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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120710

Dossier : IMM-8259-11

Référence : 2012 CF 867

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

MOHAMED BISMIL NAGEEM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur demande le contrôle judiciaire d’une décision, datée du 19 octobre 2001, de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle celle-ci a conclu qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

Les faits

[2]               Le demandeur, monsieur Mohamed Bilsim Nageen, est un citoyen du Sri Lanka qui travaillait dans une banque à Colombo. Il a déclaré être un musulman tamoul : son père est musulman et sa mère et la plupart de ses proches parents sont tamouls. Il affirme que son foyer était le seul foyer tamoul de la région et lorsque des membres tamouls de sa famille leur rendaient visite, l’armée interrogeait les parents du demandeur à propos du fait qu’ils hébergeaient des membres de la famille. Parfois, la police les amenait au poste de police afin de les interroger.

 

[3]               Le 28 avril 2007, l’armée stationnée dans le camp voisin s’est rendue chez le demandeur afin de l’interroger lui et sa mille à propos du bombardement aérien effectué par les Tigres de Libération de l'Eelam tamoul (les TLET) sur un réservoir de stockage de produits pétroliers près de chez eux. Des soldats ont amené le demandeur à leur camp et l’ont interrogé au sujet de ses liens avec les TLET, puis l’ont battu. Il a été libéré après avoir reçu un avertissement.

 

[4]               Après cet incident, l’armée et la police se sont rendues à plusieurs reprises chez le demandeur afin de l’interroger. Il a été amené une fois de plus au camp de l’armée afin d’y être interrogé et on lui a dit que les conséquences seraient graves pour lui si jamais on apprenait qu’il appuyait les TLET.

 

[5]               Le 21 février 2009, la force aérienne des TLET a bombardé Colombo. Le demandeur affirme avoir été arrêté, battu et accusé de recueillir des renseignements pour les TLET à Colombo. Le père de l’appelant a soudoyé les autorités afin d’obtenir sa libération.

 

[6]               À la fin de février 2009, des membres du groupe Karuna, un groupe paramilitaire qui travaillait avec la police et l’armée, se sont rendus au restaurant du père du demandeur et ont interrogé le demandeur pour savoir qui étaient les clients tamouls et musulmans de la banque les plus fortunés et lui ont demandé de leur donné des renseignements détaillés sur leurs comptes bancaires. Le demandeur a refusé et ils sont partis. En avril 2009, des membres du groupe Karuna sont retournés et ont demandé à nouveau au demandeur de leur donner des renseignements bancaires. Il a refusé et ils l’ont menacé et lui ont dit qu’ils savaient comment obtenir ces renseignements.

 

[7]               Grâce à l’aide d’un agent, le demandeur a quitté le Sri Lanka le 29 mai 2009. Il est arrivé au Canada le 21 juin 2010 après être passé par plusieurs pays et il a présenté une demande d’asile, alléguant craindre l’armée, la police et le groupe Karuna.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[8]               La Commission a souligné que le demandeur avait affirmé être de race tamoule, mais son certificat de naissance indiquait que sa mère et son père étaient des Maures sri-lankais. La Commission a donc conclu qu’il était un Maure de langue tamoule et a également conclu que sa crédibilité était en litige en raison de la preuve contradictoire au sujet de sa race et de ses antécédents personnels.

 

[9]               La Commission a conclu que la crainte que le demandeur avait à l’égard du groupe Karuna n’avait aucun lien avec l’un des motifs prévus par la Convention, car, selon le témoignage du demandeur, les personnes qui sont allées le voir afin d’obtenir des renseignements bancaires étaient des criminels qui cherchaient à s’enrichir et qui ne l’avaient pas ciblé pour l’un des motifs prévus par la Convention. La Commission a de plus conclu que la crainte éprouvée par le demandeur à l’égard du groupe Karuna était généralisée et, donc, qu’il n’était pas une personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR. La Commission a conclu que bien que certaines personnes puissent être plus souvent ciblées parce qu’elles sont fortunées, parce qu’elles possèdent une entreprise ou pour toute autre raison, au Sri Lanka, le risque d’être victime d’extorsion est généralisé.

 

[10]           La Commission a jugé invraisemblable que les autorités ne se rendent qu’à la résidence de la famille du demandeur à la suite des bombardements effectués par les TLET. La Commission a également conclu que, si le demandeur retournait au Sri Lanka, le groupe Karuna ne s’intéresserait plus à lui parce qu’il ne travaillait plus à la banque. Le demandeur a affirmé dans son témoignage que les membres de sa famille ne sont pas harcelés par le groupe Karuna, la police ou l’armée, mais qu’ils se font poser des questions à son sujet. Le demandeur n’a également pas expliqué pourquoi il n’a pas prévenu la banque quant aux tentatives du groupe Karuna de lui extorquer des renseignements confidentiels. La Commission a également conclu que la capacité du demandeur à quitter le Sri Lanka sans difficulté grâce à de présumés pots-de-vin démontrait que le gouvernement ne s’intéressait pas à lui à cette époque et ne s’intéresserait pas à lui à l’avenir.

 

[11]           La Commission a relevé de nombreux problèmes de crédibilité en plus de la question concernant la race du demandeur. Le demandeur a déclaré dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) avoir été détenu, le 28 avril 2007, à la suite du bombardement, alors que les notes du dossier d’immigration mentionnent qu’il a été détenu parce que l’armée s’attendait à ce qu’il y ait une offensive dans cette région. Pour expliquer cette contradiction, le demandeur a dit qu’il avait fourni ce renseignement alors qu’il était en détention aux États-Unis. La Commission a rejeté cette explication.

 

[12]           De plus, le demandeur a déclaré dans son FRP que des membres de sa parenté tamoule se rendaient souvent chez lui, mais il a affirmé dans son témoignage que sa famille n’entretenait plus de lien avec sa parenté depuis plusieurs années parce que sa mère avait épousé un musulman, bien qu’il fût invité au mariage d’un parent tamoul à Singapour en 2007. De plus, le demandeur s’est servi de son passeport authentique pour quitter le Sri Lanka, mais il ne l’avait plus en sa possession lorsqu’il est arrivé au Canada. Il aurait demandé une photocopie de son passeport, mais il l’aurait jetée parce qu’elle ne comprenait que la première page. Le demandeur n’a pas expliqué de manière satisfaisante pourquoi il n’avait pas conservé la copie.

 

[13]           La demande d’asile du demandeur a donc été refusée.

 

La norme de contrôle/les questions en litige

[14]           On prétend, pour trois motifs distincts, que la présente demande devrait être accueillie. Le premier motif découle de l’évaluation de la preuve faite par la Commission, à laquelle s’applique la norme de contrôle de la raisonnabilité. Les deuxième et troisième motifs, qui ont trait à la question de savoir si la Commission a appliqué le fardeau de la preuve applicable aux demandes présentées en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR et si elle a prévenu le demandeur que son origine ethnique pourrait constituer un point litigieux, doivent être examinés selon la norme de la décision correcte.

 

Analyse

[15]           Je conclus que la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger est raisonnable et que la demande doit être rejetée. Les arguments invoqués par le demandeur vont à l’encontre des directives de la Cour d’appel de ne pas examiner les décisions trop à la loupe; Medina c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF no 926 (CA). Lue dans son ensemble, la décision est justifiée et intelligible et devrait être confirmée. Je suis également convaincu que la Commission a déterminé quel était le critère juridique applicable et l’a appliqué de façon appropriée.

 

[16]           Le demandeur a prétendu qu’il courait le risque d’être persécuté par le groupe Karuna, la police et l’armée sri-lankaise. Dans sa décision, la Commission a examiné et rejeté ces allégations en se fondant sur les conclusions suivantes :

  1. Le demandeur ne présentait aucun intérêt pour les autorités sri-lankaises, car il a été libéré sans condition après avoir été interrogé à propos du bombardement de 2007 et il a pu quitter le pays en se servant de son propre passeport à un moment crucial durant la guerre civile;
  2. Plusieurs doutes ont été émis sur la crédibilité du demandeur, minant ainsi sa prétention selon laquelle il était soupçonné par les autorités d’avoir des liens avec les TLET;
  3. Le risque d’être victime du groupe Karuna invoqué par le demandeur n’avait aucun lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention et était un risque généralisé d’être victime d’un acte criminel ou d’extorsion. La Commission a conclu que le groupe Karuna ne ciblerait pas le demandeur dans l’avenir parce qu’il ne travaillait plus à la banque et, par conséquent, tout risque auquel il pourrait être exposé était identique à celui auquel sont généralement exposés les citoyens du Sri Lanka.

 

[17]           Le demandeur critique la Commission pour ne pas avoir fait mention d’un incident survenu en février 2009 au cours duquel il a été détenu, battu par la police et accusé d’aider les TLET. Toutefois, selon moi, le témoignage du demandeur à propos du risque auquel il était confronté en raison des présumés liens qu’il entretiendrait avec les TLET a été rejeté par la Commission en raison des nombreuses réserves qui ont été soulevées à propos de la crédibilité, et, par conséquent, le fait de ne pas avoir fait mention de cette allégation ne rend pas la conclusion déraisonnable.

 

[18]           Le demandeur prétend également que la Commission a tiré les conclusions de fait erronées suivantes : le demandeur n’était pas tamoul et le groupe Karuna est composé de « criminels ordinaires » ou d’anciens paramilitaires. Le demandeur prétend qu’aucun élément de preuve n’étayait ces conclusions. Toutefois, il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer ces conclusions et, quoi qu'il en soit, compte tenu des réserves à propos de la crédibilité, elles ne permettaient pas de trancher l’affaire et n’étaient pas pertinentes quant à l’analyse juridique.

 

[19]           La deuxième question en litige à être appréciée selon la norme de la décision correcte porte sur la question de savoir si le demandeur a été prévenu que la question de son appartenance au groupe ethnique maure de langue tamoule était en litige et porte, plus particulièrement, sur la prétention selon laquelle la Commission ne pouvait pas tirer de conclusions sur la crédibilité relativement à son témoignage à cet égard.

 

[20]           Cet argument n’est pas étayé par la preuve. Le procès-verbal de l’audience indique que la question de l’origine ethnique du demandeur a été soulevée à au moins trois reprises; lors de la discussion sur le FRP du demandeur, lors de la discussion sur le certificat de mariage de ses parents et lors de la discussion sur son certificat de naissance.

 

[21]           Le demandeur prétend en outre que la Commission était saisie d’un élément de preuve qui entrait en conflit avec ses conclusions relatives à son origine ethnique. Le demandeur souligne que, à son arrivée aux États‑Unis, il a dit aux responsables de l’immigration américaine qu’il était tamoul. Cet élément de preuve n’a pas été pris en compte par la Commission.

 

[22]           Le fait que le demandeur a pu répéter le même témoignage à un autre moment ne rend pas celui-ci corroborant ou véridique. Il peut s’agir d’un témoignage cohérent, mais il ne permet pas d’expliquer la preuve incohérente. On ne pouvait pas non plus raisonnablement s’attendre à ce que la Commission isole cette question de ses réserves découlant de l’explication fournie par le demandeur pour expliquer la disparition de son passeport. En résumé, nonobstant le fait que la Commission n’a pas traité ce point précis du témoignage du demandeur, il était raisonnablement loisible à celle-ci, compte tenu de la preuve dont elle était saisie, de tirer la conclusion relative à la crédibilité du demandeur.

 

[23]           Le demandeur prétend également que la Commission a appliqué les mauvais critères juridiques relativement à l’article 96 et à l’article 97.

 

[24]           La norme de preuve, ou le fardeau de la preuve comme on l’appelle parfois, applicable lorsqu’il est question d’évaluer le danger et le risque décrits à l’article 96 et aux alinéas a) et b) de l’article 97 est la preuve selon la prépondérance des probabilités. Il s’agit de la norme que la Commission doit appliquer lorsqu’elle évalue la preuve dont elle est saisie. Cette preuve, après avoir été établie selon la prépondérance des probabilités, est ensuite évaluée selon les critères juridiques applicables à la persécution au sens de l’article 96 et à la torture au sens de l’article 97.

 

 

[25]           Dans la mesure où l’article 96 et une allégation de persécution sont concernés, la Commission a évalué la preuve selon la bonne norme, à savoir, qu’il doit être démontré qu'il existe une probabilité raisonnable, ou davantage qu'une possibilité minime, que le demandeur sera persécuté; Florea c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1472, au paragraphe 24.

 

[26]           En ce qui concerne l’alinéa 97(1)a), ce point est bien expliqué par le juge Rothstein dans Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, au paragraphe 29 :

Il devient immédiatement apparent que les termes utilisés pour décrire la norme de preuve--la probabilité la plus forte--sont équivalents à ceux qui sont utilisés pour décrire le critère objectif auquel il doit être satisfait afin d'avoir qualité de personne à protéger en vertu de l'alinéa 97(1)a), à savoir, plus probable que le contraire. Même si les termes sont à peu près identiques, il y a deux étapes distinctes. La preuve selon la prépondérance des probabilités est la norme de preuve que le tribunal applique dans l'appréciation d'une preuve afin de tirer ses conclusions de fait. Le critère permettant de déterminer le risque de torture est de savoir, compte tenu des faits dont le tribunal est saisi, si le tribunal est convaincu qu'il est plus probable que le contraire que l'individu serait personnellement soumis à un danger de torture.

 

[27]           La Commission a cerné ces critères et les a appliqués correctement. La Commission a examiné la preuve selon la prépondérance des probabilités et l’a soumise au critère juridique qui consiste à savoir s’il existe plus qu’une « simple possibilité » de persécution. En ce qui concerne la demande fondée sur l’article 97, elle a conclu qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi qu’il soit plus probable que le contraire que le demandeur risquerait d'être soumis à la torture ou de subir des peines ou traitements cruels et inusités. L’utilisation du conditionnel pour décrire le risque n’indique pas que la Commission s'est méprise sur le critère juridique applicable, lequel était fondé sur la référence à la formulation correcte du critère dans les mêmes phrases et les phrases adjacentes : Sivagurunathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 432, aux paragraphes 4-5.

 

[28]           Comme je ne décèle dans la décision aucune erreur justifiant son annulation, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est par les présentes rejetée. Aucune question à la certification n’a été proposée et aucune ne se pose.

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8259-11

 

INTITULÉ :                                      MOHAMED BISMIL NAGEEM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 3 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 10 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicole Paduraru

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane
Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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