Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120801

Dossier : IMM‑5863‑11

Référence : 2012 CF 953

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er août 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

ARNANT MAZREKAJ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Vue d’ensemble

 

[1]               M. Arnant Mazrekaj a été débouté de la demande d’asile fondée sur sa crainte d’être persécuté au Kosovo qu’il avait présentée au Canada. En 2010, un tribunal de la Commission de l’immigration du statut de réfugié a rejeté sa demande au motif qu’il n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles et que les autorités du Kosovo pourraient probablement le protéger.

 

[2]               M. Mazrekaj a ensuite présenté une demande d’examen des risques avant le renvoi [ERAR]. Outre les risques qu’il avait énumérés dans sa demande d’asile, M. Mazrekaj a invoqué une autre source de risques, à savoir que son oncle avait témoigné devant le Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie [le TPIY] et que d’autres membres de sa famille risquaient des représailles. En fait, ses frères ont été attaqués par suite de ce témoignage.

 

[3]               L’agent d’ERAR a estimé que le risque invoqué par M. Mazrekaj dans sa demande était essentiellement le même que celui dont il avait fait état dans sa demande d’asile. Quant au risque découlant du témoignage de son oncle, l’agent a fait observer que le témoignage en question remontait à 2009, c’est‑à‑dire bien avant que n’ait lieu l’examen de la demande d’asile et que, par conséquent, le demandeur aurait dû soulever la question plus tôt. En outre, le témoignage de l’oncle était du domaine public, de sorte que M. Mazrekaj ne pouvait prétendre de façon crédible qu’il n’avait pas soulevé la question devant la Commission parce qu’il ne voulait pas rendre la chose publique. De même, l’agression dont ses frères avaient été victimes s’était produite avant son audience, de sorte qu’il aurait également pu soulever l’incident. Par conséquent, l’agent a conclu que M. Mazrekaj n’avait pas présenté de nouveaux éléments de preuve tendant à démontrer qu’il était exposé à un risque important de subir de mauvais traitements au Kosovo.

 

[4]               M. Mazrekaj affirme que l’agent a commis une erreur en ne lui accordant pas une audience, en se fondant sur des éléments de preuve dont il ignorait l’existence et en rendant une décision déraisonnable. Il me demande d’annuler la décision de l’agent et d’ordonner le réexamen de sa demande par un autre agent.

 

[5]               Je suis d’accord avec M. Mazrekaj pour dire que l’agent a tiré sa conclusion en se fondant sur des éléments extrinsèques auxquels M. Mazrekaj aurait dû avoir la possibilité de répondre. Je vais donc faire droit à sa demande de contrôle judiciaire pour cette raison. Il est donc inutile d’examiner les autres arguments soulevés par M. Mazrekaj.

 

[6]               La seule question est donc celle de savoir si l’agent a traité M. Mazrekaj injustement en se fondant sur des éléments extrinsèques.

 

II.        La décision de l’agent

 

[7]               L’agent a pris acte de l’argument de M. Mazrekaj suivant lequel, au moment de l’examen de sa demande d’asile, il craignait les conséquences pouvant découler de la divulgation du témoignage de son oncle devant le TPIY. L’agent a toutefois conclu que le témoignage faisait partie du domaine public bien avant la tenue de l’audience.

 

[8]               L’agent s’est fondé sur ses propres recherches, effectuées à partir du site Web du TPIY, qui démontraient que le témoignage de l’oncle avait été versé au dossier du tribunal. L’agent a également consulté le site Web de l’agence de presse SENSE. Il était question de l’oncle du demandeur dans un article publié en 2009, huit mois avant la tenue de l’audience relative à la demande d’asile.

 

[9]               Se fondant sur ces éléments de preuve, l’agent a conclu que M. Mazrekaj aurait pu faire part de ses préoccupations au sujet du témoignage de son oncle lors de l’audience relative à sa demande d’asile. Pour cette raison, on ne pouvait considérer qu’il avait soulevé de nouveaux risques pouvant justifier une décision d’ERAR positive.

 

III.       L’agent s’est‑il fondé sur des éléments extrinsèques?

 

[10]           M. Mazrekaj affirme que l’agent l’a traité de façon injuste en se fiant aux résultats de ses recherches personnelles, en l’occurrence, le procès‑verbal d’audience du TPIY et l’article de l’agence de presse SENSE qui était accessible au public avant l’audience relative à sa demande d’asile. Il affirme qu’il n’était pas au courant de ces éléments de preuve. Par conséquent, l’agent avait l’obligation de lui donner la possibilité d’y répondre.

 

[11]           Le ministre affirme que les éléments de preuve invoqués par l’agent n’étaient pas des éléments extrinsèques étant donné qu’ils étaient accessibles au public et qu’ils provenaient d’une source fiable. De plus, M. Mazrekaj aurait pu prévoir que l’agent consulterait le site Web du TPIY. En fait, M. Mazrekaj a simplement « pris un risque calculé » en taisant une source de risques qu’il aurait dû divulguer à l’audience.

 

[12]           À mon avis, M. Mazrekaj aurait dû se voir accorder la possibilité de répondre aux éléments de preuve sur lesquels l’agent s’est fondé. L’agent a consulté des éléments qui ne pourraient être qualifiés de documents courants dont les demandeurs peuvent raisonnablement s’attendre à ce qu’ils soient consultés par les agents (Riaji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1240; Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461 (CA)).

 

[13]           Les éléments de preuve soumis à l’agent démontraient que tant les personnes qui témoignent devant le TPIY que les membres de leur famille sont incontestablement exposés à un risque. De fait, l’agent n’a pas retenu l’argument de M. Mazrekaj suivant lequel il avait hésité à identifier publiquement son oncle comme témoin au moment de l’examen de sa demande d’asile. L’agent a conclu que M. Mazrekaj aurait dû savoir que ce témoignage faisait déjà partie du domaine public.

 

[14]           Les documents auxquels se réfère l’agent démontrent qu’au moins une partie du témoignage de l’oncle était accessible en ligne. Mais les sources en question n’étaient pas à ce point évidentes ou facilement accessibles pour réfuter l’argument de M. Mazrekaj suivant lequel il n’était pas au courant que les témoignages de son oncle étaient accessibles au public au moment de son audience de 2010. L’agent aurait dû accorder la possibilité à M. Mazrekaj de répondre à ces éléments de preuve avant de conclure que sa demande était mal fondée.

 

IV.       Dispositif

 

[15]           L’omission de l’agent d’accorder à M. Mazrekaj la possibilité de répondre au document que l’agent avait obtenu grâce à ses recherches personnelles a causé une injustice à M. Mazrekaj. Par conséquent, je dois faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner le réexamen de la demande d’ERAR de M. Mazrekaj par un autre agent. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier et aucune n’est donc énoncée.

 


JUGEMENT

LA COUR DÉCLARE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen;

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est énoncée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5863‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  ARNANT MAZREKAJ c
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 12 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 1er août 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

David Cranton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann Sandaluk

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.