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Date : 20120730

Dossier : IMM‑8600‑11

Référence : 2012 CF 939

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

SUSAN MERLENE COUDOUGAN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Susan Merlene Coudougan, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR), a été rejetée. La présente audience a eu lieu en même temps que celle relative à sa demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue à la suite de sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) (dossier IMM‑8599‑11).

 

I.          Contexte

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines (Saint‑Vincent). Elle a présenté sa première demande d’asile au Canada en 2006 en alléguant qu’elle était victime de violence de la part de son ex‑conjoint, Gus Robertson, qui est aussi le père de ses trois enfants aînés. Sa demande a été rejetée ainsi que la demande d’ERAR présentée par la suite. Elle a été renvoyée à Saint‑Vincent en décembre 2009.

 

[3]               La demanderesse affirme qu’à son retour, elle a été agressée par des membres de la famille de M. Robertson. Elle est rentrée au Canada le 5 octobre 2011. Elle a demandé qu’un ERAR ait lieu en même temps que la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire qu’elle avait présentée avant d’être renvoyée du Canada en 2008. Les deux demandes ont été rejetées par le même agent d’immigration supérieur (l’agent). La demanderesse demande maintenant à notre Cour d’examiner la décision relative à sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

 

II.        La décision relative à la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire

 

[4]               S’agissant de l’établissement de la demanderesse au Canada, l’agent a relevé l’existence de courriels d’amis avec lesquels elle avait gardé contact après son retour à Saint‑Vincent. L’agent a néanmoins conclu que la demanderesse [traduction] « a fourni peu de renseignements au sujet des difficultés qu’elle avait éprouvées après avoir quitté son emploi et ses amis au Canada en décembre 2009 » et qu’il ne pouvait accorder que peu de poids à son degré d’établissement.

 

[5]               Quant aux difficultés qu’entraînerait le fait pour la demanderesse de vivre à Saint‑Vincent, l’agent a fait observer qu’il disposait de peu de renseignements permettant de penser que les loyers élevés, les faibles revenus et certaines conditions de vie avec lesquelles il faudrait que la demanderesse compose lui causeraient des difficultés excessives comparativement aux autres personnes vivant dans ce pays.

 

[6]               L’agent s’est également penché sur la situation du fils de deux ans, Jallon, de la demanderesse, né au Canada, et qui avait besoin d’une chirurgie. L’agent a reconnu l’importance de l’opération chirurgicale, mais il a également fait observer ce qui suit : [traduction] « Je dispose de peu de renseignements qui me permettent de penser que l’état de santé de Jallon nécessitera un suivi de longue durée qui obligera la demanderesse à demeurer au Canada de façon prolongée ». L’agent a également accordé peu de poids au fait que Jallon a des réactions cutanées et au manque de confiance de la demanderesse envers le système médical, étant donné que ces préoccupations touchaient l’ensemble des résidents de Saint‑Vincent. Le fait que la demanderesse ne puisse compter sur l’appui du père de Jallon a été considéré comme un facteur favorable à la demanderesse. L’agent a toutefois reconnu les avantages que comportait pour la demanderesse le fait de vivre à Saint‑Vincent avec ses trois enfants les plus vieux.

 

[7]               Le dernier facteur dont l’agent a tenu compte était le risque associé au retour de la demanderesse à Saint‑Vincent. L’agent a cité les conclusions de la décision d’ERAR et a déclaré que la demanderesse [traduction] « a offert très peu de renseignements pour démontrer en quoi consistaient les difficultés qu’elle aurait à affronter parce qu’elle vivrait dans le même pays que son ancien conjoint de fait et la famille de ce dernier après son retour à Saint‑Vincent ». Même si la demanderesse risque de se heurter à certaines difficultés, notamment d’ordre psychologique, si elle rencontre par hasard son ex‑conjoint de fait ou des membres de la famille de ce dernier, il existe des services de soutien à Saint‑Vincent pour lui permettre d’y faire face. Ces difficultés ne sont pas excessives par rapport à celles auxquelles seraient confrontées d’autres personnes dans la même situation.

 

III.       Question en litige

 

[8]               La présente demande concerne le caractère raisonnable de la décision de l’agent.

 

IV.       Norme de contrôle

 

[9]               À l’évidence, les décisions rendues en réponse à des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire méritent la déférence et font l’objet d’un contrôle suivant la norme de la décision raisonnable (voir, par exemple, l’arrêt Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2009] ACF no 713, au paragraphe 18). Notre Cour est donc appelée à se demander si la décision repose sur des motifs justifiables, transparents et intelligibles, et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

[10]           La demanderesse reproche à l’agent d’avoir analysé les facteurs de risque en se fondant sur les conclusions de la décision d’ERAR suivant laquelle elle pourrait compter sur la protection de l’État. Elle insiste pour dire que l’agent n’a pas procédé à une appréciation indépendante des difficultés sur le plan physique que représenterait pour elle le fait de se prévaloir de cette protection à Saint‑Vincent suivant le critère moins exigeant et plus large applicable dans le cas des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire.

 

[11]           Je ne suis pas convaincu que l’argument de la demanderesse puisse être admis compte tenu de la décision que l’agent a rendue. Malgré le fait qu’il cite les conclusions d’ERAR, il s’est attardé au critère primordial dont il convient de tenir compte dans le cas des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire, à savoir l’existence de difficultés excessives pour la demanderesse, ainsi qu’il en ressort à l’évidence du passage suivant dans lequel l’agent examine la question du risque :

[traduction]

Dans le cadre de l’examen de la demande d’ERAR, je conclus que la demanderesse pourrait compter sur une protection suffisante de l’État si elle faisait des efforts raisonnables pour s’en prévaloir. Je conclus en outre que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle serait exposée à un risque sérieux de persécution au sens de l’article 96 de la LIPR. De plus, la demanderesse ne m’a pas convaincu, pour des motifs sérieux, qu’elle serait exposée à un risque de torture au sens de l’alinéa 97(1)a) ou encore qu’elle risque personnellement de subir un traitement ou des peines cruelles ou inusitées ou une menace à sa vie au sens de l’alinéa 97(1)b).

 

Comme le risque qu’invoque la demanderesse dans la présente demande est le même que celui qu’elle a invoqué dans sa demande d’ERAR, les conclusions tirées relativement à cette demande sont directement pertinentes à la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse. Je suis conscient que, bien que l’analyse des raisons d’ordre humanitaire porte sur des faits semblables à ceux examinés par l’agent d’ERAR, les faits en question doivent être examinés à la lumière du critère moins exigeant applicable pour déterminer, dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, si les facteurs de risque constituent des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[12]           Non seulement l’agent était‑il conscient de la distinction à faire entre les deux demandes et la nécessité de se concentrer sur l’ampleur des difficultés dans le contexte d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, mais il a effectivement procédé à cette analyse spécifique dans les paragraphes ultérieurs de sa décision. L’agent poursuit en écrivant :

[traduction]

La demanderesse a offert très peu de renseignements pour démontrer en quoi consistaient les difficultés qu’elle aurait à affronter en raison du fait qu’elle vivrait dans le même pays que son ancien conjoint de fait et la famille de ce dernier une fois de retour à Saint‑Vincent.

 

Je reconnais que la demanderesse pourrait être exposée à des difficultés si elle déménageait à la Grenade [sic] où la famille de son ex‑conjoint de fait continue de vivre étant donné qu’elle risque de les rencontrer en vaquant à ses occupations quotidiennes. Elle risque également, à l’occasion, de tomber sur son ex‑conjoint de fait lorsque celui‑ci retournera à Saint‑Vincent, ce qui pourrait lui occasionner des difficultés d’ordre psychologique. Il existe toutefois à Saint‑Vincent des services sociaux et des services de soutien psychologique ainsi qu’en fait foi le rapport du Département d’État des États‑Unis publié en 2000 au sujet des droits de la personne qui était joint à la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse. J’estime que je ne dispose pas de suffisamment de renseignements pour pouvoir conclure que les difficultés auxquelles la demanderesse serait confrontée seraient excessives par rapport à celles que d’autres personnes éprouveraient dans une situation semblable.

 

[13]           La principale réserve qu’a exprimée l’agent était l’absence d’éléments de preuve précis au sujet de l’ampleur des difficultés auxquelles la demanderesse serait confrontée dans les circonstances. L’agent a toutefois mentionné la question du risque que la demanderesse rencontre par hasard son ex‑conjoint ou des membres de la famille de ce dernier, ainsi que les éventuelles difficultés d’ordre psychologique qu’elle pourrait subir. Étant donné que l’agent a tenu compte de la question de la protection de l’État en appliquant le critère des difficultés excessives, la démarche qu’il a suivie était justifiable, transparente et intelligible (pour un raisonnement similaire, voir le jugement Youkhanna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 187, [2008] ACF no 239, au paragraphe 4).

 

[14]           En ce qui concerne l’argument de la demanderesse suivant lequel l’agent a ignoré certains éléments de preuve lors de son évaluation des difficultés, je constate que ces éléments ont été pour une large part expressément abordés lors de l’examen de la demande d’ERAR. Ainsi que le défendeur le soutient, il semble qu’on s’est fondé essentiellement sur les mêmes éléments de preuve relatifs au risque de violence et aux préoccupations liés à la réponse de la police tant dans le cas de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire que dans le cas de la demande d’ERAR.

 

[15]           L’agent a consacré suffisamment d’attention à l’ampleur des difficultés auxquelles la demanderesse pouvait être confrontée lorsqu’il a examiné les facteurs de risque malgré le fait que les conclusions énoncées dans la décision d’ERAR au sujet de la protection de l’État aient servi de point de départ à son analyse. Je tiens à souligner qu’il incombe à la demanderesse de démontrer en quoi sa situation lui causerait des difficultés particulières (voir, par exemple, la décision Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 646, [2008] ACF no 814, au paragraphe 37).

 

VI.       Dispositif

 

[16]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8600‑11

 

INTITULÉ :                                                  SUSAN MERLENE COUDOUGAN c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 28 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 30 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony P. Navaneelan

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jane Stewart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Anthony P. Navaneelan

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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