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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120720

Dossier: IMM-7190-11

Référence : 2012 CF 922

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Mosley 

 

ENTRE :

 

PIERRE-LOUIS CHÉRY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'art. 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (ci-après la Loi) d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (ci-après le tribunal) fait le 29 Août 2011 rejetant l’appel du demandeur.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est accueillie.

CONTEXT

 

[3]               Le demandeur, M. Pierre-Louis Chéry, est originaire d’Haïti. Il immigra au Canada le 12 avril 1998. Son fils, Dickens Chéry, fit, le 6 janvier 2005, une demande de résidence permanente entant qu’étranger appartement à la catégorie du regroupement familial grâce au parrainage de son père. Puisque le demandeur n’avait pas déclaré son fils lors de son arriver au Canada, la demande fut rejeter sous motif que Dickens Chéry était exclu de la catégorie du regroupement familiale en vertu de l’art. 117(9)(d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (ci-après le Règlement).

 

[4]               La décision de l’agent d’immigration fut portée en appel. Le tribunal rejeta l’appel le 14 juillet 2005. Le tribunal indiqua qu’en vertu de l’art. 65 de la Loi il n’avait pas compétence pour évaluer des motifs d’ordre humanitaires bien que ceux-ci puissent exister dans le dossier.

 

[5]               En juin 2009, le demandeur se présenta à l’ambassade du Canada en Haïti et demanda s’il existait une autre manière de parrainer son fils. Un agent lui indiqua qu’il pouvait refaire une demande en invoquant des motifs d’ordre humanitaires. Le demandeur fils donc une deuxième demande le 30 juillet 2009 en se basant strictement sur des motifs d’ordre humanitaires tel qu’indiqué dans la demande. Le 1er décembre 2009, Dickens Chéry fit une demande de résidence permanente et indiqua à la question « sous quelle catégorie faites-vous votre demande? » : « autre: immigration humanitaire »

 

[6]               Le 2 mars 2010, le demandeur reçu une lettre lui indiquant qu’il rencontrait les critères d’admissibilité. Après avoir reçu un test de paternité positif, les autorités en immigration ont débuté l’analyse pour déterminer si Dickens rencontrait les critères de dépendance. Il fut convoqué en entrevue à l’ambassade du Canada en Haïti le 2 août 2010. L’agent responsable de l’entrevue lui indiqua que sa demande était refusée puisqu’il n’avait pas reçu de test d’ADN ou de preuve prouvant sa dépendance. Il n’y a aucune mention de motifs humanitaires dans la lettre ou les note CAIPS de l’agent.

 

[7]               Après avoir réalisé leur erreur quant au test ADN, l’ambassade demanda à l’agent de reconsidérer l’affaire. L’agent nota dans ses notes CAIPS que sa décision était maintenue puisqu’il n’y avait toujours pas de preuve de dépendance et que Dickens était exclu de la catégorie du regroupement familiale en vertu de l’art. 117(9)(d) du Règlement. L’agent indiqua aussi qu’il avait considéré des motifs humanitaires même si aucune demande en ce sens n’avait été faite. Le demandeur fut informé de cette décision le 24 août 2010.

 

[8]               Le demandeur fit appel de la décision le 31 août 2010.

 

DÉCISION SOUS CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[9]               Le tribunal rejeta l’appel en se basant sur la doctrine de la chose jugée (res judicata). Le tribunal indiqua que la question en litige avait déjà été décidée lors du premier appel devant le tribunal en 2005 puisque les décisions des agents étaient basées sur les mêmes motifs de refus, que la décision du 14 juillet 2005 était finale puisqu’elle n’avait pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, et que les parties étaient les mêmes. Le tribunal nota qu’il avait le pouvoir discrétionnaire d’entendre l’appel, mais déclina son utilisation vue le manque de circonstances spéciales permettant de faire fi de la doctrine.

 

[10]           Le tribunal déclara aussi que malgré le fait que le demandeur n’avait pas fait appel des motifs humanitaires, il n’aurait pas eu la juridiction pour entendre l’appel sur ce point considérant l’art. 65 de la Loi. Le tribunal mentionna que l’avenue appropriée pour faire appel sur le point des motifs humanitaire était la Cour fédérale.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[11]           Les questions en litige sont :

a.       Est-ce que le tribunal a erré dans son appréciation des faits?

b.      Est-ce que le tribunal a erré en appliquant la doctrine de la chose jugée?

 

LÉGISLATION

 

[12]           Les articles 25, 63 et 65 et XX de la Loi stipule que:

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

63. (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

 

65. In an appeal under subsection 63(1) or (2) respecting an application based on membership in the family class, the Immigration Appeal Division may not consider humanitarian and compassionate considerations unless it has decided that the foreign national is a member of the family class and that their sponsor is a sponsor within the meaning of the regulations.

 

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

 

 

 

63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

 

 

 

65. Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire.

 

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

[13]           L’article 117(9) du Règlement mentionne que :

 

117. (9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

 

 

 

[…]

 

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 

 

    […]

117. (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

 

[…]

 

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

    […]

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[14]           L’application de la doctrine de la chose jugée étant une question de droit en dehors de l’expertise du tribunal, la norme de contrôle est celle de la décision correcte : Rahman v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2006 FC 1321 au para 12. Par contre, l’exercice du pourvoir discrétionnaire du tribunal lui permettant de faire fi de la doctrine engage la norme de la décision raisonnable : Rahman, supra, au para 13. Cette norme est aussi applicable à l’appréciation des faits par le tribunal : Shah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 708 au para 8.

 

[15]           Une décision raisonnable en est une qui est justifiée, transparente et intelligible, et qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit: Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59.

 

ANALYSE

 

Est-ce que le tribunal a erré dans son appréciation des faits?

 

[16]           Le demandeur allègue que le tribunal a erré en indiquant que l’entrevue avec l’agent avait eu lieu le 2 août 2009 au lieu du 2 août 2010. Cette erreur aurait eu un impact sur la décision du tribunal puisque le tribunal croyait, vue l’erreur, que les demandes pour motifs humanitaires n’avait pas encore été reçus par l’agent.

 

[17]           Il est clair que le tribunal a mal apprécié la preuve et a basé sa décision sur des dates erronées. Le dossier du tribunal indique en toute limpidité que l’entrevue a eue lieu le 2 août 2010. Ceci a amené le tribunal à croire que l’agent n’avait pas en sa possession lors de la prise de décision les demandes pour motifs humanitaires envoyées le 30 juillet et le 3 août 2009. De plus, le tribunal croyait erronément que le demandeur avait fait sa demande le 6 juin 2010 alors qu’en réalité la demande a été faite le 30 juillet 2009. La date du 6 juin 2010 est en fait celle de la réouverture du dossier lorsque l’agent réalisa son erreur par rapport au test d’ADN.

 

[18]           Ces erreurs ont amené le tribunal à croire qu’aucuns motifs humanitaires n’étaient devant l’agent et que par conséquent la décision de l’agent était identique à celle prise en 2005. La décision du tribunal est donc déraisonnable : Rathnayaka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1243.

 

Est-ce que le tribunal a erré en appliquant la doctrine de la chose jugée?

 

[19]           Le demandeur soutient que le tribunal a erré en refusant de se pencher sur l’appel de la décision de l’agent. Il argue que le tribunal a commis une erreur en jugeant que la question, l’exclusion du fils du demandeur en vertu de l’art. 117(9)(d) du Règlement, avait déjà été tranchée malgré le fait que la deuxième demande était basée sur des motifs humanitaires sachant que Dickens était exclu. Le demandeur désirait simplement que le tribunal corrige le manquement évident à l’équité procédurale causé par la non-considération des soumissions portant sur les motifs humanitaire par l’agent.

 

[20]           Le tribunal a correctement cité le test applicable pour la doctrine de la chose jugée, c’est-à-dire « (1)  que la même question ait été décidée; (2)  que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale; et (3)  que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la [préclusion] est soulevée, ou leurs ayants droit » : Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44 au para 25.

 

[21]           Cependant, il est de mon avis que la première étape du test n’est pas remplie en l’espèce. Il ressort du dossier du tribunal que la deuxième demande du demandeur était entièrement basée sur des motifs humanitaires. La question à savoir si une personne est exclue en vertu de l’art. 117(9)(d) du Règlement est une question complétement séparée et indépendante d’une question portant sur des motifs humanitaire en vertu de l’art. 25 de la Loi (voir le Guide opérationnel OP 4 — Traitement des demandes présentées en vertu de l’article 25 de la LIPR, à la section 5.3). De plus, la question de l’exclusion n’était même pas en jeu dans la deuxième demande. 

 

[22]           Il m’apparait aussi que le tribunal en 2005 n’a pas considéré de motifs humanitaires puisque l’art.65 de la Loi lui en empêchait : “[l]e tribunal comprend qu’il peut y avoir, en l’espèce, des motifs d’ordre humanitaire; toutefois...le tribunal doit s’en tenir au droit applicable, et ne peut tenir compte en l’espèce des motifs d’ordre humanitaire” (décision de la Section d’appel de l’immigration du 14 juillet 2005).

 

[23]           Les erreurs de faits du tribunal ont donc affecté le jugement du tribunal dans son application de la doctrine. Il est clair que la question devant le tribunal en 2011 n’était pas la même que celle de juillet 2005. Le premier appel portait exclusivement sur l’exclusion de Dickens de la catégorie du regroupement familial tandis que le second appel portait sur un manquement à l’équité procédurale d’une demande basée uniquement sur des motifs humanitaires.

 

[24]           Par conséquent, la demande est accueillie. L’affaire sera renvoyée devant le tribunal avec des directives tel que prévu par l’art. 18.1(3)(b) de la Loi sur les Cours fédérales,  LRC (1985), ch F-7 dans le but d’assurer la célérité de la reconsidération (voir aussi Kaur c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 209). Le tribunal devra déterminer s’il y a eu un bris d’équité procédurale comme le prévoit l’art. 67(1)(b) de la Loi (voir aussi Lorne Waldman, Immigration Law and Practice, feuilles mobiles (Toronto: Butterworths, 2011) à la p. 10-167 ; et Shao c Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] DSAI no 548). Si bris il y a, comme le demandeur allègue, le tribunal devra renvoyer l’affaire à un agent d’immigration de l’ambassade du Canada en Haïti.

 

[25]           Aucune question n’a été soumise pour être certifiée et par conséquent aucune ne le sera.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

1)      la demande de contrôle judiciaire est accueillie; et

2)      l’affaire est renvoyée devant un panel du tribunal différemment constitué en respectant les directives suivantes :

a.       le tribunal doit déterminer si l’agent d’immigration a commis un bris d’équité procédurale; et

b.      si le tribunal détermine qu’il y a eu un bris, il doit renvoyer l’affaire devant un agent d’immigration de l’ambassade du Canada en Haïti pour une reconsidération de l’affaire;

3)      aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7190-11

 

INTITULÉ :                                      PIERRE-LOUIS CHÉRY

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :             25 avril

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                             LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                     20 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Nicole Goulet

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Agnieska Zagorska

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me NICOLE GOULET

Avocate

Gatineau (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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