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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120704

Dossier : IMM-7725-11

Référence : 2012 CF 843

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

PUSHPARAJAH SUBRAMANIAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur demande le contrôle judiciaire d’une décision, en date du 12 octobre 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Les faits

 

[2]               Le demandeur, Pushparajah Subramaniam, est un Tamoul du Sri Lanka. Il dit que sa famille et lui ont été victimes, pendant de nombreuses années, de persécution et d’extorsion de la part des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les LTTE) et de l’armée sri-lankaise. Son frère a fui en Angleterre en 2006 après avoir été accusé de soutenir les LTTE.

 

[3]               Le demandeur dit qu’il a été arrêté par l’armée en août 2007 et qu’on l’a accusé de donner de l’argent aux LTTE. Il a été tabassé et interrogé, puis relâché grâce à un pot-de-vin de son épouse.

 

La décision contrôlée

 

[4]               Après avoir examiné les affirmations du demandeur, la Commission a conclu que sa crainte de persécution n’était pas fondée pour des raisons de crédibilité. Elle a conclu subsidiairement que la situation avait évolué au Sri Lanka et que le risque allégué par le demandeur était un risque généralisé.

 

Crédibilité

 

[5]               La Commission a relevé que les deux détentions dont le demandeur a fait l’objet s’étaient terminées par une remise en liberté, bien qu’il y eût versement de pots-de-vin. Elle a aussi mentionné que le demandeur n’avait pas été arrêté par les forces de sécurité à son arrivée à Colombo, ni n’avait eu affaire à elles durant son séjour à cet endroit. Il n’avait pas non plus eu de difficultés à quitter le pays, encore qu’avec l’aide d’un intermédiaire. Compte tenu de tous ces éléments, la Commission a estimé qu’aucun mandat d’arrêt n’avait été délivré contre le demandeur et que le demandeur ne figurait pas sur la « liste de surveillance » des forces de sécurité, ce qui l’a amenée à conclure que sa crainte de persécution n’était pas fondée.

 

[6]               La Commission a aussi mis en doute la sincérité du demandeur parce qu’il avait écrit dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’il avait séjourné avec son intermédiaire à Colombo, alors qu’à l’audience il avait dit qu’il avait séjourné avec un parent éloigné de son épouse.

 

Évolution de la situation

 

[7]               Selon la Commission, si la crédibilité du demandeur n’était pas déterminante, l’évolution de la situation l’était. Elle a cité l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, qui dispose qu’une demande d'asile sera rejetée si les raisons qui en sont à l’origine n’existent plus. La Commission a mentionné que la question de savoir si la situation a évolué est une question de fait et que la durabilité, l’efficacité et l’importance de l’évolution sont des facteurs pertinents. Elle a cité un arrêt de la Cour d'appel, Fernandopulle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91, selon lequel la persécution passée n’a pas pour effet d’établir une présomption légale de persécution future.

 

[8]               La Commission a admis que de nombreux Tamouls sont exposés à la persécution par les LTTE, par les forces de sécurité sri-lankaise et par les groupes paramilitaires. Elle a estimé que, vu la condition du demandeur et vu la situation qui a cours maintenant au Sri Lanka, il est peu probable que le demandeur soit exposé à l’un des risques prévus à l’article 97 de la LIPR.

 

[9]               La Commission a fait état de la preuve selon laquelle, eu égard à la nette amélioration de la sécurité au Sri Lanka, les Tamouls n’ont plus besoin d’être protégés en tant que groupe, les demandes d'asile devant plutôt être évaluées en fonction de certains profils de risque, par exemple le fait pour un Tamoul d’être soupçonné de liens avec les LTTE. La Commission a également fait état des éléments suivants :

a.       on supprimait les points de contrôle;

b.      les réfugiés retournaient au Sri Lanka en grand nombre;

c.       d’anciens membres des LTTE ont été détenus ou ont disparu, mais il y a lieu de croire aussi que d’anciens membres des LTTE ont été réhabilités et réintégrés (encore que, selon des informations, l’aide à la réintégration soit insuffisante);

d.      les problèmes de sécurité dans le nord ont beaucoup diminué;

e.       le tourisme dans le nord a augmenté;

f.       il y a encore des déficiences au sein de la police, par exemple de la corruption et un manque de policiers parlant le tamoul, mais le gouvernement fait des efforts importants pour recruter des fonctionnaires de police qui parlent le tamoul;

g.      le tabassage et la torture des détenus durant les interrogatoires étaient courants, mais la preuve était contradictoire s’agissant de la gravité des sévices;

h.      il semble que les rapatriés soient soumis à un contrôle rigoureux, mais il est plus probable que seuls ceux qui sont visés par des mandats d’arrêt ou soupçonnés de liens avec les LTTE soient exposés à un risque à leur retour.

 

[10]           La Commission a conclu que la situation avait évolué d’une manière durable et appréciable pour ce qui concernait le demandeur et que ce dernier n’était donc pas exposé à la persécution ou à l’un des risques prévus aux articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[11]           La demande d'asile a donc été refusée.

 

Norme de contrôle et question en litige

 

[12]           La question déterminante dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte du paragraphe 108(4) de la LIPR. Il y a un certain désaccord sur la norme de contrôle applicable à cette question, mais le raisonnement suivi par la Cour d'appel fédérale dans l’arrêt Yamba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF n° 457, donne à penser que c’est la norme de la décision correcte. La Commission doit tenir compte du paragraphe 108(4) dès lors qu’elle conclut à une évolution de la situation au sens de l’alinéa 108(1)e). Ainsi, une conclusion tirée en application du paragraphe 108(4) sera contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, mais une conclusion portant sur l’opportunité d’appliquer le paragraphe 108(4) ne commandera aucune retenue.

 

Analyse

 

[13]           Le demandeur reproche plusieurs erreurs à la Commission, mais à mon avis il est possible de statuer sur la présente demande en se fondant uniquement sur l’analyse de la Commission portant sur la question de savoir si la situation au Sri Lanka a évolué au point que les raisons à l’origine de la demande d'asile n’existent plus, selon ce que prévoit l’alinéa 108(1)e) de la LIPR.

 

[14]           Le défendeur fait valoir que c’est la crédibilité du demandeur qui a été déterminante pour l’issue de la demande d'asile. Cependant, la conclusion de la Commission sur ce point était qu’elle ne croyait pas que le demandeur figurait actuellement sur une liste de surveillance ou qu’il était recherché par les autorités. Comme l’affirme le demandeur, il ne prétendait pas qu’il était recherché par la police; il craignait plutôt la persécution parce qu’il avait déjà été persécuté par les forces de sécurité et les groupes militants. La Commission a effectivement tiré une conclusion défavorable sur sa crédibilité en raison d’une contradiction dans son témoignage, mais, si l’on considère globalement les motifs de la Commission, le fait que le demandeur ne correspondait à aucun des profils actuels de risque en raison de l’évolution de la situation au Sri Lanka a été déterminant.

 

[15]           Selon moi, la Commission a commis une erreur lorsque, après avoir conclu à une évolution de la situation selon l’alinéa 108(1)e), elle n’a pas tenu compte de l’exception des « raisons impérieuses » prévue au paragraphe 108(4) de la LIPR. Les passages pertinents de l’article 108 sont reproduits ci-après :

Rejet

 

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

[…]

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

[…]

 

 

Exception

 

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

Rejection

 

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

 

[…]

 

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

[…]

 

Exception

 

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

[16]           Il ne fait aucun doute que la Commission a conclu, en vertu de l’alinéa 108(1)e), que les raisons à l’origine de la demande d'asile n’existaient plus. Par conséquent, ainsi que le prescrit la Cour d'appel dans l’arrêt Yamba, elle était tenue, en vertu du paragraphe 108(4) (le paragraphe 2(3) dans l’ancienne Loi), de se demander s’il y avait des raisons impérieuses, tenant à des persécutions ou à des sévices antérieurs subis par le demandeur, de ne pas appliquer l’alinéa 108(1)e). La Cour d'appel s’exprimait ainsi, au paragraphe 6 de l’arrêt Yamba :

En bref, lorsqu’elle conclut qu’un demandeur de statut a déjà été persécuté, mais qu’il y a eu un changement de situation dans le pays en question conformément à l’alinéa 2(2)e), la Section du statut de réfugié a, en vertu du paragraphe 2(3), l’obligation de se demander si les éléments de preuve soumis établissent l’existence de « raisons impérieuses ». Elle est soumise à cette obligation, que le demandeur de statut invoque ou non expressément le paragraphe 2(3). Cela étant dit, il incombe toujours au demandeur de statut de présenter les éléments de preuve nécessaires pour établir qu’il est fondé à invoquer cette disposition.

 

 

 

[17]           La Commission est donc tenue de considérer l’exception des « raisons impérieuses » dès lors qu’un demandeur d’asile a déjà été persécuté (ce que la Commission a admis en l’espèce, n’ayant pas dit clairement qu’elle ne croyait pas le témoignage du demandeur qui avait affirmé avoir été détenu et torturé). La Commission a donc commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte du paragraphe 108(4) de la LIPR.

 

[18]           Je signale que, selon une certaine jurisprudence de la Cour fédérale, le fait pour la Commission de ne pas tenir compte du paragraphe 108(4) ne constituera une erreur que s’il existe une preuve prima facie d’une persécution passée pouvant être qualifiée d’« épouvantable » ou d’« atroce », étant donné que cette exception ne peut être invoquée que dans des circonstances extraordinaires : Alfaka Alharazim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1044, par 49. Le raisonnement appliqué dans cette jurisprudence ne l’a pas été dans la décision Kumarasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 290.

 

[19]           Je suis cependant d’avis que la contradiction manifeste entre la décision Yamba et la décision Alfaka Alharazim ne modifie pas l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire. Le demandeur a témoigné avoir été torturé alors qu’il était en détention et la Commission n’a tiré de ce témoignage aucune conclusion défavorable quant à sa crédibilité. Ainsi, même si l’on applique la norme plus rigoureuse de la preuve prima facie d’une persécution passée pouvant être qualifiée d’épouvantable ou d’atroce, le demandeur satisfait probablement à cette norme et la Commission a donc commis une erreur en ne tenant pas compte du paragraphe 108(4) de la LIPR. La demande est donc accueillie.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, pour nouvel examen. Aucune question à certifier n’a été proposée et la Cour estime que la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7725-11

 

INTITULÉ :                                      PUSHPARAJAH SUBRAMANIAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 6 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 4 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alex Kam

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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