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Date : 20120626

Dossier: IMM-5053-11

Référence : 2012 CF 815

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2012

En présence de monsieur le juge Mosley 

 

ENTRE :

 

SYLVIE PAUL-LAFOREST,

ALEXA PAUL

TAINA PAUL

KEVIN PAUL

 

 

 

demandeurs

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’art.72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (ci-après la Loi) d’une décision de la Section de la protection des réfugiés  de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (ci-après le tribunal) refusant d’accorder le statut de réfugié à la demanderesse et à ses enfants.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

CONTEXT

 

[3]               La demanderesse, Mme Sylvie Paul-Laforest, est une citoyenne d’Haïti âgée de 37 ans. Elle a trois enfants résidants avec elle. Sa fille, Alexa Paul, est citoyenne américaine. Son mari réside toujours en Haïti. La demanderesse travaillait pour la Direction générale des impôts d’Haïti de 1995 jusqu’au 12 juin 2009. À partir du 8 avril 1997, elle a occupé le poste d’inspectrice au sein de cet organisme.

 

[4]               Le 5 mai 2009, une contribuable s’est présentée au bureau de la demanderesse pour rencontrer son collègue, un dénommé Solon. Puisque Solon n’était pas présent, la demanderesse aida la contribuable. En accomplissant cette tâche, elle réalisa qu’il y avait quelque chose de frauduleux (une « patente » frauduleuse pour utiliser les mots de la demanderesse). Elle avisa son superviseur de la situation.

 

[5]               Le lendemain, Solon indiqua son mécontentement face aux agissements de la demanderesse et lui dit qu’elle regretterait ceux-ci s’ils résultaient en son congédiement. Quelques jours plus tard, la demanderesse apprit que Solon fut congédié.

 

[6]               La demanderesse reçut des menaces par le billet d’un appel anonyme le jour de son anniversaire, soit le 26 mai 2009. Le 12 juin 2009, Solon menaça la demanderesse en personne en utilisant l’expression haïtienne « battre le chien en attendant son maître » (« bat chen an tan n mèt li » en créole). Dans la nuit du 14 au 15 juin 2009, des bandits que la demanderesse n’a pas pu identifier ont brisé les fenêtres de sa maison et tué son chien. La demanderesse contacta la police, mais celle-ci ne pu lui venir en aide puisque toutes les patrouilles étaient occupées. Durant cet évènement, le mari de la demanderesse était en voyage pour son travail.

 

[7]               Les demandeurs quittèrent Haïti le 3 juillet 2009 pour New York. Ils sont arrivés à la frontière canadienne le 4 juillet 2009 et ont demandé asile.

 

DÉCISION SOUS CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[8]               Le tribunal trouva que plusieurs éléments de l’histoire de la demanderesse étaient invraisemblables. Le tribunal indiqua qu’il croyait que l’histoire de la demanderesse fut inventée dans le but d’obtenir le statut de réfugié. Il trouva invraisemblable le fait que Solon menace la demanderesse en personne et incognito, que Solon face part de ses intentions plus d’un mois avant d’agir, et que Solon voulait prétendument tuer la demanderesse, mais n’aurait jamais pris l’opportunité de le faire pendant plus d’un mois.

 

[9]               Le tribunal indiqua aussi que la preuve documentaire démontrait que la police d’Haïti souffrait encore de nombreux problèmes, mais tendait à s’améliorer. Le tribunal trouva que l’échec de la demanderesse de contacter la police à l’exception du dernier évènement minait la crédibilité de l’histoire. La demanderesse mentionna que la police n’avait jamais été capable de l’aider auparavant, mais le tribunal rejeta son explication puisque par le passé elle n’avait pas été capable d’identifier les malfaiteurs alors que cette fois-ci elle connaissait l’identité de son bourreau. Le tribunal mentionna aussi le manque de preuve par rapport à son emploi et au congédiement de Solon.

[10]           Le tribunal conclut que la preuve documentaire indiquait que le risque d’être victime d’actes criminels était un risque généralisé et non individualisé. Le tribunal nota que les actes criminels ou de vengeance n’équivalaient pas à de la persécution au sens de l’art. 96 de la Loi. Les victimes de ces actes ne forment pas non plus un groupe social au sens de l’art. 96 de la Loi. Le tribunal accepta que la demanderesse souffre de dépression et du syndrome post-traumatique, mais n’accepta pas que ces troubles psychologiques soient liés à ses prétendues persécutions.

 

[11]           Le tribunal à aussi conclu, après avoir consulté la preuve documentaire et la Directive no 4 — Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe, que la demanderesse ne faisait pas partie des femmes à risque d’être victime d’agression en Haïti puisqu’elle n’était pas une jeune fille, n’avait jamais vécu dans un bidonville et pouvait bénéficier de la protection de son mari et de son beau-père.

 

[12]           Finalement, le tribunal mentionna qu’il existait une possibilité de  refuge interne (ci-après PRI) pour la demanderesse dans les villes de Jérémie et aux Cayes puisque ces villes sont éloignées de Port-au-Prince. Le tribunal trouva que la PRI n’était pas déraisonnable puisque la demanderesse est éduquée et possède plusieurs années d’expérience de travail. De plus, son mari voyage souvent pour son emploi et donc ce déménagement n’aurait pas d’impact sur son emploi. De plus, les demandeurs sont aisés financièrement comme le témoigne leurs nombreux voyages aux États-Unis, dont un pour la naissance de leur fille. Le tribunal nota que la preuve documentaire indiquait que les possibilités de PRI étaient rares en Haïti, mais pas impossibles à trouver.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[13]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

a.       Est-ce que la preuve additionnelle soumise par la demanderesse est admissible?

b.      Est-ce que la décision du tribunal est raisonnable?

 

[14]           La partie défenderesse souleva des arguments sur l’apparence de partialité du tribunal dans son mémoire de fait et de droit, mais abandonna ce point lors de l’audience.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[15]           La norme de contrôle applicable aux questions de crédibilité est la norme de la décision raisonnable : Ramirez Bernal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1007 au para 24. Cette norme est aussi applicable aux questions de fait et aux questions mixtes telles que l’existence d’une PRI: Vasquez Cardona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 57 au para 4; Kumar v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2012 FC 30 au para 16; et Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 53. Une décision raisonnable en est une qui est justifiée, transparente et intelligible, et qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit: Dunsmuir, au para 47.

 

ANALYSE

 

Est-ce que la preuve additionnelle soumise par la demanderesse est admissible?

[16]           Le défendeur demande que cette Cour rejette certains éléments de preuve introduit dans l’affidavit de Sylvie Paul-Laforest, plus particulièrement la pièce B à l’onglet 4 du dossier de demande. Tel qu’indiqué par le juge Noël dans Ngankoy Isomi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1394 au paragraphe 6, une cour qui exerce sa compétence de contrôle judiciaire ne peut considérer de la preuve qui n’était pas devant le décideur initial. Certaines circonstances peuvent amener une partie à produire de la preuve nouvelle, tel que lorsqu’un demandeur tente de prouver l’incompétence de son avocat ou la partialité du tribunal. Cependant, je ne vois pas, en étudiant le dossier, à quoi servirait la preuve déposée par la demanderesse (des documents prouvant son emploi à la Direction générale de l’impôt) si ce n’est que pour prouver des faits liés à sa demande de réfugié.

 

[17]           Lors de l’audience, la partie défenderesse a mentionné que Mme Paul-Laforest avait en sa possession la pièce en question avec elle durant son audience devant le tribunal. Elle n’aurait simplement pas cru bon de montré la pièce au tribunal puisque celui-ci ne l’aurait pas question sur ce point. Cette explication me semble invraisemblable particulièrement parce que la demanderesse était représentée par une avocate devant le tribunal. De plus, malgré les allégations de la partie demanderesse quant à l’incompétence de l’ancienne avocate de la demanderesse, la partie demanderesse n’a fourni aucune preuve pour soutenir ses explications. Il m’apparaît donc inapproprié de considérer cette preuve puisqu’elle n’était pas devant le tribunal et qu’aucune circonstance spéciale n’est applicable en l’espèce. La pièce en question est donc retirée du dossier.

 

Est-ce que la décision du tribunal est raisonnable?

[18]           La demanderesse n’a soulevé aucun motif permettant à cette Cour de déterminer que la décision était déraisonnable. La demanderesse n’a invoqué aucun argument critiquant la décision du tribunal quant à sa crédibilité. Hors, une conclusion négative sur la crédibilité est fatale pour une demande de statut de réfugié. Les conclusions du tribunal sur la crédibilité sont basées sur les faits et la preuve documentaire. Les conclusions sont justifiées et plusieurs invraisemblances furent notées par le tribunal : voir Cooper c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 118 au para 4; et Ramirez Bernal, supra, au para 19. Il n’est pas du ressort de la Cour de réévaluer la crédibilité d’une demanderesse : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[1993] FCJ No 732 (CAF) au para 4.

 

[19]           La demanderesse allègue que le tribunal n’a pas utilisé le bon fardeau de preuve en ce qui a trait à la persécution. La demanderesse n’indique cependant pas comment le tribunal se serait trompé, ni où il se serait trompé dans son raisonnement à l’exception de larges déclarations durant l’audience quant au fait que le tribunal demandait une preuve hors de tous doutes raisonnables. Cependant, le dossier du tribunal ne supporte nullement les arguments de la partie demanderesse sur ce point. Le tribunal indique clairement que la preuve documentaire démontre que les risques liés aux crimes sont généralisés en Haïti et que ceux-ci n’équivalent pas à de la persécution au sens de l’art. 96 de la Loi s’il y a absence d’un lien avec un motif prévu par la Convention. Les personnes victimes d’actes criminels ou de vengeance ne forment pas un groupe social au sens de l’article 96 de la Loi. Voir Asghar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 768 au para 25.

 

[20]           De plus, même si la demanderesse ne se basait par sur ce motif dans sa demande, le tribunal a suivi la Directive no 4 - Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe et a évalué si la demanderesse risquait d’être persécutée en Haïti en raison de son sexe. Le tribunal, une fois de plus en se basant sur la preuve documentaire et sur les faits, a déterminé que la demanderesse n’était pas à risque vu son statut social. La demanderesse affirme que son mari et son beau-père ne peuvent la protéger vu le travail du premier et l’âge du deuxième. Cependant, les conclusions du tribunal sont basées en grande partie sur le fait que les victimes identifiées dans la preuve documentaire proviennent des bidonvilles, sont pauvres et sont très jeunes. Ces qualificatifs ne correspondent pas à la demanderesse. Il n’y a donc rien de déraisonnable dans les conclusions du tribunal.

 

[21]           De surcroît, il convient de souligner que l’appartenance à un groupe social n’est pas suffisante, il faut aussi démontrer qu’il y avait plus qu'une simple possibilité que la demanderesse risque d'être victime des préjudices allégués en raison de son sexe : Ocean c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 796 aux paras 15-16.

 

[22]           Finalement, la demanderesse n’indique pas comment le tribunal aurait erré dans son analyse des PRIs; un élément suffisant pour disposer de la demande en entier : Ortegon Palacios c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 816 au para 11. Le tribunal a suivi les étapes des arrêts Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF) et Ranganathan c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[2001] 2 CF 164 (CAF). Il a proposé deux villes possible comme PRI et n’a pas était satisfait qu’il serait déraisonnable pour les demandeurs d’y déménager. Le tribunal a énoncé pourquoi il croyait que le déménagement ne serait pas déraisonnable : éducation, expérience et situation financière de la demanderesse. C’est une conclusion de faits et donc la Cour ne peut intervenir en l’absence d’une erreur démontrant que la décision du tribunal n’était pas supportée par les faits ou que le tribunal n’a pas considéré un élément important de la preuve. La partie demanderesse n’a pas soulevé de telles erreurs. La décision du tribunal est soutenable quant aux faits et au droit, et par conséquent est raisonnable.

 

[23]           Dans son ensemble la décision du tribunal appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Aucuns arguments soulevés ne permettraient de conclure que la décision était déraisonnable. La demande est donc rejetée.

 

[24]           Les parties n’ont pas soumis de questions à certifier.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5053-11

 

INTITULÉ :                                      SYLVIE PAUL-LAFOREST

                                                            ALEXA PAUL

                                                            TAINA PAUL

                                                            KEVIN PAUL

 

                                                            ET

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             23 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                   LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Joseph-Alphonse André

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Me Andrew Gibbs

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me JOSEPH-ALPHONSE ANDRÉ

Avocat et notaire

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

MYLES G. KIRVAN

Sous-procureur general du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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