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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120723

Dossier : IMM-8835-11

Référence : 2012 CF 926

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2012

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

 

LILIANA ANTONIA TRINIDAD REYES

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire de la décision, en date du 8 novembre 2011 (la décision), par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande dans laquelle la demanderesse prétendait au statut de réfugié au sens de la Convention ou à la qualité de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

CONTEXTE

[2]               La demanderesse, âgée de 48 ans, est citoyenne de la République dominicaine. Elle demande, au Canada, à être protégée contre son ancien mari (Diaz).

[3]               La demanderesse et Diaz se sont rencontrés en 1987, et ont eu une fille en 1989. Ils se sont mariés en 1994 et ont vécu ensemble à San Cristobal (République dominicaine). Après leur mariage, Diaz a commencé à fréquenter d’autres femmes et à revenir ivre à la maison. Lorsque la demanderesse se plaignait, il la battait. La demanderesse travaillait comme bonne dans une famille fortunée de Santo Domingo (République dominicaine). Après avoir, en 2001, quitté Diaz, celui-ci venait souvent à sa recherche là où elle travaillait. Il l’a, à plusieurs reprises, attendue au coin de la rue, près de son lieu de travail. Il lui arrivait même de la suivre en voiture alors qu’elle rentrait chez elle. En 2001, Diaz a battu la demanderesse avec une telle violence qu’elle a contacté la police de Santo Domingo. Les policiers lui ont répondu qu’ils tenteraient de mettre la main sur Diaz. À la même époque, la demanderesse a obtenu à l’encontre de Diaz une ordonnance de non-communication.

[4]               Diaz a continué à maltraiter la demanderesse, tant par des coups que par des violences psychologiques. En 2003, pour le fuir, elle a quitté San Cristobal pour Santo Domingo. Diaz est cependant parvenu à la retrouver. En 2008, la demanderesse est retournée à San Cristobal. À la même époque, Diaz l’a menacée au moyen d’un pistolet, disant qu’il la tuerait si elle ne l’écoutait pas. C’est alors que, pour échapper à Diaz, elle a décidé de quitter la République dominicaine et de se rendre au Canada. Elle a obtenu un visa de visiteur pour le Canada, arrivant ici le 10 octobre 2010.

[5]               Le 30 novembre 2010, la demanderesse a sollicité la protection du Canada. La SPR a entendu sa demande le 25 août 2011, et l’a rejetée le 8 novembre 2011. La demanderesse a été avisée de cette décision le 22 novembre 2011.

DÉCISION EN CAUSE

[6]               Avant d’examiner le bien-fondé de la demande formulée par la demanderesse, la SPR a précisé qu’elle prenait en compte les directives du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sur les Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe.

[7]               La SPR a rejeté la demande formulée par la demanderesse, estimant que celle-ci n’avait pas réfuté la présomption voulant qu’elle ait pu se réclamer de la protection de l’État, présomption établie par l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689. C’est au regard de la question de la protection de l’État qu’a été tranchée la demande d’asile, mais la SPR a également émis un certain nombre de doutes quant à la crédibilité de la demanderesse. Selon la SPR, il ne serait pas, pour le Canada, raisonnable d’admettre la demanderesse en tant que réfugiée alors que ses filles ne veulent pas l’héberger, ce qui permettrait d’atténuer les risques de violence de la part de Diaz.

[8]               La SPR a cité un document du Département d’État américain, les Country Reports on Human Rights Practices for 2010 : Dominican Republic (Rapport du Département d’État). Selon ce rapport, la violence contre les femmes est, en République dominicaine, chose commune. Cela dit, au titre de la Loi contre la violence familiale, l’État peut engager des poursuites dans les cas de viol et d’autres formes de violence familiale. Selon le Rapport du Département d’État, des unités d’intervention et de prévention de la violence existent à Santo Domingo. Ces unités offrent aux victimes de violence familiale les moyens de porter plainte au criminel, d’avoir gratuitement accès aux conseils d’un avocat, et aussi d’obtenir des soins médicaux. En outre, la Direction nationale d’aide aux victimes assure la coordination des services offerts aux victimes de violence familiale, recueille les plaintes au criminel et offre aux victimes des moyens de protection.

[9]               La SPR a également cité la réponse à la demande d’information (RDI) DOM103577.EF, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle, en République dominicaine, les agents provinciaux chargés du soutien aux femmes offrent un certain nombre de services aux victimes de violence familiale.

[10]           La SPR a relevé que, selon le témoignage de la demanderesse, Diaz l’a poursuivie et maltraitée même après leur divorce. Elle a conclu, cependant, que la République dominicaine offrait à la demanderesse une protection adéquate. Estimant que la demanderesse pouvait obtenir une protection adéquate de son État, la SPR a rejeté sa demande d’asile.

QUESTIONS EN LITIGE

[11]           Dans le cadre de la présente demande, la demanderesse soulève les questions suivantes :

a.                   La conclusion à laquelle la SPR est parvenue au sujet de sa crédibilité était-elle raisonnable;

b.                  La conclusion à laquelle la SPR est parvenue pour ce qui est de la protection offerte par l’État était-elle raisonnable.

 

NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[12]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu que l’analyse relative à la norme de contrôle ne s’impose pas dans tous les cas. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à la question précise dont la Cour est saisie est déjà bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle infructueuse que la cour de révision doit se livrer à un examen des quatre facteurs applicables pour l’analyse relative à la norme de contrôle.

[13]           Dans l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), la Cour d’appel fédérale a estimé que la norme de contrôle à appliquer aux conclusions touchant la crédibilité est la raisonnabilité. Dans la décision Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, le juge Max Teitelbaum a estimé que les conclusions concernant la crédibilité se situent au cœur même des conclusions de fait auxquelles peut parvenir la SPR et qu’elles sont donc assujetties à la norme de la raisonnabilité. Enfin, dans Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, le juge Michael Kelen a estimé, au paragraphe 17 de sa décision, que la norme de contrôle applicable aux conclusions en matière de crédibilité est la raisonnabilité. En ce qui concerne la première question, la norme de contrôle applicable est donc la raisonnabilité.

[14]           Dans Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, la Cour d’appel fédérale a estimé, au paragraphe 36 de son arrêt, que les conclusions concernant la protection de l’État sont assujetties à la norme de la raisonnabilité. C’est l’approche retenue par le juge Leonard Mandamin dans Lozada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 397, au paragraphe 17. En outre, dans Chaves c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, la juge Danièle Tremblay-Lamer a estimé, au paragraphe 11 de sa décision, qu’en matière de conclusion concernant la protection étatique, la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité. En ce qui concerne la seconde question, la norme de contrôle applicable est donc la raisonnabilité.

[15]           Lors de l’examen d’une décision au regard de la norme de la raisonnabilité, l’analyse porte sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi […] [que sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision en cause est déraisonnable au sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[16]           Voici les dispositions de la loi applicables en espèce :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

[…]

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

[…]

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards,

 

 

 

[…]

 

ARGUMENTS

La demanderesse

[17]           Il était, de la part de la SPR, déraisonnable de conclure que les filles de la demanderesse pourraient héberger celle-ci et la protéger. Bien qu’elle soit raisonnable, la SPR a rejeté l’explication de la demanderesse qui faisait valoir que ses filles souhaitaient se distancer de la relation de violence existant entre elle et Diaz. Étant donné que Diaz pourrait retrouver la demanderesse si elle emménageait chez ses filles, il était déraisonnable de conclure au manque de crédibilité de la demanderesse sur ce point.

[18]           La SPR n’a en outre pas tenu compte de la preuve lorsqu’elle a conclu qu’en République dominicaine la demanderesse pouvait obtenir de l’État qu’il la protège contre les violences familiales. Selon un document produit par la demanderesse (le rapport Ciaurriz), 36 femmes ont été tuées par leur partenaire entre le mois de janvier et le mois de mai 2011, en République dominicaine. En outre, selon le rapport du Département d’État, la violence faite aux femmes en République dominicaine est en augmentation. La SPR n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve importants qui allaient à l’encontre de ses conclusions.

[19]           Selon la RDI DOM103577.EF, il existe, en République dominicaine, des unités d’intervention et de prévention de la violence chargées de venir en aide aux femmes victimes de la violence familiale. La demanderesse a produit une preuve documentaire indiquant qu’elle avait porté plainte auprès d’une de ces unités, mais que rien n’avait été fait. Cela prouve que la demanderesse ne peut pas se réclamer de la protection de l’État, mais la SPR n’a tenu aucun compte de cette preuve. Ainsi que la Cour d’appel fédérale en a décidé dans son arrêt Owusu-Ansah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1989] ACF no 442,

Le défaut de prendre une preuve substantielle en considération a été diversement qualifié par cette Cour dans le cadre de litiges où elle a accueilli des demandes fondées sur l’article 28. Dans l’arrêt Toro c. M.E.I., [1981] 1 C.F. 652, mon collègue le juge Heald a dit au nom de la Cour :

 

Par conséquent, il appert que la Commission, au moment de prendre sa décision, n’a pas tenu compte de la totalité de la preuve produite régulièrement devant elle. La Commission a donc commis une erreur de droit.

 

[20]           La SPR a mal interprété les éléments de preuve pertinents et la conclusion à laquelle elle est parvenue au sujet de la protection étatique est, par conséquent, déraisonnable.

Le défendeur

[21]           Bien que la demanderesse conteste la conclusion à laquelle est parvenue la SPR sur la question de la crédibilité, la SPR a pris son explication en compte et l’a rejetée. La SPR n’est pas tenue d’accepter les explications d’un demandeur d’asile. Il était, de la part de la SPR, raisonnable de rejeter l’explication avancée par la demanderesse, et d’estimer que le refus de la fille de celle‑ci de l’héberger ne permettait pas de reconnaître à la demanderesse le statut de réfugié.

[22]           Sur la question de savoir si la demanderesse pouvait se réclamer de la protection de l’État, la SPR a reconnu que les éléments de preuve concernant la protection que l’État accorde aux victimes de violence familiale en République dominicaine n’allaient pas tous dans le même sens. La demanderesse estime que la SPR n’a tenu aucun compte des éléments de preuve produits, mais la SPR s’est en fait penchée sur les éléments de preuve que la demanderesse lui reproche d’avoir laissés de côté. La demanderesse a produit des éléments de preuve pour établir qu’elle ne pouvait pas se réclamer de la protection de l’État, mais la SPR a conclu que ces éléments de preuve ne permettaient pas de conclure au caractère inadéquat de la protection étatique. La demanderesse affirme que la SPR n’a tenu aucun compte du rapport Ciaurriz, mais la SPR n’est pas tenue de faire état de chaque élément de preuve qui lui est présenté. Suivant la décision Earl c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 312, la demanderesse devait établir un lien entre ce document et la possibilité de se réclamer de la protection de l’État, ce qu’elle n’a pas fait. Le rapport Ciaurriz, porte, certes, sur la violence faite aux femmes, mais il n’évoque pas la question de la protection étatique.

[23]           La demanderesse n’est pas parvenue à réfuter la présomption de protection étatique par une preuve claire et convaincante selon laquelle la République dominicaine n’est pas en mesure de lui assurer sa protection. Voir l’arrêt Carillo, précité. Il se peut que la demanderesse ne soit pas satisfaite de la manière dont la police a réagi relativement à sa plainte, mais cela ne suffit pas pour réfuter la présomption en question. Elle a présenté à la SPR des éléments de preuve indiquant qu’elle avait demandé à la police de la protéger, et que la police avait essayé de retrouver Diaz. Bien que la réponse des autorités dominicaines n’ait pas été parfaite, cela ne suffit pas à réfuter la présomption de protection. La conclusion à laquelle est parvenue la SPR sur la question de la protection de l’État était raisonnable et déterminante, et la décision en cause devrait donc être maintenue.

ANALYSE

[24]           Selon la demanderesse, la décision en cause comporte une erreur appelant le contrôle judiciaire, car la SPR n’a tenu aucun compte de certains faits revêtant une grande importance :

a)                  Des éléments de preuve importants ont été produits devant la SPR, tendant à démontrer l’absence de protection étatique pour les personnes se trouvant [traduction] « dans une situation analogue à celle de la demanderesse »; et

b)                  La demanderesse a rapporté la preuve des nombreuses plaintes déposées auprès des autorités de la République dominicaine, y compris des rapports de police, de psychologues et de médecins documentant les violences dont elle a fait l’objet, et [traduction] « l’État pourtant n’a rien fait pour la protéger ».

[25]           La demanderesse fait également valoir que la SPR s’est montrée sélective quant aux éléments de preuve qu’elle a retenus et qu’elle n’a en outre tenu aucun compte d’[traduction] « éléments de preuve importants allant à l’encontre de ses conclusions ».

[26]           Il ressort clairement de la décision qu’en l’occurrence la question déterminante était celle de la protection étatique et, à cet égard, la SPR :

a)                  ne met pas en doute ce que la demanderesse affirme au sujet de la violence dont elle a fait l’objet de la part de son ancien mari, ni des efforts qu’elle a faits pour obtenir la protection de l’État;

b)                  conclut que la demanderesse n’a pas réfuté la présomption d’une protection étatique adéquate « [e]n raison des éléments de preuve, notamment de ceux présentés après l’audience […] »;

c)                  reconnaît que la « preuve touchant la violence contre les femmes et la réponse de l’État est, au mieux, variable » et cite notamment deux rapports paraissant résumer la situation : le rapport du Département d’État et la RDI DOM103577.EF de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en date de 2010.

 

[27]           C’est dire que la SPR a reconnu la situation des femmes en République dominicaine, et conclu qu’il n’est pas aisé de dire si la protection accordée par l’État est à cet égard adéquate. Toutefois, l’examen qu’elle a fait de l’ensemble des éléments de preuve disponibles en l’occurrence concorde avec les descriptions générales figurant dans les deux rapports cités, la portant à conclure que « la demandeure d’asile reçoit de l’État une protection adéquate, bien qu’elle ne soit pas parfaite […] ».

[28]           Après examen de la documentation fournie à la SPR, je ne saurais conclure que l’évaluation qu’elle a faite de la situation générale est déraisonnable et repose sur une prise en compte sélective de la preuve documentaire.

[29]           Dans sa décision, la SPR ne se prononce pas de manière précise sur la vulnérabilité psychologique de la demanderesse, ou sur ce qu’elle a vécu auprès des autorités. Suivant l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, je suis tenu de compléter, par le contenu du dossier, les motifs écrits de la décision en cause. Il ressort, à la lecture de la transcription de l’audience, que la SPR était tout à fait au courant de la situation de la demanderesse et des efforts qu’elle avait faits pour obtenir une protection. Ces questions ont été examinées à l’audience devant la SPR, et la demanderesse et la Cour comprennent toutes deux clairement pourquoi la SPR a estimé que le vécu dont la demanderesse a pu faire état ne suffisait pas à réfuter la présomption de protection étatique.

[30]           Ainsi que l’a noté le défendeur, le fait que la demanderesse ait été mécontente de la manière dont la police a réagi relativement à sa plainte ne suffit pas à réfuter la présomption de protection étatique. Il ressort du dossier que la demanderesse s’est, à plusieurs reprises, adressée à la police. Au moins une « ordonnance de protection avec mandat d’arrestation » a été délivrée à l’encontre de son ancien mari. La demanderesse a, devant la SPR, fait valoir, que la police et les fonctionnaires du ministère chargés des plaintes déposées par les femmes victimes de la violence familiale ont tenté, sans succès, de retrouver son agresseur. Selon le dossier produit devant la Cour, les autorités de la République dominicaine ont réagi quand la demanderesse s’est adressée à elles. La SPR a estimé que le fait que ces autorités ne soient pas capables d’assurer à la demanderesse une protection parfaite, et le fait qu’elle soit mécontente de leur réaction, ne constituent pas une preuve claire et convaincante de nature à réfuter la présomption de protection étatique. Voir l’arrêt Carillo, précité, au paragraphe 30. Compte tenu des éléments de preuve produits, cette conclusion n’était pas déraisonnable.

[31]           Je ne pense pas, en outre, que les doutes émis, au paragraphe 8 de la décision, concernant la crédibilité de la demanderesse sur la question de savoir si ses filles étaient en mesure de lui accorder une certaine protection, revêtent une grande importance pour la question déterminante de la protection étatique.

[32]           La demanderesse est, naturellement, mécontente de cette conclusion et affirme que le dossier contenait des éléments de preuve confirmant ce qu’elle affirme au sujet du caractère inadéquat de la protection étatique que la République dominicaine peut accorder à une femme qui, comme elle, craint la violence dont elle pourrait faire l’objet de la part de son ancien mari. Il est possible que la SPR ait pu, raisonnablement, adopter la position de la demanderesse sur ce point, mais cela ne veut pas dire que la conclusion à laquelle elle est elle-même parvenue soit déraisonnable. Voir Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Le fait que la demanderesse ne soit pas d’accord avec la manière dont la SPR a apprécié la preuve ne justifie pas l’intervention de la Cour. Voir Reda c Canada (Procureur général), 2012 CF 79, au paragraphe 79, et Zambrano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481, aux paragraphes 72 et 73. Il se peut très bien que je sois moi-même parvenu à des conclusions différentes de celles de la SPR, mais si j’intervenais en l’espèce, je ne ferais que substituer ma propre évaluation de la situation, à celle de la SPR, et cela, je ne peux pas le faire. Voir Khosa, précité, au paragraphe 59.

[33]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour souscrit à ce point de vue.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8835-11

 

INTITULÉ :                                      LILIANA ANTONIA TRINIDAD REYES

                                                            -   et   -

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 juin 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 23 juillet 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lani Gozlan                                                                            POUR LA DEMANDERESSE

 

Jelena Urosevic                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lani Gozlan                                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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