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Date : 20120716

Dossier : T‑1636‑11

Référence : 2012 CF 890

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

PETER MISEK

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Peter Misek, demande le contrôle judiciaire de l’autorisation accordée au défendeur par un membre désigné de la Commission d’appel des pensions (le membre désigné) de faire appel de la décision du tribunal de révision, qui avait fait droit à son appel portant sur une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C‑8 (le RPC).

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑après, la présente demande est rejetée.

 

I.          Questions préliminaires

 

[3]               La Cour a souscrit à la position du défendeur selon laquelle c’est le procureur général du Canada, et non la Commission d’appel des pensions, qui doit être désigné dans l’avis de demande. L’intitulé a donc été modifié pour tenir compte de ce changement. En outre, j’ai indiqué à l’audience que je ne tiendrais pas compte des documents qui n’ont pas déjà été soumis au décideur.

 

II.        Contexte

 

[4]               Le demandeur a présenté trois demandes distinctes de prestations d’invalidité fondées sur des blessures subies dans des accidents de la route. Sa première demande a été approuvée, et il a reçu lesdites prestations de 1982 à 1987. Le ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada (le ministre) a refusé une deuxième demande présentée en 1989.

 

[5]               Le demandeur a présenté une troisième demande le 22 janvier 2008. Il prétendait avoir cessé de travailler dès 2001 en raison de « douleurs aux genoux et à la hanche droite ».

 

[6]               Par lettre datée du 18 juin 2008, le ministre a refusé sa troisième demande dans les termes suivants : [TRADUCTION] « Nous reconnaissons que vous avez constaté une diminution de votre motricité à la suite d’un accident de voiture. Cependant, nous sommes arrivés à la conclusion que votre état ne vous empêchait pas de façon continue depuis décembre 2004 d’accomplir certains travaux ». Le demandeur n’était pas considéré comme souffrant d’une invalidité grave et prolongée qui le rendrait admissible à des prestations du RPC.

 

[7]               Le demandeur a demandé au ministre de revoir cette décision. Dans sa lettre datée du 28 août 2008, le ministre concluait à nouveau ainsi :

[TRADUCTION] Nous reconnaissons que vous avez constaté une diminution de votre motricité par suite de vos blessures et de la discopathie dégénérative de votre rachis lombaire, et nous reconnaissons que vous ne pouvez pas travailler maintenant. Cependant, nous sommes arrivés à la conclusion que votre état ne vous empêchait pas de travailler en décembre 2004, date à laquelle vous étiez la dernière fois admissible à une prestation d’invalidité du RPC.

 

[8]               Le demandeur a plus tard déposé un avis d’appel au Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (le BCTR). Une audience a eu lieu devant un tribunal de révision le 3 février 2011. Le tribunal de révision a fait droit à l’appel du demandeur, le 14 mars 2011, dans les termes suivants :

[27] Nous trouvons que dans le monde réel l’appelant n’était pas apte au travail en 2004 et par la suite.

 

[28] Nous convenons avec Dr Model qu’il a été stoïque pendant de nombreuses années, mais qu’il a atteint un point où il ne peut plus travailler. L’appelant a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était atteint d’une incapacité d’exercer à intervalle régulier une occupation véritablement rémunératrice après son accident de la route en août 2001 et que sa condition s’est aggravée depuis ce temps.

 

 

Critère de l’invalidité prolongée

 

[29] […] Il souffre encore de douleurs importantes causées par une discopathie dégénérative et l’arthrose dans son dos et d’autres parties du corps. Il souffre encore de dépression. Il a maintenant 65 ans et son état de santé ne s’améliorera vraisemblablement pas. Pour ces raisons nous trouvons que l’invalidité de l’appelant est d’une durée indéfinie et est prolongée aux fins du RPC.

 

Conclusion

 

[30] Le tribunal conclut que l’appelant est atteint d’une invalidité grave et prolongée aux termes de l’alinéa 42(2)a) du Régime de pensions du Canada. Nous jugeons que l’appelant était invalide et répondait aux critères à son troisième accident de la route en août 2001.

 

[9]               Le ministre a demandé à la Commission d’appel des pensions (la CAP) l’autorisation d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision. Selon le ministre, le tribunal de révision a écarté ou négligé de prendre en compte, a) la preuve qui lui avait été soumise, b) le fait que le demandeur ne suivait pas les recommandations de son médecin, et c) les gains et cotisations du demandeur en 2007 et 2008, comme preuve de son aptitude au travail.

 

[10]           Dans une décision datée du 14 juillet 2011, le membre désigné a accordé au ministre, sur ce fondement, l’autorisation d’interjeter appel. Le demandeur demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

 

III.       Question litigieuse

 

[11]           La seule question dont est saisie la Cour est celle du caractère raisonnable de la décision du membre désigné d’accorder au défendeur l’autorisation de faire appel.

 

IV.       Norme de contrôle

 

[12]           La Cour a déjà statué que la question de savoir si le membre désigné a appliqué le bon critère juridique en accordant le droit de faire appel doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte, tandis que la question de savoir si la demande soulève un argument défendable est assujettie à la norme de la décision raisonnable (voir, par exemple, Canada (Procureur général) c Zakaria, 2011 CF 136, [2011] ACF no 189, par 15).

 

V.        Analyse

 

[13]           Pour que le membre désigné lui accorde l’autorisation de faire appel, le défendeur devait, dans sa demande d’autorisation, soulever un argument défendable. Selon un jugement rendu par la Cour, Callihoo c Canada (Procureur général) (2000), 190 FTR 114, [2000] ACF no 612, par 15, un argument défendable consiste par exemple à produire une nouvelle preuve lors de la demande ou à soulever une question de droit ou un fait pertinent qui n’a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision. La Cour d’appel fédérale a aussi indiqué que l’expression « chance raisonnable de succès » serait pour l’essentiel le bon critère au regard de la notion d’« argument défendable » (voir Fancy c Canada (Ministre du Développement social), 2010 CAF 63, [2010] ACF no 276, par 2 et 3).

 

[14]           Pour les besoins d’un contrôle judiciaire, les motifs soulevés dans la demande d’autorisation d’interjeter appel, qui devient l’avis d’appel lorsqu’elle est accordée, sont réputés constituer les motifs de la décision du membre désigné (voir Mrak c Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement social), 2007 CF 672, [2007] ACF no 909, par 29).

 

[15]           Comme il ressort de la demande d’autorisation d’interjeter appel, ainsi que des conclusions du défendeur, le ministre s’est appliqué à démontrer que sa cause était défendable en signalant trois erreurs dans l’examen de certains faits pertinents, en accord avec la décision Callihoo, précitée. Le défendeur a fait valoir que le tribunal de révision n’avait pas considéré ni analysé suffisamment la preuve qui lui avait été soumise. Plus précisément, il a fait observer que la formation suivie par le demandeur n’avait pas été établie, et que ses aptitudes aux études et à l’informatique, déjà mesurées, n’avaient pas été prises en compte. Pareillement, le tribunal de révision n’a pas prêté attention à une déclaration, dans le questionnaire rempli par le demandeur, selon laquelle il pouvait s’asseoir et se tenir debout durant quelques heures, non plus qu’au conseil d’un médecin suggérant au demandeur de chercher un travail sédentaire. Le défendeur a aussi affirmé que le tribunal de révision avait commis une erreur en négligeant de voir que le demandeur ne suivait pas le traitement recommandé par son médecin. Enfin, le défendeur a soulevé la question des gains et cotisations du demandeur pour 2007 et 2008.

 

[16]           Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis qu’il était raisonnable pour le membre désigné de conclure que le défendeur avait soulevé un argument défendable, parce qu’il s’agit là de faits pertinents dont le tribunal de révision aurait dû tenir compte. Le membre désigné a eu raison de reconnaître la possible pertinence des faits en question pour la décision globale portant sur les prestations d’invalidité réclamées par le demandeur. Ces faits intéressaient son aptitude au travail, peut‑être pour des tâches différentes, de même que ses efforts en vue de suivre une formation et d’observer le traitement recommandé.

 

[17]           Le demandeur voudrait en somme que la Cour apprécie à nouveau la preuve ou confirme le bien‑fondé de la conclusion du tribunal de révision selon laquelle il souffre d’une invalidité grave et prolongée – deux fonctions qui sont étrangères à une procédure de contrôle judiciaire visant à faire invalider l’autorisation d’interjeter appel accordée par le membre désigné. En l’occurrence, mon rôle consiste à me demander si la décision du membre désigné d’accorder l’autorisation d’interjeter appel, compte tenu du critère de l’argument défendable, appartenait à la gamme des issues possibles acceptables (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, par 47).

 

[18]           Le demandeur conteste l’argument du défendeur pour qui la preuve n’a pas été prise en compte de façon appropriée par le membre désigné. Il trouve à redire à la séquence des événements et à l’évocation de tests subis des années auparavant qui avaient porté sur ses aptitudes aux études et à l’informatique. Il affirme aussi qu’il ne s’est jamais soustrait à l’avis de son médecin, mais qu’il a suivi celui de son médecin de famille, le Dr Model. Il soutient que le Dr Ellis n’a pas bien diagnostiqué son état et que c’est pourquoi le pronostic de ce médecin est si optimiste.

 

[19]           Examiner davantage les incidences de cette preuve revient toutefois à s’intéresser au bien‑fondé de la décision portée en appel. Les arguments du demandeur n’empêchent pas la décision du membre désigné d’être raisonnable. Dans sa demande d’autorisation d’interjeter appel, le défendeur avait fait état de faits pertinents que le tribunal de révision n’a pas pris en compte de façon appropriée, peu importe que le demandeur soit en désaccord avec l’idée de les qualifier de faits importants.

 

[20]           À ce stade, le membre désigné se demande simplement s’il y a des faits importants et pertinents dont il n’a pas été dûment tenu compte. Il convient de garder à l’esprit que « la demande d’autorisation d’interjeter appel est une étape préliminaire à une audition du fond de l’affaire. C’est un premier obstacle que le demandeur doit franchir, mais celui‑ci est inférieur à celui auquel il devra faire face à l’audition de l’appel sur le fond. À l’étape de la demande d’autorisation, le demandeur n’a pas à prouver sa thèse » (Kerth c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) (1999), 173 FTR 102, [1999] ACF no 1252, par 24). Il lui reste encore à invoquer un moyen défendable pour obtenir gain de cause dans l’appel (Zakaria, précitée, par 39). C’est toutefois à la Commission d’appel des pensions qu’il revient de déterminer si les faits en question justifient en dernière analyse l’annulation de la décision du tribunal de révision.

 

[21]           Le demandeur a raison d’affirmer qu’on ne saurait considérer comme une erreur du tribunal de révision le fait qu’il n’a pas pris en compte les gains et cotisations de 2007 et 2008, puisque cette information n’était pas disponible avant qu’il rende sa décision. Le défendeur reconnaît, et je partage son avis, que cette information aurait dû être explicitement considérée comme une preuve nouvelle dans l’examen de sa demande d’autorisation d’interjeter appel. Je suis toutefois disposé à laisser passer cette erreur, car ce n’était là que l’un des divers moyens invoqués par le défendeur et raisonnablement susceptibles de justifier l’autorisation d’interjeter appel.

 

[22]           Contrairement à ce que prétend le demandeur au chapitre de l’équité procédurale, le membre désigné n’avait pas non plus l’obligation, avant de statuer sur la demande d’autorisation d’interjeter appel, de vérifier les faits qui lui avaient été présentés.

 

VI.       Décision

 

[23]           Le membre désigné a raisonnablement conclu, compte tenu des faits présentés, que le défendeur devrait être autorisé à interjeter appel de la décision du tribunal de révision. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1636‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  PETER MISEK c. AGC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          VANCOUVER

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 16 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 16 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Misek et Frank Misek

 

POUR LEUR PROPRE COMPTE

 

Carmelle Salomon‑Labbé

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Misek

Duncan (Colombie‑Britannique)

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Carmelle Salomon‑Labbé

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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