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Date : 20120709

Dossier : IMM‑2622‑11

Référence : 2012 CF 863

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

AMANDA BIBIANA HERMAN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’égard de la décision datée du 24 mai 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention, au sens de l’article 96 de la Loi, ni celle de personne à protéger, au sens du paragraphe 97(1) de la Loi. La Commission a estimé que la preuve relative à des aspects essentiels de la demande d’asile de la demanderesse n’était pas crédible.

 

[2]               La demanderesse demande que la décision de la Commission soit annulée et que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la SPR.

 

Le contexte

 

[3]               La demanderesse, Amanda Bibiana Herman, est citoyenne de Sainte‑Lucie. Elle a trois filles, dont deux ont la citoyenneté canadienne.

 

[4]               La demanderesse est née à Sainte‑Lucie, mais a vécu au Canada de 1999 à 2005. En 2005, des agents d’immigration l’ont renvoyée en Sainte‑Lucie parce qu’elle avait prolongé indûment son séjour au Canada. Après son retour à Sainte‑Lucie, la demanderesse a rencontré et a commencé à fréquenter Richard Plummer. Ils on emménagé ensemble par la suite.

 

[5]               Après une période paisible de quelques mois, M. Plummer a commencé à consommer beaucoup d’alcool et de la drogue. Son comportement a changé et il est devenu de plus en plus agressif envers la demanderesse et ses enfants. M. Plummer a agressé plus tard la demanderesse. Un incident similaire est survenu quelques mois plus tard, lorsque M. Plummer a menacé la demanderesse de la tuer. Il l’a aussi menacée en lui disant que si elle demandait de l’aide auprès de la police, il l’apprendrait parce qu’il avait beaucoup d’amis qui étaient des policiers. La demanderesse n’a pas quitté M. Plummer parce qu’elle et ses enfants dépendaient financièrement de lui.

 

[6]               À la suite d’un autre incident violent, la demanderesse a décidé de dénoncer M. Plummer à la police. Au départ, les policiers se sont montrés préoccupés et réceptifs. Toutefois, lorsqu’ils ont appris que la plainte visait M. Plummer, ils ont adopté une attitude méprisante et ont dit à la demanderesse de chercher de l’aide ailleurs. Lorsque celle‑ci est retournée chez elle, M. Plummer l’a agressée de nouveau. Craignant pour sa vie, la demanderesse a décidé de quitter le pays.

 

[7]               Le 3 août 2009, la demanderesse est arrivée au Canada avec un visa de visiteur de six mois. Après son arrivée, la demanderesse a téléphoné à la maison et a appris que M. Plummer la cherchait et qu’il avait menacé de la tuer si elle retournait au pays.

 

[8]               La demanderesse a déposé une demande d’asile le 14 octobre 2010 ou vers cette date. L’audition de sa demande d’asile a eu lieu le 4 avril 2011. Le jour de l’audience, la demanderesse a tenté de déposer à l’appui de sa demande trois lettres provenant de sa mère et d’un ami qui était aussi son voisin. Ces lettres étaient respectivement datées de trois, quatre et quatorze mois avant la date de l’audience.

 

La décision de la Commission

 

[9]               La Commission a prononcé sa décision le 4 avril 2011. Les motifs écrits ont été rendus le 24 mai 2011.

 

[10]           La Commission a conclu que la preuve relative à des aspects essentiels de la demande d’asile n’était pas crédible malgré les facteurs importants suivants qui jouaient en sa faveur :

            1.         La période passée au Canada (de 1999 à 2005 et d’août 2009 à octobre 2010) durant laquelle elle avait acquis une expérience et connu une acculturation qui étaient extraordinaires et supérieures à ce que l’on observe chez la plupart des demandeurs d’asile;

            2.         La représentation par un consultant autorisé qui avait de l’expérience dans le domaine de l’immigration;

            3.         Le défaut d’établir de manière crédible qu’un obstacle exceptionnel l’empêchait de faire progresser sa demande d’asile et de se conformer aux règles sur la communication des documents.

 

[11]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait fourni aucune explication raisonnable ou crédible relativement à la communication tardive de ses lettres d’appui. La demanderesse a fait plutôt preuve d’une conduite qui ne concordait pas avec celle d’une personne qui souhaitait vivement agir avec diligence pour faire progresser sa demande d’asile. La Commission a jugé que les explications de la demanderesse à l’égard du manquement aux règles sur la communication des documents n’étaient pas satisfaisantes. Cette conclusion était également appuyée par le fait que la demanderesse avait été renvoyée à Sainte‑Lucie pour avoir prolongé indûment son séjour au Canada. Par conséquent, la Commission a conclu que la demanderesse agissait de diverses manières qui allaient largement à l’encontre de la conduite qu’adopterait une personne qui avait vécu ce qu’elle aurait vécu, qui éprouvait la crainte qu’elle éprouverait et qui était exposée au risque auquel elle aurait été exposée.

 

[12]           En résumé, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée de façon grave et continue si elle retournait à Sainte‑Lucie, ni qu’elle soit exposée à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumise à la torture. Par conséquent, la Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse.

 

Les questions en litige

 

[13]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

            1.         La Commission, dans l’ensemble de sa décision, a‑t‑elle rendu une décision déraisonnable?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en ignorant et en interprétant de façon erronée la preuve pertinente dans son ensemble, preuve dont elle était régulièrement saisie et qui étayait la revendication de la demanderesse du statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger, et a‑t‑elle donc tiré des conclusions de fait erronées ou des inférences manifestement déraisonnables, non étayées par la preuve, au mépris de la preuve dans son ensemble, abusives, arbitraires et fondées sur des considérations non pertinentes?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en omettant d’examiner adéquatement tous les éléments de preuve, de façon équitable et judicieuse?

            4.         La Commission a‑t‑elle tenu compte adéquatement des directives de la CISR concernant la persécution fondée sur le sexe alors qu’elle devait le faire?

            5.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables en matière de crédibilité, de façon abusive et arbitraire?

            6.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant de conclusions concernant la preuve documentaire, s’appuyant sur ce que les documents gardaient sous silence plutôt que sur leur contenu?

            7.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit dans l’interprétation de la définition de persécution, de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger?

 

[14]           Je reformulerais les questions comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         Les motifs de la Commission étaient‑ils suffisants?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable en matière de crédibilité?

            4.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande d’asile de la demanderesse?

 

Les observations écrites de la demanderesse

 

[15]           La demanderesse soutient que les motifs de la Commission étaient insuffisants. Elle n’a donc pas eu la possibilité de bénéficier d’une audience équitable. Le caractère suffisant des motifs est une question d’équité procédurale susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. En l’espèce, les motifs de la Commission, pris dans leur ensemble, n’étaient pas éclairants, autrement dit, ils n’étaient pas suffisants, et menaient à une analyse inadéquate des questions soulevées.

 

[16]           La demanderesse soutient également que la Commission s’est montrée excessivement sévère, zélée et critique en tirant des inférences défavorables au sujet de sa crédibilité générale. La Commission a tout simplement mentionné les directives concernant la persécution fondée sur le sexe, sans toutefois les appliquer adéquatement. De plus, la Commission a appliqué rigoureusement les règles sur la période minimale de 20 jours pour la communication des documents en avance, en faisant preuve de manque de sensibilité à l’égard de la situation de la demanderesse comme victime de violence familiale.

 

[17]           La demanderesse ajoute que la Commission a commis une erreur en tirant des inférences défavorables de l’absence d’éléments de preuve corroborants de nature médicale et qui proviennent de la police. La demanderesse avait expliqué expressément que les policiers ont refusé de la prendre au sérieux lorsqu’elle est allée dénoncer le comportement violent de son conjoint. Cette apathie générale dont fait preuve la police à Sainte‑Lucie envers les victimes de violence familiale était mentionnée dans la preuve documentaire dont disposait la Commission.

 

[18]           Selon la demanderesse, la Commission est arrivée à une conclusion déraisonnable sur la présentation tardive de sa demande d’asile. La demanderesse a donné une explication raisonnable quant à la présentation tardive de sa demande, à savoir le manque de ressources financières et son ignorance des politiques canadiennes concernant les réfugiés. Lorsqu’elle a appris qu’elle avait le droit de demander l’asile, la demanderesse a immédiatement déposé une demande à cet égard. Elle fait valoir que la présentation tardive de la demande d’asile ne peut constituer un facteur motivant le rejet de sa demande d’asile. De plus, une demande peut être crédible même si elle n’est pas présentée dans les meilleurs délais.

 

[19]           La demanderesse soutient que la Commission a également formulé des suppositions déraisonnables quant à ses connaissances des règles sur la communication des documents, écartant donc de façon abusive les lettres d’appui. Le fait qu’elle était représentée par un consultant n’était pas pertinent quant à sa connaissance des règles sur la communication des documents. La demanderesse a donné des explications raisonnables à l’égard du dépôt tardif des lettres d’appui, à savoir l’ignorance des règles et la réception récente de ces lettres. De plus, les règles elles‑mêmes indiquent clairement qu’elles ne doivent pas être appliquées de manière rigide. En fait, la Commission se voit conférer un certain pouvoir discrétionnaire pour décider d’appliquer ou non les règles sur la communication des documents.

 

[20]           La demanderesse ajoute que la Commission a tiré des conclusions de fait erronées. Elle n’a pas renvoyé à la preuve documentaire essentielle dont elle disposait, qui étayait la crainte fondée de la demanderesse de subir un préjudice et le fait qu’elle était personnellement exposée à un risque de préjudice. En outre, la Commission n’a pas procédé à une analyse approfondie et pondérée des éléments de preuve faisant état de la gravité de la violence familiale à Sainte‑Lucie et de la protection restreinte offerte par l’État aux victimes de violence.

 

[21]           La demanderesse soutient néanmoins qu’une décision favorable concernant le statut de réfugié peut être rendue malgré une conclusion défavorable en matière de crédibilité. La question principale est de savoir si la demanderesse établit l’existence des éléments subjectifs et objectifs du critère relatif à la qualité de réfugié. De plus, les conclusions défavorables en matière de crédibilité ne peuvent se fonder sur l’absence de preuve et les conclusions de fait fondées sur des suppositions sont intrinsèquement déraisonnables.

 

[22]           En résumé, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas examiné attentivement la preuve qu’elle avait présentée et n’a pas saisi la nature de sa situation. La décision est entachée d’erreurs de fait et de droit qui justifient, tant de façon individuelle que de façon cumulative, l’intervention de la Cour.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[23]           Le défendeur soutient que la Commission a raisonnablement conclu que la conduite de la part de demanderesse ne concordait pas avec celle d’une personne qui souhaitait vivement agir avec diligence pour faire progresser sa demande d’asile. La demanderesse, qui avait retenu les services d’un consultant six mois avant l’audience, n’a donné aucune explication raisonnable quant à la communication tardive de ses lettres, qui ont été rédigées plusieurs mois avant l’audience. En outre, la demanderesse n’a pas donné d’explication quant à la façon dont son profil à titre de victime de violence familiale l’a empêchée de communiquer des documents en temps opportun et conformément aux règles.

 

[24]           Selon le défendeur, en raison de la crédibilité douteuse de la demanderesse et de la nature de sa demande d’asile, il était raisonnable pour la Commission de tirer une inférence défavorable du fait qu’elle n’avait pas été en mesure de fournir une preuve documentaire objective à l’appui de sa demande d’asile.

 

[25]           Le défendeur soutient que la présentation tardive de la demande de protection tend à établir l’absence d’une crainte subjective de persécution ou exclut une crainte fondée de persécution. Le retard à demander protection peut constituer un facteur déterminant lorsque le demandeur n’arrive pas à l’expliquer de façon satisfaisante.

 

[26]           En l’espèce, le défendeur affirme que la Commission a raisonnablement conclu que l’expérience antérieure de la demanderesse au Canada, le retard d’une année avant de présenter une demande d’asile et l’expiration de son visa de visiteur ont manifestement mis en doute sa crainte alléguée de persécution. Il convient également de souligner que la demanderesse a rendu un témoignage contradictoire quant à la présentation tardive de sa demande d’asile. À un moment donné, elle a motivé le retard par le manque de ressources financières nécessaires pour retenir les services d’un avocat, et plus tard, elle l’a attribué à sa propre ignorance. Le défendeur soutient que, compte tenu de la vaste expérience de la demanderesse au Canada et de son témoignage contradictoire, la Commission a raisonnablement tiré une inférence défavorable en matière de crédibilité.

 

Analyse et décision

 

[27]           La question no 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière qui lui est soumise est déjà établie par la jurisprudence, alors la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[28]           Selon la jurisprudence, les conclusions touchant la crédibilité, que l’on décrit comme « l’essentiel de la compétence de la Commission », sont fondamentalement de pures conclusions de fait, qui doivent donc être revues d’après la norme de la raisonnabilité (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, au paragraphe 46; Demirtas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 584, [2011] ACF no 786, au paragraphe 23; et Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] ACF no 162, au paragraphe 7).

 

[29]           Lorsqu’elle examine une décision de la Commission en se fondant sur la norme de la raisonnabilité, la Cour s’abstiendra d’intervenir à moins que la Commission ne soit arrivée à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables au regard de la preuve qui lui a été soumise (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Khosa précité, au paragraphe 59). La cour de révision ne peut substituer la solution qu’elle juge elle‑même appropriée à celle qui a été retenue; il ne rentre non plus dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve (voir Khosa, précité, aux paragraphes 59 et 61).

 

[30]           En revanche, l’existence des motifs de la Commission est une question d’équité procédurale et de justice naturelle et la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (voir Poggio Guerrero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 384, [2010] ACF no 448, au paragraphe 19). Toutefois, la Cour suprême du Canada a expliqué récemment que, lorsque des motifs sont formulés, le raisonnement qui sous‑tend ces motifs est susceptible de révision selon la norme de la raisonnabilité. Comme l’a fait remarquer la juge Abella dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terres‑Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 22 :

Le manquement à une obligation d’équité procédurale constitue certes une erreur de droit. Or, en l’absence de motifs dans des circonstances où ils s’imposent, il n’y a rien à contrôler. Cependant, dans les cas où, comme en l’espèce, il y en a, on ne saurait conclure à un tel manquement. Le raisonnement qui sous‑tend la décision/le résultat ne peut donc être remis en question que dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de celle‑ci. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[31]           La question no 2

            Les motifs de la Commission étaient‑ils suffisants?

            Les motifs écrits ont pour fonction de faire connaître à ceux que la décision d’un tribunal administratif a défavorisés la raison sous‑jacente de cette décision. Par conséquent, les motifs doivent être appropriés, adéquats et intelligibles et ils doivent prendre en considération les points importants soulevés par les parties (voir Syed c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994) 83 FTR 283 (CF 1re inst.), [1994] ACF no 1331, au paragraphe 8; et Via Rail Canada Inc c Lemonde, [2001] 2 CF 25, [2000] ACF no 1685, au paragraphe 22). Toutefois, les motifs n’ont pas à être parfaits. Il convient de les examiner dans le contexte global de la décision et des faits particuliers de chaque espèce (voir Guerrero précité, au paragraphe 30). Il n’est pas nécessaire de s’étendre sur chacun des facteurs pertinents dans la mesure où les motifs remplissent leur objet et leur fonction (voir Abu Ganem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1147, [2011] ACF no 1404, au paragraphe 47).

 

[32]           La Cour suprême du Canada a récemment apporté des précisions sur l’application de l’arrêt Dunsmuir précité, dans le contexte du caractère suffisant des motifs. Exprimant l’opinion unanime de la Cour, la juge Abella a expliqué que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision; « les motifs doivent [plutôt] être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (voir Nurses’ Union, précité, au paragraphe 14). La cour de justice ne doit pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat (voir Nurses’ Union, précité, au paragraphe 15). Les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (voir Nurses’ Union précité, au paragraphe 16). Dans Nurses’ Union, précité, les motifs ont été confirmés parce qu’ils démontraient que « l’arbitre avait bien saisi la question en litige et qu’il est parvenu à un résultat faisant sans aucun doute partie des issues possibles raisonnables » (au paragraphe 26).

 

[33]           En l’espèce, la demanderesse soutient que les motifs de la Commission, pris dans leur ensemble, n’étaient pas éclairants, autrement dit, ils n’étaient pas suffisants, et menaient à une analyse inadéquate des questions soulevées. Toutefois, je suis d’avis que les motifs de la Commission sont suffisants pour permettre à la Cour de comprendre le raisonnement qui l’a conduite à sa décision. Bien qu’elle soit relativement brève, la décision décrit les réponses de la demanderesse à l’audience. La Commission a également décrit les facteurs précis qui ont mené à la conclusion défavorable en matière de crédibilité. Je conclus que, dans leur ensemble, ces motifs rendent correctement le raisonnement de la Commission quant à la crédibilité, en l’occurrence la question déterminante en l’espèce.

 

[34]           La question no 3

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable en matière de crédibilité?

            Il est bien établi que les conclusions en matière de crédibilité commandent un degré élevé de retenue judiciaire et elles ne devraient être infirmées que dans les cas les plus patents (voir Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1330, [2011] ACF no 1633, au paragraphe 30). En règle générale, la Cour ne doit pas substituer son opinion à celle de la Commission à moins de conclure que la décision était fondée sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (voir Bobic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1488, [2004] ACF no 1869, au paragraphe 3). Lorsqu’elle examine la décision d’une commission, la cour ne doit pas scruter à la loupe des sections isolées de celle‑ci. La cour doit plutôt examiner si la décision dans son ensemble appuie une conclusion défavorable sur la crédibilité (voir Guarin Caicedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1092, [2010] ACF no 1365, au paragraphe 30).

 

[35]           En l’espèce, les critiques de la demanderesse concernant les conclusions de la Commission en matière de crédibilité reposent principalement sur trois motifs : la présentation tardive de la demande d’asile, la connaissance des règles sur la communication des documents et l’absence d’éléments de preuve corroborants.

 

[36]           En ce qui a trait au premier motif, selon la jurisprudence, le retard à déposer une demande d’asile tend à établir l’absence d’une crainte subjective de persécution (voir Pina Gaete c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 744, [2011] A.C.F. no 938, au paragraphe 23). Comme l’a fait remarquer la Commission, il convient de souligner qu’en l’espèce la demanderesse avait déjà expérience en immigration au Canada, soit le renvoi pour défaut de respecter les exigences en matière d’immigration. Elle était également au courant de la durée de son visa de visiteur. Néanmoins, elle a attendu huit mois après après l’expiration de son visa de visiteur pour déposer une demande d’asile. Notre Cour a statué que plus un retard est inexplicable, plus l’absence d’une crainte subjective est probable (voir El Hage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1177, [2008] ACF no 1459, au paragraphe 13).

 

[37]           Compte tenu des éléments de preuve dont disposait la Commission, y compris l’expérience antérieure de la demanderesse en immigration et le dépôt tardif de sa demande d’asile une fois son visa de visiteur expiré, je conclus que la Commission a raisonnablement tiré une inférence défavorable en matière de crédibilité quant à sa crainte subjective. L’expérience antérieure de la demanderesse en immigration au Canada met en doute ses allégations selon lesquelles elle ignorait la marche à suivre pour déposer sa demande.

 

[38]           En ce qui concerne le deuxième motif, la Commission a conclu que la demanderesse, qui était représentée par un consultant en immigration expérimenté, n’a fourni aucune explication raisonnable ou crédible quant à la communication tardive de ses lettres d’appui. Les trois lettres avaient été rédigées plusieurs mois avant l’audience.

 

[39]           La demanderesse soutient qu’elle a fourni des explications raisonnables pour le délai en question, à savoir l’ignorance des règles et la réception tardive des lettres. Elle ajoute que la Commission jouissait d’un certain pouvoir discrétionnaire pour décider d’appliquer rigoureusement la règle sur la période minimale de 20 jours pour la communication des documents. À l’appui de sa position, la demanderesse invoque quatre décisions. Toutefois, je remarque que ces affaires portent plus précisément sur l’application des directives concernant la persécution fondée sur le sexe aux victimes de violence que sur le pouvoir discrétionnaire de la Commission dans l’application des règles sur la communication des documents.

 

[40]           Encore une fois, compte tenu de l’expérience antérieure de la demanderesse en immigration au Canada et de l’absence d’explication quant à la façon dont son profil à titre de victime de violence familiale l’a empêchée de communiquer des documents conformément aux règles, je conclus que la Commission a tiré une conclusion raisonnable sur son défaut de respecter les règles sur la communication des documents. La demanderesse n’a pas cité des décisions jurisprudentielles qui appuient clairement l’affirmation selon laquelle la Commission aurait dû accorder en l’espèce une exemption aux règles.

 

[41]           Enfin, la demanderesse reproche à la Commission d’avoir tiré une conclusion défavorable de l’absence d’éléments de preuve corroborants de nature médicale et qui proviennent de la police. Dans sa décision, la Commission a noté que les documents corroborants ne constituent pas un préalable dans tous les cas. Elle a cependant conclu que la demanderesse n’avait fourni aucune explication raisonnable ou crédible relativement à la communication tardive des documents, et qu’elle n’avait pas allégué, et encore moins confirmé ou établi, qu’elle était incapable de respecter les délais de communication des documents pour des raisons indépendantes de sa volonté.

 

[42]           Selon la jurisprudence, la Commission peut tirer une conclusion négative du fait que la demanderesse n’a pas produit des documents extrinsèques corroborant ses allégations lorsque sa crédibilité est mise en question (voir Richards c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1391, [2011] ACF no 1697, au paragraphe 23; et Nechifor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1004, [2003] ACF no 1278, au paragraphe 6). L’obligation de produire des éléments de preuve corroborants est plus acceptable lorsqu’il s’agit d’étayer les aspects importants de la demande d’asile (voir Guzun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1324, [2011] ACF no 1615, au paragraphe 20).

 

[43]           En l’espèce, le défaut de la demanderesse de respecter les délais de communication des documents, ainsi que ses expériences antérieures en immigration et le dépôt tardif de la demande d’asile, plusieurs mois après l’expiration de son visa de visiteur, ont manifestement mis en doute sa crédibilité. Il était donc raisonnable pour la Commission de prendre en considération la question de savoir si elle disposait d’éléments de preuve corroborant ses allégations et de tirer des inférences défavorables du défaut à cet égard.

 

[44]           En résumé, je conclus que, prise dans son ensemble, la décision étaye la conclusion définitive de la Commission en matière de crédibilité.

 

[45]           La question no 4

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande d’asile de la demanderesse?

            La Cour d’appel fédérale a récemment statué que, lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, [2008] ACF no 1685, au paragraphe 3). En l’espèce, j’ai conclu que la Commission a raisonnablement tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité, compte tenu de la preuve dont elle disposait. Cette conclusion suffit pour rejeter la demande de la demanderesse. La demanderesse n’a pas démontré l’existence d’une preuve documentaire indépendante et crédible à l’appui de sa demande (voir Sellan, précité, au paragraphe 3).

 

[46]           En résumé, je conclus que la décision de la Commission était transparente, intelligible et qu’elle appartenait aux issues possibles. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

[47]           Aucune partie n’a souhaité soumettre à mon attention une question grave de portée générale aux fins de certification.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Règles de la Section de la proetction des réfugiés, DORS/2002‑228

 

29. (1) Pour utiliser un document à l’audience, la partie en transmet une copie à l’autre partie, le cas échéant, et deux copies à la Section, sauf si les présentes règles exigent un nombre différent de copies.

 

[. . .]

 

 (4) Tout document transmis selon la présente règle doit être reçu par son destinataire au plus tard :

 

a) soit vingt jours avant l’audience;

 

b) soit, dans le cas où il s’agit d’un document transmis en réponse à un document reçu de l’autre partie ou de la Section, cinq jours avant l’audience.

 

69. La Section peut :

 

a) agir de sa propre initiative sans qu’une partie n’ait à lui présenter une demande;

 

 

b) modifier une exigence d’une règle;

 

c) permettre à une partie de ne pas suivre une règle;

 

d) proroger ou abréger un délai avant ou après son expiration.

 

29. (1) If a party wants to use a document at a hearing, the party must provide one copy to any other party and two copies to the Division, unless these Rules require a different number of copies.

 

 

. . .

 

 (4) Documents provided under this rule must be received by the Division or a party, as the case may be, no later than

 

(a) 20 days before the hearing; or

 

(b) five days before the hearing if the document is provided to respond to another document provided by a party or the Division.

 

69. The Division may

 

(a) act on its own initiative, without a party having to make an application or request to the Division;

 

(b) change a requirement of a rule;

 

(c) excuse a person from a requirement of a rule; and

 

(d) extend or shorten a time limit, before or after the time limit has passed.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2622‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  AMANDA BIBIANA HERMAN

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 12 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                 Le 9 juillet 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marc J. Herman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Veronica Cham

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Herman & Herman

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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