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Date : 20120710

Dossier : IMM-4252-11

Référence : 2012 CF 868

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

SANDRA INES LOAIZA RIOS

AILYN CARDONA LOAIZA

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Partout dans les présents motifs du jugement et dans le présent jugement, on entend par « demanderesse » Sandra Ines Loaiza Rios, étant donné qu’il s’agit de la demanderesse principale et que la plupart des faits et des conclusions que l’on trouve dans la décision de la Commission concernent spécialement sa demande d’asile. La demanderesse est la représentante désignée de sa fille, Ailyn Cardona Loaiza, qui est désignée dans les présents motifs comme étant la demanderesse mineure lorsque les faits ou les conclusions se rapportent expressément à sa demande d’asile. La demande de la demanderesse mineure a été examinée dans une partie distincte de la décision parce qu’elle est citoyenne des États-Unis. Lorsqu’il est question dans les présents motifs des demanderesses, il s’agit de la mère et de la fille.

 

[2]               La Cour est saisie en l’espèce d’une demande présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision, en date du 26 mai 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la Commission) a conclu que les demanderesses n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes respectivement de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

[3]               Cette conclusion était fondée sur la décision de la Commission suivant laquelle Sandra Ines Loaiza Rios (la demanderesse) n’avait pas qualité de réfugiée en raison de son manque de crédibilité, de son défaut de demander l’asile ailleurs, de la protection de l’État et de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur. La Commission a également analysé expressément le cas de la demanderesse mineure et a également conclu qu’elle n’avait pas la qualité de réfugiée parce qu’en tant que citoyenne des États-Unis, rien ne permettait de penser qu’elle avait besoin de la protection offerte aux réfugiés à l’égard de ce pays.

 

[4]               La demanderesse souhaite que la décision de la Commission soit annulée et que l’affaire lui soit renvoyée pour qu’elle rende une nouvelle décision.

 

Contexte

 

[5]               La demanderesse est une citoyenne de la Colombie et sa fille, la demanderesse mineure, est née aux États-Unis le 10 février 2004 et est une citoyenne de ce pays. La demanderesse craint de retourner en Colombie en raison des menaces que les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC) ont proférées à l’égard de son père et des membres de sa famille.

 

[6]               La demanderesse affirme qu’à compter du mois de mars 1998, les FARC ont commencé à extorquer de l’argent à son père, qui possédait et exploitait deux boulangeries. La demanderesse explique qu’en décembre 2000, sa mère, qui est infirmière, a été forcée de soigner des blessés qui étaient membres des FARC. Vers la fin de 2001, les FARC ont augmenté le montant qu’ils exigeaient du père de la demanderesse. En mars 2002, ce dernier décidé que la mère et le frère de la demanderesse quitteraient le pays parce qu’il refusait de payer cette augmentation, ce qu’ils ont fait ce même mois. Ils se sont rendus aux États-Unis. Le père de la demanderesse n’a pas réussi à obtenir de visa pour entrer aux États-Unis. Il a vendu une de ses boulangeries, a fermé l’autre et est entré dans la clandestinité.

 

[7]               La demanderesse est demeurée en Colombie, où elle a habité avec son conjoint de fait, et elle n’a été mise au courant des difficultés que sa famille avait avec les FARC qu’après que son frère et sa mère eurent quitté le pays.

 

[8]               En septembre 2002, la demanderesse a reçu deux appels téléphoniques lui demandant où se trouvait son père. Elle a remarqué la présence de voitures stationnées devant sa maison pendant de longues périodes de temps et a remarqué qu’il y avait des personnes à bord. La demanderesse raconte qu’un matin, une voiture l’a suivie alors qu’elle se rendait au collège et que le passager tenait un pistolet. Elle a tenté de signaler l’incident à la police, mais, comme personne n’avait été blessé, la police a refusé d’enquêter ou de faire rapport.

 

[9]               Après ces incidents, la demanderesse s’est rendue à Boston le 7 octobre 2002 pour rejoindre sa mère et son frère. Plus tard au cours du même mois, son conjoint de fait, qui se trouvait toujours en Colombie, a reçu une lettre adressée à la demanderesse. Cette lettre, qui provenait des FARC, affirmait qu’elle, son père, sa mère et son frère avaient été déclarés des cibles militaires par l’organisation. Le conjoint de fait de la demanderesse n’a pas réussi à obtenir de visa d’entrée aux États-Unis. La demanderesse a donc rompu avec lui.

 

[10]           Alors qu’elle se trouvait aux États-Unis, la demanderesse a vécu à plusieurs endroits différents. Elle est notamment allée vivre à Greenville, en Caroline du Sud, où elle a habité avec le père de la demanderesse mineure jusqu’en septembre 2004. Après leur rupture, la demanderesse est retournée vivre avec sa mère à Boston en septembre 2006. En mars 2007, elle a commencé à cohabiter avec un homme qui lui avait promis de l’épouser dès qu’il aurait obtenu le statut de résident permanent aux États-Unis. Toutefois, après qu’il eut obtenu ce statut, la demanderesse a appris, en novembre 2009, que son conjoint de fait avait plutôt tenté de parrainer la demande de la femme qu’il avait antérieurement épousée et de leur enfant, qui se trouvaient toujours en Colombie.

 

[11]           La mère et le frère de la demanderesse sont arrivés au Canada le 10 octobre 2007 et ils ont demandé l’asile. La demanderesse a décidé de les y rejoindre et, le 19 novembre 2009, les demanderesses sont arrivées au Canada et ont demandé l’asile.

 

[12]           La demanderesse affirmait dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’elle n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis pendant son séjour là-bas parce qu’elle craignait que les autorités de l’immigration américaine l’arrêtent, la détiennent ou l’expulsent en Colombie et lui retirent sa fille mineure pour la confier en adoption à un couple américain. Elle explique que son retard à venir au Canada s’expliquait par le fait qu’elle attendait d’obtenir la garde officielle de sa fille et de commencer à recevoir une pension alimentaire pour cette dernière et qu’elle avait attendu que le conjoint de fait qu’elle avait alors l’épouse et parraine sa demande.

 

[13]           La demanderesse déclarait également dans son FRP qu’elle craignait des représailles de la part des FARC en raison du refus de son père de continuer à payer les sommes d’argent que les FARC voulaient lui extorquer.

 

[14]           L’examen de la demande d’asile de la demanderesse a eu lieu le 11 mars 2011.

 

Décision de la Commission

 

[15]           La Commission a rendu sa décision le 26 mai 2011.

 

[16]           La Commission a commencé par faire observer qu’elle était convaincue que la demanderesse était une citoyenne colombienne et que la demanderesse mineure était une citoyenne américaine, mais qu’à part ces faits, elle ne croyait aucune des allégations formulées par la demanderesse. La Commission a conclu qu’il y avait des problèmes de crédibilité quant à des aspects cruciaux et importants de la demande d’asile de la demanderesse.

 

[17]           La Commission n’a pas cru que le père de la demanderesse ne révélerait pas à celle‑ci les problèmes qu’il avait avec les FARC. La Commission a fondé cette conclusion sur le fait que la demanderesse vivait toujours en Colombie, que son père avait fait sortir sa mère et son frère du pays, qu’il avait vendu son entreprise et qu’il était entré dans la clandestinité. La Commission a conclu qu’il était invraisemblable en raison de ces faits que son père ne parle pas à la demanderesse des problèmes qu’il avait avec les FARC.

 

[18]           La Commission a tiré plusieurs conclusions au sujet de l’invraisemblance et du manque de crédibilité quant aux faits précis et certains éléments de preuve :

            La demanderesse n’avait quitté la Colombie que six mois après le départ de sa mère et de son frère.

            Suivant la prépondérance des probabilités, si les FARC avaient cherché à s’en prendre à elle, elles l’auraient fait pendant qu’elle se trouvait toujours en Colombie après le départ de sa mère et de son frère.

            Selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’avait pas été suivie par une voiture à bord de laquelle se trouvait un passager armé parce que, si elle avait été suivie, la voiture aurait continué à la suivre ou aurait tenté de la suivre de nouveau.

            La demanderesse n’arrivait pas à se souvenir de la date à laquelle la voiture l’avait suivie. Suivant la prépondérance des probabilités, elle se serait souvenue de cette date parce qu’il s’agissait d’un événement traumatisant et qu’elle affirmait avoir fait un signalement à la police. De plus, elle était en mesure de se souvenir d’autres dates, de sorte qu’elle se serait souvenue de celle‑ci en raison de son importance.

            Suivant la prépondérance des probabilités, les policiers ne lui ont pas dit qu’ils ne pouvaient pas faire rapport de l’incident de la filature de la voiture au motif qu’elle n’avait pas subi de blessures.

            La demanderesse n’a pas été en mesure de produire la lettre qui déclarait que sa famille avait été désignée comme cible par les FARC parce que son ex-conjoint de fait l’avait perdue.

            La demanderesse a affirmé que, pendant une partie de son séjour aux États-Unis, elle ignorait en quoi consistait le droit d’asile. Pourtant, elle a également affirmé qu’elle n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis parce que sa mère lui avait dit qu’elle avait peu de chances d’obtenir gain de cause.

 

[19]           La Commission a par conséquent conclu que la demanderesse n’était pas crédible et que sa demande n’était pas fondée sur une crainte subjective.

 

[20]           La Commission a également conclu qu’il aurait été raisonnable de la part de la demanderesse de chercher à obtenir une protection aux États-Unis au cours des sept années qu’elle avait passées là‑bas si elle avait réellement craint pour sa vie. La Commission a écarté son explication qu’elle craignait d’être détenue ou de se faire retirer la garde de la demanderesse mineure et de voir celle‑ci confier à l’adoption, jugeant qu’il s’agissait là d’explications déraisonnables. La Commission a également fait observer que la demanderesse était jeune, mais qu’elle était instruite et qu’elle vivait seule depuis son départ de la Colombie, de sorte que, si elle craignait de subir un préjudice en Colombie, elle aurait pris des mesures pour légitimer son statut aux États-Unis au cours des sept années qu’elle y avait passées.

 

[21]           La Commission a cité plusieurs décisions pour démontrer qu’elle avait le droit de tenir compte du défaut de la demanderesse de demander l’asile dans un autre pays comme un facteur qui minait sa crédibilité (Ilie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 88 FTR 220, [1994] ACF no 1758, au paragraphe 15; Assadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 70 ACWS (3d) 892, [1997] ACF no 331, au paragraphe 14).

 

[22]           La Commission a écarté l’argument de la demanderesse suivant lequel le taux d’acceptation des Colombiens qui demandent l’asile est moins élevé aux États-Unis qu’au Canada et qu’il aurait été plus facile pour les autorités américaines de les arrêter et de les expulser si elles avaient présenté une demande d’asile. La Commission cite la décision Bedoya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 505, [2007] ACF no 680, au paragraphe 22, à l’appui de la proposition que le taux de succès moins élevé qui existe dans un autre pays ne peut être considéré comme une excuse valable pour ne pas demander l’asile.

 

[23]           La Commission a également conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur viable (PRI) et que la demanderesse pouvait trouver refuge à  Bogota. La Commission a appliqué le critère à deux volets énoncés dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, [1991] ACF no 1256 (CAF), aux paragraphes 4 à 7, pour conclure que, malgré son témoignage contraire, la demanderesse pouvait vivre paisiblement à  Bogota sans être inquiétée par les FARC.

 

[24]           La Commission a également estimé que les démarches entreprises par la demanderesse pour chercher à obtenir la protection de l’État en Colombie étaient insuffisantes pour réfuter la présomption que la protection de l’État était suffisante. La Commission a tenu compte des affirmations de la demanderesse suivant lesquelles elle avait signalé à la police l’incident au cours duquel une voiture l’avait suivie et que la police avait refusé de recevoir son signalement. La Commission a toutefois préféré les documents accessibles au public suivant lesquels la protection de l’État colombien serait raisonnablement assurée aux demanderesses si elles retournaient en Colombie.

 

[25]           La Commission a ensuite tiré des conclusions qui visaient expressément la demanderesse mineure qui avait désigné la demanderesse principale comme représentante. La Commission a accepté le fait que la demanderesse mineure était une citoyenne américaine et qu’en raison de la citoyenneté colombienne de sa mère, elle pouvait également être admissible à la citoyenneté dans ce pays. En tout état de cause, la Commission a conclu qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve établissant que la demanderesse mineure avait la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou celle de personne à protéger relativement aux États-Unis.

 

Questions en litige

 

[26]           La demanderesse soulève les quatre questions suivantes :

            1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son interprétation et son application de la définition de la personne à protéger au sens de l’article 87 de la Loi?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

            3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas raisonnablement compte de la preuve qui lui avait été soumise?

            4.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ignorant ou en interprétant de façon erronée certains éléments de preuve?

 

[27]           Je reformulerais ces questions et réorganiserais les arguments des parties de manière à les présenter dans l’ordre suivant :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant ses conclusions au sujet de la crédibilité?

            3.         La Commission a-t-elle tiré une conclusion déraisonnable en estimant que les demanderesses disposaient d’une PRI viable?

            4.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions de fait sur l’existence d’une crainte subjective?

 

Observations écrites des demanderesses

 

[28]           La demanderesse affirme que les conclusions tirées par la Commission au sujet de sa crédibilité ne reposaient pas sur des contradictions ou des incohérences relevées dans son témoignage, mais plutôt sur les agissements de son père, que la Commission a qualifiés de déraisonnables. En contestant la crédibilité de la demanderesse en se fondant sur ce qu’un tiers a fait ou n’a pas fait, la Commission a commis une erreur.

 

[29]           La Commission a déclaré que le défaut du père de la demanderesse de prévenir cette dernière n’était « pas logique » (décision, aux paragraphes 17 et 18). La demanderesse soutient que ce n’est pas parce que quelque chose peut sembler déraisonnable que cette chose est pour autant invraisemblable. La Commission a par conséquent estimé que rien ne justifiait le comportement du père et la demanderesse affirme que la Commission ne pouvait se fonder sur des conjectures pour rendre sa décision ou pour attaquer sa crédibilité. La demanderesse cite à l’appui de son argument les décisions Ibarra-Lerma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1611, [2004] ACF no 1952, au paragraphe 9, Escobar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 75 ACWS (3d) 518, [1997] ACF no 1436, au paragraphe 7, et Ukleina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1292, [2009] ACF n1651, au paragraphe 8.

 

[30]           La demanderesse souligne que la Commission a rapporté les faits de manière inexacte au paragraphe 17 du dossier certifié du Tribunal en concluant que :

selon la prépondérance des probabilités, la demandeure d’asile n’a pas quitté la Colombie avec son frère et sa mère parce qu’elle voulait terminer ses études collégiales. Dès la fin de ses études, elle a quitté le pays […]

 

Or, son FRP indique qu’elle n’avait complété que deux semestres avant de partir.

 

 

[31]           La Commission a conclu au paragraphe 22 que la demanderesse « n’avait présenté aucune preuve convaincante pour corroborer ses propos ». La demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur en mettant en doute sa crédibilité parce qu’elle n’avait pas produit de documents corroborant ses affirmations même si la police avait refusé de rédiger un rapport, de sorte qu’il était impossible pour elle de produire un rapport. La demanderesse signale la même erreur dans le cas de la conclusion tirée par la Commission au sujet de la lettre des FARC qu’a reçue à son ex-conjoint de fait. La demanderesse cite les décisions Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, à la page 305, [1979] ACF no 248 (CAF) [Maldonado], Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 65 FTR 137, [1993] ACF no 705, et Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1034, [2005] ACF no 1281, au paragraphe 7, à l’appui de la proposition qu’il faut ajouter foi à un témoignage et qu’on ne doit pas le rejeter au seul motif qu’il n’existe aucun élément de preuve qui le corrobore.

 

[32]           En réponse, les demanderesses font valoir que la Commission a fondé sa décision sur la crédibilité en partie sur le fait qu’aucun document n’avait été déposé pour corroborer les dires de la demanderesse, au lieu d’appliquer le bon critère, c’est‑à‑dire l’absence d’explications raisonnables justifiant l’absence de documents corroborants (Osman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 921, [2008] ACF no 1134, aux paragraphes 37 à 39, Taha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1675, [2004] ACF no 2039, au paragraphe 9).

 

[33]           Dans leur mémoire complémentaire, les demanderesses ajoutent qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de s’attendre à ce qu’elles produisent la lettre des FARC. Les demanderesses ont expliqué à l’audience que la demanderesse n’avait plus de rapports avec son ex-petit ami et qu’elle ignorait où il se trouvait.

 

[34]           La Commission a conclu, au paragraphe 28, que la demanderesse n’avait « jamais tenté de légitimer son statut aux États-Unis ». La demanderesse fait valoir que cette affirmation est erronée, étant donné qu’il ressortait des éléments de preuve soumis à la Commission qu’elle avait attendu que le conjoint de fait qu’elle avait alors obtienne son statut de résident permanent américain pour l’épouser et pour lui demander de parrainer sa demande.

 

[35]           Les demanderesses font valoir que la Commission a conclu que  Bogota constituait une PRI valable pour les demanderesses en partant du principe qu’elles pouvaient compter sur la protection de l’État dans cette ville. Les demanderesses soutiennent toutefois qu’il existait des éléments de preuve documentaire contradictoires provenant de sources très réputées comme le Bureau du protecteur du citoyen de la Colombie ainsi que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Elles signalent que la Commission ne fait aucune mention de ces éléments de preuve et les a ignorés, commettant ainsi une erreur. Les demanderesses citent à cet égard les décisions Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF 346, [2001] ACF no 574, au paragraphe 31, Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17, Gilvaja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 598, au paragraphe 39, 81 Imm LR (3d) 165, Campos Quevedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 297, au paragraphe 8, 97 Imm LR (3d) 291.

 

Observations écrites du défendeur

 

[36]           Le défendeur affirme que les questions de crédibilité, de protection de l’État et de PRI sont des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Le défendeur rappelle à la Cour qu’elle doit faire preuve de déférence envers les décisions de la Commission. Dès lors que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, les conclusions de la Commission ne doivent pas être modifiées. Le défendeur invoque à l’appui les décisions Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1114, [2010] ACF no 1468, aux paragraphes 9 et 10, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59, et Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

 

[37]           Le défendeur affirme que la conclusion négative que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité était raisonnable. En premier lieu, le défendeur soutient que l’argument de la demanderesse suivant lequel sa crédibilité a été attaquée en raison des agissements de son père est erroné. En effet, selon le défendeur, la conclusion de la Commission ne reposait pas sur le mobile ayant poussé le père de la demanderesse à agir, mais plutôt sur la vraisemblance de la version des faits de la demanderesse, que la Commission a jugé si peu vraisemblable qu’elle n’y a pas ajouté foi.

 

[38]           Le défendeur soutient qu’en tant que juge des faits, la Commission a le droit d’écarter des éléments de preuve non contredits et de tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur des invraisemblances, le bon sens et la logique; en l’espèce, les inférences que la Commission a tirées ne sont pas déraisonnables au point de justifier l’intervention de la Cour. Le défendeur se fonde à cet égard sur les décisions Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, [2004] ACF no 188, au paragraphe 11, Abdul c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 260, [2003] ACF no 352, au paragraphe 15, et Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) 160 NR 315, [1993] ACF no 732, au paragraphe 4 (CAF).

 

[39]           Le défendeur fait valoir que le témoignage d’un demandeur peut être réfuté au motif qu’il n’a pas présenté de preuves documentaires confirmant son témoignage, particulièrement lorsque le demandeur n’est pas jugé crédible (Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, [1995] ACS no 78, au paragraphe 47, décision Maldonado, précitée, et Owusu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 55 ACWS (3d) 820, [1995] ACF no 681, au paragraphe 4). Dans le cas qui nous occupe, le défendeur soutient qu’il n’était pas déraisonnable de la part de la Commission d’exiger de la demanderesse qu’elle présente certains éléments de preuve (comme la lettre de menaces) pour démontrer qu’elle avait été prise en filature par les FARC, d’autant plus qu’elle était demeurée en Colombie sans être inquiétée pendant six mois après le départ de sa mère et de son frère. Le défendeur ajoute que la Commission n’a pas exigé la production d’un rapport de police, mais qu’elle s’attendait, dans les circonstances, à ce que la demanderesse lui soumette des éléments de preuve démontrant que le refus de déposer un rapport était une pratique courante au sein de la police colombienne.

 

[40]           Le défendeur soutient que l’affirmation de la Commission suivant laquelle la demanderesse souhaitait terminer ses études collégiales (alors qu’elle n’avait terminé que deux semestres) ne tire pas à conséquence et n’a aucune incidence sur les motifs déterminants de la décision.

 

[41]           Le défendeur affirme que la conclusion de la Commission suivant laquelle la demanderesse disposait d’une PRI à  Bogota était raisonnable. Le défendeur soutient que la Commission a examiné la preuve et a fait observer que les FARC n’exerçaient leurs activités que dans des régions rurales ou éloignées et qu’elles ne décidaient de pourchasser les personnes qui se réinstallaient ailleurs que si ces personnes avaient une grande valeur à leurs yeux (soulignant que la demanderesse n’entrait pas dans cette catégorie).

 

[42]           Le défendeur affirme que la Commission a appliqué le bon critère en matière de PRI viable en appliquant l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, [1991] ACF no 1256 (CAF), au paragraphe 10, en l’occurrence, la conviction, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée à  Bogota et que, compte tenu de sa situation personnelle, il n’était pas déraisonnable pour elle de chercher refuge à  Bogota. Le défendeur cite la jurisprudence récente dans laquelle la Cour a conclu que  Bogota constituait une PRI viable dans des circonstances semblables à celles de la demanderesse (Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 227, [2011] ACF no 266, au paragraphe 19; et Cardenas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 537, [2010] ACF no 642).

 

[43]           Le défendeur affirme également qu’en analysant la PRI, la Commission n’a omis de tenir compte d’aucun élément de preuve dans son analyse, que l’on trouve aux paragraphes 41 à 48 de sa décision. La Commission a reconnu que la preuve relative à  Bogota était partagée, mais que la majorité des éléments de preuve appuyaient la conclusion de la Commission suivant laquelle, compte tenu de la situation des demanderesses, il n’était pas déraisonnable de s’attendre à ce qu’elles retournent à  Bogota sans craindre d’être persécutées ou d’être exposées à une menace à leur vie. Le défendeur affirme que les arguments des demanderesses ne traduisent que leur désaccord avec l’appréciation que la Commission a faite de la preuve, ce qui ne constitue pas un motif d’erreur. Le défendeur rappelle à la Cour que la Commission est présumée avoir apprécié et examiné l’ensemble de la preuve à moins que le contraire ne soit démontré (Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 134, Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 147 NR 317, [1992] ACF no 946 (CAF)).

 

[44]           Enfin, le défendeur affirme qu’il était raisonnable de la part de la Commission de rejeter les explications données par la demanderesse pour justifier son défaut de demander l’asile aux États‑Unis et de conclure que ses agissements contredisaient sa présumée crainte subjective de persécution. Le défendeur affirme que le défaut de demander l’asile à l’étranger ou le fait de retarder la présentation de sa demande au Canada constituent d’importants facteurs dont la Commission a le droit de tenir compte pour se prononcer sur la crainte subjective et objective de persécution du demandeur (Alvarez Cortez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 770, au paragraphe 20, Huarta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1993) 157 NR 225 (CAF)).

 

Analyse et décision

 

[45]           Question 1

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Si la jurisprudence a déjà arrêté la norme de contrôle applicable à une question sur laquelle la cour de révision est appelée à statuer, celle‑ci peut adopter cette norme (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[46]           Le défendeur a énoncé correctement le droit applicable en ce qui concerne la question de la crédibilité, de la protection de l’État et de la PRI en affirmant qu’il s’agit de questions de fait ou de questions mixtes de fait et de droit qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (décision Velez, précitée, aux paragraphes 9 et 10, arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59, arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[47]           Lorsqu’elle procède au contrôle judiciaire d’une décision de la Commission en appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si elle estime que la Commission a tiré une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable ou intelligible ou si elle estime que cette conclusion n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier compte tenu de la preuve dont la Commission disposait (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59). Ainsi que la Cour suprême l’a jugé dans l’arrêt Khosa, précité, la cour de révision ne peut substituer la solution qui serait à son avis préférable à celle qui a été retenue, et il ne lui appartient pas non plus de soupeser à nouveau les éléments de preuve (aux paragraphes 59 et 61).

 

[48]           Question 2

            La Commission a‑t‑il commis une erreur en tirant ses conclusions au sujet de la crédibilité?

            Dans le cas qui nous occupe, la Commission a rendu une longue décision fouillée et bien équilibrée après avoir tenu compte de tous les faits et de tous les éléments de preuve dont elle disposait pour arriver en fin de compte à une décision raisonnable qui appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité de la demanderesse étaient raisonnables.

 

[49]           La Commission a signalé plusieurs des lacunes de l’exposé circonstancié de la demanderesse. La Commission a estimé qu’un des principaux problèmes que comportait le récit de la demanderesse était le fait qu’elle n’était pas au courant que sa famille avait des problèmes avec les FARC et qu’elle ne l’a appris que lorsque sa mère lui en a fait part après son arrivée aux États‑Unis en compagnie du frère de la demanderesse. Voici ce que la Commission écrit au paragraphe 17 de la décision :

Le tribunal ne croit pas que le père de la demandeure d’asile a fait l’objet de menaces, à savoir que, s’il refusait de payer les sommes exigées, sa famille serait maltraitée; le père a cessé de verser les sommes exigées, a vendu son entreprise et a envoyé deux membres de sa famille à l’étranger (son épouse et son fils), mais il n’a pas averti sa fille, qui se trouvait toujours en Colombie, du danger que les FARC s’en prennent à elle parce qu’il avait cessé de verser les sommes exigées. Le père a plutôt vendu ce qu’il possédait et a décidé de se cacher, alors que sa fille n’était pas au courant des dangers que posaient les FARC. Le tribunal estime qu’il n’est pas logique que le père envoie son épouse et son fils aux États-Unis pour leur sécurité, puis qu’il se cache pour sa propre sécurité sans avertir sa fille pour qu’elle puisse se mettre elle aussi à l’abri.

 

 

[50]           Les demanderesses affirment qu’il s’agit là de pures conjectures et d’une conclusion déraisonnable. Je préfère l’explication du défendeur suivant laquelle la Commission ne remettait pas en question les mobiles du père de la demanderesse, mais qu’elle a considéré le récit de la demanderesse invraisemblable au point de ne pouvoir y ajouter foi. La jurisprudence sur ce point est bien expliquée par madame la juge Judith Snider dans la décision Abdul, précitée, au paragraphe 15 :

La Commission peut tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur les invraisemblances, le bon sens et la rationalité et elle peut rejeter des éléments de preuve non contestés s’ils ne sont pas compatibles avec les probabilités qui touchent l’affaire dans son ensemble  (voir les arrêts Aguebor, précité, et Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.) (QL)). Bien que la Commission puisse même rejeter des éléments de preuve non contestés, elle ne peut pas omettre de prendre en compte des éléments de preuve qui expliquent les incohérences apparentes et tirer alors une conclusion défavorable quant à la crédibilité (voir l’arrêt Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (C.A.) (QL)). Dans les cas où la Commission conclut à un manque de crédibilité fondé sur des inférences, comprenant des inférences à l’égard de la vraisemblance de la preuve, la preuve doit appuyer les inférences (voir la décision Miral c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 254 (1re inst.) (QL)). 

 

[51]           En l’espèce la Commission a bien pris soin d’expliquer le fondement de sa conclusion sur la vraisemblance de la version des faits de la demanderesse. La Commission a fait observer, au paragraphe 19, que la demanderesse était demeurée en Colombie pendant six mois sans être inquiétée par les FARC, et ce, malgré le fait que les FARC savaient où elle se trouvait. La Commission a également signalé que les FARC n’avaient pas continué à suivre la demanderesse après le présumé incident au cours duquel sa voiture avait été suivie par un individu armé. La Commission souligne ensuite que la demanderesse ne pouvait se rappeler de la date à laquelle elle avait été suivie par la voiture même s’il ne pouvait s’agir que d’un événement traumatisant. Enfin, la conclusion que la Commission a tirée au sujet de la vraisemblance de ce récit n’est qu’un des aspects de la version des faits donnés par la demanderesse qui, comme nous l’avons déjà signalé, n’a présenté aucun élément de preuve pour corroborer ses dires.

 

[52]           Les demanderesses et le défendeur ont, tout autant que la Commission l’a fait dans ses citations détaillées, fait état de la jurisprudence applicable sur la question de savoir dans quel cas l’auteur d’une décision peut exiger des éléments de preuve corroborants. Était‑il raisonnable de la part de la Commission de s’attendre à ce que la demanderesse fournisse des éléments de preuve corroborants et était‑il loisible à la Commission de tirer une inférence négative du défaut d’en produire (Lopera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 653, [2011] ACF n828, se fondant sur Ortiz Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, 146 ACWS (3d) 705). Voici ce qu’on trouve, au paragraphe 31 de la décision Lopera : « La question de savoir si l’on peut raisonnablement exiger une preuve corroborante dépend des faits propres à chaque cas ».

 

[53]           En l’espèce, il était raisonnable de la part de la Commission de s’attendre à ce que la demanderesse soumette certains éléments de preuve pour corroborer ses affirmations, surtout à la lumière des invraisemblances dont nous avons déjà fait état. La Commission signale, au paragraphe 22 de sa décision, non seulement qu’il était déraisonnable de ne pas produire de rapport de police pour corroborer sa plainte d’avoir été suivie, mais également qu’il n’y avait aucun élément de preuve démontrant que la police ne rédigeait pas de rapport en pareil cas. La Commission souligne ensuite, au paragraphe 23 de sa décision, que la demanderesse n’avait fourni aucune explication pour justifier le fait qu’elle n’avait pas obtenu la lettre que les FARC avaient envoyée à son ex-conjoint de fait en Colombie.

 

[54]           Comme nous l’avons déjà signalé, les demanderesses invoquent dans leur mémoire complémentaire un argument dans lequel elles citent un échange qui a eu lieu à l’audience. Il s’agit du passage dans lequel la Commission interroge la demanderesse pour savoir si elle est toujours en rapport avec le père de la demanderesse mineure. La demanderesse fait ensuite valoir que cela démontre qu’elle ne pouvait fournir la note des FARC qu’elle était censée avoir reçue chez elle en Colombie après son départ. La demanderesse confond deux liaisons. Suivant les faits établis en l’espèce, la demanderesse avait un conjoint de fait en Colombie, celui qui avait reçu la lettre des FARC. Cette liaison avait pris fin lorsqu’elle est partie pour les États-Unis en 2002. L’échange qui a eu lieu à l’audience concernait le père de la demanderesse mineure avec lequel la demanderesse avait vécu jusqu’en septembre 2004, qui est un autre homme (voir le dossier certifié du Tribunal, aux pages 648 et 649).

 

[55]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la déclaration de la Commission que l’on trouve au paragraphe 17 de la décision (suivant laquelle la demanderesse voulait finir ses études collégiales alors que, suivant la preuve, elle n’avait terminé que deux semestres) est un point ayant peu d’importance et ne constitue pas une erreur justifiant à elle seule ou de façon cumulative l’intervention de la Cour. Bien qu’il semble qu’il s’agisse effectivement d’une erreur, la Commission n’a pas dans les faits déclaré que la demanderesse était demeurée en Colombie pour terminer ses études collégiales et il se peut qu’elle ait parlé d’un semestre collégial, en exprimant toutefois sa pensée de manière ambiguë.

 

[56]           En résumé, la Commission a ensuite examiné la version des faits de la demanderesse, a expliqué clairement pourquoi elle la mettait en doute, a réclamé les explications à la demanderesse et a, de façon raisonnable, rejeté ces explications.

 

[57]           Question 3

            La Commission a‑t‑elle tiré une conclusion de fait déraisonnable en estimant que les demanderesses pouvaient compter sur une PRI viable?

            La conclusion de la Commission suivant laquelle  Bogota constitue une PRI viable pour les demanderesses était une conclusion raisonnable que la Commission a tirée après avoir examiné la situation particulière des demanderesses et après avoir appliqué sa conclusion aux éléments de preuve dont elle disposait conformément à la jurisprudence. La Commission est arrivée à une conclusion raisonnable que la Cour ne devrait pas modifier.

 

[58]           Les demanderesses sont essentiellement en désaccord avec l’appréciation que la Commission a faite de la preuve sur cette question. Elles affirment que la Commission a omis de mentionner expressément certains éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions. Le défendeur soutient que la Commission a tenu compte de l’ensemble de la preuve et qu’elle est finalement arrivée à la conclusion que, compte tenu de la situation particulière des demanderesses, celles‑ci ne se seraient pas exposées à un risque à  Bogota.

 

[59]           Les éléments clés de la décision se trouvent aux paragraphes 41 et 48 :

[41]      En ce qui concerne la portée et l’influence des FARC dans la PRI proposée, la preuve documentaire varie selon les sources consultées. Par conséquent, le tribunal a dû fonder sa décision sur les circonstances propres à la présente affaire et, du point de vue de la preuve documentaire, évaluer si les FARC voudraient poursuivre une personne qui a déménagé. D’après la preuve documentaire, cette démarche est, pour l’essentiel, tributaire de la valeur accordée à cette personne par les FARC. S’il s’agit d’une personne aux origines modestes qui s’installe dans une autre région de la Colombie, il est possible qu’elle puisse vivre en paix, sans être harcelée par les FARC. S’il s’agit par contre d’une personne issue de l’élite politique, du milieu des affaires, du milieu universitaire ou de la classe professionnelle qui a été ciblée par les FARC à des fins d’extorsion, de collaboration forcée ou d’assistance technique, celle ci aurait une grande valeur aux yeux des FARC.

 

[48]      Compte tenu de l’âge de la demandeure d’asile et de sa situation personnelle, le tribunal estime qu’il ne serait pas trop sévère de s’attendre à ce qu’elle s’installe à Bogotá avant de demander l’asile au Canada. Le tribunal estime que, selon la prépondérance des probabilités, l’agent de persécution ne serait pas en mesure de la retrouver à Bogotá si elle s’y établissait. Par conséquent, eu égard à toutes les circonstances, y compris sa situation personnelle, le tribunal est convaincu qu’il ne serait pas déraisonnable pour la demandeure d’asile de chercher refuge à Bogotá.

 

 

[60]           Cette analyse est raisonnable et est conforme à la jurisprudence relative aux PRI. Je remarque également que les passages mentionnés par les demanderesses dans leur mémoire concernent des éléments de preuve d’ordre général qui ne démontrent pas que la Commission a commis une erreur en analysant la situation particulière de la demanderesse.

 

[61]           Question 4

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant ses conclusions de fait en ce qui concerne l’existence d’une crainte subjective?

            La demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur dans son évaluation de la crainte subjective en déclarant, au paragraphe 28 de sa décision, que la demanderesse n’avait « jamais tenté de légitimer son statut aux États-Unis ». La demanderesse affirme que la Commission a ignoré les éléments de preuve suivant lesquels elle attendait que le conjoint de fait qu’elle avait alors obtienne le statut de résident permanent aux États-Unis et qu’il parraine ensuite sa demande. Le défendeur invoque des décisions suivant lesquelles on peut tenir compte du retard à demander l’asile ou du défaut de présenter une demande d’asile pour apprécier la crainte subjective (voir les décisions Alvarez Cortez et Huarta, précitées).

 

[62]           L’analyse que la Commission a faite de la preuve des demanderesses était raisonnable, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, la Commission a concentré son analyse de la crainte subjective exclusivement sur le défaut des demanderesses de demander l’asile aux États-Unis. Voici ce qu’elle écrit aux paragraphes 27 et 28 de sa décision :

La demandeure d’asile s’est rendue aux États-Unis le 7 octobre 2002. Elle y est restée pendant sept ans et est partie le 19 novembre 2009. Elle n’a pas demandé l’asile aux États-Unis parce que sa mère lui avait dit que ce pays n’accordait pas l’asile aux Colombiens. Elle a aussi affirmé qu’elle était jeune et à la charge de sa mère.

 

Dans ses observations, le conseil a indiqué que la demandeure d’asile n’avait pas demandé l’asile parce qu’elle avait un enfant et que, si elle l’avait fait, elle aurait été détenue, et sa fille lui aurait été enlevée puis donnée en adoption à un couple américain. Le tribunal estime que la demandeure d’asile n’a pas fourni d’explication raisonnable quant à la question de savoir pourquoi elle n’a pas demandé l’asile aux États Unis.

 

 

[63]           La Commission a ensuite examiné ces explications et les a écartées en rappelant que la demanderesse principale était passablement instruite lorsqu’elle était arrivée aux États-Unis et qu’elle avait vécu de façon autonome indépendamment de sa famille en Colombie. La Commission a conclu, au paragraphe 28 :

Par conséquent, le tribunal estime qu’il n’est pas raisonnable que la demandeure d’asile n’ait jamais tenté de légitimer son statut aux États-Unis. Si elle avait réellement fui la Colombie parce qu’elle craignait pour sa vie, elle aurait dû le faire.

 

 

[64]           Compte tenu du projet qu’avait la demanderesse de faire parrainer sa demande de résidence permanente, ces éléments auraient en fait milité contre elle à ce stade de la décision. Ce projet n’aurait été qu’un autre exemple démontrant qu’elle n’avait pas agi avec toute la célérité dont un tribunal pouvait s’attendre de la part d’une demanderesse d’asile ayant une crainte subjective de persécution.

 

[65]           En second lieu, la demanderesse n’a fourni qu’une seule explication : elle avait projeté de demander à être parrainée pour obtenir la résidence permanente aux États-Unis. Il était raisonnable de la part de la Commission de ne pas considérer ce projet comme une démarche concrète entreprise par la demanderesse en vue de régulariser sa situation aux États-Unis. Aucun formulaire n’a été rempli et aucune démarche officielle n’a été entreprise.

 

[66]           En résumé, la Commission a rédigé une longue décision fouillée et bien équilibrée après avoir tenu compte de l’ensemble des faits des éléments de preuve dont elle disposait pour arriver finalement à une décision raisonnable qui appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[67]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[68]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a souhaité me proposer de question grave de portée générale aux fins de certification.

JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


ANNEXE

 

Dispositions légales applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   IMM-4252-11

 

INTITULÉ :                                                 SANDRA INES LOAIZA RIOS

                                                                       AILYN CARDONA LOAIZA

 

                                                                       et

 

                                                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                                       L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                         Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                        Le 25 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                       LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                Le 10 juillet 2012

 

 

 

ONT COMPARU :

 

Jack Davis

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Manuel Mendelzon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis & Grice

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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