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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120720

Dossier: IMM-8474-11

Référence : 2012 CF 918

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

KULWINDER KAUR

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d'une demande de révision judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], qui vise la décision de l'agent d'immigration (l'agent), refusant d’octroyer à Mme Kulwinder Kaur (Mme Kaur) une dispense de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente hors du Canada aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR.

 

[2]               Pour les raisons qui suivent, cette demande de révision judiciaire est rejetée.

 

II.        Faits

 

[3]               Mme Kaur est citoyenne de la République de l’Inde et mariée à M. Surjit Singh Kandola, qui y habite toujours. Ils sont les parents de deux filles dont l’une est citoyenne canadienne.

 

[4]               Mme Kaur est arrivée au Canada le 3 décembre 1996.

 

[5]                Elle revendique d’emblée le statut de réfugié. Toutefois, sa demande est rejetée le 16 février 1998.

 

[6]               Le 15 novembre 2010, Mme Kaur dépose une demande d’évaluation des risques avant renvoi [ERAR]. Sa demande d’ERAR est refusée le 4 octobre 2011.

 

[7]               Elle dépose ensuite une demande de résidence permanente pour considérations humanitaires [CH]. Le 4 octobre 2011, l’agent refuse la demande CH.

 

[8]               Cette décision fait l’objet de la présente demande de révision judiciaire.

 

 

 

III.       Législation

 

[9]               Le paragraphe 25(1) de la LIPR précise que :

 (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

A.        Question en litige

 

·                     Est-ce que la décision de l’agent de refuser d’octroyer à Mme Kaur une dispense aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR est raisonnable en l’instance ?

 

 

 

B.        Norme de contrôle

 

[10]           Dans l'arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 62 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada conclut que lors d'une analyse relative à la norme de contrôle applicable, la première étape consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

 

[11]           Il est bien établi en jurisprudence que la décision d’un agent est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (voir Paz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 412 aux paras 22 à 25). La Cour doit prendre en compte « la justification de la décision [...] la transparence et [...] l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que] l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir précitée au para 47).

 

V.        Position des parties

 

A.        Position de Mme Kaur

 

[12]           Mme Kaur allègue avoir travaillé depuis son arrivée au Canada et qu’elle est ainsi parvenue à amasser des épargnes considérables. De plus, elle s’appuie sur la décision de l’agent qui reconnaît qu’elle a fait des efforts d’intégration à la vie canadienne.

 

[13]           Mme Kaur affirme par ailleurs que l’agent ne tient pas compte des difficultés démesurées auxquelles elle devra faire face en Inde. Elle rappelle sa détention illégale et les mauvais traitements subis aux mains des forces policières indiennes à cause des affiliations politiques de son époux. Mme Kaur soutient par ailleurs qu’elle serait exposée aux mêmes risques advenant son retour en Inde.

 

B.        Position du défendeur

 

[14]           Le défendeur souligne que l’agent conclut correctement que Mme Kaur ne démontre pas une intégration significative à la société canadienne. Ainsi, sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada ne lui créerait pas de difficultés inhabituelles, excessives ou démesurées. Le défendeur fait remarquer que la durée d’un séjour d’un demandeur au Canada ainsi que son intégration ne sont pas suffisantes en soi pour justifier une exemption aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR (voir Klais c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 785 au para 11; et Lee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413 au para 9).

 

[15]           Le défendeur rappelle également le principe voulant que l’évaluation du degré d’établissement est une conclusion de fait qui relève de l’expertise de l’agent. La Cour de révision doit faire preuve de déférence (voir Mathewa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 914 au para 17 [Mathewa]), selon le défendeur.

 

[16]           D’autre part, aux dires du défendeur, Mme Kaur invoque les mêmes risques que ceux allégués devant la CISR. Elle doit démontrer un risque personnalisé advenant son retour en Inde (Mathewa précitée). La Cour précise dans l’affaire Jakhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 159 au para 27, qu’il « ne suffit pas que le demandeur fasse référence à la preuve documentaire objective, relative à la situation du pays en général, dans sa tentative de prouver un risque personnalisé […] il [incombe] au demandeur d’établir un lien entre les faits propres à son affaire et la preuve documentaire objective ». En l’absence d’éléments de preuve appuyant la position de Mme Kaur, l’agent, selon le défendeur, pouvait raisonnablement conclure qu’elle ne subirait pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées advenant son retour en Inde.

 

VI.       Analyse

 

·                     Est-ce que la décision de l’agent de refuser d’octroyer à Mme Kaur une dispense aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR est raisonnable en l’instance ?

 

[17]           Le Guide IP 5 applicable au traitement des demandes présentées par des immigrants au Canada pour motifs d’ordre humanitaire énonce les précisions qui suivent sur le paragraphe 25(1) de la LIPR :

Le critère des "difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées" a été adopté par la Cour fédérale dans ses décisions fondées sur le paragraphe 25(1) de la LIPR, ce qui signifie que ces termes sont plus que de simples lignes directrices. Voir Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration); 2009 Carswell Nat 452; 2009 CF 11.

 

[18]           L’agent pouvait conclure à l’insuffisance des éléments de preuve présentés par Mme Kaur et qu’elle ne subirait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées si elle était tenue de présenter sa demande de résidence permanente à l'extérieur du Canada. La Cour tient à souligner qu'il appartient à Mme Kaur de démontrer qu’elle satisfait les critères de la LIPR (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 3 CF 172) pour avoir droit à l’exemption recherchée.

 

[19]           Mme Kaur soutient que les éléments de preuve au dossier démontrent une intégration significative. L’agent reconnaît que les efforts de Mme Kaur « traduisent une volonté d’enracinement » au Canada (voir le dossier du tribunal à la page 8), mais « il est de jurisprudence constante que le degré d'établissement n'est pas déterminant en soi pour une demande CH » (voir Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1303 au para 32; et Singh c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2009 CF 11).

 

[20]           Mme Kaur allègue risquer la persécution advenant son retour en Inde. L’agent note que « dans cette demande de dispense de visa, elle a réitéré les mêmes allégations de risques […] elle n’a présenté aucun élément de preuve de source indépendante ou des explications corroborant qu’en raison d’opinions politiques qui lui sont imputées, [d’]appartenance à un groupe social particulier, ou pour tout autre motif, elle ferait face à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives advenant son départ du Canada » (voir le dossier du tribunal à la page 7).

 

[21]           La Cour reconnaît que « le poids qu'il convient d'accorder ou d'attribuer à tel ou tel facteur ou indice d'attachement est discrétionnaire. Appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit examiner la preuve pour déterminer si la décision contestée est motivée. Par conséquent, il ne nous appartient pas de réexaminer le poids accordé par l'agente d'immigration aux divers motifs d'ordre humanitaire invoqués » (voir Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1474 au para 7).

 

[22]           Il faut de plus souligner que la décision de l’agent « concernant les demandes CH est exceptionnel et discrétionnaire et sert seulement à déterminer si l'octroi d'une exemption est justifié » (voir Gomez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1301 au para 27) et qui plus est « l'objectif d'une demande pour motifs humanitaires n'est pas de rediscuter des faits dont avait été saisie la Commission du statut de réfugié, non plus que de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement, savoir contester les conclusions de la Commission du statut de réfugié » (voir Hussain c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 751 au para 12).

 

[23]           Mme Kaur n’a présenté aucun élément de preuve sur l’intérêt supérieur de ses enfants et le préjudice qu’ils peuvent subir advenant le refus de sa demande. La Cour constate toutefois que la fille de Mme Kaur, Sandeep Kaur, est mariée et bien établie au Canada. Elle est également citoyenne canadienne. Quant à son autre fille, Navjot Kaur, elle est maintenant majeure et poursuit ses études universitaires en Inde où elle habite avec son père.

 

[24]           Finalement, l’agent mentionne que Mme Kaur ne donne aucune information relativement à ses neveux qui habitent la ville de Toronto. Il est donc impossible, selon l’agent, de déterminer si l’intérêt de ces enfants prévaut. L’agent mentionne ce qui suit dans sa décision :

« Concernant ses neveux à Toronto, elle ne fournit ni leur nombre, âge ou noms et encore rien de spécifique concernant leur santé, besoins spécifiques ou intérêt vital qui permettrait de conclure que leur intérêt supérieur serait lésé si elle rentre en Inde. D’un autre côté, son mari et sa fille sont en Inde et c’est là-bas qu’elle a déjà vécu. Au regard de la preuve soumise, je ne peux alors conclure que ses difficultés soient inhabituelles et injustifiées ou démesurées quand elle est tenue de présenter en Inde une demande de visa de résident permanent » (voir le dossier du tribunal à la page 8).

 

[25]           La décision de l’agent est raisonnable en l’instance et « fait partie des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit » (Dunsmuir précitée au para 47). L’agent a raisonnablement déterminé que Mme Kaur ne subirait pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées advenant son retour en Inde pour y déposer une demande conformément à la Loi.

 

VII.     Conclusion

 

[26]           L’agent a raisonnablement déterminé que Mme Kaur ne subirait pas de difficultés inhabituelles ou injustifiées ou démesurées à son retour en Inde. La décision « fait partie des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit » (Dunsmuir précitée au para 47).

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                   la demande de révision judiciaire est rejetée; et

2.                   il n’y a aucune question d’intérêt général à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8474-11

 

INTITULÉ :                                      KULWINDER KAUR

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             31 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                     20 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Laurent Carignan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Guillaume Bigaouette

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Monterosso Giroux, s.e.n.c.

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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