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Date : 20120710

Dossier : T‑1589‑11

Référence : 2012 CF 874

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

HONG TAO CHEN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Hong Tao Chen, conteste le refus d’une juge de la citoyenneté d’approuver sa demande de citoyenneté au motif qu’elle n’avait pas une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada, comme l’exige l’alinéa 5(1)d) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi).

 

[2]               Pour commencer, la Cour reconnaît avec le défendeur que l’article 57 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, devrait s’appliquer de manière à convertir la présente demande en un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi, comme cela a été fait dans la décision Shaikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1254, [2010] ACF no 1564, par 28. C’est sur ce fondement que j’ai procédé à l’instruction de la présente affaire.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté.

 

I.          Contexte

 

[4]               La demanderesse, une Chinoise, est devenue résidente permanente du Canada le 27 octobre 2005. Elle a présenté sa demande de citoyenneté canadienne le 19 février 2009.

 

[5]               Elle a comparu devant un agent de citoyenneté le 23 mars 2011 pour un examen de citoyenneté au cours duquel l’agent lui a dit qu’elle serait renvoyée devant un juge de la citoyenneté qui évaluerait au cours d’une entrevue ses aptitudes linguistiques. L’entrevue a eu lieu le 7 juillet 2011.

 

[6]               Par lettre datée du 4 août 2011, la juge de la citoyenneté a estimé que la demanderesse n’avait pas une connaissance suffisante de l’anglais en application de l’alinéa 5(1)d). Plus précisément, la demanderesse était incapable :

•           de faire des phrases courtes pour répondre à des questions simples sur des sujets familiers, par exemple « Pouvez‑vous me parler de Guang Zhou, en Chine? »

•           de parler au passé sur quelque chose qui était arrivé dans le passé, par exemple « Pouvez‑vous me raconter votre premier jour au Canada? »

•           d’exprimer sa satisfaction ou son mécontentement en répondant à des questions telles que « Qu’est‑ce que vous aimez dans votre travail? »

 

[7]               Pareillement, les notes consignées par la juge de la citoyenneté au cours de l’entrevue mentionnent ce qui suit : [TRADUCTION] « De nombreuses questions ont été reformulées, et toutes ont été posées lentement. La candidate a donné quelques réponses qui étaient des listes d’expressions ne correspondant pas toujours à la question ».

 

[8]               La juge de la citoyenneté a refusé également de recommander une exemption discrétionnaire pour des raisons d’ordre humanitaire (paragraphe 5(3)), ou pour remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada (paragraphe 5(4)). Elle a précisé que la demanderesse [TRADUCTION] « ne m’a pas suffisamment démontré l’existence de circonstances spéciales pouvant me convaincre de l’opportunité de faire une telle recommandation ».

 

II.        Question litigieuse

 

[9]               La Cour doit principalement décider si la juge de la citoyenneté a commis une erreur susceptible de contrôle en rendant une décision défavorable.

 

III.       Norme de contrôle

 

[10]           Il est maintenant établi que la norme de contrôle applicable à la décision d’un juge de la citoyenneté, y compris à l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par les paragraphes 5(3) et 5(4), est la norme de la décision raisonnable (voir Amoah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 775, [2009] ACF no 947, par 14).

 

[11]           Selon cette norme, la Cour n’interviendra que si la décision de la juge de la citoyenneté est dépourvue de justification, de transparence et d’intelligibilité ou si elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, par 47).

 

IV.       Analyse

 

[12]           La demanderesse soutient que la décision de la juge de la citoyenneté devrait être annulée parce que le résultat qu’elle a obtenu le jour de l’audience ne reflétait pas sa véritable aptitude en anglais, en raison de sa nervosité et de son inexpérience. Elle renvoie à la preuve qui atteste qu’elle a suivi des cours d’anglais et qu’elle a fait du travail bénévole auprès de la Buddhist Compassion Relief Tzu Chi Foundation of Canada.

 

[13]           À titre préliminaire, je précise que dans la mesure où la demanderesse présente de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de son appel, il m’est impossible de les prendre en compte. Les appels en matière de citoyenneté ne sont pas des procès de novo et ils reposent exclusivement sur le dossier dont était saisi le juge de la citoyenneté (voir par exemple Lama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 461, [2005] ACF no 577, par 21; Hassan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 755, [2002] ACF no 1049, par 10).

 

[14]           Je ne suis pas non plus convaincu que la juge de la citoyenneté a commis une erreur dans sa conclusion. L’alinéa 5(1)d) de la Loi dispose que le candidat à la citoyenneté doit justifier d’une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada, en l’occurrence l’anglais. L’agent de citoyenneté a émis des doutes sur les aptitudes linguistiques de la demanderesse et l’a convoquée pour une entrevue avec la juge de la citoyenneté, au cours de laquelle celle‑ci a fait le même constat.

 

[15]           Selon l’article 14 du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93‑246 (le Règlement), une personne possède une connaissance suffisante d’une langue officielle s’il est établi a) qu’elle comprend, dans cette langue, des déclarations et des questions élémentaires, et b) que son expression orale ou écrite dans cette langue lui permet de communiquer des renseignements élémentaires ou de répondre à des questions. En l’espèce, la juge de la citoyenneté a donné des raisons précises de mettre en doute l’aisance de la demanderesse à s’exprimer en anglais d’une manière qui réponde à ces critères. Elle a constaté l’incapacité de la demanderesse d’employer des phrases courtes pour répondre à des questions sur des sujets familiers, de s’exprimer au passé sur quelque chose qui est arrivé dans le passé, et d’exprimer sa satisfaction ou son mécontentement. Ses notes indiquent aussi que les questions avaient dû être posées lentement, puis reformulées. Les réponses données n’étaient que des listes d’expressions.

 

[16]           Eu égard aux difficultés indiquées et aux critères d’évaluation des aptitudes linguistiques, il me semble que la juge de la citoyenneté a suffisamment démontré la justification, la transparence et l’intelligibilité de sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait pas une connaissance suffisante de l’anglais. Comme l’a reconnu la juge Eleanor Dawson dans la décision Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 836, [2008] ACF no 1045, par 14, « le juge de la citoyenneté doit être convaincu que le demandeur peut comprendre des déclarations et des questions élémentaires en anglais ».

 

[17]           La demanderesse peut ne pas souscrire aux conclusions factuelles de la juge de la citoyenneté, mais il n’appartient pas à la Cour d’intervenir en appréciant à nouveau la preuve. La demanderesse ne s’est tout simplement pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver que la juge de la citoyenneté a commis une erreur importante (voir Liu, précité, par 20). La preuve de son apprentissage de l’anglais comme langue seconde n’est pas déterminante, dans la mesure où cette preuve a été soumise à la juge de la citoyenneté. Le niveau de connaissance doit être évalué à la lumière des critères de l’article 14 du Règlement comme cela a été fait dans la présente affaire, et comme cela est reflété dans les motifs exposés par la juge de la citoyenneté (pour un raisonnement similaire, voir Re Lai, [1998] ACF no 503, par 4).

 

[18]           Je ne vois non plus aucune raison de conclure que la juge de la citoyenneté a commis une erreur susceptible de contrôle en refusant de recommander l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire au titre des paragraphes 5(3) ou 5(4) de la Loi. Elle a simplement estimé que la preuve de circonstances spéciales n’avait pas été faite et qu’une telle recommandation n’était donc pas justifiée.

 

[19]           Dans le cadre du présent appel, la demanderesse semble invoquer son travail bénévole qui, estime‑t‑elle, serait la preuve de « services exceptionnels rendus au Canada », selon le paragraphe 5(4). Même si cet élément a manifestement été soumis à la juge de la citoyenneté, il ne s’ensuit pas qu’il justifierait l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, car le critère à respecter pour ce genre de recommandation est strict. La recommandation ne sera faite que dans les cas exceptionnels de services rendus au Canada, et non à telle ou telle entreprise (voir, par exemple, Re MH (1996), 120 FTR 72, [1996] ACF no 823, par 6 à 8; Fan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 746, [2002] ACF no 1014, par 13).

 

[20]           La demanderesse demande qu’on lui accorde une deuxième chance ou qu’on lui fasse passer un nouveau test d’aptitude en langue anglaise. Malheureusement, il m’est impossible de lui venir en aide sur ce point. Le seul moyen pour elle de passer un autre test est de demander à nouveau la citoyenneté et de recommencer le processus. Je l’encouragerais cependant à parfaire ses aptitudes linguistiques et à présenter une nouvelle demande, car il s’agit de toute évidence d’une personne aimable et compatissante et qu’elle fait honneur à sa communauté.

 

V.        Conclusion

 

[21]           La décision de la juge de la citoyenneté était raisonnable dans les circonstances, l’appel est donc rejeté.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE l’appel est rejeté.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1589‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  HONG TAO CHEN c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 24 mai 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NEAR

 

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 10 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hong Tao Chen

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Sarah‑Dawn Norris

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hong Tao Chen

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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