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Date : 20120621

Dossier : T‑784‑11

Référence : 2012 CF 803

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

ENTRE :

 

RICHARD WARMAN et

NATIONAL POST COMPANY

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

MARK FOURNIER et

CONSTANCE FOURNIER

 

 

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur allègue que les défendeurs ont violé son droit d’auteur sur trois œuvres et sollicite plusieurs réparations pour cette violation alléguée. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est rejetée à l’égard des trois œuvres.

 

Les faits

 

[2]               La présente demande concerne la violation alléguée du droit d’auteur de Richard Warman (le demandeur) sur trois œuvres. La première œuvre est un discours rédigé par le demandeur, intitulé « Maximum Disruption: Stopping Neo‑Nazis By (Almost) Any Means Necessary » (l’œuvre de Warman). Le demandeur a rédigé l’œuvre de Warman en juillet 2005 et a enregistré son droit d’auteur sur cette œuvre le 18 février 2011.

 

[3]               La deuxième œuvre est un article rédigé par Jonathan Kay lorsqu’il travaillait pour la National Post Company (NP), intitulé « Jonathan Kay on Richard Warman and Canada’s Phony‑Racism Industry » (l’œuvre de Kay). Le demandeur a obtenu une licence exclusive sur le droit d’auteur sur l’œuvre de Kay aux termes d’une entente avec NP le 13 janvier 2010. Le demandeur a enregistré son droit d’auteur sur l’œuvre de Kay le 10 mars 2011.

 

[4]               La troisième œuvre est une photographie du demandeur et d’une autre personne, qui a été prise par M. Barrera (l’œuvre de Barrera). Le demandeur a obtenu le droit d’auteur sur l’œuvre de Barrera par voie de cession le 11 août 2010 et a enregistré son droit d’auteur le 18 février 2011.

 

[5]               Les défendeurs, Mark et Constance Fournier, exploitent le site Web www.freedominion.com (Free Dominion). Ils décrivent Free Dominion comme un forum de discussion en ligne sur l’actualité politique qui est accessible aux membres du public et qui est utilisé pour discuter de questions politiques d’un point de vue conservateur.

 

[6]               Le demandeur affirme avoir d’abord découvert que l’œuvre de Warman avait été reproduite sur Free Dominion en septembre 2007. Les défendeurs reconnaissent qu’une copie de l’œuvre de Warman avait été téléversée sur le serveur de Free Dominion à cette époque. Ils affirment qu’il s’agissait d’une copie numérisée d’une pièce justificative dans un dossier du Tribunal canadien des droits de la personne. Le demandeur a envoyé un courriel aux défendeurs par l’entremise d’un tiers le 7 octobre 2007 afin d’exiger que l’œuvre de Warman soit retirée du site Web.

 

[7]               Le demandeur affirme avoir découvert en avril 2010 que l’œuvre de Kay avait été reproduite sur Free Dominion. Les défendeurs affirment que l’œuvre de Kay a été publiée dans un fil de discussion sur Free Dominion le 10 janvier 2008 (bien que la date de publication qui figure au dossier soit le 18 février 2008). Le demandeur a exigé que l’œuvre de Kay soit retirée le 16 avril 2010, ce que les défendeurs ont alors fait, mais ils ont publié des extraits de l’œuvre de Kay à la place.

 

[8]               Le demandeur affirme avoir découvert en août 2010 que l’œuvre de Barrera avait été reproduite sur Free Dominion et que, de plus, l’œuvre de Warman était toujours reproduite à ce moment‑là. Les défendeurs affirment que l’œuvre de Barrera n’a jamais été téléversée sur le serveur de Free Dominion; en fait, un membre a publié un lien vers l’œuvre de Barrera qui se trouvait sur le site Web personnel du demandeur le 27 mai 2010. Les défendeurs affirment que l’œuvre de Barrera n’était plus affichée sur le site Web du demandeur et que, par conséquent, le lien ne fonctionnait plus depuis le 7 juin 2011.

 

Dispositions législatives applicables

 

[9]               L’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur (LRC, 1985, ch C‑42) (la Loi sur le droit d’auteur) définit ainsi la violation du droit d’auteur :

Règle générale

 

27. (1) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir.

Infringement generally

 

27. (1) It is an infringement of copyright for any person to do, without the consent of the owner of the copyright, anything that by this Act only the owner of the copyright has the right to do.

 

 

[10]           L’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur énonce les droits qu’englobe le droit d’auteur sur une œuvre :

Droit d’auteur sur l’œuvre

 

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

 

a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduction de l’œuvre;

 

b) s’il s’agit d’une œuvre dramatique, de la transformer en un roman ou en une autre œuvre non dramatique;

 

c) s’il s’agit d’un roman ou d’une autre œuvre non dramatique, ou d’une œuvre artistique, de transformer cette œuvre en une œuvre dramatique, par voie de représentation publique ou autrement;

 

d) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique ou musicale, d’en faire un enregistrement sonore, film cinématographique ou autre support, à l’aide desquels l’œuvre peut être reproduite, représentée ou exécutée mécaniquement;

 

e) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de reproduire, d’adapter et de présenter publiquement l’œuvre en tant qu’œuvre cinématographique;

 

f) de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;

 

g) de présenter au public lors d’une exposition, à des fins autres que la vente ou la location, une œuvre artistique — autre qu’une carte géographique ou marine, un plan ou un graphique — créée après le 7 juin 1988;

 

h) de louer un programme d’ordinateur qui peut être reproduit dans le cadre normal de son utilisation, sauf la reproduction effectuée pendant son exécution avec un ordinateur ou autre machine ou appareil;

 

i) s’il s’agit d’une œuvre musicale, d’en louer tout enregistrement sonore.

 

 

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes.

Copyright in works

 

3. (1) For the purposes of this Act, “copyright”, in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever, to perform the work or any substantial part thereof in public or, if the work is unpublished, to publish the work or any substantial part thereof, and includes the sole right

 

 

(a) to produce, reproduce, perform or publish any translation of the work,

 

(b) in the case of a dramatic work, to convert it into a novel or other non‑dramatic work,

 

(c) in the case of a novel or other non‑dramatic work, or of an artistic work, to convert it into a dramatic work, by way of performance in public or otherwise,

 

 

(d) in the case of a literary, dramatic or musical work, to make any sound recording, cinematograph film or other contrivance by means of which the work may be mechanically reproduced or performed,

 

 

(e) in the case of any literary, dramatic, musical or artistic work, to reproduce, adapt and publicly present the work as a cinematographic work,

 

 

(f) in the case of any literary, dramatic, musical or artistic work, to communicate the work to the public by telecommunication,

 

(g) to present at a public exhibition, for a purpose other than sale or hire, an artistic work created after June 7, 1988, other than a map, chart or plan,

 

 

 

 

(h) in the case of a computer program that can be reproduced in the ordinary course of its use, other than by a reproduction during its execution in conjunction with a machine, device or computer, to rent out the computer program, and

 

(i) in the case of a musical work, to rent out a sound recording in which the work is embodied,

 

and to authorize any such acts.

 

 

Analyse

 

L’œuvre de Warman

 

[11]           Les défendeurs ne contestent pas que l’œuvre de Warman soit protégée par le droit d’auteur ou que le demandeur, en sa qualité d’auteur, soit le titulaire du droit d’auteur. Je suis convaincu que ces éléments constitutifs de la violation du droit d’auteur sont réunis.

 

[12]           J’estime que, bien que le demandeur ait établi une violation prima facie de son droit d’auteur sur l’œuvre de Warman, il ne peut obtenir de réparation pour la violation, en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi sur le droit d’auteur.

 

[13]           Le demandeur a démontré que les défendeurs ont autorisé la communication de l’œuvre de Warman par télécommunication en téléversant une copie de celle‑ci sur leur serveur. La Commission du droit d’auteur du Canada a statué dans Exécution publique d’œuvres musicales (Re), [1999] DCDA no 5, à la page 19, qu’une personne autorise la communication d’une œuvre par télécommunication lorsqu’elle met l’œuvre à la disposition du public sur un serveur. Les défendeurs ne nient pas avoir fait cela et, par conséquent, j’estime que la violation prima facie du droit d’auteur a été établie.

 

[14]           Les défendeurs ont invoqué plusieurs moyens de défense à l’égard de cette violation, mais il n’est pas nécessaire de les examiner étant donné que le demandeur n’a pas droit à une réparation pour cette violation, en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi sur le droit d’auteur, lequel prévoit ce qui suit :

 

Prescription

 

41. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le tribunal saisi d’un recours en violation ne peut accorder de réparations que si :

 

a) le demandeur engage des procédures dans les trois ans qui suivent le moment où la violation a eu lieu, s’il avait connaissance de la violation au moment où elle a eu lieu ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il en ait eu connaissance à ce moment;

 

b) le demandeur engage des procédures dans les trois ans qui suivent le moment où il a pris connaissance de la violation ou le moment où il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il en ait pris connaissance, s’il n’en avait pas connaissance au moment où elle a eu lieu ou s’il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il en ait eu connaissance à ce moment.

Limitation period for civil remedies

 

41. (1) Subject to subsection (2), a court may not award a remedy in relation to an infringement unless

 

 

(a) in the case where the plaintiff knew, or could reasonably have been expected to know, of the infringement at the time it occurred, the proceedings for infringement are commenced within three years after the infringement occurred;

 

 

(b) in the case where the plaintiff did not know, and could not reasonably have been expected to know, of the infringement at the time it occurred, the proceedings for infringement are commenced within three years after the time when the plaintiff first knew, or could reasonably have been expected to know, of the infringement.

 

 

[15]           Le demandeur a reconnu qu’il avait pris connaissance de la violation de l’œuvre de Warman par les défendeurs en septembre 2007. Par conséquent, il n’a pas engagé la procédure avant l’expiration du délai de prescription prévu au paragraphe 41(1) de la Loi sur le droit d’auteur et est donc forclos de soulever la violation du droit d’auteur à l’égard de cette œuvre : Philip Morris Products SA c Malboro Canada Ltd, 2010 CF 1099, par 353.

 

[16]           Le demandeur a fait valoir deux arguments à cet égard : premièrement, il a allégué dans son affidavit qu’il avait pris connaissance d’une nouvelle violation commise ultérieurement en 2010 et que, par conséquent, la demande a été présentée avant l’expiration du délai de prescription en ce qui concerne cette violation.

 

[17]           Cette allégation n’est pas étayée par la preuve. Le demandeur a inscrit une adresse URL dans son affidavit qui était censée mener à une seconde copie téléversée de l’œuvre de Warman, mais, comme l’ont souligné les défendeurs, cette adresse URL ne fonctionnait pas. Le demandeur n’a pas, par exemple, produit un imprimé de l’œuvre de Warman au bas duquel figurerait cette adresse URL, ce qui aurait prouvé l’existence d’une autre copie téléversée de cette œuvre. Par conséquent, la seule violation de l’œuvre de Warman qui est établie par la preuve ne respecte pas le délai de prescription.

 

[18]           Deuxièmement, le demandeur soutient que, selon la décision rendue par la Cour dans Milliken & Co. c Interface Flooring Systems (Canada) Inc. (1996), 123 FTR 269, 75 CPR (3d) 481, le délai de prescription prévu au paragraphe 41(1) de la Loi sur le droit d’auteur ne s’applique pas au recours en injonction. Dans cette décision, la juge Tremblay‑Lamer a conclu que le paragraphe 41(1) ne s’appliquait pas à la demande d’injonction, en raison du caractère équitable de ce recours.

 

[19]           Les seules affaires invoquées dans cette décision remontent aux années 1920. Je tiens à souligner que les décisions récentes de la Cour et d’autres tribunaux, notamment lorsqu’une injonction était demandée, ont fait jouer la prescription et refusé toute réparation. Aucune exception n’a été faite pour l’injonction : Drolet c Stiftung Gralsbotschaft, 2009 CF 17; Smith c Hayden, 2010 ONCA 271. Il est difficile de savoir si, dans ces affaires, les parties ont fait valoir que l’injonction pouvait être accordée en dehors du délai de prescription.

 

[20]           À mon avis, même si le paragraphe 41(1) n’empêche pas l’octroi d’une injonction, il guide à tout le moins la Cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder une injonction en cas de violation du droit d’auteur. Il serait contraire à l’intention du législateur de conclure que, en principe, une injonction peut être accordée en cas de violation si la demande est présentée après l’expiration du délai de prescription. Il est davantage conforme à la Loi sur le droit d’auteur que la Cour limite l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder une injonction aux cas où elle aura des effets concrets et où la prépondérance des inconvénients favorise nettement l’octroi d’une injonction. La Cour suprême du Canada (CSC) a confirmé dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, au paragraphe 85, qu’une injonction est une réparation fondée sur l’equity, de sorte qu’elle relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal.

 

[21]           En l’espèce, le demandeur n’a pas démontré qu’une injonction est nécessaire afin d’empêcher toute violation ultérieure; la preuve révèle plutôt que les défendeurs ont retiré l’œuvre de Warman de leur serveur et qu’ils ne conservent des copies physiques que pour contester l’action en diffamation intentée contre eux par le demandeur. En conséquence, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour accorder une injonction à l’égard de l’œuvre de Warman et cet aspect de la demande est rejeté.

 

L’œuvre de Kay

 

[22]           Le demandeur a obtenu une licence exclusive sur le droit d’auteur sur l’œuvre de Kay le 13 janvier 2010; il peut donc intenter une action pour violation du droit d’auteur contre des tiers : Euro Excellence Inc c Kraft Canada Inc, 2007 CSC 37, par 31. Encore une fois, les défendeurs ne contestent pas que l’œuvre de Kay soit protégée par le droit d’auteur ou que le demandeur soit en droit d’intenter une action pour violation du droit d’auteur. Les défendeurs soutiennent que l’action est également prescrite en ce qui concerne l’œuvre de Kay; cependant, le demandeur n’a obtenu une licence sur le droit d’auteur qu’en 2010, et il ne pouvait donc pas prendre connaissance de la violation de son droit d’auteur avant cette date.

 

Absence de reproduction d’une partie importante

 

[23]           Le demandeur soutient que les défendeurs ont violé son droit d’auteur sur l’œuvre de Kay en reproduisant des extraits de celle‑ci. Il allègue que les extraits reproduits constituent une partie importante de l’œuvre de Kay, ce qui va à l’encontre des articles 3 et 27 de la Loi sur le droit d’auteur. La question de savoir si une partie importante de l’œuvre a été reproduite est une question de fait et exige une analyse qualitative plutôt que quantitative. Il y a plusieurs facteurs pertinents à prendre en considération, notamment :

a.       la qualité et la quantité des parties plagiées;

b.      la gravité de l’atteinte que l’utilisation du défendeur a portée aux activités du demandeur et la mesure dans laquelle la valeur du droit d’auteur s’en trouve diminuée;

c.       la question de savoir si le document plagié est protégé à bon droit par un droit d’auteur;

d.      la question de savoir si le défendeur s’est intentionnellement emparé de l’œuvre du demandeur pour épargner du temps et des efforts;

e.       la question de savoir si le défendeur utilise le document plagié d’une façon identique ou similaire au demandeur : U & R Tax Services Ltd c H & R Block Canada Inc, [1995] ACF no 962, par 35.

 

[24]           Ayant appliqué ces facteurs à la présente affaire, j’estime que les défendeurs n’ont pas reproduit une partie importante de l’œuvre de Kay et qu’il n’y a donc pas eu violation.

 

[25]           Quantitativement, la reproduction représente moins de la moitié de l’œuvre. L’œuvre de Kay elle‑même consiste en un titre et onze paragraphes. La reproduction sur Free Dominion comportait le titre, trois paragraphes entiers et une partie d’un quatrième. Qualitativement, les parties reproduites sont l’introduction (l’« hameçon ») de l’article et le résumé des faits sur lesquels reposait l’article. La plupart des idées originales et des commentaires formulés par l’auteur ne sont pas reproduits.

 

[26]           La plupart des autres facteurs ne sont pas directement applicables en l’espèce compte tenu des circonstances dans lesquelles le demandeur a obtenu le droit d’auteur : il ne semble pas « utiliser » l’objet du droit d’auteur au sens de reproduire ou de publier l’œuvre de Kay. Il s’agit d’un article très critique à l’égard du demandeur et celui-ci semble avoir obtenu la licence exclusive sur l’œuvre de Kay afin d’empêcher toute publication future de celle-ci.

 

[27]           Rien n’indique que les extraits de l’œuvre de Kay aient été reproduits pour « épargner du temps et des efforts ». Vu le contexte dans lequel la publication en ligne a été faite, les défendeurs ont reproduit des parties de l’œuvre de Kay pour garder une trace des faits résumés dans l’article, afin que les membres de Free Dominion puissent continuer de discuter de ces faits sur le forum. De plus, contrairement à ce qu’avance le demandeur, la reproduction comporte un résumé ou une paraphrase d’une partie de l’œuvre, plus précisément du deuxième paragraphe.

 

[28]           Par conséquent, compte tenu de l’ensemble du dossier, je tiens pour avéré que le demandeur n’a pas démontré que les extraits de l’œuvre de Kay reproduits par les défendeurs constituent une « partie importante » de l’œuvre, et qu’il n’y a donc pas eu violation.

 

Utilisation équitable pour la communication des nouvelles

 

[29]           Subsidiairement, même si les parties reproduites de l’œuvre de Kay représentent une partie importante, j’estime que la reproduction par les défendeurs constitue une utilisation équitable pour la communication des nouvelles, conformément à l’article 29.2 de la Loi sur le droit d’auteur.

 

[30]           Dans l’arrêt CCH, la CSC énonce d’importants principes directeurs pour l’application de l’exception relative à l’utilisation équitable. La CSC a souligné, au paragraphe 48, qu’il est plus juste de considérer cette exception comme une partie intégrante du régime de droit d’auteur et comme un droit des utilisateurs plutôt que comme un moyen de défense. Afin de se prévaloir de l’exception, les défendeurs doivent démontrer, d’une part, que l’utilisation a été faite pour l’une des fins mentionnées à l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur et, d’autre part, que l’utilisation était équitable.

 

[31]           La CSC a déclaré dans l’arrêt CCH, au paragraphe 51, qu’« [i]l faut interpréter [les fins auxquelles il peut y a voir utilisation équitable (dans ce cas, la recherche)] de manière large afin que les droits des utilisateurs ne soient pas indûment restreints ». Ayant interprété de manière large la communication des nouvelles, j’estime que l’utilisation de l’œuvre de Kay a été faite par les défendeurs à cette fin. Ils ont publié les extraits de l’œuvre de Kay sur Free Dominion afin de faire connaître les faits relatés dans cet article. En conséquence, le premier critère de l’utilisation équitable est rempli. L’exception pour la communication des nouvelles exige également que soient mentionnés la source et l’auteur, cette condition est également remplie en l’espèce.

 

[32]           La CSC énumère plusieurs facteurs susceptibles d’être pertinents pour déterminer si l’utilisation est équitable dans l’arrêt CCH, au paragraphe 53 :

(1) le but de l’utilisation; (2) la nature de l’utilisation; (3) l’ampleur de l’utilisation; (4) les solutions de rechange à l’utilisation; (5) la nature de l’œuvre; (6) l’effet de l’utilisation sur l’œuvre. Bien que ces facteurs ne soient pas pertinents dans tous les cas, ils offrent un cadre d’analyse utile pour statuer sur le caractère équitable d’une utilisation dans des affaires ultérieures.

 

 

[33]           Ces facteurs militent en faveur d’une conclusion d’utilisation équitable en l’espèce. Tel que mentionné ci‑dessus, l’utilisation visait l’une des fins énumérées dans la Loi sur le droit d’auteur. L’ampleur de l’utilisation était très limitée. La partie reproduite de l’œuvre de Kay comportait surtout des faits et ne comportait pas la plupart des commentaires originaux de l’auteur. La nature de l’œuvre joue en faveur d’une conclusion d’utilisation équitable. L’œuvre de Kay n’est pas publiée à l’heure actuelle, ce qui étaye la conclusion d’utilisation équitable, étant donné que l’une des fins visées par le droit d’auteur est de favoriser une diffusion plus large des œuvres : CCH, par. 58. En outre, cette utilisation ne fait pas concurrence à l’utilisation de l’œuvre de Kay par le demandeur étant donné que ce dernier ne veut pas la publier.

 

[34]           Certains des facteurs militent moins fortement en faveur d’une conclusion d’utilisation équitable : on peut prétendre qu'il existait une solution de rechange à l’utilisation de l’œuvre, soit fournir un résumé de l’œuvre de Kay au lieu d’en reproduire des extraits. De plus, la nature de l’utilisation n’étaye pas solidement une conclusion d’utilisation équitable. Il s’agit d’extraits largement diffusés sur l’Internet et non d’une copie pour usage privé. Cependant, après pondération de tous les facteurs, j’estime que la reproduction de l’œuvre de Kay tombe sous le coup de l’exception relative à l’utilisation équitable pour la communication des nouvelles.

 

[35]           Par conséquent, étant donné que la reproduction de l’œuvre de Kay ne représentait pas une partie importante et que, même si c’était le cas, elle constituait une utilisation équitable pour la communication des nouvelles, la demande est rejetée en ce qui concerne l’œuvre de Kay.

 

L’œuvre de Barrera

 

[36]           En ce qui concerne l’œuvre de Barrera, la demande doit être rejetée étant donné que toute communication de cette œuvre par télécommunication était autorisée par le demandeur. La communication d’une œuvre par télécommunication ne constitue une violation que si elle n’était pas autorisée. Dans la décision Exécution publique, la Commission du droit d’auteur a statué, à la page 19, que le fait de rendre une œuvre disponible sur un site accessible au public par l’Internet équivaut à autoriser sa communication par télécommunication :

L’« autorisation » constitue une utilisation protégée distincte sous le régime de la Loi. Autoriser, c’est sanctionner, appuyer et soutenir. La personne qui rend disponible une œuvre musicale sur un site accessible par l’Internet en autorise la communication. Elle le fait uniquement afin que celle‑ci puisse être communiquée, en sachant fort bien et en espérant qu’une telle communication aura lieu. La personne qui rend l’œuvre disponible ne fait pas que fournir les moyens d’assurer la communication de l’œuvre; elle contrôle ou prétend contrôler le droit de la communiquer.

 

 

[37]           Il ressort clairement de la preuve que l’œuvre de Barrera était publiée sur le site Web personnel du demandeur et qu’il y a donc eu communication de cette œuvre en raison de la création d’un hyperlien vers le propre site Web du demandeur. Par conséquent, le demandeur a autorisé la communication de l’œuvre de Barrera en la publiant sur son site Web et il n’y a donc pas eu violation.

 

[38]           L’avocat du demandeur a allégué que les défendeurs ne peuvent s’appuyer sur le fait que l’œuvre de Barrera était publiée sur le site Web du demandeur, car cela équivaudrait à « blâmer la victime ». Toutefois, le demandeur n’est victime d’une violation que si les défendeurs ont fait quelque chose qu’il était le seul en droit de faire, et ce, sans son autorisation. Comme le soulignent les défendeurs, le demandeur exerçait un contrôle absolu sur l’œuvre de Barrera et, s’il ne voulait pas qu’elle soit communiquée par télécommunication, il pouvait la retirer de son site Web, ce qu’il a finalement fait.

 

[39]           Par conséquent, la demande est également rejetée en ce qui concerne l’œuvre de Barrera.

 

Dommages‑intérêts et dépens

 

[40]           Les défendeurs soutiennent que le demandeur a déconsidéré l’administration de la justice en déposant la présente demande et que, comme cela constitue un abus de procédure, la Cour devrait condamner le demandeur à des dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires. Je conviens avec le demandeur que l’abus de procédure ne peut être invoqué en défense en l’espèce. La demande n’était ni frivole ni vexatoire, et les défendeurs n’ont pas non plus démontré que le demandeur a prolongé inutilement la durée de l’instance ou a présenté des requêtes inutiles.

 

[41]           Les défendeurs semblent plutôt faire valoir que la demande constitue un abus de procédure parce qu’elle a été présentée dans un but secondaire et illégitime. Le demandeur ne cherchait pas à exercer son droit d’auteur, mais se servait plutôt du régime du droit d’auteur comme instrument pour harceler les défendeurs en raison de leurs opinions politiques. Par conséquent, les défendeurs semblent plutôt invoquer le délit d’abus de procédure; cependant, il s’agit d’une action distincte que devront intenter les défendeurs. La Cour ne se prononce pas sur la possibilité d’établir l’existence d’un délit d’abus de procédure dans la présente affaire.

 

[42]           Les défendeurs demandent également à la Cour d’adjuger des dépens selon le barème le plus élevé qui est permis. Cependant, ils n’ont présenté aucune preuve relativement à la conduite du demandeur dans le cadre de la présente instance qui justifierait l’adjudication de dépens plus élevés que la normale. Par conséquent, des dépens partie‑partie sont adjugés en conformité avec la colonne III du tarif B.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur des défendeurs. Des dépens partie‑partie sont adjugés en conformité avec la colonne III du tarif B.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jenny Kourakos, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑784‑11

 

INTITULÉ :                                                  RICHARD WARMAN et NATIONAL POST COMPANY c
MARK FOURNIER et CONSTANCE FOURNIER

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 28 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 21 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

James Katz

 

POUR LE DEMANDEUR

Richard Warman

 

Mark Fournier

Constance Fournier

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BrazeauSeller.LLP
Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Richard Warman

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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