de façon déraisonnable en n’acceptant pas les simples allégations des demandeurs (contredites par la documentation) suivant lesquelles les contradictions constatées entre leurs exposés circonstanciés devaient être attribuées à des erreurs de traduction.

[103]       Il était raisonnable de la part de la SPR de se fonder sur ces facteurs pour rejeter l’explication des demandeurs suivant laquelle leur premier FRP contenait des erreurs de traduction. Ainsi que le juge Yvon Pinard le souligne dans la décision Begolli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1289, au paragraphe 6 :

 

Le demandeur a déclaré dans son FRP que son frère, aidé de son beau‑frère, est allé inspecter sa maison. Ils ont été bouleversés quand ils ont vu dans quel état elle était. Pourtant, le demandeur soutient que son frère était à sa recherche pour le tuer. Que son frère, qui voulait le tuer, se rende à sa maison pour prendre certaines de ses affaires et soit bouleversé de la voir dans un tel état, voilà une affirmation qui n’a pas de sens. Le demandeur rejette la responsabilité de cette contradiction sur l’interprète. Or, l’interprète a déclaré et certifié qu’elle avait interprété fidèlement et intégralement le contenu du formulaire et que le demandeur avait indiqué l’avoir bien compris. Il était donc raisonnable que la Commission arrive à la conclusion que les explications du demandeur n’étaient pas plausibles. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[104]       Les demandeurs soutiennent également que la SPR a entravé son pouvoir discrétionnaire en décidant qu’elle ne pouvait radier le premier FRP. Ils attirent l’attention de la Cour sur l’échange suivant qu’on trouve aux pages 546 et 547 de la transcription :

[traduction] 

Commissaire :              Vous voyez […] je crois qu’il y a [...] je veux dire je crois que des modifications pourraient être nécessaires parce qu’il pourrait y avoir des erreurs de date, des erreurs mineures, des renseignements qui n’étaient pas disponibles plus tôt, des choses qui se sont produites depuis que les demandeurs ont déposé leur formulaire de renseignements personnels. [Mais] vous savez pour des choses qui se sont produites en même temps [...] et, là encore, je dois discerner entre ce qui est important et ce qui l’est moins, mais il me semble que ce n’est pas ce à quoi servent des modifications à un formulaire de renseignements personnels. Nous revenons au point de départ, c’est‑à‑dire que, suivant votre thèse, la seule chose qui compte [...] ne me dites rien, ne me soumettez que votre formulaire de renseignements personnels définitif et c’est celui dont nous nous servirons. Alors je ne crois pas que ce soit le cas.

Avocat :                      Je suis d’accord avec vous que cela ne devrait pas être cela, avec raison. Je vous donne deux paragraphes juste pour commencer le formulaire de renseignements personnels et je vous reviens dans une trentaine ou une vingtaine de jours avant l’audience avec un nouveau formulaire de renseignements personnels. Ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce, Monsieur le Commissaire. Je ne crois pas qu’on a abusé ainsi de la procédure.

Commissaire :              Je ne dis pas que c’est le cas, mais je suivais votre raisonnement [...]

Avocat :                      Ce n’est pas ma façon de penser et j’évite habituellement de déposer à la dernière minute des modifications, comme vous le savez probablement depuis le temps que nous travaillons ensemble, j’aurais pu modifier un grand nombre de formulaires de renseignements personnels dans les affaires qui vous ont été soumises, mais je ne l’ai pas fait parce que ce n’est pas une façon appropriée de procéder. Dans le cas qui nous occupe, il s’avère que nous dépendions d’une personne qui parle anglais et hongrois et que je dépendais de la traductrice hongroise qui m’a traduit la déclaration en anglais. Je l’ai ensuite déposée. Ce qu’elle leur a expliqué en retraduisant le formulaire de renseignements personnels, je n’en suis pas certain, mais les demandeurs n’ont rien compris de ce que la traductrice m’a dit en anglais. Ainsi, lorsque tout cela a été révélé lorsque nous nous préparions pour l’audience, j’ai recouru au service d’un autre interprète, ce qui a justifié le dépôt de formulaires de renseignements personnels modifiés et j’ai tenté alors de les modifier correctement. C’est ainsi que nous avons soumis une nouvelle page de signature, c’est‑à‑dire la page du nouveau formulaire de renseignements personnels où se trouve la signature du nouvel interprète et c’est la raison pour laquelle j’ai déposé ce document. Sinon, je me serais contenté de faire une modification.

Commissaire :              Eh bien, je comprends bien ce que vous dites et j’en prends bonne note. Je vais l’examiner en fonction des autres éléments de preuve dont je dispose.

Avocat :                      Mais je vois pourquoi vous dites qu’il peut y avoir des abus [...]

Commissaire :              Je crois que vous comprenez [...] Je ne peux imaginer qu’un commissaire se contenterait d’accepter le formulaire de renseignements personnels final qui lui est soumis, mais [...]

Avocat :                      Nous allons appeler le [...], mais tout cela dépend aussi de [...] Je crois, qu’en tant qu’avocat, je peux retirer l’ancien exposé circonstancié et déposer un nouvel exposé ou ajouter une modification.

Commissaire :              Je ne crois pas que vous puissiez retirer l’ancien une fois que vous [...]

Avocat :                      C’est pourquoi je songeais plutôt à le remplacer dans le cas qui nous occupe.

Commissaire :              Je n’ai jamais entendu parler de remplacement [...]

Avocat :                      Il n’y a pas ce que vous considéreriez une question juridique, nous pouvons certainement argumenter à ce sujet. <inaudible>.

Commissaire :              Bien, encore une fois [...]

Avocat :                      Je crois que mon intention était de remplacer l’ancien par le nouveau.

Commissaire :              Je crois que vous allez avoir du mal à trouver un commissaire qui accepterait ce genre de raisonnement parce que [...], mais je comprends bien que le problème que vous soulevez concernait l’interprète et, là encore, je dois apprécier cet élément de preuve avec tout le reste pour voir si [...] c’est raisonnable ou déraisonnable et [...]

 

[105]       Je ne crois pas que, dans ce passage, la SPR affirme qu’elle ne peut radier le FRP précédent du dossier si elle choisit d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour le faire. Tout ce que la SPR dit, c’est que les demandeurs ne peuvent automatiquement remplacer un FRP par un autre. La SPR précise bien qu’il serait difficile de convaincre un commissaire d’accepter [traduction] « ce genre de raisonnement » et qu’il s’agit d’un élément à apprécier [traduction] « avec tout le reste ». Affirmer qu’il serait difficile de convaincre la SPR de radier ou d’écarter au complet un FRP antérieur ne revient pas à dire que la SPR ne peut le faire. En tout état de cause, ainsi qu’il ressort clairement de la décision, la SPR n’a pas refusé de radier le premier FRP du dossier parce qu’elle estimait qu’elle n’avait pas le pouvoir ou la compétence pour le faire. Elle a formulé des motifs convaincants pour justifier son rejet de la requête en radiation au paragraphe 8 de sa décision, et elle ne mentionne pas qu’elle n’a pas la compétence ou le pouvoir de radier le document. La SPR n’a pas accepté les motifs invoqués par les demandeurs pour justifier la radiation de l’exposé circonstancié et il s’agissait d’une conclusion raisonnable, vu l’ensemble de la preuve dont la SPR disposait : « Compte tenu de ce qui précède, je rejette la demande formulée par le conseil afin que le FRP et l’exposé circonstancié originaux soient radiés du dossier ».

Défaut de tirer des conclusions de fait claires

[106]       Les demandeurs affirment que la SPR n’a pas tiré de conclusions de fait claires [traduction] « au sujet des faits [qu’ils ont] allégués [...] qui se sont produits et qui ne se sont pas produits ».

[107]       Cet argument repose sur les mots employés par la SPR lorsqu’elle conclut que les faits ne se sont pas produits « comme les demandeurs [d’asile] veulent me le faire croire ».

[108]       À mon avis, les demandeurs cherchent à faire prévaloir la forme sur le fond. Lorsqu’on interprète la décision dans son ensemble et qu’on replace les passages contestés dans leur contexte, il est clair que la SPR affirme que les incidents relatés par les demandeurs ne peuvent être invoqués comme éléments de preuve tendant à démontrer l’existence d’une persécution au sens de l’article 96 ou d’un risque au sens de l’article 97.

[109]       Dans sa décision, la SPR explique également pourquoi les expériences qu’elle a acceptées n’étaient pas suffisamment graves pour pouvoir être considérées comme de la persécution.

[110]       De plus, la demande de Zsolt reposait sur celle de ses parents et elle a donc été rejetée pour les mêmes motifs. Par ailleurs, compte tenu du libellé impératif du paragraphe 49(1) des Règles, la SPR n’a pas commis d’erreur en instruisant ces demandes conjointement.

[111]       Il n’est toutefois pas nécessaire que je tire de conclusion sur cette question étant donné que la décision renferme une conclusion subsidiaire indépendante au sujet de la suffisance de la protection de l’État dans laquelle l’exposé circonstancié des demandeurs est présumé véridique.

Interprétation sélective de la preuve pour tirer une conclusion au sujet de la protection de l’État

[112]       Après avoir conclu que les éléments de preuve personnels des demandeurs ne suffisaient pas pour justifier une demande fondée sur l’existence d’une persécution au sens de l’article 96 ou d’un risque au sens de l’article 97, la SPR s’est ensuite penchée à juste titre sur la question de savoir « s’il existe une possibilité sérieuse que les demandeurs d’asile soient persécutés du simple fait qu’ils sont des Roms ». Ainsi que la SPR l’explique clairement à cet égard, « la question déterminante est celle de savoir si les demandeurs d’asile ont réfuté la présomption de protection de l’État ».

[113]       La SPR poursuit en analysant de façon détaillée et approfondie la situation des Roms en Hongrie et la volonté et la capacité de l’État de les protéger. Les demandeurs sont en désaccord avec les conclusions de la SPR.

[114]       En premier lieu, les demandeurs affirment que la SPR a fait une utilisation sélective de la preuve et ils citent des documents qui appuient à leur avis leur position suivant laquelle les Roms ne peuvent compter sur une protection suffisante de l’État en Hongrie.

[115]       Rien ne permet de penser que la SPR n’a pas examiné tous les éléments de preuve dont elle disposait au sujet de la protection de l’État. Le fait que les demandeurs soient en mesure de citer des documents et des extraits qui appuient leur thèse ne constitue pas une preuve que la SPR a tiré une conclusion déraisonnable (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 946, Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] CAF no 598, et Wijekoon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 758). La SPR reconnaît pleinement la situation difficile à laquelle les Roms sont confrontés en Hongrie et prend acte du défaut de l’État de les protéger par le passé et même de lacunes plus récentes.

[116]       Mais il s’agit d’une situation qui est en train d’évoluer et à l’égard de laquelle la SPR devait identifier et apprécier divers facteurs et incidents. La Cour ne peut procéder à une nouvelle appréciation de la preuve pour faire plaisir aux demandeurs (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 29). L’examen de la décision me donne à penser que la SPR s’est attaquée à cette tâche difficile de façon rigoureuse et avec un esprit ouvert en tenant compte de l’ensemble de la preuve. Ses conclusions ne contredisent pas celles que l’on trouve dans d’autres décisions pertinentes que notre Cour a examinées et jugées raisonnables (voir, par exemple, Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 253, Balogh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 216, et Banya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 313).

[117]       On ne peut pas dire non plus que la SPR ne s’est attardée qu’à la volonté de l’État de protéger ses citoyens et qu’elle n’a pas tenu compte de ce que le juge Richard Mosley appelle « le caractère satisfaisant des efforts concrets déployés » (E.Y.M.V. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364, au paragraphe 16).

[118]       La SPR a reconnu que « l’efficacité de la protection [est] un facteur pertinent ». Elle ajoute toutefois que « même si j’acceptais les allégations concernant les attaques, certains éléments de preuve démontrent que les autorités sont intervenues pour aider les demandeurs d’asile ». Les demandeurs n’ont pas remis en question cette conclusion, qui doit donc être confirmée.

[119]       Il s’ensuit en fait que la conclusion tirée en l’espèce au sujet de la protection de l’État constitue un motif distinct et indépendant justifiant de rejeter la demande d’asile et que cette conclusion repose sur une acceptation du récit circonstancié que les demandeurs ont fait des agressions dont ils ont été victimes. En conséquence, même si les demandeurs ne sont pas en mesure de démontrer que leur exposé circonstancié initial aurait dû être radié et/ou que la SPR a agi de façon déraisonnable en tirant ses conclusions au sujet de la crédibilité, cette décision doit quand même être confirmée étant donné que la conclusion que la SPR a tirée au sujet de la protection de l’État reposait sur l’acceptation de la version des faits des demandeurs et sur une appréciation raisonnable des efforts concrets déployés par l’État et témoignant de la volonté de ce dernier de les protéger.

[120]       La SPR précise clairement qu’elle devait aller au‑delà du cadre législatif qui existe en Hongrie :

Je dois me pencher sur les efforts que l’État déploie dans son ensemble pour améliorer la situation des Roms. Ces efforts sont‑ils sérieux, et quels en sont les effets? Les demandeurs d’asile peuvent‑ils raisonnablement se prévaloir de la protection de l’État et s’attendra à bénéficier d’une protection adéquate?

 

 

[121]       La SPR poursuit en examinant en détail des éléments de preuve fouillés et en répondant à ces questions. On peut être en désaccord avec ses conclusions, mais on ne saurait prétendre qu’elles étaient déraisonnables ou qu’elles ne répondent pas aux critères de l’arrêt Dunsmuir.

[122]       Les demandeurs ont proposé la question suivante aux fins de certification :

[traduction] La SPR a‑t‑elle entravé son pouvoir discrétionnaire et commis une erreur de droit en décidant qu’elle ne pouvait permettre que le FRP soit radié du dossier et remplacé par un nouveau FRP?

 

 

[123]       Ainsi que je l’ai expliqué dans mes motifs, cette question ne se pose pas eu égard aux faits de la présente affaire. La SPR a rejeté la requête en radiation en exerçant de façon raisonnable son pouvoir discrétionnaire et non en se fondant sur l’hypothèse juridique qu’elle n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de radier le premier FRP du dossier.

[124]       De plus, la réponse à une telle question ne devrait pas sceller le sort de l’appel étant donné que la décision dans son ensemble peut reposer sur la conclusion subsidiaire indépendante suivant laquelle la protection de l’État était suffisante. La question ne se prête donc pas à une certification (Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, au paragraphe 11).


JUGEMENT

LA COUR :

1.                  REJETTE la demande.

2.                  DÉCLARE qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7256‑11

 

INTITULÉ :                                                  ZSOLT MATTE, ERZSEBET ILONA KEREKES, VIVIEN MATE, ZSOLT MATE FILS

 

                                                                        - et -

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 25 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 15 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Milan Tomasevic

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Ildikó Erdei

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Milan Tomasevic

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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