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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120719

Dossier : IMM-6834-11

Référence : 2012 CF 902

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2012

En présence de madame la juge Simpson

 

ENTRE :

 

MINDAUGAS MARKAUSKAS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Mindaugas Markauskas [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] le 29 août 2011, par laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger [la décision]. La demande est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

 

[2]               Le demandeur, qui est âgé de 31 ans, est un citoyen de la Lituanie. Il avait cependant habité sans interruption aux États-Unis [les É.-U.] avec ses parents, de 1996 à 2007.

 

[3]               En mai 2006, le demandeur avait rencontré son ancienne petite amie, Milda Stumbryte [Milda]. Elle vivait alors sans statut aux É.-U. Milda était retournée en Lituanie peu après leur rencontre et avait alors informé le demandeur qu’elle était enceinte. Leur fils, Nojus Stumbrys, est né en Lituanie le 13 février 2007.

 

[4]               Après le retour de Milda en Lituanie, le demandeur avait vécu à Chicago pendant une année. Il s’était ensuite rendu à Kaunas, en Lituanie. Lui et Milda avaient vécu ensemble pendant deux mois, et avaient ensuite eu une relation [traduction] « intermittente » pendant plusieurs mois additionnels. La relation avait complètement pris fin en décembre 2008. En février 2009, Milda avait commencé à vivre avec son futur époux, et le demandeur ne voyait plus son fils.

 

[5]               Pendant ce temps, peu après le retour du demandeur en Lituanie, Milda lui avait dit que son père, Aras Stumbrys [Aras], était un rouage relativement important d’une organisation mafieuse se livrant au trafic de stupéfiants. En mai 2008, Aras avait rencontré le demandeur et lui avait dit qu’il devait se joindre à lui et à ses associés, parce qu’il en savait trop au sujet de ses activités. Aras avait expliqué au demandeur qu’il n’avait pas le choix et que son travail nécessiterait qu’il se rende en Espagne et en Italie.

 

[6]               Le demandeur avait donné des excuses pour retarder son implication dans les activités d’Aras, mais ce dernier était impatient et avait commencé à le menacer, en lui disant qu’il ne pourrait se cacher en Lituanie, ou ailleurs en Europe.

 

[7]               En septembre 2008, le demandeur s’était adressé à la police de Kaunas, pour se plaindre des menaces d’Aras. Cependant, selon le demandeur, la police était corrompue et avait immédiatement communiqué avec Aras. Le jour suivant, le demandeur avait été intercepté sur la rue par deux hommes, qui lui avaient dit qu’il allait bientôt partir pour l’Espagne pour accomplir sa première tâche et que, s’il n’y allait pas, il pouvait se considérer comme un « homme mort ».

 

[8]               Le demandeur avait continué de retarder l’acceptation de la tâche qu’il devait accomplir pour Aras, en disant qu’il voulait prendre soin de son fils, que son oncle s’était suicidé en décembre 2008 et qu’il devait veiller sur son grand-père malade.

 

[9]               Le grand-père du demandeur est décédé au milieu du mois de mars 2009. Le demandeur avait demandé de l’aide à ses parents lorsque ceux-ci s’étaient rendus en Lituanie pour les funérailles; ceux-ci avaient acheté des billets d’avion pour qu’il puisse s’enfuir. Le demandeur était arrivé à Toronto le 15 avril 2009 et il avait obtenu le statut de visiteur pour une période de six mois.

 

[10]           Selon le Formulaire de renseignements personnels [FRP] du demandeur, il avait été interdit d’entrée aux É.-U. pour une période de dix ans. Il avait néanmoins tenté d’entrer aux É.-U. le 15 septembre 2009, parce qu’il entretenait une relation sérieuse avec une femme qui y vivait. Le demandeur s’était vu refuser l’entrée aux É.-U. et il avait été détenu pour une nuit. Lorsqu’il était retourné au Canada, on lui avait donné un visa de trois semaines et, bien qu’il eût présenté une demande de prolongation de son statut de visiteur, sa demande avait par la suite été rejetée par une lettre de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] datée du 15 mars 2010. Deux semaines plus tard, le demandeur avait présenté une demande d’asile.

 

LA DÉCISION

 

[11]           Des préoccupations liées à deux aspects ont poussé la Commission à rejeter la demande d’asile du demandeur : l’absence de lien avec l’un des motifs prévus à la Convention et la crédibilité du demandeur.

 

[12]           Le Commission n’a abordé que brièvement la question du lien entre le motif de persécution invoqué par le demandeur et la Convention. La Commission a mentionné que la crainte qu’entretient le demandeur à l’égard d’Aras et de l’organisation criminelle de ce dernier était reliée « purement et simplement [à] de [la] criminalité ». La Commission a renvoyé aux décisions Zefi Skeko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 636, 123 ACWS (3d) 739, et Bojaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 194 FTR 315, ACF no 1524 (QL), à l’appui de la thèse selon laquelle les victimes de criminalité ne peuvent établir de lien avec la Convention.

 

[13]           La Commission avait deux préoccupations en ce qui a trait à la crédibilité. Tout d’abord, elle a conclu que le demandeur n’avait aucune raison valide de demeurer près d’un an en Lituanie, après qu’Aras lui avait dit, en mai 2008, qu’il devait se joindre à son organisation criminelle ou subir les conséquences de son refus. La Commission a conclu que le fait que le demandeur avait tardé à quitter la Lituanie ne concordait pas avec son allégation selon laquelle il craignait pour sa vie, et qu’une personne raisonnable se serait enfuie de la Lituanie dès que possible.

 

[14]           Deuxièmement, la Commission n’a pas cru que le demandeur craignait pour sa vie, car il avait attendu près d’un an après son arrivée au Canada pour présenter sa demande d’asile. La Commission a refusé d’accepter que le demandeur eût besoin de tout ce temps pour « retrouver son calme et se reprendre en main », comme il l’avait affirmé. La Commission a conclu que cet atermoiement témoignait aussi d’une absence de crainte subjective de persécution.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[15]           Les parties conviennent, et je reconnais que la norme de contrôle applicable dans la présente affaire est celle de la raisonnabilité.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[16]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

(i)                 La Commission a-t-elle omis de se pencher sur la question de savoir si le demandeur a qualité de personne à protéger au titre de l’article 97 de la Loi?

(ii)               La Commission a-t-elle omis de tenir compte des explications du demandeur lorsqu’elle a tiré ses inférences défavorables en matière de crédibilité en raison de l’atermoiement du demandeur?

 

1re question en litige         La Commission a-t-elle omis de se pencher sur la question de savoir si le demandeur a qualité de personne à protéger au titre de l’article 97 de la Loi?

 

[17]           La Commission a affirmé ce qui suit à cet égard :

Compte tenu des conclusions du tribunal quant à la crédibilité du demandeur d’asile et au bien-fondé de sa crainte, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’a pas qualité de personne à protéger au sens de l’alinéa 97(1)b), puisqu’il ne serait pas exposé à une menace à sa vie ni au risque de traitements ou peines cruels et inusités en cas de retour en Lituanie. En outre, rien ne permet de conclure que le demandeur d’asile serait exposé au risque d’être soumis à la torture au sens de l’alinéa 97(1)a).

 

 

[18]           Le demandeur se fonde notamment sur la décision du juge Martineau dans Kandiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 181, 137 ACWS (3d) 604, au paragraphe 18, où ce dernier a affirmé que les demandes d’asile fondées sur l’article 97 de la Loi doivent faire l’objet d’un examen, même en présence d’une décision défavorable quant à la question de la crainte subjective.

 

[19]           Cependant, lorsque les motifs du juge Martineau sont lus dans leur ensemble, il devient évident que ces motifs traitent d’une situation dans laquelle la documentation relative aux conditions dans le pays démontrait qu’une personne était réellement exposée à un risque, et ce, en dépit de l’absence de crainte subjective. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[20]           Je suis d’avis que, puisque l’atermoiement n’a pas été expliqué de manière adéquate, il était raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur n’était pas crédible lorsqu’il a affirmé qu’il craignait Aras. Cette conclusion éliminait la seule preuve relative au risque auquel le demandeur était exposé. Puisqu’il n’y avait pas d’autre preuve objective de quelque autre risque, la décision de la Commission était raisonnable.

 

2e question en litige    La Commission a-t-elle omis de tenir compte des explications du demandeur lorsqu’elle a tiré ses inférences défavorables en matière de crédibilité en raison de l’atermoiement du demandeur?

 

[21]           Le demandeur affirme que la Commission a omis de tenir compte de six motifs qui expliquaient son départ tardif de la Lituanie :

a)      la maladie de son grand-père;

b)      son désir de rester avec son fils;

c)      le suicide de son oncle;

d)     son manque de fonds;

e)      sa crainte de mettre en danger sa famille aux É.-U.;

f)       ses efforts à solliciter la protection de la police.

 

[22]           À mon avis, il est évident que les trois premiers motifs étaient des excuses que le demandeur avait données à Aras pour retarder son départ pour l’Espagne, et non des explications concernant sa fuite tardive au Canada. La Commission a néanmoins fait mention des deux premiers motifs. Quant aux autres explications, je ne suis pas convaincue que la Commission devait les mentionner dans sa décision. Le manque de fonds et la crainte pour sa famille aux É.‑U. n’étaient pas mentionnés dans le FRP du demandeur, et son motif relatif à la police n’explique guère le fait qu’il soit resté en Lituanie, parce que la communication avec les policiers avait prétendument exacerbé ses problèmes.

 

[23]           De plus, il n’y avait aucune preuve selon laquelle Aras avait déjà menacé la famille du demandeur aux É.‑U. ou que son réseau criminel s’étendait en Amérique du Nord. De plus, si les parents du demandeur étaient prêts à financer son voyage au Canada en mars 2007, il y a tout lieu de supposer que, si le demandeur leur en avait fait la demande plus tôt, ils lui auraient donné de l’argent. En dernier lieu, la preuve démontrait que le demandeur ne voyait plus son fils.

 

[24]           Dans les cas où les explications sont manifestement non fondées, il n’est pas nécessaire que la Commission mentionne chaque explication fournie par un demandeur.

 

[25]           En ce qui concerne le fait que le demandeur a retardé d’un an la présentation de sa demande d’asile au Canada, la Commission ne croyait pas que le demandeur avait besoin de temps pour retrouver son calme et se reprendre en main, ni qu’il craignait de s’adresser aux autorités canadiennes. Ces explications ont été mentionnées dans la décision et, à mon avis, il était raisonnable que la Commission les rejette.

 

LA CERTIFICATION D’UNE QUESTION

 

[26]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification aux termes de l’article 74 de la Loi.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs susmentionnés.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6834-11

 

INTITULÉ :                                      Markauskas

                                                            c

                                                            Le Ministre de la Citoyenneté

                                                            et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 28 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            La juge Simpson

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 19 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Victor Ing

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sarah-Dawn Norris

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Miller Thomson LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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