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Date : 20120713

Dossier : T‑1471‑11

Référence : 2012 CF 887

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2012

EN PRÉSENCE de madame la juge Bédard

 

 

ENTRE :

 

PATRICIA CONROY

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

L’INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               À l’époque en cause, Mme Patricia Conroy (la demanderesse) était employée par le Service correctionnel du Canada (SCC), en tant que psychologue syndiquée, et adhérait, à ce titre, à l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le défendeur). À compter de 1995, la demanderesse s’est heurtée à des difficultés diverses au niveau du déroulement de sa carrière au sein du SCC. Ainsi, en 2001, sa candidature est éliminée lors d’un concours à un poste permanent de PS‑04, et en 2005, elle se voit retirer ses fonctions de PS‑04 par intérim. En 2005, elle prend un congé de maladie, puis un congé sans solde d’un an. Elle affirme avoir demandé en 2007 une nouvelle prolongation de ce congé, mais que sa demande est demeurée sans réponse. En 2009, elle est contactée par le SCC qui fait pression sur elle pour qu’elle réintègre son poste d’attache. Elle tente, sans succès, de négocier un arrangement qui lui aurait permis, à son retour, d’occuper un poste autre que celui qu’elle avait occupé en 2005.

 

[2]               Dans toutes ses négociations avec l’employeur, la demanderesse a sollicité l’aide et le soutien de son syndicat, défendeur en l’espèce. La demanderesse prétend que chaque fois, soit en 2001, en 2005 et en 2010, elle a reçu du défendeur un appui autre que celui auquel elle pouvait prétendre, et ce, en raison de son sexe. En 2010, elle a déposé une plainte contre le défendeur auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), faisant valoir qu’elle avait, en raison de son sexe et contrairement aux articles 9 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 [la Loi], fait de la part du défendeur l’objet d’un traitement discriminatoire. La demanderesse affirmait notamment que de 2001 à 2010, la représentation que lui a assurée le défendeur était beaucoup moins solide que celle qu’il accordait aux hommes membres du syndicat se trouvant dans une situation semblable.

 

[3]               Le 20 juillet 2011, la Commission a décidé, en application de l’article 41 de la Loi, de ne pas statuer sur la plainte de la demanderesse. C’est cette décision que vise la présente demande de contrôle judiciaire. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est accueillie.

 

I. Historique des procédures et décision visée par le contrôle

[4]               La décision de la Commission a été précédée d’un rapport fondé sur les articles 40 et 41, rapport dans le cadre duquel un agent de la Commission procède à une évaluation préliminaire de la plainte et des positions respectives des parties. Ce rapport contient des recommandations à l’intention de la Commission quant à savoir si celle‑ci devrait instruire ou non la plainte et procéder à une enquête. En l’occurrence, le rapport fondé sur les articles 40 et 41 a été rédigé par Mme Jennifer Bouchard.

 

[5]               Selon l’article 40 de la Loi, peut porter plainte auprès de la Commission celui ou celle qui a des motifs raisonnables de croire qu’une personne se livre à un acte discriminatoire. Aux termes de l’article 41 de la Loi, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime que cette plainte relève des exceptions suivantes :

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

 

 

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

 

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

 

 

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

 

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

 

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

[6]               Le défendeur a soulevé deux objections préliminaires à la plainte de la demanderesse. Il affirme en premier lieu que la plainte se divise en deux séries distinctes d’allégations. La première vise des événements qui se sont produits entre 2001 et 2005, plus d’un an avant que la demanderesse ne porte plainte. Le défendeur affirme que la Commission devrait par conséquent refuser de se pencher sur ces allégations, car il a subi un préjudice en raison du dépôt tardif de la plainte puisqu’il n’avait plus alors à sa disposition les éléments de preuve qui lui auraient permis d’assurer correctement sa défense. Le défendeur fait en second lieu valoir que les allégations concernant l’événement survenu en 2010 ne sont pas de la compétence de la Commission. Il affirme plus précisément que, même si l’allégation dans laquelle la demanderesse lui reproche de ne pas avoir, en 2010, offert de la représenter est tenue pour exacte, il n’a pas en cela enfreint les dispositions de la Loi, car s’il a refusé de la représenter, c’est parce qu’elle n’avait pas, depuis 2006, versé sa cotisation syndicale et non pour un motif de distinction illicite.

 

[7]               Dans son rapport, Mme Bouchard a résumé en ces termes les allégations de la demanderesse :

[traduction]

2.         La plaignante affirme que c’est en raison de son sexe qu’on a refusé d’assurer correctement sa représentation. Cette allégation d’une différence de traitement qui lui était défavorable renvoie à une série d’événements englobant les procédures de candidature de son employeur, le retrait de fonctions intérimaires, et le fait qu’on ne l’ait pas aidée à parvenir à un arrangement lors de ses efforts pour reprendre le travail.

 

3.         En 2005, la plaignante a obtenu un congé de cinq ans de son employeur, ce qui permet de diviser en deux périodes distinctes ses allégations de discrimination, soit la période qui précède son congé, et celle au cours de laquelle elle a tenté de reprendre le travail après son congé […] Les deux séries d’allégations sont les suivantes :

 

a)                  La plaignante affirme qu’entre les mois de janvier 2002 et décembre 2005, le défendeur n’a pas, en raison de son sexe, assuré correctement sa représentation alors qu’elle tentait d’obtenir et de conserver un poste de psychologue de l’établissement de niveau PS‑04.

 

b)                 La plaignante soutient qu’en mars 2010, encore en raison de son sexe, le défendeur n’a pas assuré correctement sa représentation alors qu’elle tentait de reprendre le travail.

 

 

[8]               Mme Bouchard a résumé les arguments du défendeur, précisant que la demanderesse aurait la possibilité de répondre au rapport fondé sur les articles 40 et 41. Elle a souscrit aux arguments avancés par le défendeur et a conclu que, de toute évidence, en 2010, le défendeur n’avait pas refusé de représenter ou d’aider la demanderesse pour des motifs discriminatoires, mais simplement parce qu’à l’époque elle ne faisait pas partie du syndicat. Il convient de rappeler que la réponse de la demanderesse à cet argument n’a été portée à l’attention de la Commission qu’après la rédaction du rapport fondé sur les articles 40 et 41.

 

[9]               Voici à cet égard les passages pertinents du rapport fondé sur les articles 40 et 41 :

[traduction]

3          En mai 2006, la plaignante a commencé à exercer des fonctions au ministère de la Défense nationale (MDN). À partir de 2006, également, la plaignante a cessé d’acquitter sa cotisation syndicale et n’était donc plus considérée comme membre de l’Institut [...]

 

[...]

 

24.       De toute évidence, la plaignante a cessé d’acquitter sa cotisation syndicale en 2006, et elle n’est plus membre de l’Institut. Par conséquent, à partir du congé qu’elle a pris en 2006 et des fonctions qu’elle a ensuite exercées au MDN, elle n’était plus membre du défendeur, ni représentée par lui. L’alinéa 9(1)c) s’applique à « un adhérent ou [à un] individu à l’égard de qui elle [l’organisation syndicale] a des obligations aux termes d’une convention collective ». Étant donné qu’en mars 2010, la plaignante ne faisait plus partie de l’Institut, celui‑ci ne saurait se voir reprocher un acte discriminatoire au sens de l’article 9 de la Loi. Ce raisonnement s’étend à l’application de l’article 10, qui, dans ce même contexte, prévoit que constitue un acte discriminatoire toute mesure « [si elle] est fondé[e] sur un motif de distinction illicite, et [si elle] est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus ». De toute évidence, étant donné que la plaignante n’était pas, en mars 2010, membre du syndicat, elle n’était pas soumise aux politiques ou pratiques du défendeur et ne pouvait donc pas, au sens de l’article 10 de la Loi, faire l’objet d’un acte discriminatoire.

 

25.       La plaignante n’a, de toute évidence, aucun motif raisonnable de croire que le défendeur n’a pas assuré sa représentation en raison de son sexe. Bien que la plaignante ait peut‑être des motifs raisonnables de faire les allégations contenues dans la première série, il est manifeste qu’au regard de la deuxième série d’allégations, si le défendeur n’a pas assuré la représentation de la demanderesse, ou ne lui a pas accordé son aide, ce n’est pas, comme le soutient la plaignante, en raison de son sexe, mais parce qu’elle n’était pas membre de l’Institut.

 

 

[10]           En ce qui concerne l’objection concernant le dépassement des délais, Mme Bouchard a estimé que bien que les deux séries d’allégations se ressemblent, les allégations ne sont pas les mêmes et portent sur deux questions distinctes. Estimant que l’allégation concernant les événements remontant à 2010 ne relevait pas de la compétence de la Commission, elle ne s’est penchée que sur la première série d’allégations. Elle a constaté que les allégations de cette première série touchaient des faits précédant de plus de quatre ans le dépôt de la plainte. Elle a jugé, sur le fondement du paragraphe 41(1)e) de la Loi, qu’il n’y avait pas lieu pour la Commission de proroger le délai de prescription. Mme Bouchard a indiqué que la demanderesse avait manqué de diligence dans le dépôt de sa demande de réparation et qu’en raison de ce retard, le défendeur serait gravement lésé dans sa capacité de se défendre et de répondre aux allégations formulées contre lui.

 

[11]           Dans sa décision, la Commission ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si les allégations devaient être considérées comme formant deux séries différentes d’allégations, ou comme une seule série de mesures discriminatoires espacées dans le temps. Ses motifs sur ce point sont brefs et formulés de la manière suivante :

[traduction]

Si l’intimé n’a pas assuré la représentation de la plaignante à l’époque à laquelle remontent les allégations de 2010, c’est parce que la plaignante n’était à l’époque pas membre du syndicat, et non pour un motif de distinction illicite. Cela étant, et puisque la plaignante n’était plus membre du syndicat défendeur depuis 2006 étant donné qu’elle n’avait pas acquitté la cotisation syndicale, il serait raisonnable de conclure qu’à partir de 2006 aucune des allégations formulées ne peut fonder une plainte. Les allégations restantes remontant à plus d’un an avant le dépôt de la plainte devant la Commission, il n’y a pas lieu de les retenir, car le défendeur a établi que, par le dépôt tardif de sa plainte, la plaignante a sérieusement nui à sa capacité de répondre à la plainte.

 

 

[12]           Pour ces motifs, la Commission a décidé de ne pas instruire la plainte de la demanderesse.

 

II. Questions en litige

[13]           La seule question soulevée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si c’est à tort que la Commission a décidé de ne pas instruire la plainte de la demanderesse. Cette question peut cependant être scindée en deux sous‑questions :

‑ La Commission a‑t‑elle commis une erreur en décidant que, en ce qui concerne les événements survenus en 2010, la plainte déposée par la demanderesse n’était pas de sa compétence?

‑ La Commission a‑t‑elle commis une erreur en décidant qu’il n’y avait pas lieu de retenir les allégations concernant des faits remontant à plus de quatre ans avant le dépôt de la plainte?

 

III. Norme de contrôle

[14]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62, 1 RCS 190 [l’arrêt Dunsmuir], la Cour suprême a jugé que, s’agissant de l’analyse relative à la norme de contrôle applicable, la première étape consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier [...] »

 

[15]           Je considère que la jurisprudence a établi de manière satisfaisante que lorsque la Commission refuse d’instruire une plainte parce que celle‑ci ne révèle aucun lien avec un motif de distinction illicite, la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité (Best c Canada (Procureur général), 2011 CAF 351, au paragraphe 2, 427 NR 381; Hartjes c Canada (Procureur général), 2008 CF 830, aux paragraphes 16 à 21 et 30, 334 FTR 277 [Hartjes]; Tomar c Banque Toronto Dominion, 2009 CF 595, au paragraphe 25, 345 FTR 262; voir également les principes dégagés dans l’arrêt Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, aux paragraphes 17 et 27, 343 DLR (4th) 385 [Halifax Regional Municipality]; Canada (Procureur général) c Maracle, 2012 CF 105, aux paragraphes 17 à 21, [2012] 2 CNLR 37 [Maracle]).

 

[16]           La question du dépôt tardif de la plainte et de l’opportunité pour la Commission de proroger le délai de prescription est elle aussi susceptible de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable. Ce type de décision se fonde sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et la Cour devrait à cet égard faire preuve de déférence (Halifax Regional Municipality, précité, au paragraphe 17; Richard c Canada (Procureur général), 2010 CAF 292, aux paragraphes 9, 15, 327 DLR (4th) 292; Bredin c Canada (Procureur général), 2008 CAF 360, au paragraphe 16, 383 NR 192).

 

[17]           Le rôle incombant à la Cour à l’occasion du contrôle judiciaire d’une décision au regard de la norme du caractère raisonnable est défini au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, précité :

[…] La cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable se demande si la décision contestée possède les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

IV. Les arguments des parties

A) Les arguments de la demanderesse

(1) La Commission a‑t‑elle commis une erreur en décidant que, en ce qui concerne les événements survenus en 2010, la plainte de la demanderesse n’est pas de sa compétence?

 

[18]           Selon la demanderesse, la décision prise par la Commission en application de l’alinéa 41(1)c) de la Loi est viciée. Elle soutient en premier lieu qu’il était déraisonnable pour la Commission de conclure qu’elle n’était pas membre du syndicat défendeur. Elle fait en deuxième lieu valoir que la Commission n’a pas répondu aux arguments qu’elle a avancés en réponse au rapport fondé sur les articles 40 et 41.

 

[19]           Selon la demanderesse, en concluant qu’en mars 2010, lorsqu’elle a demandé l’aide du syndicat, elle n’en était pas membre, la Commission a retenu une interprétation beaucoup trop étroite de l’alinéa 41(1)c) de la Loi et de ce qu’il convient d’entendre par le terme d’adhérent. Cette disposition doit plutôt faire l’objet d’une interprétation large afin de protéger les droits reconnus par la Constitution. La Commission, dans son interprétation du mot « adhérent », n’a pas tenu compte du fait que la demanderesse est, aux termes mêmes de la convention collective, tenue d’appartenir à un syndicat et qu’elle était par conséquent soumise aux politiques et procédures de ce syndicat.

 

[20]           La demanderesse fait en outre valoir qu’à l’époque où le défendeur a refusé d’assurer sa représentation, elle faisait effectivement partie du syndicat. Elle n’était simplement pas membre en règle. Le paragraphe 14.2.4.1 des statuts du défendeur prévoit qu’« un retard de plus de quatre‑vingt‑dix (90) jours dans le versement de la cotisation donne lieu à la perte de qualité de membre ‘en règle’. Le membre ‘fautif’ peut redevenir membre ‘en règle’ en payant la somme due ». L’emploi dans le statut du mot « membre » montre bien qu’elle continuait à appartenir au syndicat et que son emploi était pleinement couvert par la convention collective. La demanderesse soutient qu’il serait déraisonnable d’empêcher un membre (même un membre qui n’est pas en règle) de demander réparation d’une atteinte aux droits de la personne.

 

[21]           La demanderesse fait par ailleurs valoir que la Commission n’a pas pris en compte les raisons l’ayant portée à ne pas acquitter la cotisation syndicale. Elle affirme, en premier lieu, qu’elle a cessé de verser la cotisation syndicale lorsqu’elle est partie en congé sans solde puisqu’elle ne touchait dorénavant aucun salaire sur lequel la cotisation aurait pu être prélevée. Deuxièmement, cette situation survient chaque fois que quelqu’un prend un congé sans solde et cela lui était déjà arrivé une fois auparavant. D’ordinaire, l’intéressé recommence à verser la cotisation syndicale lorsqu’il reprend le travail. En l’occurrence, le défendeur ne lui a proposé aucune facilité de remboursement. Elle aurait volontiers repris les versements et remboursé les arriérés n’eût été les conversations qu’elle a eues avec un représentant du défendeur quand, en mars 2010, elle a sollicité l’aide du syndicat. Elle reconnaît qu’on lui a dit que le défendeur n’assurerait pas sa représentation si elle ne remboursait pas ce qu’elle devait au titre des cotisations, mais elle avait retenu de ces conversations avec le représentant du défendeur que celui‑ci n’accepterait pas de la représenter convenablement même si elle recouvrait son statut de membre en règle. Selon elle, cela allait de pair avec l’attitude discriminatoire qu’elle avait, depuis 2001, constatée chez le défendeur. D’après elle, si la Commission n’a pas pris en compte la raison pour laquelle elle n’avait pas acquitté la cotisation syndicale, c’est en raison justement de la discrimination qui fait l’objet de sa plainte.

 

[22]           La demanderesse soutient que la Commission n’a jamais répondu à ses arguments dans la brève décision qu’elle a rendue.

 

[23]           La demanderesse affirme, par ailleurs, que le rapport fondé sur les articles 40 et 41 contenait une erreur. Mme Bouchard a expliqué qu’en 2006, la demanderesse a quitté le SCC pour le ministère de la Défense nationale. La demanderesse soutient pour sa part qu’en 2006, lorsqu’elle a pris un congé sans solde, elle n’a pas cessé d’être une employée du SCC. Pendant son congé, elle s’est indépendamment engagée par contrat à travailler pour d’autres ministères.

 

B) Les arguments du défendeur

[24]           Le défendeur soutient que s’il a refusé en 2010 d’assurer la représentation juridique de la demanderesse, c’est uniquement parce que celle‑ci n’avait pas remboursé les arriérés, bien qu’on lui ait fait savoir qu’elle y était tenue. La conclusion dans le même sens contenue au rapport fondé sur les articles 40 et 41 reposait sur la preuve soumise à la Commission. Le défendeur avait notamment expliqué à la Commission que l’article 7 de ses statuts indique clairement que seuls les membres en règle bénéficient des droits normalement reconnus aux adhérents. Selon le défendeur, l’alinéa 40(1)c) de la Loi reconnaît à la Commission un pouvoir discrétionnaire considérable lorsqu’il s’agit de décider s’il y a lieu ou non d’examiner une plainte. La décision était par conséquent tout à fait raisonnable.

 

[25]           Le défendeur fait valoir que la prétention de la demanderesse qu’il n’a pas proposé de la représenter convenablement ne correspond pas aux faits. De fait, il n’a pas du tout offert de la représenter. Le défendeur soutient par ailleurs que l’idée que la demanderesse avait l’impression qu’on ne la représenterait pas convenablement est entièrement conjecturale. La demanderesse affirme, sans cependant produire de preuve à l’appui de ses allégations, qu’elle a fait l’objet de mesures discriminatoires. Le défendeur soutient pour sa part que les conseils préliminaires qu’il a donnés à la demanderesse étaient, compte tenu de la situation de celle‑ci, valides et raisonnables.

 

[26]           Selon le défendeur, l’alinéa 41(1)c) de la Loi autorise la Commission à refuser de statuer sur une plainte si la plainte n’est pas de sa compétence ou s’il est évident, à première vue, qu’il n’y a pas eu de discrimination. Les faits démontrent amplement que si le défendeur a refusé d’assurer la représentation de la demanderesse c’est parce que celle‑ci n’avait pas acquitté sa cotisation syndicale. Cela étant, il était raisonnable pour la Commission de décider que, de toute évidence, la plainte n’était pas de sa compétence.

 

[27]           Le défendeur reconnaît la concision de la décision rendue par la Commission, mais affirme que le rapport fondé sur les articles 40 et 41, qui fait lui aussi partie des motifs de la Commission, est plus complet.

 

V. Analyse

[28]           La Commission est en quelque sorte le gardien du Tribunal canadien des droits de la personne. Le rôle de la Commission a été précisé par le juge Laforest dans l’arrêt Cooper c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, au paragraphe 53, 140 DLR (4th) 193 :

53        La Commission n’est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi. Lorsqu’elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu’un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée.  Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante […]

 

 

[29]           Ce rôle a récemment été rappelé par la Cour suprême dans l’arrêt Halifax Regional Municipality, précité, au paragraphe 50 :

 

[30]           Lorsqu’une plainte est déposée, la Commission doit en premier lieu décider si elle entend ou non instruire la plainte en procédant à une enquête. Bien que les décisions et le processus décisionnel de la Commission appellent la déférence (Halifax Regional Municipality, précité, au paragraphe 51), la jurisprudence a établi que la Commission devait se montrer prudente lorsqu’elle rejette une plainte sans procéder au préalable à une enquête. J’ai récemment eu l’occasion de me pencher sur cette prudence nécessaire dans la décision Maracle, au paragraphe 40 :

La Cour a adhéré à ce point de vue dans plusieurs de ses jugements (Comstock, précitée, aux paragraphes 39, 40 et 43; Hartjes, précitée, au paragraphe 30, Hicks, précitée, au paragraphe 22; Michon‑Hamelin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1258, au paragraphe 16 (disponible dans CanLII) (Michon‑Hamelin)), et j’y adhère également. La démarche est conforme au rôle premier que la Loi confère à la Commission, soit celui de gardien chargé d’évaluer les allégations faites dans une plainte et de décider s’il est justifié que le Tribunal examine la plainte. Pour décider si elle doit ou non statuer sur une plainte, la Commission dispose d’un certain pouvoir discrétionnaire, mais elle doit se garder de rejeter sommairement la plainte, car elle rend sa décision à un stade très peu avancé de la procédure et avant la tenue de quelque enquête. Pour répondre correctement à la question de savoir si une plainte est de la compétence de la Commission, il peut être nécessaire de procéder à quelque examen préalable. Il convient de souligner qu’à la fin du processus d’enquête, la Commission peut une fois de plus, au titre du sous‑alinéa 44(3)(1)b)(ii) de la Loi, rejeter une plainte pour défaut de compétence.

 

 

[31]      Au paragraphe 39 de la décision Maracle, précitée, je cite également la démarche proposée par le juge Rothstein dans le jugement Société canadienne des postes c Canada (Commission des droits de la personne) (1997), 130 FTR 241, 71 ACWS (3d) 935 (1re inst.); conf. par (1999), 169 FTR 138, 245 NR 397 (CAF). Selon cette approche, la Commission ne devrait refuser de statuer sur une plainte que lorsqu’il est évident que la plainte n’est pas de sa compétence :

39        Comme nous venons de le voir, la première question que doit trancher la Commission lorsqu’elle reçoit une plainte est de savoir si elle statuera sur cette plainte et fera enquête sur les allégations. L’article 41 de la Loi oblige la Commission à statuer sur toutes les plaintes qui lui sont présentées à moins que la plainte ne tombe sous le coup de l’une des exceptions qui y sont énumérées; l’une de ces exceptions concerne les plaintes ne relevant pas de sa compétence. La démarche que la Commission devrait adopter lorsqu’elle doit décider si une plainte est recevable et que la cour saisie du contrôle judiciaire devrait retenir a été décrite par le juge Rothstein dans Société canadienne des postes c Canada (Commission des droits de la personne) 1997 CanLII 5099 (FC), (1997), 130 FTR 241, 71 ACWS (3d) 935 (1re inst.); conf. par 1999 CanLII 7865 (FCA), (1999), 169 FTR 138, 245 NR 397 (CAF) (Société canadienne des postes). Le juge Rothstein a statué que la Commission devrait déclarer une plainte irrecevable uniquement lorsqu’il est évident que l’affaire outrepasse sa compétence :

 

3           La décision que la Commission rend en vertu de l’article 41 intervient normalement dès les premières étapes, avant l’ouverture d’une enquête. Comme la décision de déclarer la plainte irrecevable clôt le dossier sommairement avant que la plainte ne fasse l’objet d’une enquête, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents. Le traitement des plaintes en temps opportun justifie également cette façon de procéder. Une analyse fouillée de la plainte à cette étape fait, dans une certaine mesure du moins, double emploi avec l’enquête qui doit par la suite être menée. Une analyse qui prend beaucoup de temps retardera le traitement de la plainte lorsque la Commission décide de statuer sur la plainte. S’il n’est pas évident à ses yeux que la plainte relève d’un des motifs d’irrecevabilité énumérés à l’article 41, la Commission devrait promptement statuer sur elle.

 

            [Non souligné dans l’original.]

 

 

[32]           La Cour a à plusieurs reprises eu l’occasion d’adopter cette approche (Comstock c Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CF 335, aux paragraphes 39, 40 et 43, 310 FTR 277; Hartjes, précité, au paragraphe 30; Hicks c Canada (Procureur général), 2008 CF 1059, au paragraphe 22, 334 FTR 260; Michon‑Hamelin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1258, au paragraphe 16 (CanLII)).

 

[33]           La Cour a également précisé que, dans la mesure où le critère du caractère « évident » est très semblable au critère servant à déterminer s’il y a lieu de radier un acte de procédure au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable, il convient d’appliquer ce critère en tenant pour avérées les allégations de fait. C’est l’approche que j’ai adoptée, aux paragraphes 42 et 43 du jugement Maracle, précité :

42        Ainsi que l’affirment les défendeurs, le critère du caractère « évident » proposé par le juge Rothstein est très semblable au critère servant à déterminer s’il y a lieu de radier un acte de procédure au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable. La Commission peut s’inspirer de la démarche proposée par la Cour suprême du Canada dans Hunt c Carey Canada Inc., 1990 CanLII 90 (CSC), [1990] 2 RCS 959, au paragraphe 33, 74 DLR (4th) 321, à l’égard des requêtes de cette nature lorsqu’elle décide si une plainte doit être rejetée sommairement sans tenir d’enquête :

 

Ainsi, au Canada, le critère […] est […] dans l’hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est‑il "évident et manifeste" que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d’action raisonnable?  Comme en Angleterre, s’il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être "privé d’un jugement".  La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d’action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d’intenter son action. […]

[Non souligné dans l’original.] 

 

43        La Cour a adopté une approche semblable dans la décision Michon‑Hamelin, précitée. Au paragraphe 23 de cette décision, la juge Mactavish a statué qu’à l’étape précédant l’ouverture de l’enquête, les allégations de faits figurant dans une plainte devaient être tenues pour avérées. À mon sens, il s’agit d’une interprétation correcte. Les décisions de la Commission ont un caractère préliminaire et reposent sur les arguments présentés par les parties sans que la preuve soit examinée. Une analyse fouillée des allégations du plaignant et des arguments de la partie adverse à l’étape précédant l’ouverture de l’enquête ferait, « dans une certaine mesure du moins, double emploi avec l’enquête qui doit par la suite être menée » (Société canadienne des postes, précité, au paragraphe 3). De plus, si la partie invoquant le défaut de compétence de la Commission soulève à la fois des moyens de fait et de droit, c’est, selon moi, le signe que la Commission doit procéder à quelque forme d’enquête pour décider si les allégations révèlent l’existence d’un lien suffisant avec un motif de distinction illicite.

 

 

[34]           Dans Hartjes, précité, au paragraphe 23, la Cour a estimé que c’est au plaignant qu’il appartient de faire état de renseignements de nature à persuader la Commission de l’existence d’un lien « entre les actes reprochés et un motif de distinction illicite », même si le niveau de la preuve requise n’est pas très exigeant.

 

[35]           En l’espèce, il s’agit de décider s’il est évident que la plainte ne démontre aucun lien entre l’allégation voulant que le défendeur ait refusé d’aider ou de représenter la demanderesse et un motif de distinction illicite. La demanderesse affirme que le défendeur refusait de la représenter convenablement même si elle acceptait de rembourser les sommes qu’elle devait au titre des cotisations syndicales. Ce faisant, le défendeur perpétuait un traitement inégal en raison du sexe de la demanderesse.

 

[36]           En toute déférence, j’estime qu’il était déraisonnable pour la Commission de refuser d’instruire la plainte.

 

[37]           Il ressort clairement de la décision de la Commission que celle‑ci a adopté la thèse du défendeur, qui soutenait avoir refusé d’assurer la représentation de la demanderesse parce qu’à l’époque en cause celle‑ci n’était pas membre du syndicat défendeur puisqu’elle n’avait pas remboursé les arriérés de sa cotisation syndicale. Dans sa réponse au rapport fondé sur les articles 40 et 41, la demanderesse avait cependant avancé plusieurs arguments réfutant cette allégation. Il s’agissait des mêmes arguments que ceux qu’elle a soulevés devant la Cour. Elle a fait notamment valoir que ses discussions avec un représentant du défendeur l’avaient convaincue qu’on n’assurerait pas convenablement sa représentation même si elle remboursait sa cotisation syndicale, et que c’est pour cela qu’elle ne l’avait pas fait. La demanderesse a par ailleurs soutenu que si elle n’était pas membre en règle du syndicat en raison des arriérés de cotisation syndicale, elle n’en demeurait pas moins « membre », et que l’attitude du défendeur à son égard était une manifestation des pratiques discriminatoires de celui‑ci. Dans la longue réponse qu’elle a apportée au rapport fondé sur les articles 40 et 41, la demanderesse a formulé ces arguments et fait valoir que sa plainte relevait de la compétence de la Commission. Il ressort du rapport fondé sur les articles 40 et 41 que Mme Bouchard n’a pas pris en compte la thèse de la demanderesse, n’évoquant que la position du défendeur et indiquant que la demanderesse aurait l’occasion de faire valoir ses arguments dans sa réponse au rapport.

 

[38]           La lecture de la décision extrêmement brève de la Commission ne me permet pas de dire si celle‑ci s’est penchée sur les allégations et arguments avancés par la demanderesse en réponse au rapport fondé sur les articles 40 et 41.

 

[39]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 à 16, [2011] 3 RCS 708, la Cour suprême a précisé que les tribunaux administratifs ne sont pas tenus de reprendre intégralement, dans les motifs de leur décision, tous les éléments du dossier :

16        Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.  Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c Nipawin District Staff Nurses Assn., 1973 CanLII 191 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

 

[40]           Selon moi, cependant, l’arrêt de la Cour suprême ne veut pas dire qu’un tribunal administratif est dispensé de l’obligation de motiver de manière satisfaisante sa décision. Je constate, à la lecture de la décision de la Commission, que celle‑ci a fait sienne la thèse du défendeur qui affirmait qu’en mars 2010 la demanderesse n’était pas membre du syndicat défendeur et que c’est pour cela que celui‑ci a refusé d’assurer sa représentation. La décision ne fait cependant nulle mention des arguments avancés par la demanderesse pour réfuter cette thèse. Ces arguments et allégations n’avaient pourtant rien de « subordonné », mais se situaient au cœur même de l’argumentation développée par la demanderesse. J’estime que ces arguments étaient suffisamment sérieux pour mériter qu’on les étudie plus avant, ou à tout le moins, pour qu’on les mentionne dans la décision de la Commission. Il convient de relever que la Commission a en cela agi avant de procéder à une enquête, c’est‑à‑dire à une étape de la procédure où il y a lieu pour elle de tenir pour avérés les faits allégués par la demanderesse. Or, sa décision a eu pour effet de rejeter la plainte de la demanderesse sans chercher à en savoir plus.

 

[41]           Il convient également de retenir que le fait de rejeter une plainte avant de procéder à une enquête a quelque chose d’exceptionnel. Selon moi, la Commission est tenue de s’expliquer lorsque, aux termes de l’article 41 de la Loi, elle estime qu’une plainte n’est pas de sa compétence. Cette obligation d’expliquer sa décision doit être adaptée en fonction du contexte de la plainte. La Commission n’est peut‑être pas tenue de fournir des motifs détaillés, mais elle doit à tout le moins donner à l’auteur de la plainte le sentiment qu’avant d’écarter ses allégations, elle les a considérées. Cela est particulièrement important lorsque certains arguments ne sont pas pris en compte lors de la rédaction du rapport fondé sur les articles 40 et 41 et ne sont avancés qu’en réponse à ce rapport. Je considère que, compte tenu des circonstances précises de la présente affaire, la demanderesse et la Cour devraient avoir l’assurance que les principaux arguments développés par la demanderesse ont été pris en compte par la Commission avant de conclure que la plainte ne relevait à l’évidence pas de sa compétence. Comme elle n’est pas certaine que la Commission s’est effectivement penchée sur ces arguments et qu’il ne lui appartient pas de dire si la plainte en question aurait dû faire l’objet d’une enquête, la Cour n’est pas, selon moi, en mesure de déterminer si la décision de la Commission fait partie des issues possibles acceptables.

 

[42]           La situation en l’espèce ressemble d’une certaine manière à celle soumise à la Cour dans l’affaire Hicks, où la juge Snider s’est prononcée en ces termes, aux paragraphes 24 et 25 la décision :

24        À mon avis, le principal problème que soulève la décision de la Commission est qu’elle ne traite d’aucuns des arguments présentés par M. Hicks dans sa réponse du 4 septembre 2007. Dans sa réponse, M. Hicks a présenté des observations détaillées au sujet de la compétence, et il a fait référence à de la jurisprudence qui semblait donner une interprétation moins restrictive des motifs de la situation de famille et de la déficience que celle qui a apparemment été donnée par la Commission. Je ne sais pas si la Commission a tenu compte des arguments invoqués par M. Hicks dans sa réponse ou, si elle en a tenu compte, pourquoi elle a jugé que ces arguments n’étaient pas fondés.

 

25        L’affaire dont je suis saisie est très semblable à celle dans Johnstone. Je prends acte des arguments présentés par la Commission en l’espèce selon lesquels les droits de la personne garantis par la LCDP n’ont pas la portée que tente de leur donner M. Hicks. La Commission a peut‑être raison. Cependant, compte tenu du dossier dont je dispose, je ne peux conclure avec certitude que les arguments présentés par M. Hicks ont été entendus et pris en compte. En d’autres mots, je ne suis pas convaincue que l’absence de discrimination est évidente. Par conséquent, qu’elle soit contrôlée suivant la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte, la décision ne peut, selon moi, être maintenue.

 

 

[43]           Les mêmes principes s’appliquent en l’espèce et il y a, par conséquent, lieu pour la Cour d’intervenir.

 

[44]           La décision qu’a prise la Commission de rejeter les allégations concernant les événements de l’année 2010 a influencé sa décision au sujet du dépôt tardif de la plainte. Elle ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si les événements intervenus entre 2001 et 2006 faisaient partie d’une longue suite d’actes discriminatoires, ou s’ils constituaient deux séries d’allégations distinctes. Il n’y a donc pas lieu pour la Cour de se pencher sur la seconde sous‑question soulevée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[45]           L’affaire devrait être renvoyée devant la Commission. Celle‑ci devrait examiner à nouveau la plainte de la demanderesse et se pencher sur l’ensemble des circonstances pertinentes, y compris les arguments soulevés par la demanderesse qui soutient que sa plainte est effectivement de la compétence de la Commission. Compte tenu des conclusions auxquelles elle est parvenue, la Commission n’aura pas nécessairement à se prononcer sur la question de savoir si, au regard de l’alinéa 41(1)e) de la Loi, la plainte a été déposée dans les délais prévus.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

1.                  La demande est accueillie.  

2.                  La décision de la Commission est infirmée.

3.                  L’affaire est renvoyée devant la Commission pour qu’elle procède à un nouvel examen.

4.                  Les dépens sont adjugés en faveur de la demanderesse.

 

 

« Marie‑Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1471‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  PATRICIA CONROY c
L’INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 28 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE BÉDARD

 

DATE :                                                          Le 13 juillet 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia Conroy

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Steven Welchner

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Welchner Law Office Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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