Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120719

Dossier : IMM-4983-11

Référence : 2012 CF 912

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

ENTRE :

 

MESA SOLER DE MUNGUIA, INGRID JASMINE (alias MEZA SOLER DE MUNGUI, INGRID JASMINE) ET MUNGUIA OQUELI, MARCO ANTONIO, MUNGUIA MEZA, ANDREE ANTHONIOLY (alias MUNGUIA MEZA, ANDREE ANTHONIO)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs demandent, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 14 juin 2011, dans laquelle la Commission a statué que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention visée à l’article 96 de la Loi ni qualité de personne à protéger visée au paragraphe 97(1) de la Loi. Cette conclusion était fondée sur la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs étaient exposés à un risque généralisé plutôt que personnalisé au Honduras.

 

[2]               Les demandeurs demandent l’annulation de la décision de la Commission et le renvoi de l’affaire à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

Contexte

 

[3]               La demanderesse principale est Ingrid Jasmine Mesa Soler De Mungui. Les autres demandeurs sont, d’une part, Marco Antonio Munguia Oqueli, son époux, et d’autre part, Andree Anthonioly Munguia Meza, son fils mineur. Les demandeurs sont tous des citoyens du Honduras.

 

[4]               La demanderesse et son époux détenaient tous deux des emplois bien rémunérés au Honduras. En 2004, des membres du groupe criminel organisé la Mara Salvatrucha (la MS ou la Mara) sont entrés en contact avec eux et leur ont demandé de l’argent. Le gang leur a dit, sous la menace, de ne pas les dénoncer à la police, au sein de laquelle le gang disait avoir de bons contacts.

 

[5]               Les demandeurs ont d’abord refusé d’accéder aux demandes de la MS. Le gang a donc commencé à persécuter les demandeurs; c’est ainsi qu’elle les a volés, agressés et menacés en mai 2005. Suite à cela, les demandeurs se sont conformés aux demandes du gang.

 

[6]               En avril 2007, la MS a découvert que les demandeurs gagnaient plus d’argent. Elle leur a donc demandé plus d’argent. Les demandeurs lui ont dit que c’était trop. Cependant, la MS a tout simplement répondu à cela en proférant d’autres menaces à l’endroit des demandeurs. Pour échapper à ces demandes croissantes, les demandeurs ont déménagé dans une autre ville et ont changé de voiture pour dissimuler leur identité. Cependant, en décembre 2008, la MS les a trouvés et les a forcés à payer. En avril 2009, la MS a encore demandé plus d’argent. Les demandeurs ont payé, mais ils ont aussi décidé de quitter le pays pour échapper à cette persécution.

 

[7]               Les demandeurs ne connaissaient pas le nom des auteurs allégués, et ils n’ont déposé aucune plainte auprès de la police, sauf à une occasion, deux jours avant leur départ du Honduras. Les demandeurs ont déposé cette plainte afin que leurs problèmes soient comptabilisés dans les statistiques du gouvernement. Le lendemain, les demandeurs ont reçu une note affirmant que leur fils serait enlevé s’ils ne versaient pas une grosse somme d’argent.

 

[8]               Les demandeurs ont quitté le Honduras le 16 août 2009. Ils se sont dirigés vers le Nord en passant par les États-Unis et sont arrivés au Canada le 2 septembre 2009. Ils ont déposé leurs demandes d’asile à la frontière canado-américaine.

 

[9]               L’audition des demandes d’asile des demandeurs a eu lieu le 9 mai 2011.

 

La décision de la Commission

 

[10]           La Commission a rendu sa décision le 14 juin 2011. L’avis de la décision a été communiqué le 13 juillet 2011.

 

[11]           La Commission a d’abord résumé les allégations des demandeurs. Elle a également accepté les identités des demandeurs tels qu’alléguées.

 

[12]           La Commission a ensuite examiné la question du lien au regard de l’article 96 de la Loi. Elle a conclu que la crainte des demandeurs n’était liée à aucun des motifs prévus par la Convention, et que les demandeurs étaient plutôt des victimes de la criminalité. La Commission a noté que les victimes de la criminalité n’établissent généralement pas de lien entre leur crainte de persécution et l’un quelconque des motifs prévus par la Convention. Par conséquent, la Commission a rejeté les demandes d’asile des demandeurs en vertu de l’article 96 de la Loi.

 

[13]           La Commission a ensuite procédé à une analyse au regard de l’article 97, et elle a d’abord noté que les demandeurs avaient quitté le Honduras en entrant aux États-Unis illégalement, pour ensuite venir au Canada, où ils avaient déposé leurs demandes d’asile. Ils n’ont pas déposé leurs demandes aux États-Unis parce que des parents aux États-Unis et au Canada leur ont dit qu’ils avaient plus de chance d’obtenir de l’aide au Canada. Cependant, la Commission a conclu que les personnes craignant avec raison d’être persécutées tenteraient de demander l’asile dans un délai raisonnable. Aussi, leur omission de demander l’asile aux États-Unis indiquait une absence de crainte subjective. Néanmoins, la Commission a noté que cela n’était pas la question déterminante. La question déterminante était plutôt celle de savoir si les demandeurs étaient exposés à un risque généralisé ou personnalisé.

 

[14]           La Commission a noté que le risque visé au sous-alinéa 97(2)b)(ii) de la Loi doit être un risque auquel une personne est exposée personnellement, qui existe en tout lieu du pays, et auquel d’autres personnes ne sont pas généralement exposées. La Commission a examiné la documentation dont elle disposait. Elle a noté que le Honduras était considéré comme un des pays les plus violents d’Amérique latine, où la violence chez les jeunes, les meurtres et les gangs étaient largement répandus. La MS a pris une envergure considérable à la fin des années 1980, elle est bien enracinée, et elle est responsable de nombreux crimes au pays.

 

[15]           Compte tenu de cet examen, la Commission a conclu que les demandeurs craignaient la MS et les actes criminels du gang qui touchent la population générale au Honduras. Puisqu’ils étaient exposés au même risque que les autres personnes bien nanties se trouvant dans des situations semblables, le risque auquel ils étaient exposés n’était pas un risque personnalisé. La Commission a conclu que la MS s’en était prise aux demandeurs pour les extorquer parce qu’elle croyait qu’ils avaient de l’argent; tout comme la MS s’en prenait à d’autres citoyens bien nantis au Honduras. Le fait que les demandeurs aient été identifiés personnellement comme une cible ne les soustrayait pas nécessairement à une catégorie de personnes exposées à un risque généralisé puisque ce risque était de la nature d’un risque auquel étaient généralement exposées d’autres personnes au pays. Aussi, la Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le risque allégué par les demandeurs était généralisé. La Commission a donc rejeté la demande des demandeurs en vertu du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

Questions en litige

 

[16]           Selon les demandeurs, il s’agit de répondre à la question suivante :

            La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les demandeurs avaient été exposés à un risque généralisé lorsque le gang MS les avait pris personnellement pour cible pour les agresser et les voler, et lorsqu’elle a admis que « [la MS était entrée] en contact avec les demandeurs d’asile afin de leur extorquer de l’argent, à l’instar d’autres habitants du Honduras qui sont dans la même situation qu’eux, c’est-à-dire des gens que [la MS juge] en mesure de [lui] verser de l’argent ».

 

[17]           Je reformulerais les questions comme suit :

            1.        Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la nature du risque auquel étaient exposés les demandeurs au regard du sous-alinéa 97(1)b)(ii)?

 

Observations écrites des demandeurs

 

[18]           Les demandeurs soutiennent que la seule question en litige dans la présente affaire est celle de l’interprétation des mots « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne […] sont généralement pas [exposées] » au sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi. Les demandeurs soutiennent que lorsque les principes qui se dégagent de la jurisprudence relative à cette disposition sont appliqués à la présente affaire, il est clair que les demandeurs ont été pris personnellement pour cible pour être assassinés par la MS par suite de leur refus de se faire extorquer. Les demandeurs n’ont pas été exposés à un risque lié à leur emploi ou leur classe économique, mais bien à un risque personnalisé lié à leur refus de se faire extorquer. Aussi, il ne faisait aucun doute que les demandeurs seraient personnellement menacés s’ils étaient renvoyés au Honduras. La Commission a tiré une conclusion manifestement déraisonnable lorsqu’elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de personne à protéger parce qu’ils étaient exposés à un risque généralisé.

 

Observations écrites du défendeur

 

[19]           Le défendeur soutient que la question de savoir qu’est-ce qui constitue un risque généralisé au sens du sous-alinéa 97(1)b)(ii) est une question mixte de fait et de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[20]           Le défendeur soutient que la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que le risque auquel les demandeurs étaient exposés au Honduras était un risque auquel la population était généralement exposée. Les éléments de preuve documentaire étayaient clairement cette conclusion. En outre, la Commission a bel et bien pris en compte la situation personnelle des demandeurs lorsqu’elle a rendu sa décision.

 

[21]           Le défendeur soutient également que, bien que les demandeurs aient pu être persécutés pour n’avoir pas accédé aux demandes de la MS, cela ne démontre pas l’existence d’un risque au sens de l’article 97 s’il s’agit d’un risque auquel la population est généralement exposée. Les demandeurs n’ont pas présenté d’éléments de preuve pour démontrer que la conclusion factuelle de la Commission selon laquelle la MS constitue un risque largement répandu pour tous les citoyens était une erreur. En outre, la richesse ne constitue pas un risque personnalisé au sens de l’article 97. Le dossier ne comportait aucun élément de preuve démontrant que les demandeurs étaient exposés à un risque personnalisé.

 

Analyse et décision

 

[22]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable à une question particulière, la cour de révision peut adopter cette norme (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[23]           La question de savoir si un demandeur est exposé à un risque personnalisé, par opposition à un risque généralisé, découle de l’application du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Acosta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213, [2009] ACF no 270, aux paragraphes 1, 9 et 11; Innocent c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1019, [2009] ACF no 1243, au paragraphe 36; et Rajo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1058, [2011] ACF no 1277, au paragraphe 26).

 

[24]           Lorsqu’elle procède au contrôle de la décision de la Commission selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si la Commission est parvenue à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables fondées sur la preuve dont la Commission disposait (voir les arrêts Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, au paragraphe 59). Comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Khosa, précité, la cour de révision ne peut substituer à la solution retenue l’issue qui serait à son avis préférable, et il n’entre pas dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve (aux paragraphes 59 et 61).

 

[25]           Deuxième question

            La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la nature du risque auquel étaient exposés les demandeurs au regard du sous-alinéa 97(1)b)(ii)?

            Suivant l’alinéa 97(1)b) de la Loi, les demandeurs peuvent être déclarés des personnes à protéger si leur renvoi les exposerait personnellement à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, s’ils ne peuvent ou, de ce fait, ne veulent se réclamer de la protection de l’État. Cette analyse suppose de cerner au cas par cas la menace réelle et particularisée visant le demandeur (voir la décision Innocent, précitée, au paragraphe 42). Les victimes de la criminalité ne sont pas considérées comme des personnes à protéger visées à l’article 97 de la Loi pour ce seul motif – la détermination doit être fondée sur les circonstances particulières de chaque cas (voir la décision Innocent, précitée, au paragraphe 67).

 

[26]           En l’espèce, la question déterminante dans la décision de la Commission était celle de savoir si les demandeurs étaient exposés à un risque personnalisé. Compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait, la Commission a conclu que ce risque n’était pas personnalisé, mais plutôt généralisé et pesant sur d’autres personnes se trouvant dans des situations semblables au Honduras. Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle en est arrivée à cette conclusion parce que leur risque était bel et bien personnalisé. Ce risque découlait de leur refus répété de payer les demandes d’extorsion de la MS, ce qui les différenciait des autres citoyens qui soit n’avaient pas été pris pour cible par la MS, soit avaient accédé à ses demandes.

 

[27]           Dans sa décision, la Commission a cité une abondante jurisprudence au soutien de sa conclusion selon laquelle le fait que des individus soient persécutés à répétition ou plus fréquemment par des criminels ne personnalisait pas le risque auquel ils étaient exposés s’il s’agissait d’un risque auquel d’autres étaient généralement exposés; particulièrement lorsqu’ils étaient persécutés du fait : qu’ils étaient perçus comme riches; qu’ils habitaient dans une région plus dangereuse; qu’ils étaient poursuivis après s’être adressés à la police ou avoir déménagé; ou qu’ils risquaient de subir des représailles pour avoir refusé d’accéder aux demandes de criminels.

 

[28]           La jurisprudence citée par la Commission étaye ces conclusions.

 

[29]           Par exemple, dans la décision Carias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 602, [2007] ACF no 817, les demandeurs étaient des citoyens fortunés du Honduras. Au paragraphe 25, j’ai statué que :

Les demandeurs sont membres d’un vaste groupe de personnes qui risquent d’être visées par des crimes économiques au Honduras parce qu’ils sont considérés comme riches. Ils font valoir que la Commission a commis une erreur en imposant une norme de contrôle trop stricte et en exigeant qu’ils fassent la preuve qu’ils seraient exposés personnellement à un risque. Compte tenu de la formulation du sous-alinéa 97(1) b)(ii) de la LIPR, les demandeurs devaient convaincre la Commission qu’ils risquaient d’être personnellement exposés à un risque non partagé par les autres habitants du Honduras. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. 

 

 

 

[30]           De même, dans la décision Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, [2008] ACF no 415, au paragraphe 17 (confirmée en appel : Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 31, [2009] ACF no 143), la juge Danièle Tremblay-Lamer a conclu (au paragraphe 23) :

Compte tenu de la jurisprudence récente de la Cour, je suis d’avis que le demandeur n’est pas personnellement exposé à un risque auquel ne sont pas exposés généralement les autres individus qui sont à Haïti ou qui viennent d’Haïti. Le risque d’être visé par quelque forme de criminalité est général et est ressenti par tous les Haïtiens. Bien qu’un nombre précis d’individus puissent être visés plus fréquemment en raison de leur richesse, tous les Haïtiens risquent de devenir des victimes de violence. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[31]           Dans la décision Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1029, [2009] ACF no 1275, le juge Michael Kelen a expliqué la justification de la conclusion selon laquelle la richesse n’était pas un risque personnalisé (au paragraphe 35) :

Je suis d’avis que, si le risque de violence, de préjudice ou de crime constitue un risque généralisé auquel sont exposés l’ensemble des citoyens d’un pays qui sont vus comme étant relativement riches par les criminels, le fait qu’un certain nombre de personnes données puissent être plus fréquemment ciblées en raison de leur richesse ne veut pas dire que ces personnes ne sont pas exposées à un « risque généralisé » de violence. Le fait que les personnes exposées au risque sont celles réputées être relativement riches et peuvent être considérées comme un sous-­groupe de la population générale veut dire qu’elles sont exposées à un « risque généralisé ». Que le risque auquel elles sont exposées soit le même que celui d’autres personnes qui sont dans une situation semblable ne fait pas en sorte que ce risque constitue un « risque personnalisé » ouvrant droit à protection en vertu de l’article 97 de la LIPR. Conclure autrement « ouvrirait toute grande la porte » en ce sens que tous les Guatémaltèques qui sont relativement riches ou réputés être relativement riches pourraient demander l’asile en vertu de l’article 97 de la LIPR.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[32]           Dans la décision Innocent, précitée, le juge Robert Mainville a reconnu que :

[…] dans des cas comme l’espèce, où la population en général est exposée à un risque de criminalité, le fait que certaines personnes soient plus exposées à ce risque, soit parce qu’elles habitent des quartiers plus dangereux, soit parce qu’elles sont perçues comme plus riches, ne rend pas ces personnes nécessairement admissibles au statut de personnes à protéger en vertu du sous-alinéa 97(1)b)(ii). (Au paragraphe 49.)

 

 

 

[33]           Dans la décision Mendoza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 648, [2010] ACF no 788, le juge Russel Zinn a expliqué qu’un risque ne devient pas personnalisé au seul motif que des victimes déménagent pour échapper à la persécution et sont suivies par leurs persécuteurs (au paragraphe 33) :

Je n’accepte pas l’allégation des demandeurs selon laquelle le risque auquel ils étaient exposés est devenu personnalisé lorsque les agents de persécution les ont suivis après avoir déménagé. Un crime ne devient pas personnalisé simplement parce que les criminels, en l’espèce des agents de police du Mexique, suivent leur victime dans une autre région. Le fait que les demandeurs ont été ciblés ne fait pas en sorte que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne sont pas exposées généralement au même risque.

 

[34]           Enfin, dans l’affaire Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 12, [2006] ACF no 23, le demandeur avait été incapable de faire un paiement à un gang criminalisé qui voulait l’extorquer, et il avait été exposé de ce fait à un risque de représailles. Cependant, le juge Pierre Blais a confirmé la décision de la Commission selon laquelle ce risque était généralisé plutôt que personnalisé parce que cette décision était raisonnable compte tenu des éléments de preuve dont la Commission disposait (aux paragraphes 18 et 19). De même, dans la décision Rajo, précitée, la Cour a confirmé la décision de la Commission selon laquelle un chauffeur d’autobus qui avait dénoncé les crimes d’un gang et avait été exposé de ce fait à un risque de représailles avait été exposé à un risque généralisé plutôt que personnalisé, et ce, même si la preuve indiquait notamment que le beau-frère du demandeur avait été assassiné en représailles pour la dénonciation que le demandeur avait faite à la police (au paragraphe 36).

 

[35]           En l’espèce, tous les éléments énumérés plus haut étaient présents. Les demandeurs adultes détenaient tous deux de bons emplois bien rémunérés et étaient donc tous deux perçus comme riches. À l’audience, la demanderesse principale a admis que ses voisins avaient également été menacés, ce qui porte à croire qu’ils vivaient dans une collectivité où les menaces étaient courantes. Les éléments de preuve présentés par les demandeurs indiquaient également qu’ils avaient été poursuivis après avoir déménagé et que des menaces d’enlèvement avaient été proférées après qu’ils eurent déposé leur plainte auprès de la police. En outre, ils ont affirmé dans leurs témoignages qu’ils craignaient des représailles s’ils étaient renvoyés en raison du fait qu’ils n’avaient pas accédé aux demandes de la MS.

 

[36]           Compte tenu des éléments de preuve documentaire qui indiquaient que la violence des gangs était largement répandue partout au pays, j’estime que la Commission a conclu raisonnablement que le risque auquel les demandeurs étaient exposés au Honduras était un risque généralisé plutôt que personnalisé. Les éléments de preuve portaient à croire que l’ensemble de la population était généralement exposé au risque d’être victime de la criminalité des gangs, quoique peut‑être moins fréquemment (voir De Parada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 845, [2009] ACF no 1021, au paragraphe 22).

 

[37]           Cependant, les demandeurs invoquent la décision Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 365, [2007] ACF no 501, au soutien de leur position. Dans cette affaire, le demandeur avait été la cible de tentatives de recrutement par un gang au Salvador. Lorsqu’il avait refusé de se joindre au gang, il avait été menacé à répétition, le foyer familial avait été placé sous surveillance, et le demandeur avait finalement fui son pays. La Commission avait rejeté la demande sur le fondement du témoignage du demandeur selon lequel les gangs de rue faisaient du recrutement partout au pays et visaient toutes les couches de la société, de sorte que le risque auquel le demandeur était exposé était général par opposition à personnel. Pour rendre cette décision, la Commission s’était fiée uniquement au témoignage du demandeur à l’audience, en ne tenant aucun compte des observations formulées dans son Formulaire de renseignements personnels selon lesquelles il avait été exposé personnellement à un risque. C’était là que la Commission avait commis une erreur fatale.

 

[38]           La Cour a souvent distingué l’affaire dont elle était saisie de l’affaire Pineda, précitée. Dans la décision De Parada, précitée, le juge Zinn a expliqué que le facteur clé qui avait amené la Cour dans la décision Pineda à infirmer la décision de la Commission était que la Commission n’avait pas tenu compte du fait que le demandeur avait été pris personnellement pour cible par le gang parce qu’il avait refusé de se joindre à leur cause (au paragraphe 25). Pour distinguer l’affaire De Parada de l’affaire Pineda, précitée, le juge Zinn a expliqué (au paragraphe 25) :

Dans la présente affaire, les demandeurs n’ont pas été ciblés personnellement par les MS; ils ont plutôt été ciblés parce qu’ils faisaient partie d’un grand groupe de gens d’affaires considérés comme étant bien nantis. Il s’agit d’un risque généralisé et non d’un risque personnalisé.

 

 

 

[39]           La présente affaire peut elle aussi être distinguée de l’affaire Pineda, précitée, parce que la Commission a tenu compte de la situation personnelle des demandeurs. La preuve indiquait cependant que le risque auquel ils étaient exposés n’était pas un risque personnalisé mais plutôt un risque plus généralisé en tant que citoyens bien nantis pris pour cible à des fins d’extorsion au Honduras. Compte tenu qu’il y a une fine distinction entre un risque généralisé et un risque personnalisé qui dépend des faits de chaque cas (voir la décision Rajo, précitée, au paragraphe 36), je conclus que la Commission en est arrivée à une conclusion raisonnable sur cette question sur le fondement des éléments de preuve dont elle disposait. Je suis donc d’avis de rejeter la présente demande.

 

[40]           Les demandeurs ont proposé que je certifie la question suivante comme question grave de portée générale :

[traduction] L’alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR oblige la SPR à déterminer si le risque auquel serait exposé le demandeur à son retour est un risque auquel « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent […] sont généralement […] [exposées] ». Lorsqu’elle tranche cette question, la SPR commet-elle une erreur si elle tient seulement compte de la nature du risque et n’apprécie et n’examine pas aussi la probabilité que le demandeur succombe à ce risque, en regard de la probabilité à laquelle sont exposées « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent »?

 

Je ne suis pas disposé à certifier cette question puisque la Cour d’appel fédérale l’a déjà tranchée.

 

[41]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

 

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4983-11

 

INTITULÉ :                                      MESA SOLER DE MUNGUIA et al.

 

                                                            - et -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 7 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Russ Makepeace

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Meva Motwani

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Binavince Makepeace

Vaughan (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.