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Date : 20120719

Dossier : IMM-7826-11

Référence : 2012 CF 904

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2012

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

 

XUE MEI LI

QIAN HUI DENG

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, Xue Mei Li [la demanderesse] et Qian Hui Deng [le demandeur] [collectivement, les demandeurs], ont présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 6 octobre 2011 [la décision] par une agente d’immigration [l’agente], qui a rejeté leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire [la demande CH] présentée en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. La présente demande a été présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi.

 

[2]               Les parties ne s’entendaient pas sur la nature de la demande présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi. Cette disposition est ainsi libellée :

 (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

[3]               L’avocat des demandeurs a affirmé qu’il avait sollicité, au nom de ses clients, une dispense de l’application de la Loi afin que les demandeurs puissent présenter une demande de résidence permanente de l’intérieur du Canada [la dispense] et obtenir le statut de résident permanent. Pour sa part, l’avocate du défendeur a affirmé que la demande ne visait que la dispense.

 

[4]               Il ressort clairement du dossier que les demandeurs avaient demandé tant la dispense que le statut de résident permanent. Ils ont payé les frais exigés et ils ont présenté des formulaires de demande de résidence permanente.

 

[5]               Les demandeurs ont souvent fait mention, dans d’autres lettres, de la [traduction] « demande de résidence permanente de l’intérieur du Canada » et ces mots se trouvaient dans l’en­tête de la lettre dans laquelle l’avocat des demandeurs avait présenté leur demande et formulé les observations en leur nom au sujet de la dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire [les observations].

 

[6]               Suivant cette conclusion, l’agente, dans la décision, a rejeté tant la demande de dispense que la demande de statut de résident permanent.

 

LES FAITS

 

[7]               Les demandeurs sont des citoyens de la Chine, et leur fils unique, Shiming Deng [le fils], était résident permanent du Canada. Il s’est suicidé en 2005 peu de temps après que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] eut pris une mesure de renvoi contre lui.

 

[8]               Le fils est venu au Canada en 1999, et il est devenu résident permanent grâce à une demande de parrainage qui avait été présentée par une femme avec qui il était alors marié. Il était atteint de schizophrénie. En août 2004, il a été déclaré coupable de voies de fait graves et condamné à une journée en prison suivie de trois ans de probation. Il est retourné en Chine pendant qu’il était en probation (avec le consentement de son agent de probation) en novembre 2004, puis il est revenu au Canada en janvier 2005. Peu de temps après, il est de nouveau retourné en Chine et il y est resté jusqu’au 26 octobre 2005. À son retour, le fils a été interrogé par un agent au point d’entrée au sujet de sa déclaration de culpabilité au criminel. Il a été convoqué à une enquête, et son passeport chinois a été saisi.

 

[9]               L’audience sur l’enquête a commencé le 14 novembre 2005, mais elle a été ajournée une semaine parce que le fils n’était pas représenté. À la clôture de la première partie de l’enquête, le fils a demandé que son passeport lui soit rendu pour qu’il puisse retourner en Chine. Cette demande a été refusée. L’enquête a repris le 22 novembre 2005; la Commission a conclu que le fils était interdit de territoire et elle a pris une mesure de renvoi. Le fils s’est suicidé plus tard le jour même.

 

[10]           Les demandeurs affirment que la GRC n’avait pas informé le consulat chinois du décès de leur fils en temps opportun. Ils n’ont appris son décès que le 22 décembre 2005. Leur fils était déjà en terre à ce moment­là.

 

[11]           Les demandeurs sont venus au Canada le 18 janvier 2007 pour en apprendre davantage sur les événements qui ont précédé la mort de leur fils. Le demandeur a déposé en Cour fédérale le 12 octobre 2007 une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de renvoyer son fils à une enquête et de saisir son passeport. Dans sa demande d’autorisation, le demandeur avait sollicité une prorogation de délai pour le dépôt de la demande. Cependant, la prorogation a été refusée.

 

[12]           Le demandeur a aussi déposé une action au civil en Cour fédérale le 22 novembre 2007 en vue d’obtenir des dommages­intérêts pour négligence, abus de pouvoir et manquement à une obligation légale en ce qui a trait à la mort de son fils. Le demandeur s’est désisté le 29 septembre 2010.

 

[13]           Les demandeurs ont déposé, le 15 décembre 2010, une demande de résidence permanente de l’intérieur du Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire parce qu’ils souhaitaient vivre près du lieu de sépulture de leur fils et être enterrés dans le même cimetière lorsqu’ils décèderont.

 

LA DÉCISION

 

[14]           L’agente a conclu que les circonstances des demandeurs ne constituent pas des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[15]           L’agente a rejeté la prétention des demandeurs selon laquelle, si leur fils était en vie, il les aurait parrainés au titre de la catégorie du regroupement familial; elle a noté que [traduction] « personne ne sait vraiment s’il les aurait parrainés ou non ». L’agente a souligné que, lors de l’enquête, le fils avait demandé que son passeport lui soit rendu pour qu’il puisse renoncer à son statut [au Canada] et retourner chez ses parents en Chine. L’agente a donc conclu qu’elle ne pouvait pas accorder [traduction] « beaucoup de poids » à la prétention des parents au sujet du parrainage.

 

[16]           Le demandeur a aussi affirmé qu’il devrait rester au Canada afin que le suicide de son fils reste un secret. Il n’en avait pas informé sa famille ni ses amis en Chine et il craignait que sa mère, qui allait avoir 90 ans, décède si elle l’apprenait. Cependant, l’agente a noté que le demandeur était retourné en Chine depuis le décès de son fils, et elle a donc accordé peu de poids à l’allégation selon laquelle le demandeur devait rester au Canada.

 

[17]           L’agente a examiné la prétention selon laquelle les demandeurs ne pouvaient pas, pour des raisons culturelles, exhumer la dépouille de leur fils et l’emporter en Chine. Cependant, l’agente n’était pas convaincue que le fait de rester au Canada aiderait les demandeurs à faire leur deuil. Elle a noté que le counselling auquel avait participé la demanderesse n’avait donné aucun résultat et que le fait d’être près de la tombe de son fils pendant près de cinq ans n’avait été d’aucune aide. En outre, les demandeurs ont un réseau familial sur lequel ils peuvent s’appuyer en Chine et n’ont aucun proche au Canada.

 

[18]           L’agente a souligné que les demandeurs pourraient vraisemblablement obtenir des visas de visiteur à l’avenir pour venir visiter la sépulture de leur fils et elle a conclu que, bien que les demandeurs aient établi un certain degré d’établissement au Canada, leur retour en Chine ne leur causerait pas de difficultés.

 

LA QUESTION EN LITIGE – L’examen lié aux difficultés a­t­il été effectué de façon appropriée?

 

[19]           Les observations révèlent que les demandeurs seraient exposés à deux types de difficultés : premièrement, le profond chagrin et le deuil causés par le décès de leur fils et, deuxièmement, l’impression qu’ils sont responsables du suicide de leur fils et qu’ils doivent expier leur faute en restant près de sa tombe et en étant enterré près de lui. À mon avis, les paragraphes 3 et 6 de la décision révèlent que l’agente a tenu compte du profond chagrin des demandeurs et de leur besoin de rédemption.

 

[20]           Cependant, les demandeurs affirment que l’agente ne s’est pas penchée sur tous les aspects des difficultés alléguées. Ils ont soutenu dans les observations que le passeport de leur fils avait été saisi à tort, que le passeport n’avait pas été donné au fils lorsqu’il avait demandé qu’il lui soit rendu, et que le fils avait été renvoyé à une enquête par un agent qui n’avait pas l’autorité pour prendre cette décision. Il a également été avancé que la GRC n’avait pas informé le consulat chinois du décès du fils avant qu’il soit enterré. Aucune de ces allégations n’a été mentionnée dans la décision.

 

[21]           Le défendeur conteste que le passeport ait été saisi et conservé irrégulièrement, mais, par ailleurs, il reconnaît que l’agent qui a demandé la tenue de l’enquête n’avait pas l’autorité pour le faire. Cependant, le défendeur affirme que, puisqu’il n’est pas contesté que le fils était interdit de territoire pour criminalité, l’erreur ne portait aucunement à conséquence parce qu’une enquête aurait nécessairement été tenue par la suite. Le défendeur affirme également que, bien qu’il soit malheureux que les parents n’aient pas été informés en temps opportun du décès de leur fils, les observations ne donnent aucunement à penser que la GRC a agi de manière fautive.

 

ANALYSE

 

[22]           Je n’accepte pas l’observation des demandeurs selon laquelle le défendeur a saisi et conservé à tort le passeport de leur fils, et je ne suis pas convaincue que le fait de le convoquer à une enquête constituait une erreur grave vu que la tenue de l’enquête était inévitable. Par ailleurs, je ne suis pas non plus convaincue par l’observation du défendeur selon laquelle les difficultés auxquelles le fils a été exposé ne sont pas pertinentes quant à la demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par les parents. C’est pertinent quant à la question de savoir si les difficultés qu’ils vivent (le deuil et le besoin de rédemption) sont injustifiées. À mon avis, lorsque l’agente a parlé de la [traduction] « façon tragique qu’il a perdu la vie » elle faisait alors allusion aux circonstances du suicide et au fait que les demandeurs n’ont rien pu y faire. Cela voulait dire que les difficultés des demandeurs étaient [traduction] « injustifiées ».

 

[23]           Cependant, les demandeurs souhaitent que l’on tienne compte d’une autre façon des difficultés de leur fils (c’est­à­dire les raisons de son suicide). Ils font essentiellement valoir que, puisque le défendeur a contribué au suicide de leur fils, leurs difficultés sont inhabituelles et qu’ils devraient donc obtenir le statut de résident permanent.

 

[24]           Cependant, puisque les allégations de mauvaise conduite ne sont pas fondées, leur prétention ne saurait être retenue.

 

CONCLUSION

 

[25]           Je conclus que la décision – qui, de l’aveu de l’agente, fut difficile à prendre – appartient aux issues raisonnables, et, pour ce motif, la demande doit être rejetée.

 

CERTIFICATION

 

[26]           Le demandeur a proposé deux questions aux fins de certification en vertu de l’article 74 de la Loi. Je les examinerai tour à tour :

(i)         Lorsqu’un demandeur de statut de résident permanent présenté au Canada demande une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire parce qu’il n’appartient clairement pas à l’une des catégories admissibles, comme en l’espèce et comme dans l’affaire Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2007 CF 806, est­il tout de même nécessaire de trancher en premier la question de la dispense de l’obligation légale de présenter une demande de l’étranger?

 

À mon avis, la réponse à cette question ne trancherait pas la présente l’affaire, car l’agente était saisie des questions liées à la dispense et à la résidence permanente.

 

(ii)        Puisqu’il a été établi dans la jurisprudence que le critère lié à l’octroi d’une dispense discrétionnaire de l’obligation légale de présenter sa demande de l’étranger ne doit tenir compte que des difficultés vécues lors du processus de demande, devrait­on adopter un autre critère visant les demandeurs dont les difficultés découleraient du refus d’octroyer le statut de résident permanent, ce qui entraîne des difficultés à plus long terme?

 

La présente affaire n’a pas été tranchée sur la question des difficultés vécues par les demandeurs en date de la demande CH. L’agente a clairement examiné les difficultés futures et la possibilité pour les demandeurs d’obtenir des visas de visiteur. Par conséquent, la réponse à cette question ne serait pas déterminante en l’espèce.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7826-11

 

INTITULÉ :                                      LI et al c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 26 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lawrence Wong

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Banafsheh Sokhansanj

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lawrence Wong & Associates

Richmond (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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