Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 


Date : 20120627

Dossier : T-1397-11

Référence : 2012 CF 820

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2012

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

 

SYLVIE LAPALME

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’examiner la légalité d’une décision rendue le 7 juillet 2011 par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) [Tribunal] rejetant une demande de réexamen présentée par la demanderesse en vertu de l’article 32 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, ch 18 [LTAC].

 

[2]               Commençons par rappeler qu’en vertu du paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, LRC 1985, ch P-6 [LP], les pensions sont, sur demande, accordées aux membres des Forces canadiennes [les forces] ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I de la LP pour les pensions de base ou supplémentaires en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie – ou son aggravation – consécutive ou rattachée directement au service militaire.

 

[3]               Le paragraphe 34(3) de la LP permet notamment au ministre des Anciens Combattants [ministre] d’accorder une pension à un membre des forces à l’égard de tout enfant à charge. L’article 3 de la LP définit le mot « enfant » comme incluant, entre autres, l’enfant du conjoint de fait d’un membre des forces. Toutefois, aux termes de l’article 43 de la LP, certaines conditions doivent être remplies :

Il ne sera versé une pension supplémentaire d’invalidité à un membre des forces à l’égard d’un conjoint ou d’un enfant à charge que si cette personne demeure avec le membre ou, selon le cas, subvient à ses besoins ou est à sa charge dans une mesure que le ministre estime au moins égale au montant de la pension supplémentaire.

Additional pension for disability shall not be paid to a member of the forces in respect of a spouse or a dependent child unless the person in respect of whom additional pension is payable lives with the pensioner or maintains, or is maintained by, the pensioner to an extent that, in the opinion of the Minister, is at least equal to the amount of the additional pension.

 

                                                                                                [nos soulignés]

 

[4]               En l’espèce, la demanderesse qui a servi dans les forces pendant 22 ans, reçoit déjà une pension d’invalidité, ainsi qu’une pension supplémentaire à l’égard de sa conjointe de fait et d’un premier enfant à charge. La demanderesse vit avec sa conjointe de fait depuis le 1er août 2002. Cette dernière a deux fils, nés en 1987 et en 1993, Samuel et Marc-André. Samuel vit avec la demanderesse et sa conjointe alors que Marc-André vit chez son père depuis 2001, date de la séparation de ses parents, et passe une fin de semaine sur deux ainsi que ses vacances estivales chez la demanderesse et sa conjointe de fait.

[5]               En juillet 2007, la demanderesse réclame le versement d’une pension supplémentaire à l’égard de Marc-André. Si sa demande est acceptée, la demanderesse peut donc s’attendre à recevoir mensuellement une pension supplémentaire pour un second enfant à charge. Selon la preuve au dossier, Marc-André demeure à l’époque avec la demanderesse environ 114 jours sur un total possible de 365 jours par année.

 

[6]               Projetée sur une période 12 mois, on parle d’une pension supplémentaire pouvant aller jusqu’à 495,12 $ en 2006, 506,40 $ en 2007, et 516,60 $ en 2008, selon les taux prévus à l’annexe I de la LP (Tableau A, catégorie : 17, échelle : 18-22, pourcentage : 20%). Toutefois, aucune pension supplémentaire ne pourra être versée à l’égard de Marc-André après le dernier jour du mois de son 18e anniversaire, à moins que la demanderesse ne puisse prouver qu’il s’agit d’un des deux cas mentionnés aux alinéas 34(1)a) et 34(1)b) de la LP. Marc-André a eu 18 ans en 2009.

 

[7]               En octobre 2007, le Ministère des Anciens Combattants [Ministère] refuse la demande de pension supplémentaire à l’égard de Marc-André au motif que ce dernier est domicilié principalement chez son père et ne vit pas à plein temps chez la demanderesse. En juin 2008, ce refus initial est maintenu lors d’une révision ministérielle au motif, cette fois, que Marc-André « aurait besoin de vivre avec [la demanderesse] à plein temps ou bien, [la demanderesse devrait] soumettre la preuve de [son] obligation légale de fournir le maintien en son nom ». Insatisfaite du résultat, la demanderesse s’adresse alors au Tribunal qui a compétence exclusive pour statuer, en révision et en appel, sur le refus du Ministère d’accorder une pension ou une pension supplémentaire à un membre des forces. Tant le comité de révision que le comité d’appel du Tribunal décident que le refus ministériel est justifié en l’espèce.

[8]               Au soutien de sa demande de révision, la demanderesse dépose au Tribunal une déclaration du père de Marc-André qui confirme qu’il n’existe aucune entente légale quant à la garde de Marc-André et que c’est d’un commun accord que tous les frais rattachés à sa subsistance sont payés moitié-moitié par sa mère (la conjointe de fait de la demanderesse) et lui. Dans une autre déclaration, la conjointe de fait de la demanderesse confirme que la demanderesse a elle-même reconnu Marc-André comme enfant à charge auprès de son ancien employeur, la Défense nationale, et continue de verser à partir de son chèque de pension, des cotisations pour les assurances médicales et dentaires de Marc-André. De plus, la conjointe de fait de la demanderesse souligne que puisqu’elle est elle-même sans emploi depuis 2004, la demanderesse aide financièrement à l’entretien de Marc-André.

 

[9]               Comme le permet la LTAC, la demanderesse témoigne également devant le comité de révision. La demanderesse explique que Marc-André est comme son enfant, puisqu’il est l’enfant de sa conjointe de fait. Elle mentionne que les frais d’orthodontie qui sont prodigués à Marc-André ont été estimés à 5 400 $ sur une période de trois ans et que les soins ont débuté en août 2007. La demanderesse doit donc payer la différence du maximum admissible à l’assurance, soit 2 900 $, la compagnie d’assurance acceptant de rembourser 2 500 $. Ce montant de 2 900 $ est réparti sur trois ans. Elle n’a pas demandé au père de Marc-André, par l’entremise de sa conjointe de fait, de participer au paiement des frais liés aux soins d’orthodontie, comme il le fait pour les autres choses. La demanderesse souligne que pour les affaires scolaires, tout est divisé à 50% avec le père, et comme sa conjointe de fait ne travaille pas depuis quatre ans, c’est la demanderesse qui couvre la moitié des frais. La demanderesse estime que le montant annuel qu’elle doit couvrir pour l’enfant est de 2 000 à 3 000 $, et le père en rembourse la moitié. Donc, elle couvre elle-même 1 000 à 1 500 $ par année, en plus des soins d’orthodontie.

 

[10]           Dans sa décision négative du 12 mars 2009, le comité de révision considère que Marc-André est un « enfant » au sens de la définition du paragraphe 3(1) de la LP. Toutefois, il considère « que [le paragraphe 34(3) de la LP] n’est pas rencontré », alors que les exigences de l’article 43 de la LP ne sont pas rencontrées à chaque année :

En ce qui concerne l’article 43, le Tribunal croit que les exigences de cet article sont rencontrées selon la déclaration de la demanderesse. Toutefois, le Tribunal, avec la preuve au dossier concernant les factures soumises (RD-L1), a des doutes sur la régularité des remboursements faits par la demanderesse, compte tenu que l’enfant est dans cette situation-là depuis l’année suivant le début de la liaison de fait en 2001, donc, depuis 2002. De plus, le Tribunal n’a pas été saisi de documents permettant de voir si, à chaque année, les exigences de l’article 43 étaient rencontrées.

 

 

[11]           Le comité de révision note également dans sa décision qu’en vertu des politiques du Ministère, Marc-André ne vit pas plus de 50% du temps avec la demanderesse. D’autre part, le comité de révision souligne que les conditions pour qu’une relation parent-enfant existe, ne sont pas toutes satisfaites, à l’exception (semble-t-il) de l’exigence mentionnée au paragraphe (e) de l’item 4 des politiques du Ministère. Cette dernière exigence ministérielle prescrit : « le bénéficiaire d’une pension subvient aux besoins de l’enfant dans une mesure qui est au moins égale au montant de la pension supplémentaire. »

 

[12]           La demanderesse fait appel. Le 22 septembre 2010, le comité d’appel sur l’admissibilité confirme la décision du comité de révision. Ainsi, bien que la loi doit être interprétée « d’une façon libérale », tel que l’exige l’article 2 de la LP, le comité d’appel sur l’admissibilité ne peut retenir l’argumentation soumise par l’avocat de la demanderesse concernant les paragraphes 34(3) et 21(2), et l’article 43, et qu’il trouve « exagérée jusqu’au point que le Tribunal ne l’a considère pas valable ».

 

[13]           D’une part, le paragraphe 34(3) de la LP « fait partie intégrante de toute question de l’octroi et versement d’une pension d’invalidité à un membre des forces à l’égard d’un enfant à charge ». D’autre part, les politiques du Ministère s’appliquent et la seule question est de déterminer s’il y a suffisamment de preuves pour établir que la demanderesse subvient d’une façon « continue et non intermittente » aux besoins de Marc-André :

Le tribunal comprend des preuves déjà disponibles dans le dossier que, de temps à autre, l’appelante a possiblement subvenu aux besoins de [Marc-André] pour de courtes périodes, mais jamais d’une façon continue et suffisante pour établir clairement qu’elle a la tutelle de [l’enfant], qui demeure la plupart du temps chez son père. Malheureusement, ne l’ayant pas reçu lors de l’audition par le comité d’appel, le Tribunal ne peut trouver aucune preuve ou argumentation supplémentaire pour changer cette compréhension de la situation de l’appelante. Selon la preuve, sa situation reste toujours comme c’était lors de l’audition devant le comité de révision.

 

                                                                        [nos soulignés]

 

 

[14]           Bien que la décision du 22 septembre 2010 soit définitive et exécutoire, le paragraphe 32(1) de la LTAC accorde au Tribunal un pouvoir de réexamen si le comité d’appel constate que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées, ou encore si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés. En l’espèce, la demande de réexamen de la demanderesse est refusée le 7 juillet 2011, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[15]           La demanderesse invoque trois motifs d’intervention judiciaire : 1) l’exigence selon laquelle la demanderesse doit subvenir aux besoins indispensables de l’enfant de sa conjointe « de façon continue et non pas intermittente » va directement à l’encontre de l’article 43 de la LP; 2) contrairement aux prescriptions de l’article 39 de la LTAC, le Tribunal a écarté le témoignage non contredit de la demanderesse et a omis de tirer les conclusions les plus favorables de la preuve au dossier; et 3) le Tribunal n’a pas motivé convenablement sa décision.

 

[16]           Notons que toute question de respect par le Tribunal des règles d’équité procédurale est soumise à la norme de la décision correcte. Autrement, l’évaluation de la légalité du refus du comité d’appel en réexamen de réviser une décision d’un comité d’appel du Tribunal est soumise à la norme de la décision raisonnable (Cossette c Canada (Procureur général), 2011 CF 416 au para 12; Bullock c Canada (Procureur général), 2008 CF 1117 aux paras 12-13). Il en est de même de l’interprétation et de l’application faites par le comité d’appel de sa loi constitutive et des dispositions de la LP en matière de pension et de pension supplémentaire (Ladouceur c Canada (Procureur général), 2011 CAF 247 au paras 8-9).

 

[17]           L’arrêt rendu par la Cour Suprême du Canada dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] a confirmé que la cour de révision appelée à statuer sur le caractère raisonnable d’une décision s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ». En l’espèce, l’obligation pour le Tribunal de motiver ses décisions découle non seulement des principes établis dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker]), mais aussi de l’article 7 du Règlement sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (DORS/96-67).

[18]           Comme l’a récemment rappelé la Cour Suprême dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union], il est inutile d’expliciter l’arrêt Baker en indiquant que les lacunes ou les vices dont seraient entachés les motifs appartiennent à la catégorie des manquements à l’obligation d’équité procédurale. Ainsi, le raisonnement qui sous-tend la décision/le résultat ne peut être remis en question que dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de celle-ci.

 

[19]           À ce chapitre, les motifs d’une décision doivent notamment comporter suffisamment de renseignements pour permettre à une partie de décider s’il convient ou non d’en demander la révision judiciaire, d’une part, et à la cour de révision d’évaluer si le tribunal a satisfait aux normes minimales de légalité, d’autre part. Cela dit, la décision est justifiée et intelligible lorsque son fondement est précisé et qu’il est compréhensible, rationnel et logique (Ralph c Canada (Procureur général), 2010 CAF 256 aux paras 17-19 [Ralph]). Il n’est pas nécessaire que les motifs fassent référence à tous les arguments ou détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire. S’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables, les motifs répondent alors aux critères établis dans Dunsmuir (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, au para 16).

 

[20]           Je commencerai par les reproches formulés par la demanderesse quant à l’intelligibilité et à la suffisance des motifs fournis au soutien du refus du comité d’appel en réexamen de réviser la décision du 12 mars 2009. D’une part, selon la demanderesse, les motifs contenus dans la décision du 22 septembre 2011 ne lui permettent pas de comprendre pourquoi, en l’espèce, la demande de réexamen est rejetée. D’autre part, selon la demanderesse, aucune des deux décisions du comité d’appel (admissibilité et réexamen) n’adresse vraiment la question de droit touchant la légalité des exigences ministérielles à la lumière des prescriptions législatives que l’on retrouve aux articles 21 et 43 de la LP. De son côté, le défendeur soumet que le comité de réexamen a justifié son refus d’intervenir, alors que les motifs antérieurement fournis par le comité d’appel sur l’admissibilité sont également suffisants car ils répondent aux objectifs fondamentaux de l’obligation de motiver, suivant les enseignements de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ralph.

 

[21]           En l’espèce, les reproches formulés par la demanderesse à l’endroit de la suffisance et de l’intelligibilité des motifs de la décision contestée sont injustifiés. Je m’empresse de préciser qu’il faut lire la décision du comité d’appel en réexamen en lumière avec les décisions antérieures du comité d’appel d’admissibilité et du comité de révision (Caswell c Canada (Procureur général), 2004 CF 1364 aux paras 18-19).

 

[22]           En premier lieu, le comité d’appel en réexamen reconnaît dans la décision contestée qu’il exercera la discrétion conférée par l’article 32 de la LTAC, s’il est satisfait que la décision du comité d’appel sur l’admissibilité a été « influencée » par une erreur de droit ou de fait « significative et matérielle », ou encore, qu’il existe de nouveaux éléments de preuve appropriés répondant aux critères jurisprudentiels (MacKay c Procureur général du Canada, [1997] ACF 495 au para 26). À cet égard, je note que dans sa demande de réexamen en date du 14 janvier 2011, la demanderesse ne se fonde pas sur l’existence de nouveaux éléments de preuve pour demander la révision de la décision du comité d’appel sur l’admissibilité, mais bien sur des erreurs de fait et de droit.

 

[23]           Dans la décision contestée, le comité d’appel en réexamen explique également qu’une « erreur de fait » peut être une erreur commise par le comité d’appel sur l’admissibilité relativement à un « fait pertinent », alors qu’il peut exister différentes erreurs de droit, entre autres le défaut d’appliquer les dispositions législatives appropriées, un manquement à la justice naturelle et le non-respect de l’article 39 de la LTAC.

 

[24]           D’ailleurs, la demanderesse invoque le non-respect de cette disposition à titre de moyen d’annulation de la décision contestée. Nous y reviendrons plus loin. Rappelons ici que l’article 39 de la LTAC établit des règles spécifiques sur la façon dont le Tribunal doit apprécier la preuve qui lui est soumise par le demandeur ou l’appelant :

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

 

[25]           Dans la décision contestée, le comité d’appel en réexamen dit également avoir fait une « révision complète » de la documentation et des arguments de la demanderesse, mais ne mentionne pas spécifiquement ceux-ci. Disons qu’il s’agit essentiellement des mêmes arguments qui ont été présentés au comité de révision et au comité sur l’admissibilité.

 

[26]           Je note que dans sa demande de réexamen, la demanderesse soumet que le comité d’appel sur l’admissibilité devait uniquement se demander si Marc-André demeurait avec la demanderesse ou si celle-ci subvenait à ses besoins pour un montant au moins égal à la pension supplémentaire mentionnée à l’annexe I de la LP. De plus, l’exigence selon laquelle la demanderesse doit avoir la « tutelle » de Marc-André, va à l’encontre du texte même de l’article 43 de la LP, alors que le droit de recevoir une pension supplémentaire est « automatique » en vertu du paragraphe 21(2) de la LP lorsque l’enfant réside avec le pensionné. Enfin, la demanderesse reproche au comité d’appel sur l’admissibilité de ne pas avoir expliqué pourquoi l’argumentation soumise par l’avocat de la demanderesse concernant les paragraphes 34(3) et 21(2), ainsi que l’article 43 de la LP, est « exagérée » et non « valable ».

 

[27]           Or, il est clair à la lecture de la décision contestée que le comité d’appel en réexamen n’accepte aucun des arguments de révision soulevés par la demanderesse. Essentiellement,  il confirme l’interprétation antérieure du comité d’appel sur l’admissibilité. N’empêche, le comité d’appel en réexamen se réfère explicitement à l’article 43 de la LP et endosse l’interprétation qu’en fait le Ministère dans ses politiques. En somme, selon le comité d’appel en réexamen, le versement d’une pension supplémentaire à l’égard d’un enfant à charge sera autorisé s’il réside avec le pensionné ou si ce dernier subvient aux besoins de l’enfant dans une mesure qui est au moins égale au montant de la pension supplémentaire prévue à l’annexe I de la LP. 

 

[28]           Ainsi, dans la décision contestée, le comité d’appel en réexamen endosse à toutes fins pratiques l’interprétation du Ministère, selon laquelle l’entretien aura été assuré si le pensionné, le conjoint ou l’enfant à charge, selon le cas,

a)      verse des paiements mensuels équivalant à la pension supplémentaire accordée pour le conjoint ou l’enfant à charge, selon le cas, ou

 

b)      paye le coût, ou fournit, des articles considérés comme indispensables (logement, nourriture, vêtements, services médicaux (y compris l’assurance-maladie ou les ordonnances) pourvu que le coût soit égal au montant de la pension supplémentaire accordée pour le conjoint ou l’enfant à charge, selon le cas. Le paiement d’un logement, d’une hypothèque, de taxes foncières, de vêtements, de la nourriture, de l’assurance-maladie ou des ordonnances est admissible à titre d’entretien aux fins de l’article 43 de la LP.

 

 

[29]           En l’espèce, notant qu’aucune nouvelle preuve n’a été présentée par la demanderesse et à la lumière de toute l’information au dossier, le comité d’appel en réexamen arrive à la conclusion que le comité d’appel sur l’admissibilité n’a pas erré en fait et en droit dans sa décision en date du 22 septembre 2010, laquelle confirme la décision du comité de révision (examen) en date du 12 mars 2009. Il est manifeste que les motifs fournis par le comité d’appel en réexamen, lus en corrélation avec les décisions antérieures du Tribunal, permettent à la demanderesse de formuler une demande de contrôle judiciaire, alors que ces derniers motifs sont intelligibles et permettent à la cour de révision de comprendre le raisonnement suivi par les décideurs. Compte tenu de la déférence qu’il faut accorder aux décisions du Tribunal, il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce –, la conclusion du comité d’appel en réexamen constituant une issue acceptable au regard des faits et du droit.

 

[30]           D’une part, la conclusion du comité d’appel en réexamen qu’aucune erreur de droit et de fait n’a été commise par le comité d’appel sur l’admissibilité, ne peut ici se comprendre que si l’on se réfère aux motifs qui ont déjà été fournis par le Tribunal. Ainsi, en concluant que la seule question à répondre est de savoir si la demanderesse a fourni suffisamment de preuves pour établir qu’elle subvient « d’une façon continue et non intermittente » aux besoins de l’enfant de sa conjointe, le Tribunal a-t-il imposé une exigence qui n’est pas prévue à l’article 43 de la LP comme le prétend par ailleurs la demanderesse?

 

[31]           L’article 43 de la LP prévoit expressément que pour avoir droit à une pension supplémentaire, la demanderesse doit établir que l’enfant à charge « demeure » avec elle, ou encore qu’elle « subvient à ses besoins ou est à sa charge » dans une mesure au moins égale au montant de la pension supplémentaire prévue à l’annexe I de la LP. La version anglaise de la même disposition emploie respectivement les termes « lives » et « maintains », « is maintained by »; ce qui, pour le moins, peut raisonnablement supposer une certaine continuité et régularité dans le temps. Je ne peux donc accepter la prétention de la demanderesse à l’effet que le comité d’appel a ajouté un critère étranger aux conditions prévues par la loi en formulant ainsi la question qu’il devait trancher.

 

[32]           D’autre part, je conviens avec la demanderesse que les politiques du Ministère sont des lignes directrices sans force exécutoire et sans caractère contraignant. Cela dit, celles-ci font état de critères pertinents qui permettent au décideur de déterminer si un enfant est ou non à charge du demandeur de pension supplémentaire.

 

[33]           S’agissant de Marc-André, le comité d’appel accepte que le versement de montants mensuels à son acquit permette de le considérer comme « enfant à charge », ce qui ne m’apparaît pas déraisonnable en l’espèce. Le comité d’appel accepte également que le paiement volontaire par la demanderesse d’une partie des frais de logement, de nourriture, de vêtements, de services médicaux (y compris l’assurance-maladie ou les ordonnances) que doivent assumer le père et la mère de Marc-André pour son entretien, puisse donner lieu au versement d’une pension supplémentaire à la condition que les montants payés annuellement soient au moins égaux au montant de la pension supplémentaire pouvant être versée selon l’annexe I de la LP. Cela m’apparaît également raisonnable.

 

[34]           Or, selon la preuve au dossier, Marc-André vit moins d’un tiers de l’année chez la demanderesse, qui n’est pas sa mère, et qui n’est pas non plus sa tutrice légale. Malheureusement, la demanderesse n’a présenté aucune preuve tangible permettant d’établir le montant des frais de subsistance de Marc-André lorsqu’il réside chez elle les fins de semaine et les deux mois de vacances estivales. Même si le Tribunal doit accepter toute preuve non-contredite qui lui semble vraisemblable, n’empêche, il lui est bien difficile de présumer que les frais encourus par la demanderesse sur une base annuelle sont au moins égaux à la pension supplémentaire payable en vertu de l’annexe I de la LP, en l’absence de factures venant corroborer la déclaration de la demanderesse. Au passage, j’en profite pour noter que, selon la preuve documentaire au dossier du Tribunal, sauf en ce qui concerne l’année 2007, le montant des frais encourus par la demanderesse est inférieur au montant de la pension supplémentaire payable pour un deuxième enfant aux taux prévus à l’annexe I de la LP, les factures produites totalisant 154,41 $ en 2006, 1 657,74 $ en 2007, et 512,50 $ en 2008. Pour l’année 2009, il n’y a aucune facture.

[35]           J’estime donc qu’au regard de l’ensemble de la preuve au dossier, le Tribunal pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse n’a pas eu pour charge de subvenir aux besoins essentiels de l’enfant, sinon de façon occasionnelle. Je conclus que le comité d’appel siégeant en réexamen n’a pas agi d’une manière déraisonnable en refusant d’annuler la décision du comité d’appel sur l’admissibilité sur la base d’une erreur matérielle de fait ou de droit.

[36]           Pour tous ces motifs, je conclus que la décision contestée est raisonnable à tous égards et qu’elle doit donc être maintenue par cette Cour.

 

[37]           Le défendeur demande les dépens. Or, il s’agit d’un cas où même si une partie obtient gain de cause, le juge peut décider de ne pas accorder de frais dans l’exercice de sa discrétion. En pratique, le montant des frais et dépens réclamés par le défendeur, soit ceux pouvant être taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B, correspondent plus ou moins au montant de la pension supplémentaire qui aurait été versée à la demanderesse de 2006 à 2009 (en partie). La demanderesse est pensionnée et dispose de peu de moyens financiers. D’ailleurs, sa représentation par les présents procureurs l’est à titre gratuit. Je ne peux non plus dire que cette demande de contrôle judiciaire est frivole ou vexatoire. Enfin, les questions soulevées par la demanderesse sont d’intérêt public et le présent jugement contribuera à l’évolution de la jurisprudence ou du droit applicable en la matière.

 

[38]           Aussi, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée, le tout sans frais.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, le tout sans frais.

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1397-11

 

INTITULÉ :                                      SYLVIE LAPALME c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 19 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                     le 27 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jacquie El-Chammas

Me Nadia Effendi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Talitha A. Nabbali

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Borden Ladner Gervais s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.