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Date : 20120730

Dossier : IMM‑8770‑11

Référence : 2012 CF 944

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

AZIZUL HAKIM CHOWDHURY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 4 mars 2010 (avec un addenda daté du 31 mai 2011) par laquelle l’agente chargée de l’examen des risques avant renvoi (l’agente d’ERAR) a rejeté la demande d’ERAR du demandeur.

 

I.          Les faits

 

[2]               Né le 16 décembre 1956, le demandeur, Azizul Hakim Chowdhury, est un citoyen du Bangladesh. Il est sourd et muet. Sa femme et ses trois enfants se trouvent encore tous au Bangladesh avec ses sept frères et sœurs. Le demandeur est arrivé au Canada le 23 août 2003 et il a demandé l’asile en alléguant qu’il était persécuté par la police et par plusieurs partis politiques rivaux qui l’avaient forcé à faire des caricatures politiques dans lesquelles les uns et les autres s’insultaient. Sa demande d’asile a été refusée le 20 janvier 2005 après que la Commission eut estimé qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables démontrant qu’il serait exposé à un risque au Bangladesh. La Commission a explicitement rejeté l’allégation suivant laquelle le demandeur était recherché par les autorités de l’État ou par des représentants de partis politiques. En novembre 2006, le demandeur a présenté une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire et, en février 2007, il a soumis sa demande d’ERAR.

 

[3]               La demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire et la demande d’ERAR ont respectivement été rejetées les 3 et 4 mars 2010. On a toutefois omis, par inadvertance, de communiquer ces décisions au demandeur, qui a soumis des observations supplémentaires relativement à ces deux demandes en octobre 2010. Ces arguments supplémentaires ont été examinés dans des addendas datés du 24 et du 31 mai 2011, et les deux décisions définitives ont été communiquées au demandeur.

 

II.        Décision à l’examen

 

[4]               Dans sa décision, l’agente résume dans un premier temps les allégations et les motifs de la décision sur la demande d’asile et elle conclut par la suite qu’elle ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour réfuter les conclusions tirées dans la décision négative rendue au sujet de ladite demande.

 

[5]               L’agente fait observer que le demandeur avait soumis de nouveaux éléments de preuve, à savoir des caricatures non signées et non datées, une plainte que sa fille a déposée auprès de la police le 1er mars 2006, une lettre de sa fille, une plainte déposée auprès de la police contre le demandeur le 19 mars 2006, un article de journal faisant état de menaces proférées contre la famille du demandeur et des renseignements sur la situation au pays. L’agente a accordé peu de poids aux caricatures étant donné que rien ne permettait de penser qu’elles avaient été publiées et que le demandeur n’avait pas expliqué comment il les avait obtenues ou si elles lui étaient attribuées.

 

[6]               L’agente a rejeté les éléments de preuve soumis par la fille du demandeur au motif qu’elle avait intérêt à ce que la demande de son père soit accueillie. L’agente a fait observer que la plainte que celle‑ci a déposée auprès de la police et l’article de journal constituaient des éléments de preuve contradictoires. L’agente a également fait observer que l’article de journal ne relatait pas une nouvelle et semblait plutôt être une lettre adressée au rédacteur en chef. Se fondant sur cet élément de preuve ainsi que sur d’autres éléments de preuve objectifs quant à la facilité avec laquelle on pouvait soudoyer des journalistes au Bangladesh, l’agente a accordé peu de poids à l’article de journal.

 

[7]               L’agente a également accordé peu de poids à la plainte déposée auprès de la police contre le demandeur étant donné qu’elle avait été effectuée presque trois ans après le départ du demandeur et qu’elle ne fournissait aucune explication sur la raison pour laquelle il était toujours recherché malgré le fait qu’il avait cessé de dessiner des caricatures politiques. L’agente a également fait observer que, malgré le fait que trois autres personnes y étaient nommées, la plainte se concentrait, pour des raisons inconnues, sur le demandeur.

 

[8]               Enfin, l’agente a examiné les éléments de preuve relatifs à la situation qui existait au Bangladesh, en faisant observer que la corruption et les violations des droits de la personne posaient toujours problème même s’il y avait certains éléments de preuve indiquant que la situation s’améliorait. L’agente a également fait état d’éléments de preuve portant sur les difficultés auxquelles sont exposées les personnes handicapées, mais elle a conclu que cette forme de discrimination n’équivalait pas à de la persécution surtout si l’on tenait compte de ce que le demandeur avait pu réaliser avant de quitter le Bangladesh et de l’appui sur lequel il pouvait compter de la part des membres de sa famille.

 

III.       Question en litige

 

[9]               La seule question en litige dans la présente demande est celle de savoir si l’agente a rejeté de façon déraisonnable les éléments de preuve présentés par le demandeur.

 

IV.       Norme de contrôle

 

[10]           La question en litige en l’espèce se rapporte à l’examen que l’agente a fait de la preuve et des conclusions de fait qu’elle a tirées; elle commande donc la déférence (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, au paragraphe 46).

 

V.        Analyse

 

[11]           Le demandeur affirme que l’agente a écarté de façon déraisonnable de nouveaux éléments de preuve importants qui démontraient qu’il était toujours exposé à un risque au Bangladesh simplement parce que ces éléments de preuve provenaient de sa famille. Il s’agissait d’une lettre écrite par sa fille le 28 avril 2006, d’une plainte que sa fille a déposée auprès de la police le 1er mars 2006 et d’un article de journal du 5 avril 2006 qui faisait état des menaces constantes dont les membres de sa famille faisaient l’objet de la part de personnes se disant à la recherche du demandeur (pages 60 et 61 du dossier du demandeur). Le demandeur invoque la décision Ugalde c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 458, [2011] ACF no 647, à l’appui de cet argument. Il affirme également que l’article de journal n’avait pas été nécessairement écrit par des membres de sa famille et que l’agente a donc agi de façon déraisonnable en le rejetant.

 

[12]           Le demandeur fait également observer qu’il avait présenté une copie de la plainte formulée par un dirigeant politique à son sujet et au sujet d’autres personnes et il fait valoir que l’agente a déraisonnablement rejeté cet élément de preuve. Le demandeur affirme qu’il était bien précisé dans la plainte que celle‑ci avait été formulée à ce moment‑là en raison des activités terroristes en cours et des élections nationales imminentes.

 

[13]           Le défendeur affirme que l’examen que l’agente a fait de la preuve était raisonnable et que le demandeur invite simplement la Cour à procéder à une nouvelle appréciation de la preuve, ce qui déborde le cadre de sa compétence. Le défendeur invoque à l’appui de cet argument la décision Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437, [2005] ACF no 540. Le défendeur relève également que les agents ont le droit d’accorder peu de poids aux éléments de preuve vagues ou qui ne comportent pas suffisamment de détails. Il cite à l’appui de cet argument certaines décisions dont Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, [2008] ACF no 1308.

 

[14]           Dans sa réponse, le demandeur conteste l’argument du défendeur selon lequel l’agente a exposé de nombreuses qui l’ont amenée à rejeter les éléments de preuve émanant de sa fille, et il prétend que la seule raison pour laquelle ces éléments de preuve ont été rejetés était qu’ils provenaient d’un membre de sa famille.

 

[15]           Dans son mémoire supplémentaire, le défendeur reprend l’argument selon lequel l’agente avait d’autres raisons de rejeter ces éléments de preuve sans toutefois en préciser la nature.

 

[16]           En fait, l’agente avait effectivement d’autres raisons de rejeter les éléments de preuve provenant de la famille du demandeur : la preuve était contradictoire en ce qui concerne le moment où les hommes s’étaient présentés au domicile familial. Dans la plainte qu’elle a déposée à la police, la fille du demandeur affirme que des hommes se sont présentés à la maison à la recherche de son père le 26 février, alors que l’article de journal mentionne que cet incident s’est produit le 4 février. L’agente a relevé cette contradiction à la page 5 de sa décision et a invoqué d’autres raisons de rejeter l’article de journal (en l’occurrence, qu’il semblait s’agir davantage d’une lettre adressée au rédacteur en chef que d’un reportage ordinaire). D’ailleurs, lorsqu’on l’examine de plus près, il semble que l’article soit signé par un membre de la famille du demandeur au bas de la page. Bien que l’agente ait relevé cette incohérence dans son résumé de la preuve plutôt que dans la section intitulée [traduction] « Conclusions de fait », il demeure que cette contradiction est relevée dans la décision et que l’agente avait le droit d’accorder peu de poids à des éléments de preuve qui se contredisaient. De plus, l’examen que l’agente a fait de ces éléments de preuve doit être analysé en tenant compte du fait que la Commission a explicitement rejeté l’allégation suivant laquelle les représentants des parties politiques étaient à la recherche du demandeur. Le demandeur n’a tout simplement pas soumis suffisamment d’éléments de preuve pour réfuter la conclusion qu’a tirée la Commission.

 

[17]           L’agente avait le droit de rejeter la preuve relative à la plainte déposée auprès de la police au sujet du demandeur et d’autres personnes compte tenu du manque d’explications fournies dans les observations du demandeur sur les raisons pour lesquelles il était alors recherché, soit presque trois ans après avoir quitté le pays, et du caractère vague et imprécis des allégations formulées dans la plainte (par ex. : [traduction] « Nous avons récemment appris de diverses sources que [...] »). De plus, la plainte n’est mentionnée qu’une seule fois en passant dans les observations du demandeur.

 

[18]           Le demandeur n’a pas démontré que l’examen que l’agente a fait de la preuve qu’il a soumise était déraisonnable. Il conteste plutôt l’appréciation que l’agente a faite de la preuve en affirmant qu’elle aurait dû lui accorder plus de poids, ce qui ne suffit pas pour démontrer que la décision est déraisonnable ou pour justifier l’intervention de la Cour.

 

[19]           Il est évident que l’agente a examiné les documents et a en dernière analyse décidé de leur accorder peu de valeur probante. Il convient de faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard de la façon dont l’agent exerce son pouvoir discrétionnaire à cet égard (Sayed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 796, [2010] ACF no 978, au paragraphe 21, et Kang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 293, [2011] ACF no 378, au paragraphe 40).

 

VI.       Dispositif

 

[20]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

«  D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8770‑11

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                     AZIZUL HAKIM CHOWDHURY c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 26 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 30 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Tara Anne McElroy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Neeta Logsetty

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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